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Med Sci (Paris). 2012 April; 28(4): 343–346.
Published online 2012 April 25. doi: 10.1051/medsci/2012284003.

L’allophagie, ou comment l’embryon élimine les mitochondries et autres organites paternels

Sara Al Rawi1,2 and Vincent Galy1,2*

1UPMC Université Paris 06, UMR 7622, Laboratoire de biologie du développement, 9, quai Saint-Bernard, F-75005Paris, France
2CNRS, UMR 7622, Laboratoire de biologie du développement, 9, quai Saint-Bernard, F-75005Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Autophagie, génétique, physiologie, ADN mitochondrial, métabolisme, Embryon de mammifère, ultrastructure, Pères, Femelle, Humains, Modes de transmission héréditaire, Mammifères, Mitochondries, anatomopathologie, Modèles biologiques, Organites

 

La reproduction sexuée conduit au brassage de l’information génétique en combinant, dans l’œuf, les génomes nucléaires des gamètes des deux organismes parents.

Lors de la fécondation, le spermatozoïde entre entièrement dans l’ovocyte et apporte avec lui l’ADN, les centrioles ainsi que du cytoplasme et des organites. Parmi ces organites, les mitochondries, qui jouent un rôle important dans la production d’énergie, possèdent leur propre génome : l’ADN mitochondrial (ADNmt). Il est établi depuis longtemps que, chez la plupart des animaux étudiés, la transmission de l’ADNmt est strictement maternelle, car l’ADNmt apporté par le spermatozoïde ne perdure pas dans l’embryon [1]. Plusieurs questions se posent alors : quels sont les enjeux liés à l’élimination de l’ADNmt paternel par l’ovocyte ? Quelles seraient les conséquences de son maintien pour l’organisme ? Comment cette élimination ciblée a-t-elle lieu ? Les mécanismes permettant cette dégradation étaient débattus jusqu’à récemment et plusieurs hypothèses étaient proposées.

Deux études, dont la nôtre, menées en parallèle en France et au Japon et publiées dans la revue Science [2, 3] ont révélé le rôle de l’autophagie dans la dégradation des mitochondries paternelles dans le système biologique modèle du nématode C. elegans.

Les enjeux et les mécanismes de la dégradation des mitochondries paternelles

La transmission exclusivement maternelle de l’ADNmt est établie chez la plupart des animaux et chez beaucoup de plantes. En effet, l’ADNmt du spermatozoïde entre dans l’ovocyte lors de la fécondation, et sa dégradation rapide y est alors observée. Dans plusieurs pathologies humaines, l’intégrité du génome mitochondrial est compromise : ainsi, des mutations affectant toutes les molécules d’ADN mitochondriales d’un organisme (état homoplasmique) ou une fraction d’entre elles (état hétéroplasmique) ont été associées à ces pathologies qui sont transmises par la mère [4, 11]. Une défaillance de l’élimination des molécules apportées par le spermatozoïde pourrait créer une hétéroplasmie mitochondriale. Un des enjeux de cette dégradation serait lié à la probabilité importante pour l’ADN mitochondrial du spermatozoïde d’être porteur de mutations délétères ; il est donc nécessaire d’éviter qu’il soit transmis à la descendance. En effet, l’ADN mitochondrial, contrairement à l’ADN nucléaire, n’est pas protégé par son association avec des histones. De plus, le spermatozoïde est dépourvu d’un système de réparation efficace, alors qu’il évolue dans un environnement agressif riche en leucocytes à réaction peroxydative positive lors de sa maturation dans l’épididyme. La vulnérabilité de l’ADNmt face à ce stress oxydatif augmenterait fortement son taux de mutations et de délétions avant la fécondation. La nécessité d’une dégradation rapide des mitochondries paternelles pourrait aussi s’expliquer par le risque d’un apport de protéines mitochondriales aux effets antiprolifératifs, qui serait donc inapproprié à la succession des divisions cellulaires qui suit la fécondation.

L’analyse d’animaux issus de croisements effectués entre animaux de différentes espèces montre que, dans certains cas, l’ADNmt du spermatozoïde n’est pas dégradé, suggérant que le mécanisme de reconnaissance et de dégradation puisse être spécifique à l’espèce [5]. L’analyse d’embryons résultant de la fusion d’un ovocyte avec une cellule somatique (transfert nucléaire) montre une origine mixte des mitochondries [6]. En revanche, aucune transmission anormale d’ADN mitochondrial du spermatozoïde n’a été identifiée lors de l’analyse d’échantillons de tissus de sujets conçus par procréation médicalement assistée et injection intracytoplasmique de spermatozoïdes (ICSI) [7].

La voie lysosomale ou la voie du protéasome sont deux voies de dégradation pouvant intervenir dans ce processus ; elles sont déclenchées par une réaction d’ubiquitinylation - une modification post-traductionnelle. Le choix de l’une ou l’autre de ces voies dépendrait du nombre de molécules dans la chaîne d’ubiquitine et de l’acide aminé sur lequel se fait le branchement. Dans tous les cas, il a été suggéré que l’ubiquitinylation est essentielle à la dégradation des mitochondries paternelles [1]. Par ailleurs, la morphologie des structures membranaires observées lors de la dégradation des organites du spermatozoïde après la fécondation évoque les structures autophagiques observées lors de la dégradation des mitochondries au cours de la différenciation des érythroblastes [1]. Ainsi, bien qu’aucune donnée expérimentale n’ait précédemment impliqué l’autophagie dans la dégradation des organites hérités du spermatozoïde, de nombreuses observations suggéraient sa possible contribution à l’élimination des mitochondries paternelles dans l’embryon.

L’autophagie participe à la dégradation des mitochondries et à l’élimination de l’ADNmt paternel 

Les deux études que nous décrivons ont utilisé le vers C. elegans, un nématode de 1 mm de long, transparent, mâle ou hermaphrodite, et au cycle de reproduction très rapide [2, 3]. Nous avons examiné, comme l’équipe japonaise, la destinée des organites transmis par le spermatozoïde lors de la fécondation et le rôle de l’autophagie dans leur dégradation et dans l’élimination de leur ADN. Une analyse complémentaire dans l’embryon de souris suggère que le mécanisme mis en évidence pourrait être conservé chez les mammifères [3].

Ces études [2, 3] démontrent que chez C. elegans comme chez d’autres espèces, lors de la fécondation, la membrane plasmique du spermatozoïde fusionne avec celle de l’ovocyte et son contenu se déverse dans le cytoplasme de l’ovocyte en apportant, en plus de son ADN nucléaire, des organites tels que les mitochondries et les organites membranaires. Ces derniers sont des compartiments membranaires spécifiques du spermatozoïde de nématode et nécessaires à la motilité de celui-ci, mais dont le rôle n’est pas clairement établi. L’utilisation d’anticorps spécifiques des organites membranaires et de nématodes mâles dont les mitochondries sont marquées a permis de suivre la destinée de ces composants après la fécondation. Dans les minutes qui suivent la fécondation, ces organites restent groupés autour de l’ADN du spermatozoïde et sont rapidement associés à des structures reconnues par des anticorps spécifiques de LGG-1 et LGG-2, des protéines connues des compartiments de la voie autophagique. Les mitochondries du spermatozoïde et les organites membranaires ont disparu lorsque l’embryon atteint le stade de 26 cellules, soit environ deux heures après la fécondation [2, 3]. L’observation en microscopie électronique d’embryons précoces a permis de visualiser des autophagosomes contenant des mitochondries [3]. La persistance des mitochondries et organites membranaires dans des embryons mutés [2, 3] ou traités par ARN interférence [3], de façon à éteindre l’expression des protéines de l’autophagie, démontrent l’implication de ce processus dans la dégradation de ces structures [2, 3].

La formation des structures autophagiques se produit lorsque l’embryon commence la deuxième division méiotique, soit environ 30 min après la fécondation [2, 3]. L’utilisation d’un anticorps anti-ubiquitine montre que les organites membranaires sont marqués avant leur entrée dans l’embryon [3] et que leur ubiquitinylation augmente une fois dans l’ovocyte [3]. Cette ubiquitinylation post-fécondation a été confirmée par l’apparition de structures marquées avec l’ubiquitine couplée à la GFP et colocalisant avec les organites membranaires [3]. Cette modification apparaît dès le début de la première division méiotique, soit seulement quelques minutes après la fécondation, suggérant que cela puisse être le signal de leur reconnaissance et de leur dégradation par autophagie. Plusieurs types d’ubiquitinylation ont été décrits selon que les chaînes d’ubiquitines sont liées par la lysine 48 (K48) ou la lysine 63 (K63). L’ubiquitinylation de type K48 est plutôt associée aux voies de dégradation par le protéasome, tandis que celle de type K63 est plutôt associée à la voie autophagique. L’utilisation d’anticorps discriminant ces deux formes indique que les organites membranaires, mais pas les mitochondries, subissent une ubiquitinylation de type K63 et K48. L’ubiquitinylation de type K63 précède le recrutement de LGG-1 et LGG-2 et donc la formation des autophagosomes, suggérant qu’elle pourrait représenter le signal déclenchant la dégradation autophagique de ces organites [3]. De plus, la marque de type K48 suggère qu’une dégradation via le protéasome puisse aussi être impliquée [2, 3].

L’inactivation de l’autophagie, par ARN interférence ou chez des mutants, stabilise les organites membranaires et les mitochondries paternelles jusqu’à des stades embryonnaires tardifs, alors que dans les embryons sauvages, ils disparaissent durant les premières divisions cellulaires. La persistance des mitochondries permet d’envisager que l’ADN mitochondrial paternel puisse aussi persister dans les embryons produits. L’ADNmt du spermatozoïde a donc été suivi par PCR en utilisant une souche hétéroplasmique (dont une fraction des molécules d’ADNmt sont porteuses d’une délétion et coexistent avec les formes de type sauvage). Des mâles hétéroplasmiques ont été croisés avec des hermaphrodites défectifs ou non pour l’autophagie [2, 3]. La forme délétée de l’ADNmt paternel est identifiée uniquement dans les embryons issus du croisement des mâles hétéroplasmiques avec la souche défective pour l’autophagie [2, 3]. Ceci démontre que l’élimination de l’ADNmt paternel est dépendante de l’autophagie.

Rôle de l’autophagie dans la dégradation des mitochondries paternelles chez les mammifères

Chez les mammifères, les mitochondries du spermatozoïde, localisées dans la pièce intermédiaire à la base du flagelle, sont ubiquitinylées et dégradées après la fécondation [8]. Afin de déterminer le rôle de l’autophagie dans l’élimination des mitochondries d’origine paternelle, la localisation de marqueurs des compartiments autophagiques a été analysée dans les spermatozoïdes de souris avant et après la fécondation [3]. Différents marqueurs ont été testés : LC3 (microtubule-associated protein 1A/1B-light chain 3), GABARAP (g-aminobutyric-acid-type-A-receptor-associated protein) - les homologues des protéines LGG-1 et LGG-2 -, la molécule adaptatrice p62 ainsi que l’ubiquitinylation de type K63. Tous ces marqueurs ont été localisés dans la pièce intermédiaire des spermatozoïdes après leur entrée dans l’ovocyte, suggérant que les mitochondries du spermatozoïde sont ciblées par la machinerie d’autophagie également dans l’embryon de souris. Ces résultats indiquent que le rôle de l’autophagie dans l’élimination des mitochondries paternelles est un mécanisme conservé au cours de l’évolution. Cette autophagie participant à la dégradation des organites paternels après la fécondation a été nommée « allophagie ». Il reste maintenant à élucider les mécanismes de la cascade autophagique qui permettent une dégradation ciblée des organites paternels ainsi qu’à mesurer les conséquences potentielles du maintien du génome mitochondrial paternel dans l’organisme.

Conflits d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

Note Ajoutée Aux Épreuves

Une étude récente publiée dans Developmental Cell [1] montre que, chez la drosophile, la stratégie garantissant la transmission maternelle de l’ADN mitochondrial repose sur une réduction massive de la quantité d’ADN mitochondrial des spermatozoïdes avant la fécondation. Celle-ci résulte de l’action d’une endonucléase lors de la spermatogenèse combinée à l’exclusion physique de l’ADN mitochondrial. Paradoxalement, une étude antérieure indiquait que l’ADN mitochondrial paternel peut être transmis par le père dans certains croisements interespèces, et qu’il serait donc capable d’entrer dans l’ovocyte à la fécondation [2]. Les mécanismes mis en lumière dans cette nouvelle étude ressemblent à ceux qui ont été décrits chez le poisson médaka et une ascidie impliquant respectivement la dégradation enzymatique de l’ADN mitochondrial (avant et juste après la fécondation) et l’exclusion des mitochondries lors de la fécondation comme mécanismes faisant barrière à la transmission de l’ADN mitochondrial paternel. Il semblerait donc que les mécanismes assurant l’uniparentalité de l’ADN mitochondrial soient variés et parfois combinés selon que l’ADN paternel ait ou non pénétré dans l’ovocyte lors de la fécondation.

Références 1. Deluca SZ, O’Farrell PH. Barriers to male transmission of mitochondrial DNA in sperm development. Dev Cell 2012 ; 22 : 660–668.

2. Sherengul W, Kondo R, Matsuura ET. Analysis of paternal transmission of mitochondrial DNA in Drosophila. Genes Genet Syst 2006 ; 81 : 399–440

 
Acknowledgments

Nous remercions J.L. Pasquier pour son aide à la réalisation des figures.

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