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Med Sci (Paris). 2012 February; 28(2): 125–127.
Published online 2012 February 27. doi: 10.1051/medsci/2012282002.

Migration transendothéliale au niveau de l’unité neurovasculaire
« Une coupe pour traverser la barrière »

Sylvie Cazaubon,1,2* Nicolas Weiss,1,2 and Pierre-Olivier Couraud1,2

1Institut Cochin, Inserm U1016, CNRS UMR8104, département de génétique et développement, 24, rue du faubourg Saint-Jacques, 75014Paris, France
2Université Paris Descartes, Sorbonne Paris CitéParis, 75014France
Corresponding author.

MeSH keywords: Transport biologique, génétique, physiologie, Barrière hémato-encéphalique, métabolisme, Molécules d'adhérence cellulaire, Structures de la membrane cellulaire, composition chimique, Mouvement cellulaire, Humains, Molécule-1 d'adhérence intercellulaire, Modèles biologiques, Migration transendothéliale et transépithéliale

La barrière hémato-encéphalique ou unité neurovasculaire

La barrière hémato-encéphalique (BHE), située anatomiquement à l’interface entre le sang et le parenchyme cérébral, contrôle les échanges entre ces deux compartiments et participe au maintien de l’homéostasie cérébrale. Historiquement, l’existence d’une barrière entre le sang et le cerveau a été suggérée par les travaux d’Ehrlich en 1885, puis démontrée par plusieurs études dont celles de Lewandowski (1900) qui auraient proposé le terme de « blut-hirn-schranke », barrière sang-cerveau, et de Goldmann (1913). Considérée initialement comme une barrière statique, celle-ci va progressivement apparaître comme une barrière dynamique, et c’est en 1967 que Reese et Karnovsky localisèrent la fonction de barrière au niveau des cellules endothéliales (CE) cérébrales qui, par la présence de jonctions intercellulaires serrées, forment une ceinture continue ou zonula occludens (Figure 1A). Les jonctions serrées permettent un accolement ou kiss point, visible en microscopie électronique (forte densité aux électrons), des membranes plasmiques des deux cellules endothéliales adjacentes et délimitent le pôle apical ou luminal (lumière du vaisseau) et le pôle basal ou abluminal (face au parenchyme cérébral) (Figure 1C).

Depuis, de nombreuses études ont démontré que l’acquisition et le maintien de l’intégrité structurale et fonctionnelle de la BHE sont sous le contrôle des cellules périvasculaires. À leur pôle basal, les cellules endothéliales cérébrales sont en contact avec la lame basale constituée de deux feuillets, l’un produit par les cellules endothéliales, l’autre par les astrocytes périvasculaires qui entourent les péricytes (Figure 1B). Le rôle des péricytes dans la régulation du débit sanguin et le maintien d’une faible perméabilité de la BHE est connu depuis plusieurs années. Plus récemment, des travaux ont révélé que les péricytes participent aussi à la mise en place des jonctions serrées au cours du développement, et donc à la maturation de la BHE [ 1]. Cette dernière fonction a longtemps été attribuée ­essentiellement aux astrocytes, cellules étoilées avec de longs prolongements cellulaires (ou pieds astrocytaires) entourant les microvaisseaux cérébraux sur l’ensemble de leur surface (Figure 1D). Les astrocytes périvasculaires et les péricytes, voire les cellules endothéliales cérébrales elles-mêmes, sont également en contact avec des projections neuronales (Figure 1B), ce qui permet aux neuromédiateurs de réguler le débit sanguin régional et probablement aussi de moduler les échanges sang-cerveau [ 12]. Ce couplage neurovasculaire met en jeu de nombreux mécanismes qui ont fait l’objet d’études récentes et révèlent le rôle prédominant des astrocytes [ 2]. L’ensemble de ces observations a conduit à revoir la notion de BHE et le terme d’unité neurovasculaire ou « neurovascular unit » est désormais utilisé pour mieux rendre compte du rôle des différents acteurs intervenant dans cette interface [ 3, 4].

La migration transendothéliale

L’entrée dans le cerveau de cellules présentes dans la circulation sanguine est très finement régulée au niveau de l’unité neurovasculaire. En situation physiologique, la surveillance immunitaire du cerveau est assurée par l’infiltration, à travers l’endothélium cérébral, d’un nombre limité de leucocytes. Ce n’est qu’en situation inflammatoire qu’une entrée importante de leucocytes est observée, situation qui permet aussi la migration transendothéliale de cellules non leucocytaires dont la présence dans la circulation est anormale. Tel est le cas de certaines cellules tumorales métastatiques provenant de tumeurs primaires périphériques (cancer du sein, cancer du poumon à petites cellules) [ 5]. En outre, la migration de cellules souches (cellules souches hématopoïétiques, précurseurs neuraux), administrées dans la circulation sanguine lors de stratégies de thérapie cellulaire, a été ­documentée [ 6, 7].

Le processus de migration transendothéliale des leucocytes, qui a été bien étudié au niveau des organes périphériques, l’est encore de façon incomplète au niveau de l’unité neurovasculaire. En périphérie, il se déroule en plusieurs étapes successives (l’attachement, le roulement, l’adhérence et la migration) qui font intervenir des molécules ­d’adhérence leucocytaires et leurs contre-récepteurs endothéliaux (sélectines, intégrines et molécules d’adhérence cellulaire) (Figure 2A) [3, 13]. En situation inflammatoire, l’adhérence et la migration leucocytaires sont stimulées par une augmentation de l’expression et/ou de l’activité des molécules d’adhérence cellulaire sur les deux types cellulaires, leucocytes et cellules endothéliales, favorisant ainsi la migration des leucocytes activés. D’autres cellules présentes dans la circulation et qui traversent aussi l’endothélium cérébral (cellules tumorales métastatiques, précurseurs neuraux), bien qu’avec moins d’efficacité que les leucocytes, ont en commun d’exprimer la molécule d’adhérence leucocytaire CD44 (S. Cazaubon, observations personnelles et [ 8]). L’acide hyaluronique (AH) présent au niveau de l’arborisation glycosylée du pôle luminal des cellules endothéliales est un ligand de CD44 et permet le ­pontage entre deux molécules CD44, l’une présente à la membrane des cellules endothéliales, l’autre exprimée par les cellules tumorales métastatiques ou les précurseurs neuraux (Figure 2B).

Formation d’une coupe de migration

L’expression des molécules d’adhérence cellulaire à la surface de la cellule circulante est capable d’induire, au cours de l’étape d’adhérence, la formation d’une « coupe de migration » via la réorganisation de la membrane luminale de la cellule endothéliale. Cette coupe est formée par de longs prolongements membranaires émis par les cellules endothéliales, qui vont entourer la cellule adhérente (Figure 2C). Ces prolongements endothéliaux sont très riches en molécules d’adhérence cellulaire (ICAM-1 [intercellular cell adhesion molecule], VCAM-1 [vascular cell adhesion molecule], CD44) qui se localisent en regard de leurs contre-récepteurs leucocytaires (respectivement LFA-1 [lymphocyte function-associated antigen 1] ou MAC-1 [macrophage-1 antigen, CD11b/CD18, intégrine αMβ2], VLA-4 [very late antigen, intégrine α4β1], CD44) [ 9]. Dans le cas des cellules tumorales métastatiques et des précurseurs neuraux, la seule expression de CD44 est suffisante pour induire la formation d’une coupe de migration bona fide, riche en CD44 comme attendu, mais aussi en ICAM-1 et VCAM-1, même en l’absence de leurs contre-récepteurs (Figure 2C) (S. Cazaubon, observations personnelles et [8]). Ces molécules d’adhérence cellulaire sont toutes associées au cytosquelette d’actine corticale par les protéines de la famille ezrine-­moésine-radixine (ERM) ; le recrutement de l’une d’elles au niveau des prolongements endothéliaux formant la coupe de migration pourrait aussi entraîner les autres, via les protéines ERM. Il est intéressant de noter que plusieurs agents pathogènes bactériens qui traversent les barrières ­physiologiques, notamment l’endothélium cérébral, induisent également des réorganisations membranaires qui sont des réminiscences de coupes de ­migration [ 10].

L’étape suivant la formation de la coupe de migration est la migration de la cellule à travers l’endothélium ; celle-ci peut être transcellulaire (à travers la cellule endothéliale) ou paracellulaire (entre deux cellules endothéliales) (Figure 2A). La contribution relative de ces deux voies n’est pas claire à ce jour et pourrait dépendre de la localisation du site d’infiltration dans l’arbre vasculaire. Au niveau de l’unité neurovasculaire, une migration leucocytaire par voie transcellulaire a été observée [ 11] et pourrait constituer un mécanisme majeur, compte tenu de l’obstacle que peut représenter la présence de jonctions serrées entre deux cellules endothéliales cérébrales pour une migration paracellulaire, mais cela reste encore à démontrer [12, 13].

Pour conclure, la migration transendothéliale au niveau de l’unité neurovasculaire est un processus finement régulé, non seulement par les cellules endothéliales cérébrales, mais aussi par les cellules périvasculaires qui interviennent dans le maintien de l’intégrité fonctionnelle de la barrière. La migration transendothéliale n’est pas restreinte aux seuls leucocytes, mais peut concerner d’autres types cellulaires présents dans la circulation, en situations pathologiques ou au cours d’une intervention thérapeutique. Finalement, il est intéressant de retenir que la capacité d’une cellule circulante (voire d’un agent pathogène) à induire une coupe de migration semble un prérequis à sa migration à travers la barrière endothéliale.

Conflit d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

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