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Med Sci (Paris). 2012 December; 28(12): 1037–1039.
Published online 2012 December 21. doi: 10.1051/medsci/20122812005.

Répression épigénétique de l’expression des chimiokines à l’interface mère-fœtus
Un mécanisme de tolérance du fœtus

Patrice Nancy1* and Adrian Erlebacher1,2**

1Department of pathology, New York University (NYU), School of Medicine, 550 1st Avenue, Smilow 307, New York, NY10016, États-Unis
2Cancer institute, NYU, School of Medicine, New York, NY10016, États-Unis
Corresponding author.

MeSH keywords: Chimiokines, génétique, métabolisme, Implantation embryonnaire, immunologie, Épigenèse génétique, physiologie, Femelle, Régulation de l'expression des gènes, Extinction de l'expression des gènes, Histocompatibilité foetomaternelle, Humains, Tolérance immunitaire, Échange foetomaternel, Modèles biologiques, Placenta, Grossesse, Lymphocytes T

 

L’un des plus grands mystères de la grossesse réside dans le fait que le fœtus n’est pas attaqué par le système immunitaire de sa mère [ 1]. Des travaux récents ont identifié plusieurs mécansimes qui empêchent l’activation initiale des lymphocytes T ayant une spécificité fœtale et placentaire. Il s’agit, notamment, du faible niveau d’expression des antigènes du complexe majeur d’histocomptabilité (CMH) par les trophoblastes placentaires, de la limitation des voies possibles de présentation des antigènes fœtaux et placentaires aux lymphocytes T, de la régulation du système immunitaire par des cellules T régulatrices () [ 10], et du piégeage des cellules dendritiques dans l’utérus lors de la gestation qui empêche l’activation des lymphocytes T dans les ganglions lymphatiques de l’utérus [ 2]. Néanmoins, peu d’attention a été portée au sort des cellules T reconnaissant des antigènes fœtoplacentaires, et dont l’activation peut échapper à cette inhibition initiale.

(→) Voir m/s n° 10, octobre 2012, page 826

Observation princeps : les lymphocytes T spécifiques des antigènes fœtaux n’infiltrent pas la décidua

Notre travail sur les mécanismes de la tolérance fœtomaternelle a tiré parti d’un modèle de souris transgéniques dans lequel l’albumine (OVA) - l’antigène d’œuf de poulet -, est exprimée par les cellules du fœtus et du placenta [ 3]. Précédemment, nous avions constaté que l’activation forcée de cellules T maternelles reconnaissant cet antigène pendant la grossesse n’avait pas induit la mort du fœtus [3]. Dans un travail plus récent, nous avons fait la même observation chez des souris femelles vaccinées par l’OVA avant la grossesse, puis qui ont reçu une injection supplémentaire d’OVA au début de la gestation. Dans cette situation comme dans la précédente, nous n’avons pas observé de mort fœtale, démontrant que les lymphocytes T activés maternels, qui pourtant reconnaissent un antigène fœtal et placentaire, sont incapables d’attaquer les conceptus [ 4].

Pour comprendre ce phénomène, nous avons analysé la capacité des cellules T activées à s’accumuler dans la décidua, le tissu stromal spécialisé qui entoure le fœtus et le placenta. Ce tissu se forme lors de l’implantation de l’embryon à partir de l’endomètre et il est à son tour entouré par le myomètre, la couche musculaire de l’utérus. Or, nous avons constaté que les cellules T spécifiques de l’OVA réactivées en début de grossesse ont été incapables de pénéter dans la décidua et de s’y accumuler, alors même qu’ils infiltrent massivement le myomètre et les segments de l’endomètre non différencié entre les sites d’implantation [4].

Une explication : la faible expression des chimiokines CXCL9, CXCL10 et CCL5 dans la décidua

L’expression de CXCL9, une chimiokine clé pour la migration des lymphocytes T activés qui est induite en conditions inflammatoires, a été analysée par immunohistologie dans les sites d’implantation, 6 h après l’injection d’adjuvants qui induisent une inflammation. [ 5]. Nous avons ainsi constaté des niveaux élevés de CXCL9 dans les segments de myomètre recouvrant chaque site d’implantation à E8,5, ainsi que dans l’endomètre et le myomètre de l’utérus des femelles non gestantes ou chez lesquelles le processus de décidualisation ne se produisait pas. En revanche, dans la décidua, l’expression de CXCL9 était beaucoup plus faible. Nous avons aussi trouvé que la grande majorité des cellules exprimant CXCL9 dans l’endomètre de souris non gestantes sont des cellules stromales endométriales (CSE) [4]. Or celles-ci sont les précurseurs des cellules stromales déciduales (CSD), ce qui suggère qu’au cours du processus de développement aboutissant à la transformation en décidua, il y a une réduction de la capacité de ces cellules à produire des chimiokines pouvant attirer des lymphocytes T en cas d’inflammation systémique.

Afin d’étudier les cellules stromales du myomètre (CSM) et de la décidua, et d’évaluer in vitro leur réponse en conditions inflammatoires, nous les avons purifiées à E7,5. Comme c’est le cas pour d’autres types cellulaires [ 6, 7], on observe, dans les CSM traitées avec les cytokines proinflammatoires TNFα (transforming growth factor α) et IFNγ (interféron γ), une augmentation synergique des ARNm codant pour les chimiokines CCL5 (chimiokine ayant des propriétés chimio-attractantes pour les lymphocytes T) d’une part, et pour CXCL9 et CXCL10, des ligands de CXCR3 d’autre part. En revanche, dans les CSD traitées de la même façon, l’augmentation des transcrits codant pour CXCL9, CXCL10 et CCL5 est minimale ou nulle [4]. Ces observations ont été confirmées dans un test fonctionnel de migration réalisé avec les surnageants de cultures de CSM et CSD stimulées par le TNFα et l’IFNγ. Ces résultats indiquent que l’incapacité des CSD à produire des chimiokines pouvant recruter des lymphocytes T en conditions inflammatoires in vivo est due à un défaut intrinsèque de ces cellules stromales.

Un mécanisme : la répression épigénétique de l’expression des chimiokines dans les cellules stromales de la décidua

Cette incapacité des CSD à produire CCL5 et les ligands de CXCR3 ne s’expliquait pas par un défaut global d’activation des voies de signalisation [4]. Nous avons donc évalué les configurations spécifiques de la chromatine au niveau des promoteurs des gènes codant pour ces chimiokines par immunoprécipitation de la chromatine (ChIP). Dans toutes les cellules, l’ADN s’enroule autour des nucléosomes contenant quatre protéines, les histones H2A, H2B, H3 et H4. Les queues amino- et carboxy-terminales des histones peuvent présenter des marques correspondant à des modifications chimiques, méthylations, acétylations et phosphorylations [ 8]. Ces marques contrôlent, entre autres, l’accessibilité des promoteurs à l’ARN polymérase II et, donc, la capacité d’un gène à être transcrit. Nous nous sommes concentrés sur deux modifications de la chromatine : l’une répressive, la triméthylation de la lysine 27 de l’histone H3 (H3K27me3), et l’autre indiquant la transcription active d’un gène, la polyacétylation de l’histone H4 (H4ac) [ 9]. Dans les CSD, les niveaux de base de H3K27me3 sur les promoteurs de Cxcl9 et Cxcl10 étaient plus élevés que dans les CSM. De plus, le traitement par le TNFα et l’IFNγ entraînait une augmentation sélective des niveaux de H4ac au niveau des promoteurs de Cxcl9/10 dans les CSM, mais pas les CSD. Ainsi, la faible induction de Cxcl9 et Cxcl10 dans les CSD est associée à la présence spécifique de la marque répressive H3K27me3 au niveau des promoteurs de ces gènes [4].

Cette marque répressive était présente sur les promoteurs de Cxcl9, Cxc10 et Ccl5 lorque la ChIP était réalisée sur le tissu total de décidua, mais elle était absente lorsque la ChIP était réalisée à partir d’utérus total non différencié et de myomètre [4]. C’est donc lors du processus de différenciation de l’endomètre en décidua qu’apparaît H3K27me3 sur différents promoteurs, dont ceux de Ccl5, Cxcl9 et Cxcl10 (Figure 1).

Afin de tester si cette répression de l’expression de Ccl5 et Cxcl9 expliquait l’incapacité des lymphocytes T à infiltrer la décidua, nous avons exprimé ces chimiokines - via l’utilisation de lentivirus - directement dans la décidua à E5,5 chez des souris gestantes immunisées contre l’OVA. L’expression des deux chimiokines a effectivement entraîné l’attraction des lymphocytes T dans la décidua. L’insuffisance d’expression endogène des ligands de CXCR3 et de CCL5 est donc bien le facteur limitant l’accumulation des cellules T dans la décidua [4].

Conclusions

Ensemble, ces données suggèrent que le statut immunologique unique du fœtus est en partie attribuable à des modifications qui se mettent en place lors de l’activation du programme de développement des CSD. Il s’agit essentiellement de marques épigénétiques répressives touchant les gènes codant pour les chimiokines attirant les cellules T. L’absence d’accumulation de celles-ci à l’interface mère-fœtus (Figure 1) pourrait potentiellement prévenir le rejet du fœtus. En outre, la présence d’un nombre même faible de cellules T activées à l’interface maternelle-fœtale pourrait perturber le développement et le fonctionnement du placenta. Il est possible que le dérèglement de ce mécanisme puisse contribuer à certaines complications pathologiques de la grossesse. Il faut aussi mentionner que la répression des chimiokines peut influencer la susceptibilité de la décidua aux infections. Plus généralement, nos résultats démontrent, pour la première fois, que les gènes codant pour les chimiokines CXCL9, CXCL10 et CCL5 sont soumis à une régulation épigénétique dans les cellules stromales des tissus, et que cette régulation peut influencer de manière significative la capacité d’un tissu à recruter des lymphocytes T.

Au-delà de cet exemple, on peut s’interroger sur la façon dont les gènes présentant la marque répressive H3K27me3 sont sélectionnés, et sur l’existence de mécanismes similaires dans d’autres situations pathologiques caractérisées par l’infiltration tissulaire du stroma par des lymphocytes T, notamment les maladies auto-immunes et le cancer.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt avec les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Nous remercions chaleureusement l’équipe du Dr Erlebacher, mais aussi Isabelle Marie et Maryaline Coffre.

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