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Med Sci (Paris). 2011 August; 27(8-9): 694–696.
Published online 2011 August 31. doi: 10.1051/medsci/2011278005.

Une toxine botulique de type A modulaire et non pathogène

Frédéric Darios1*

1Centre de recherche de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière, Inserm U975, CNRS UMR7225, Université Pierre et Marie Curie, 47, boulevard de l’Hôpital, 75013Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Sites de fixation, Toxines botuliniques de type A, composition chimique, génétique, toxicité, Domaine catalytique, Évaluation préclinique de médicament, Souris, Complexes multiprotéiques, Jonction neuromusculaire, effets des médicaments et des substances chimiques, Maturation post-traductionnelle des protéines, Structure tertiaire des protéines, Transport de protéines, Protéines Qa-SNARE, Protéines R-SNARE, Protéines de fusion recombinantes, Protéine SNAP-25, Thrombine, pharmacologie

 

La toxine botulique de type A est l’un des poisons les plus puissants connus à ce jour. Elle agit en bloquant la libération de neurotransmetteurs et son action au niveau des jonctions neuromusculaires cause une paralysie flasque pouvant causer la mort par asphyxie à fortes doses. Cette toxine est efficace à de très faibles quantités et son action est de longue durée, de l’ordre de plusieurs mois. Ces propriétés expliquent qu’elle ait été utilisée pour bloquer les jonctions neuromusculaires de manière ciblée via des injections locales. Ainsi la toxine botulique de type A (commercialisée sous les noms de Botox, Dysport, ou Xeomin) est utilisée en clinique pour des applications de plus en plus nombreuses (strabisme, dystonies, spasticité, etc.) ainsi qu’en chirurgie esthétique [ 1]. Cependant, la toxine botulique de type A peut également bloquer d’autres types de synapses, notamment des synapses du système nerveux central [ 2]. Ainsi, la toxine botulique de type A, ou une toxine chimérique, a été utilisée pour lutter contre la douleur secondaire à des neuropathies via l’inhibition des neurones sensitifs périphériques [1]. L’injection ciblée de toxine botulique de type A dans le système nerveux central pourrait donc représenter une nouvelle ère thérapeutique potentielle, comme cela a été proposé pour l’injection de toxine botulique de type E dans le blocage des symptomes épileptiques dans un modèle animal [ 3].

Cependant, sa forte toxicité explique que très peu de laboratoires sont équipés pour produire la toxine botulique de type A, ce qui a retardé le développement de cet outil pour des applications en neurobiologie et en médecine. Afin de contourner ces problèmes, nous avons récemment développé une méthode qui permet de produire une toxine botulique de type A active sur les synapses du système nerveux central, mais non toxique, par l’assemblage de deux sous unités de la protéine via un module d’assemblage formé de protéines SNARE (soluble N-ethylmaleimide fusion protein attachment protein [SNAP] receptor) [ 4].

Utilisation des protéines SNARE comme modules d’assemblage

Les protéines SNARE sont impliquées dans les phénomènes de fusion membranaire [ 5, 11, 12]. L’interaction de quatre domaines SNARE aboutit à la formation d’un complexe hétéromérique qui joue un rôle essentiel dans les phénomènes de fusion [ 6]. Dans le cas des neurones, les complexes SNARE sont formés de trois protéines : SNAP-25, qui a deux domaines SNARE, la syntaxine et la synaptobrévine, qui ont chacune un domaine SNARE. Bien qu’in vivo le complexe SNARE soit dissocié par une ATPase, il est caractérisé, in vitro, par sa stabilité et sa résistance à des agents dénaturants forts tels que l’urée ou des détergents comme le SDS [ 7]. Ces propriétés exceptionnelles nous ont conduits à utiliser les domaines SNARE comme modules d’assemblage. Nous avons démontré leur efficacité dans cette stratégie en liant de manière stable une enzyme, la glutathion S transférase (GST), fusionnée à la synaptobrévine, à une surface portant une syntaxine, en présence de SNAP25 [ 8]. Il a par la suite été possible d’utiliser ces modules d’assemblage pour rassembler des unités fonctionnelles de protéines.

Assemblage d’une toxine botulique de type A fonctionnelle à partir de composants inactifs

La toxine botulique de type A est synthétisée de manière naturelle sous forme d’une protéine de 150 kDa. Elle est activée par un clivage protéolytique qui génère une chaîne légère et une chaîne lourde qui restent assemblées par un pont disulfure (Figure 1). La chaîne légère est le domaine catalytique de la toxine, tandis que la chaîne lourde est constituée d’un domaine de translocation et d’un domaine carboxy-terminal qui sert de domaine de liaison aux récepteurs (Figure 1). La structure de la protéine en cristallographie a montré que les trois domaines forment des unités structurales distinctes [ 9].

Afin de pouvoir utiliser les domaines SNARE pour assembler deux parties de la toxine botulique de type A, nous avons choisi de fusionner d’une part le domaine de liaison aux récepteurs de la toxine botulique à la synaptobrévine (qui contient un domaine SNARE), et d’autre part le domaine catalytique et le domaine de translocation à SNAP25 (qui contient deux domaines SNARE) [4]. Le site de clivage naturel par la trypsine entre les domaines catalytique et de translocation, nécessaire à l’activation de la toxine, peut être mimé par l’addition d’un site de clivage par la thrombine (Figure 1). Les deux protéines peuvent être produites de manière recombinante dans Escherichia coli et purifiées par des techniques de biochimie classiques. En incubant les deux produits recombinants en présence de syntaxine, les trois protéines SNARE peuvent former un complexe et de ce fait assembler le domaine catalytique au domaine de liaison aux récepteurs (Figure 1) pour former une toxine fonctionnelle.

Propriétés de la toxine botulique assemblée

L’efficacité de la toxine chimérique a été testée dans divers modèles. Il apparaît que la toxine assemblée et la toxine naturelle sont actives à des concentrations similaires sur des neurones hippocampiques en culture et pour inhiber la libération de neurotransmetteurs dans les synapses du système nerveux central [4]. En revanche, pour une raison inconnue, la toxine assemblée se révèle moins active que la toxine native pour bloquer les jonctions neuromusculaires. Cette différence pourrait être due au fait que la toxine assemblée est plus volumineuse que la toxine native et serait donc moins apte à atteindre les sites des jonctions neuromusculaires [4]. De plus, une étude récente a montré que la toxine assemblée n’entraîne pas de létalité quand elle est injectée à des souris, même à des doses de 200 ng/kg, alors que la toxine native cause la mort des animaux en quelques heures quand elle est injectée à une dose de 2 ng/kg [ 10]. Ces résultats soulignent l’intérêt de la toxine chimérique. Cependant, la différence de toxicité entre toxine native et chimérique reste pour l’instant inexpliquée; elle pourrait être due à la moindre efficacité de la toxine assemblée sur les jonctions neuromusculaires.

Conclusion

Nos résultats montrent qu’il est possible de synthétiser une toxine botulique de type A sous forme de deux composants non toxiques qui récupèrent la plupart des propriétés de la toxine native après réassemblage. Cette approche, qui permet de former une toxine modulaire, présente plusieurs avantages : (1) il est possible de purifier les fragments de toxine à partir de cultures bactériennes classiques en toute sécurité; (2) il est très facile de réassembler une toxine qui est aussi efficace que la toxine native sur les synapses du système nerveux central; (3) la toxine réassemblée présente des risques de létalité diminués. De plus, l’utilisation des protéines SNARE comme modules d’assemblage permettra de remplacer le domaine de liaison aux récepteurs de la toxine botulique de type A par d’autres domaines de liaison aux récepteurs (par exemple des neuropeptides ou des facteurs de croissance). Cette approche devrait permettre de former de manière modulaire divers types de toxines chimériques et de cibler certaines populations spécifiques de neurones, ce qui pourrait augmenter le nombre d’applications de ces toxines en recherche biomédicale et en clinique [1].

Conflit d’intérêts

L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

References
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