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Med Sci (Paris). 2012 April; 28(4): 347–349.
Published online 2012 April 25. doi: 10.1051/medsci/2012284004.

Les vaisseaux sanguins HEV
Des vaisseaux spécialisés dans le recrutement des lymphocytes

Christine Moussion1,2 and Jean-Philippe Girard1,2*

1CNRS, institut de pharmacologie et de biologie structurale (IPBS), 205 route de Narbonne, 31077Toulouse, France
2Université Paul Sabatier de Toulouse, IPBS, 31077Toulouse, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Communication cellulaire, immunologie, physiologie, Mouvement cellulaire, Chimiotaxie des leucocytes, Cellules dendritiques, Cellules endothéliales, Humains, Lymphocytes, Souris, Modèles biologiques, Veinules

 

En condition physiologique, les cellules sanguines empruntent la boucle circulatoire sans entrer en contact avec les tissus environnants, car l’endothélium constitue une barrière infranchissable entre ces deux territoires. La seule exception, qui sous-tend l’ensemble de la surveillance immunitaire chez les mammifères, est le passage massif de lymphocytes du sang vers les organes lymphoïdes secondaires. Les lymphocytes, cellules effectrices de la réponse immunitaire adaptative, patrouillent au sein de l’organisme à la recherche d’antigènes étrangers contre lesquels ils sont dirigés. Ils circulent continuellement du sang vers les organes lymphoïdes secondaires - dont les ganglions lymphatiques -, puis transitent dans le système lymphatique et regagnent la circulation sanguine via le canal thoracique. Les ganglions lymphatiques collectent l’ensemble des antigènes issus des tissus périphériques et constituent le site d’activation des lymphocytes en cas d’infection [1]. Le transit des lymphocytes naïfs du sang vers le tissu lymphoïde ganglionnaire nécessite une étape de migration transendothéliale, qui prend place spécifiquement au sein des veinules postcapillaires appelées HEV (high endothelial venule). Ces vaisseaux sanguins HEV constituent des sites d’entrée très efficaces puisque l’on estime que dans l’organisme, à chaque seconde, plus de cinq millions de lymphocytes accèdent aux ganglions par cette voie [2].

Organisation et rôle des vaisseaux HEV

Les cellules endothéliales extrêmement différenciées qui tapissent ces vaisseaux HEV sont caractérisées par une forme rebondie - dite cuboïdale - ainsi que par une forte expression d’enzymes (telles que la fucosyltransférase-VII [FucTVII], la L-selectin ligand sulfotransferase [LSST]) dédiées à la synthèse de molécules indispensables à la traversée vasculaire des lymphocytes (telles que les sialomucines membranaires hypersulfatées décorées par l’antigène reconnu par l’anticorps spécifique MECA-79) [2]. Des interactions moléculaires transitoires et successives entre ces sialomucines « MECA-79 positives » et la sélectine-L (ou CD62L) des lymphocytes circulants vont permettre aux lymphocytes de s’extraire du flux sanguin et de rouler à la surface de l’endothélium [1]. Ils termineront alors leur cheminement dans le ganglion lymphatique en adhérant fermement à la paroi vasculaire, puis en la traversant [2].

Ces dernières années, de nombreuses études ont montré que les vaisseaux HEV sont étroitement contrôlés par le microenvironnement tissulaire [35]. En effet, à la naissance, ces vaisseaux présentent un phénotype immature (expression de la mucosal addressin cell adhesion molecule 1 [MAdCAM-1] au lieu de MECA-79) et n’acquièrent le phénotype HEV mature que durant le premier mois de vie postnatale [3]. Par la suite, chez l’adulte, les vaisseaux HEV restent extrêmement plastiques. Le clampage des vaisseaux lymphatiques afférents [4] d’un ganglion lymphatique provoque dans les cellules endothéliales la perte du phénotype HEV et leur transformation en cellules endothéliales classiques, tout comme le fait la culture de ces cellules isolées de leur tissu d’origine [5]. Enfin, ce phénotype HEV qui, en conditions physiologiques, est restreint exclusivement aux ganglions lymphatiques, peut aussi être induit au sein de tissus non lymphoïdes au cours de maladies inflammatoires chroniques (maladie de Crohn, polyarthrite rhumatoïde, thyroïdites) [2] et de cancer (sein, mélanome) [6]. La présence de vaisseaux HEV dans un tissu est toujours associée à un infiltrat massif de lymphocytes, néfaste dans le cas des maladies inflammatoires chroniques (entretient la boucle inflammatoire), mais de très bon pronostic dans le cas des tumeurs solides (favorise la réponse immunitaire antitumorale). Il paraît donc essentiel de comprendre les mécanismes qui régissent l’induction et le maintien des vaisseaux HEV afin d’envisager de nouvelles pistes de traitements pour ces pathologies.

Rôle des cellules dendritiques (DC) dans le maintien des vaisseaux HEV

Bien qu’il soit admis que le phénotype HEV est sous le contrôle du microenvironnement tissulaire, rien n’est connu de la nature des cellules impliquées. Du fait de la proximité étroite des DC et des vaisseaux HEV dans les ganglions lymphatiques (Figure 1), nous avons fait l’hypothèse que les DC pouvaient être impliquées dans le contrôle du phénotype HEV [7]. Les DC sont les cellules présentatrices d’antigènes « professionnelles » de l’organisme découvertes en 1973 par Ralph Steinman (lauréat du Prix Nobel de médecine 2011) [8, 11]. Leur forme est étoilée avec de longs prolongements cellulaires leur permettant de capter les éléments de leur environnement dans les tissus périphériques, mais aussi de migrer vers les ganglions lymphatiques afin d’apprêter et de présenter les antigènes protéiques aux lymphocytes T naïfs. En fonction de la situation, elles peuvent induire une tolérance vis-à-vis des antigènes du soi ou, inversement, une immunité adaptative protectrice contre des agents infectieux en délivrant des signaux d’activation aux lymphocytes T.

Afin de tester l’hypothèse d’un rôle des DC dans le maintien du phénotype HEV chez l’adulte sain, nous avons utilisé les souris transgéniques CD11c-DTR créées par S. Jung en 2002 [9]. Ce modèle murin exprime le récepteur simien de la toxine diphtérique (DTX) sous le contrôle du promoteur CD11c classiquement décrit comme spécifique des DC chez la souris. La DTX est une puissante toxine bactérienne pour la cellule dès lors qu’elle se lie à son récepteur membranaire. L’injection systémique de DTX à ces animaux permet la déplétion spécifique des DC exprimant fortement CD11c des ganglions lymphatiques. Nous avons alors étudié le devenir des vaisseaux HEV une fois les DC ganglionnaires éliminées par la DTX (Figure 2). L’analyse immunohistochimique des ganglions lymphatiques a révélé une perte des marqueurs HEV (MECA-79, GlyCAM-1, FucTVII) malgré une conservation des marqueurs endothéliaux classiques (CD31 ou platelet endothelial cell adhesion molecule [PECAM-1]). Il existe une véritable dédifférenciation des vaisseaux HEV qui adoptent un phénotype immature similaire à celui qui est observé à la naissance et deviennent alors incapables de recruter les lymphocytes circulant dans le sang [7]. Les ganglions se vident presque entièrement de leur contenu cellulaire. L’analyse du recrutement par microscopie intravitale révèle un roulement trop rapide des lymphocytes sur l’endothélium qui ne peuvent plus s’arrêter et effectuer la diapedèse. L’ensemble des effets observés est réversible à l’arrêt des injections de DTX, mais aussi en réponse à l’injection sous-cutanée de grandes quantités de DC cultivées in vitro à partir de précurseurs de moelle osseuse.

Des expériences de cocultures entre des DC et des cellules endothéliales HEV purifiées révèlent une interaction directe entre les deux partenaires par l’intermédiaire de la lymphotoxine (LT) α1β2 (ligand membranaire exprimé par les DC) et de son récepteur LTβR (exprimé par l’endothélium) [10]. Cela a été démontré par l’utilisation du récepteur soluble LTβR-Ig bloquant cette signalisation lors des expériences de cocultures [7]. L’implication de la LT exprimée par les DC dans le contrôle du phénotype HEV a été confirmée in vivo grâce à des expériences de greffes hématopoïétiques utilisant la moelle osseuse de souris déficientes pour la LTα (ou tumor necrosis factor β [TNFβ]).

Interaction DC/HEV, une cible potentielle dans l’inflammation et le cancer ?

Les DC régulent l’accès des lymphocytes naïfs aux ganglions lymphatiques en contrôlant le phénotype des cellules endothéliales HEV. Les DC sont donc les véritables chefs d’orchestre de la surveillance immunitaire, non seulement parce qu’elles présentent les antigènes tissulaires aux lymphocytes T, mais aussi parce qu’elles en contrôlent l’étape préalable, l’accès des lymphocytes naïfs aux territoires lymphoïdes. Le couple DC/HEV décrit dans notre étude constituerait ainsi une véritable unité fonctionnelle régulant l’accès d’un territoire à des cellules immunitaires. Le principal enjeu est maintenant de savoir si les DC sont aussi impliquées dans l’induction ectopique de vaisseaux HEV en conditions pathologiques et, si tel est le cas, quels en sont les mécanismes. On pourrait imaginer alors détourner à des fins thérapeutiques les mécanismes de contrôle pour freiner l’apparition de ces vaisseaux lors de pathologies inflammatoires chroniques (pour ralentir l’inflammation) ou, à l’inverse, favoriser leur développement lors des cancers (pour stimuler la réponse immunitaire antitumorale).

Conflits d’intérêts

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêts concernant les données publiées dans cet article.

References
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