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Med Sci (Paris). 2012 March; 28(3): 329–330.
Published online 2012 April 6. doi: 10.1051/medsci/2012283024.

Autisme, le gène introuvable
De la science au business Bertrand Jordan

Simone Gilgenkrantz1*

19, rue Basse, 54330Clérey-sur-BrénonFrance
 

De toutes les pathologies infantiles, l’autisme, déclaré en cette année 2012 « grande cause nationale », est sans doute la plus énigmatique pour les chercheurs et la plus déconcertante pour les familles. Bien que l’autisme ait été individualisé en 1943, son étiologie est encore inconnue, aucun traitement n’existe pour le guérir, voire pour en gommer les symptômes. L’autisme est incompréhensible et d’autant plus désespérant pour les parents qu’il atteint des enfants parfaitement normaux morphologiquement, se développant harmonieusement, et pourtant limités dans leur capacité de communiquer avec leurs semblables, d’établir avec eux des liens affectifs et qui restent ainsi à l’écart de la communauté humaine. Une telle maladie devait inévitablement entraîner une longue errance thérapeutique allant de la mise en accusation des mères par certains psychanalystes jusqu’à des régimes alimentaires hors de prix et infondés, pour finir par une stupéfiante proposition d’un « test génétique » venant d’une start up en mal de marché.

En juillet 2005, en effet, une société française de biotechnologie annonce, dans un communiqué de presse - relayé par le journal Le Monde - la commercialisation prochaine du premier test diagnostique de l’autisme « permettant l’identification d’individus à un âge très précoce », annonce qui suscite l’étonnement, la perplexité, puis l’indignation quand il fut avéré que cette proposition de test ne reposait sur aucune donnée scientifique valable.

C’est à cette occasion que Bertrand Jordan se trouva impliqué dans le conflit médiatico-juridique qui s’ensuivit, entre la société IntegraGen et la revue Declic, (mensuel destiné aux parents et publié sous l’égide de Handicap international). De ce conflit, il en a parcouru toutes les étapes, rencontré les protagonistes, visité leurs laboratoires. Après l’issue du procès en 2007, qui a vu finalement la victoire d’IntegraGen contre Déclic et Handicap International - sans toutefois obtenir les 100 000 euros demandés (!), mais seulement un euro symbolique - il a continué à suivre l’activité d’IntegraGen. En 2011, il a revisité cette société et rencontré les nouveaux responsables qui travaillent à présent en liaison avec des cliniciens français et l’association Autisme France.

Il n’empêche que, désormais, la filiale américaine IntegraGen commercialise aux États-Unis ARISK, un test permettant d’évaluer le risque d’autisme chez des enfants ayant un frère (ou une sœur) diagnostiqué comme autiste. Or, ce test - qui ne peut rien détecter dans la population générale et ne concerne que les frères (et sœurs) d’un enfant autiste -, n’a qu’une valeur extrêmement limitée, ne permettant aucune conclusion, (au pire une augmentation de l’estimation du risque de 16 % à 27 %), pour un tarif de l’ordre de 1 500 dollars.

Depuis longtemps, dans ses « Chroniques génomiques » publiées mensuellement dans médecine/sciences, tout en rendant compte des progrès de la génétique moléculaire, puis des avancées fulgurantes de la génomique, Bertrand Jordan relate les délicates relations existant entre le monde de la recherche et celui des entreprises privées. Il a décrit, ici même dans ce journal, ainsi que dans certains de ses livres [14], l’entrée sur le marché des tests génétiques, les stratégies commerciales pour les offrir en libre accès sur internet à une population toujours plus avide de mieux se connaître et de mieux se prendre en charge sans avis médical.

Il était donc parfaitement bien placé, à l’occasion de ce conflit très symptomatique de notre temps, pour faire le point sur l’autisme en 2012, sur ce que nous en savons, mais surtout sur les interrogations que soulève cette maladie. Alors que la composante génétique de l’autisme est indiscutable (la concordance entre les vrais jumeaux oscille entre 60 et 90 % selon les études), alors qu’entre 2005 et 2011, il y a eu plus de 1000 travaux publiés sur la génétique de l’autisme, alors que certains gènes sont liés à l’autisme dans quelques familles, l’autisme reste encore une énigme.

Patiemment, Bertrand Jordan retrace le chemin des connaissances sur cette maladie indiscutablement neurologique d’après l’imagerie cérébrale. Il revisite  toutes les hypothèses évoquées et fournit les bases nécessaires aux non initiés pour faire le tour du problème. Par chapitres courts, il montre les progrès des biotechnologies, leur capacité actuelle à balayer tout le génome, et cependant l’impuissance à déceler chez les autistes le moindre indice qui permettrait d’en comprendre le mécanisme. Chemin faisant, il fait progresser l’histoire du test proposé par IntegraGen. Et là où certains ne pourraient se contenir de clamer leur indignation, il conserve, grâce à une description factuelle, un style toujours mesuré. L’approche qu’il a eue du monde de l’industrie en tant que consultant lui interdit probablement de porter un jugement par trop accusateur, sachant combien la lutte pour la survie d’une start up est difficile… Si bien que dans les moments les plus forts, pour ponctuer sa désapprobation, on ne trouve dans ses phrases que cette modeste interjection : « Bigre ! »

Tous ceux qui s’intéressent à l’autisme et à la génétique psychiatrique, tous ceux qui veulent s’informer sur les moyens d’explorer le génome, de plus en plus nombreux sur le marché, trouveront dans ce livre une information objective et complète distillée au long d’une histoire captivante : Autisme, le gène introuvable, de la science au business [5] est un instantané à lire de toute urgence.

Conflits d’intérêts

L’auteur déclare n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
Jordan B. Génétique et génome, la fin de l’innocence . Paris: : Flammarion; , 1996 : :234. p.
2.
Jordan B. Les imposteurs de la génétique . Paris: : Seuil; , 2000 (Prix Roberval Grand Public 2000). : :170. p.
3.
Jordan B. Chroniques génomiques. Séquence personnelle et tests génétiques : le pavé dans la mare . Med Sci (Paris). 2010; ; 26 : :999.–1001.
4.
Jordan B. Chroniques génomiques. Les tests génétiques en « caméra cachée » . Med Sci (Paris). 2011; ; 27 : :103.–106.
5.
Jordan B. Autisme, le gène introuvable, de la science au business . Paris: : Seuil; , 2012 : :224. p.