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Med Sci (Paris). 2011 November; 27(11): 932–934.
Published online 2011 November 30. doi: 10.1051/medsci/20112711006.

Le nez au chevet du cerveau

Emmanuel Nivet,1,2,3,4,5* Arnaud Devèze,6 Stéphane D. Girard,1,2,3,4 François S. Roman,3,4 and François Féron1,7**

1Neurobiologie des interactions cellulaires et neurophysiopathologie, CNRS UMR-6184, Faculté de médecine, Aix-Marseille Université
2IFR Jean Roche, 51, boulevard Pierre Dramard, 13916Marseille Cedex 20, France
3Laboratoire de neurobiologie des processus mnésiques, CNRS UMR-6149, Aix-Marseille Université
4IFR sciences du cerveau et de la cognition, Pôle 3C, 3, place Victor Hugo, 13331Marseille Cedex 03, France
5Adresse actuelle : Salk institute for biological studies, 10010 North Torrey Pines Road, La Jolla, California92037, États-Unis
6Département ORL, hôpital universitaire Nord, AP-HM, boulevard Pierre Dramard, 13916Marseille, France
7Centre d’investigations cliniques en biothérapie CIC-BT 510, AP-HM - Institut Paoli Calmettes - Inserm, Aix-Marseille Université, 232, boulevard de Sainte Marguerite, 13273Marseille Cedex 09, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Encéphale, anatomopathologie, Encéphalopathies, thérapie, Transplantation cellulaire, méthodes, tendances, Régénération tissulaire guidée, Humains, Transplantation de cellules souches mésenchymateuses, Modèles biologiques, Régénération nerveuse, physiologie, Nez, cytologie, Muqueuse olfactive, transplantation , Médecine régénérative, Tropisme, Esprit et humour comme sujet

 

La cavité nasale abrite la muqueuse olfactive, le seul tissu nerveux qui soit à la fois accessible chez tout individu et en contact direct avec l’environnement. Grâce à des cellules souches nombreuses et fortement prolifératives, ce tissu se régénère en permanence. Plusieurs travaux, conduits dans des modèles animaux d’amnésie, de paraplégie, de surdité et de la maladie de Parkinson, indiquent que la médecine régénérative ne manquera pas de flair si elle fait de ce nouveau type de cellules souches adultes l’un de ses candidats favoris pour des essais cliniques de transplantation autologue.

La thérapie cellulaire représente un espoir grandissant dans la course de l’homme contre le temps et les éléments. Dans la lignée du concept proposé par Hippocrate puis Paracelse1 (simila similibus curatur, le semblable guérit le semblable), les premières greffes, destinées à réparer un organe lésé ou pathologique, utilisaient des cellules issues du même organe mais en provenance d’un animal ou un individu sain. Puis, vers la fin du xx e siècle, est apparue la notion de plasticité cellulaire. Au lieu de faire appel à une cellule spécialisée, peu plastique, cliniciens et chercheurs spécialistes de la médecine régénératrice se sont intéressés aux cellules souches. Ces dernières présentent une grande versatilité phénotypique en réponse à des signaux extérieurs, et sont douées d’une adaptabilité environnementale. Les cellules souches à fort potentiel thérapeutique peuvent être regroupées en deux grandes catégories : (1) pluripotentes, généralement d’origine embryonnaire ou issues de reprogrammation cellulaire ; (2) multipotentes, isolées à partir de tissus adultes le plus souvent. Si les cellules souches pluripotentes, ayant la capacité de générer pratiquement tous les types cellulaires, offrent d’énormes espoirs, les problèmes éthiques et techniques qui y sont associés ralentissent leur utilisation dans le domaine clinique [ 11]. À l’inverse, bien que plus limitées dans leur potentiel de différenciation, les cellules souches adultes représentent une alternative de choix et peuvent être isolées à partir de nombreuses sources tissulaires [ 12].

Cellules souches de la muqueuse olfactive : un fort potentiel thérapeutique

Chaque tissu, soumis à un renouvellement cellulaire au cours de la vie adulte, abrite généralement un pool de cellules souches permettant le maintien de ce processus. Parmi celles-ci, les cellules souches neurales sont les cellules mères des tissus neuraux [ 13]. Dans ce contexte, les cellules souches neurales apparaissent comme un outil de choix pour des transplantations destinées à compenser les pertes cellulaires pathologiques ou traumatiques du système nerveux central. Néanmoins, leur localisation dans des couches profondes du cerveau rend leur utilisation difficile. Afin de contourner cet obstacle, nous avons recherché un nouveau type de cellule candidate qui soit à la fois facilement accessible et prédisposée à se différencier en cellules neurales. Partant du principe que la muqueuse olfactive humaine est un tissu nerveux périphérique, siège d’une neurogenèse permanente, nous avons émis l’hypothèse qu’un type cellulaire résident pourrait être d’intérêt pour la réparation de réseaux neuronaux et gliaux.

En 2005, nous avons identifié pour la première fois l’existence d’un nouveau type de cellules souches, localisées dans la zone sous épithéliale de la muqueuse olfactive nommée lamina propria et possédant des propriétés de multipotentialité [ 1]. Ces cellules présentent la remarquable capacité de se différencier en cellules neurales (neurones, astrocytes, oligodendrocytes) mais également en d’autres types cellulaires (cellules sanguines, musculaires ou cardiaques) lorsqu’elles sont placées, in vitro et/ou in vivo, dans un environnement propice. Ces cellules présentent un spectre de différenciation bien plus large que toutes les autres cellules souches adultes décrites à ce jour et font montre d’une grande plasticité/adaptabilité en réponse aux signaux externes (développementaux ou adultes). Plus récemment, nous avons caractérisé ces cellules qui présentent de nombreuses similitudes géniques et protéiques avec les cellules souches mésenchymateuses de la moelle osseuse [ 2, 12]. De manière très intéressante, les cellules souches mésenchymateuses sont aujourd’hui utilisées dans de nombreux essais cliniques de transplantation cellulaire () [ 14].

() Voir à ce sujet le numéro thématique de m/s Cellules souches mésenchymateuses, n° 3, vol. 27, mars 2011

Ce nouveau type de cellule souche, qui combine certaines caractéristiques des cellules souches mésenchymateuses et des cellules souches neurales, nous est donc apparu comme un parfait candidat pour des expériences de thérapie neurale. En 2008, à l’aide d’un modèle animal de la maladie de Parkinson, nous avons apporté la première démonstration que des cellules souches de la muqueuse olfactive humaine étaient capables de rétablir des fonctions perdues lorsqu’elles sont transplantées dans les zones cérébrales affectées par une neurodégénérescence [ 3]. De plus, l’équipe de Roisen aux États-Unis a démontré que la transplantation de cellules souches olfactives nasales humaines améliorait significativement la locomotion de rats devenus paraplégiques après une section de la moelle épinière [ 4]. Parallèlement, la capacité de différenciation de ces mêmes cellules humaines en chondrocytes, après transplantation dans un modèle rat de lésion des disques intervertébraux [ 5], ou en ostéocytes après insertion chez des souris nude, a été mise en évidence [2]. Enfin, une troisième équipe a apporté la preuve que : (1) les cellules souches olfactives de souris pouvaient se différencier in vitro en cellules ciliées cochléaires [ 6], et (2) les cellules souches olfactives humaines, transplantées chez des souris présentant des pertes de cellules ciliées, aidaient à préserver la fonction auditive [ 7].

Cellules souches olfactives : restauration des fonctions mnésiques

Encore plus récemment, nous avons évalué l’effet d’une transplantation de cellules souches de la muqueuse olfactive humaine dans un modèle consistant à induire la mort d’un grand nombre de neurones hippocampiques chez la souris [ 8]. Les hippocampes jouent un rôle central dans le système limbique, participant notamment aux processus d’apprentissage et de mémorisation. Cette structure constitue le support fonctionnel à la mise en place de nouveaux souvenirs et toute atteinte, traumatique ou pathologique, induisant une mort neuronale excessive (ischémie/hypoxie) et/ou un dysfonctionnement (la maladie d’Alzheimer), engendre un syndrome amnésique. Nous avons montré que, contrairement à leurs congénères non lésées, les souris chez lesquelles on a créé une lésion au niveau des couches cellulaires hippocampiques étaient dans l’incapacité d’apprendre et mémoriser les tâches auxquelles elles étaient soumises. Elles ne parvenaient pas à faire d’association entre une odeur et l’attribution d’une récompense (test du labyrinthe olfactif circulaire). De la même manière, elles étaient dans l’impossibilité de mémoriser l’emplacement d’une plate-forme submergée et invisible lorsqu’elles étaient placées dans une enceinte circulaire remplie d’eau et entourée d’indices visuels (tâche de la piscine de Morris). Notre étude a montré que les atteintes fonctionnelles consécutives à la perte de neurones hippocampiques pouvaient être compensées par des cellules souches humaines de la muqueuse olfactive, transplantées soit directement dans la structure lésée, soit dans le liquide céphalo-rachidien. De manière remarquable, nous avons montré que ces cellules pouvaient survivre en grand nombre (20 %) quatre semaines après la greffe, mais également migrer vers les zones lésées pour s’y différencier en cellules neuronales (Figure 1). Parallèlement, nous avons observé que les cellules exogènes stimulaient la production endogène de nouveaux neurones à partir des cellules souches du gyrus dentelé (Figure 1). Enfin, les analyses électrophysiologiques des souris transplantées ont révélé un rétablissement partiel de l’activité électrique hippocampique (transmission cellulaire et potentialisation à long terme), à la base de la récupération des fonctions mnésiques observée.

Un bel avenir…

Les données concernant les cellules souches de la muqueuse olfactive convergent et plaident en faveur de leur utilisation dans un cadre thérapeutique. Leur facilité d’accès chez l’homme [ 9] est un avantage considérable qui permet d’envisager des transplantations autologues, évitant ainsi tout risque de rejet ou d’effets secondaires liés à un traitement immunosuppresseur. La démonstration dans ces différentes études indépendantes du rôle neuroprotecteur et neurostimulateur de cet outil cellulaire, suggère qu’il pourrait bénéficier à toutes les pathologies associées à des pertes de cellules neuronales (Figure 2). De plus, ces cellules devraient pouvoir outrepasser certains obstacles comme la contreindication de transplantation autologue dans le cadre de neuropathologies qui, dans certains cas, peuvent être d’origine génétique (Parkinson, Huntington) et donc engendrer un risque de rechute. En effet, dans une étude de correction génique extrêmement originale nous avons récemment apporté la preuve de principe que ces cellules peuvent être corrigées en amont d’une transplantation [ 10]. Par ailleurs, lorsqu’elles sont cultivées dans des conditions favorables, ces cellules ont un fort pouvoir proliférant et il est possible de disposer d’un grand nombre de cellules dans un délai relativement court. Notons qu’à ce jour, nous n’avons jamais observé la formation de tumeur après transplantation de ces cellules. Enfin, la capacité d’écotropisme (homing en anglais) de ces cellules en réponse à des signaux postlésionnels en fait un outil de choix pour des greffes peu invasives, notamment par voie intraveineuse. De manière générale, si la médecine de demain s’inscrit toujours dans la recherche de produits cellulaires à fort potentiel thérapeutique, il fait peu de doutes que les cellules souches de la muqueuse olfactive humaine doivent être considérées comme d’excellentes candidates.

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Philippus, Aureolus, Theophrastus Bombast von Hohenheim, dit Paracelse (1493-1541). Il s’intitulait Prince des deux médecines - celle du corps et celle de l’âme, et avait pour particularité de porter toujours une longue épée qu’il tenait, dit-on, d’un bourreau et dont le pommeau aurait renfermé la Pierre des Sages.
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