En un siècle, en France, l’espérance de vie est passée de 50 à 80 ans, malgré les saignées des deux guerres 1914-1918 et 1939-1945, comme l’illustre bien la courbe réalisée par l’INED1 (Figure 1). Les progrès de la biologie et de la médecine se sont accélérés de façon exponentielle lors de ces vingt dernières années. Actuellement, on gagne trois mois de vie tous les ans, mais le slogan « il ne suffit pas de donner des années à la vie mais de la vie aux années » n’a jamais été autant d’actualité. Ces années acquises doivent être des années pleines et entières, avec le minimum de troubles et d’infirmités. D’innombrables affections hier encore rapidement mortelles peuvent être améliorées, voire guéries. Certaines des invalidités majeures de l’âge sont maintenant supprimées : les prothèses de toutes sortes - de la hanche, du genou, etc. - permettent de retrouver une mobilité normale ; l’intervention de la cataracte devenue banale et ambulatoire assure une vision quasi normale ; la presbyacousie, facteur d’isolement, peut être compensée avec des aides auditives. Ces progrès, parmi tant d’autres, ont trois ou quatre décennies tout au plus et ont permis de retarder les faiblesses de l’organisme qui se découvrent ou se fabriquent avec le temps qui passe. Avec cette prolongation de la vie surviennent de nouvelles maladies temporellement associées à l’âge mais qui ne sont pas une fatalité : des articulations aux vaisseaux (n’a-t-on pas l’âge de ses artères ?), des organes des sens au tube digestif. Les cancers eux-mêmes ne sont-ils pas des accidents infectieux ?
Le vieillissement cérébral est lui beaucoup plus lent et plus tardif. Le cerveau est l’organe qui vieillit le moins, à condition qu’il ne soit pas agressé par des toxiques et qu’il conserve une vascularisation suffisante. Surtout, il doit rester actif, et il reste le plus performant dans les domaines où il a été le plus tôt et le plus longtemps entraîné. Innombrables sont les exemples des « jeunes vieux » qui, au-delà de 80 ans, poursuivent une activité intellectuelle, artistique, littéraire ou scientifique. Les fonctions cérébrales peuvent se conserver très longtemps, alors qu’il n’en est pas de même de l’aptitude à l’effort physique. Celle-ci diminue inexorablement à partir de 35 ans ; même avec un entraînement régulier et intense, les temps au marathon s’allongent de plus en plus et les performances des grands sportifs rétrogradent.
« L’épidémie » - quel mauvais mot - de maladies non transmissibles a trois déterminants essentiels liés à nos comportements et à notre environnement :
- Le tabac, surtout la cigarette, dont est encore victime 25 % de la population.
- La nutrition, avec une alimentation trop riche, trop salée et déséquilibrée, souvent associée à un excès de consommation d’alcool.
- La sédentarité, c’est-à-dire une activité physique insuffisante.
Les radicaux libres, responsables du stress oxydatif, sont présents en excès lorsque les apports de nutriments sont supérieurs à des dépenses caloriques insuffisantes, et sous l’effet déclencheur de la fumée de tabac. Tout cela est la résultante des changements de notre mode de vie en moins d’un demi-siècle. Dans la biologie évolutionniste, nos ancêtres sont les « chasseurs-cueilleurs » qui vivaient il y a plus de 10 000 ans. Ils devaient courir pour échapper aux prédateurs et attraper les proies. Ils devaient également posséder les équipements enzymatiques indispensables pour faire des réserves sous forme de graisse. Ceux qui avaient ces caractères les plus marqués ont survécu et nous sommes leurs descendants : notre profil génotypique reste adapté à un environnement aujourd’hui disparu et nos phénotypes évoluent sans sélection naturelle brutale. Depuis un siècle, avec le développement des transports, l’industrialisation générale y compris dans l’agriculture, nous sommes bien chauffés et devenus sédentaires. On se nourrit trop et l’activité physique nécessaire à la survie est très insuffisante. Dans notre civilisation occidentale, tous les aliments sont disponibles en abondance et le type d’aliments consommés s’est modifié : l’alimentation est plus riche en viande et également en corps gras, en sucre et en sel, exhausteurs du goût et facilitateurs des ventes.
Les déductions pratiques paraissent évidentes et les conseils simples à édicter :
- Ne pas fumer ou arrêter le plus tôt possible.
- Manger moins salé, moins gras, moins sucré et sans apport excessif de façon à conserver le poids optimum.
- Limiter les boissons alcoolisées à l’équivalent de deux verres par jour.
- Pratiquer régulièrement une activité physique quotidienne : il faut au moins 45 minutes de marche à un rythme suffisant, de vélo, de natation ou de course à pied.
Très curieusement, ces idées ont mis très longtemps à être diffusées, reconnues et acceptées. Le transfert des données de base aux applications quotidiennes est toujours difficile et lent. Il n’est jamais simple, surtout au-delà d’un certain âge, de changer un mode de vie très profondément ancré en nous. La psychologie comportementale nous a bien appris que « la connaissance d’un risque n’a jamais suffi à elle seule à modifier un comportement ».
Les médecins commencent heureusement à appréhender ce problème. Des actions officielles telles que le Plan Nutrition Santé ont été mis en place et surtout poursuivi avec des spots télévisuels positifs qui repassent en boucle : « Mangez cinq fruits et légumes par jour, bougez ». Ces aides extérieures ne sont pas suffisantes : rien n’est réalisable sans la motivation personnelle de vouloir changer. Il est possible de retarder le vieillissement physiologique et tous les accidents qui l’accompagnent. Le plus tôt est le mieux et simultanément, il n’est jamais trop tard. Les enfants et les adolescents imitent leurs parents, mais des enfants éduqués à l’école influencent leurs parents à la maison. Les comportements acquis dans la jeunesse sont souvent conservés toute la vie, tout comme on garde la même banque si la publicité vous la fait choisir tôt. « Rien n’est si contagieux que l’exemple » : telle est l’épidémie à encourager, car des bénéfices ont été montrés à tout âge, jusqu’à la révision périodique des apports nutritionnels et des activités physiques et sociales des personnes âgées fragiles. C’est la prévention vie entière qui compte.
Enfin, en retardant le vieillissement physiologique, les adultes de 20 à 70 ans auront toute chance de pouvoir bénéficier des immenses progrès liés à la révolution qui se prépare : la NBIC, c’est à dire nanotechnologie - biologie - informatique - sciences cognitives. Ce « transhumanisme » soulèvera d’innombrables problèmes éthiques, à propos de l’individu et du groupe, mais cette évolution sera incontournable.
Ainsi, l’avenir est-il en partie entre les mains de chacun : l’âge n’entraîne pas mécaniquement les maladies, il n’est qu’un repère temporel.