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Med Sci (Paris). 2012 June; 28(6-7): 653–658.
Published online 2012 July 16. doi: 10.1051/medsci/2012286020.

« Biologie/médecine 2.0 » : état des lieux

Christophe Boudry1,2,3*

1Université de Caen Basse-Normandie, centre de formation aux carrières des bibliothèques, esplanade de la Paix, 14032Caen, France
2Unité régionale de formation à l’information scientifique et technique de Paris, École nationale des Chartes, Paris, France
3Laboratoire dispositifs d’information et de communication à l’ère numérique, Conservatoire national des arts et métiers, EA 4420, Paris, France
Corresponding author.
 

L’arrivée du World Wide Web (www) a totalement bouleversé les usages des chercheurs depuis près de deux décennies, principalement concernant la recherche d’informations bibliographiques et la communication entre chercheurs. Les dernières évolutions, notamment le développement des applications intitulées web 2.0, risquent fort d’accélérer ce phénomène. Définis par O’Reilly en 2005 [ 1], les principes fondateurs du web 2.0 sont basés sur la collaboration, la mutualisation et le partage de données entre usagers, ainsi que sur l’existence de plates-formes intuitives personnalisables permettant une production, une diffusion et une consommation accrues de contenus : Wikipedia [ 2], Facebook [ 3], Youtube [ 4] et Twitter [ 5] en sont des représentants emblématiques. Ces mutations ont eu un impact dans les domaines scientifique [ 6, 7] et biomédical [ 8]. En s’appuyant sur un panorama de ces nouveaux outils répartis en trois catégories : outils de production et de diffusion de l’information (blogs, wikis, outils de publication multimédia), outils sociaux (réseaux sociaux, bookmarking social) et applications en ligne, cet article pointera les récents changements qui ont déjà fait leur apparition dans les pratiques de certains chercheurs, ainsi que les évolutions que l’on peut en attendre. Ces bouleversements ont-ils déjà – ou vont-ils avoir – un impact sur les usages quotidiens des chercheurs et, à terme, s’imposer à tous pour participer de manière significative aux avancées scientifiques ?

Outils de production et de diffusion de l’information
Blogs et microblogging
Les blogs sont certainement les applications web 2.0 qui ont eu le plus d’écho dans la sphère scientifique. Les plates-formes de blogs scientifiques sont d’ailleurs nombreuses : Scienceblog [ 9], Researchblogging.org [ 10], etc. Les blogs scientifiques sont le plus souvent dirigés par des chercheurs qui publient des informations et/ou résultats concernant leur travail, parfois des premières versions d’articles, ou commentent les résultats de leurs collègues. S’investir dans un blog permet de promouvoir ses résultats auprès des autres membres de sa communauté, afin de les inciter à en discuter et collaborer, la blogosphère devenant ainsi une communauté intellectuelle virtuelle partageant des idées et des analyses critiques sur la recherche. L’activité de bloggeur permet également de gagner en visibilité vis-à-vis de ses collègues.

Beaucoup de chercheurs considèrent cependant l’activité de bloggeur comme une activité annexe et peu rentable (car non prise en compte dans l’évaluation de leur activité), dont l’investissement en temps est inutile par rapport à la rédaction de publications traditionnelles. Cela peut malgré tout évoluer, car beaucoup d’étudiants utilisent actuellement ce mode de diffusion de l’information, qui leur permet, par exemple, d’améliorer leurs compétences rédactionnelles et en communication. Apparues plus récemment, les plates-formes de microblogging permettent de publier des messages de moins de 140 caractères. Les sites Twitter [5] ou Sciencefeed [ 11] permettent par exemple de pouvoir être mis au courant des dernières actualités liées à une conférence ou un congrès, ou bien de commenter, discuter, reporter une intervention que l’on suit en direct [ 12, 13], ou bien encore de citer des références bibliographiques [ 14]. Comme l’a montré une étude récente menée aux États-Unis, l’usage de ces plates-formes est encore globalement assez peu répandu. Ainsi, seul un étudiant sur 40 en 3e cycle ou en stage postdoctoral utilise Twitter à titre professionnel [ 15].

Wiki
Les wikis font partie des applications collaboratives, dont l’utilisation est largement répandue en biologie. Ils sont utilisés pour diffuser le travail de recherche, par exemple sous la forme de carnets de laboratoire en ligne ou Open notebook, et sont fondés sur le partage des données de la recherche et leur libre réexploitation [ 1619]. Ce mouvement, connu sous le terme « données en libre accès » ou open data, est à rapprocher de celui des publications en libre accès ou open access. Tous ces processus peuvent être regroupés sous le terme de science ouverte ou open science [ 20].

Une utilisation plus restrictive des wikis peut être faite en limitant l’accès des données à un certain nombre d’utilisateurs définis, par exemple des chercheurs avec lesquels une collaboration est en cours, et ce afin de faciliter l’écriture collaborative (rédaction d’un article) et la production de données.

Enfin, les wikis, à l’image de la célèbre encyclopédie collaborative en ligne Wikipédia [2], peuvent servir de bases de connaissances dont le principe de la libre participation par tous est bien connu. Ce concept a été très largement repris dans tous les domaines scientifiques, et notamment biomédical (Tableau I). Ce système de construction de connaissances sans contrôle éditorial (ou minimal) est décrié par certains, et le manque de reconnaissance des auteurs, qui contribuent généralement de manière anonyme et altruiste, est mal adapté au domaine scientifique [ 21]. En effet, la reconnaissance en tant qu’auteur est primordiale, du point de vue de l’autorité d’un chercheur par rapport à ses collègues, et par rapport aux processus d’évaluation de la recherche. Certaines actions pourraient améliorer la reconnaissance du statut d’auteur, comme celle réalisée par Michel Aaij aux États-Unis, qui a inclus dans son dossier de titularisation à un poste de professeur d’université les articles qu’il a rédigés pour Wikipédia et qui ont obtenu le label qualité (et qui a finalement obtenu sa titularisation, en partie grâce à cette démarche). Dans un même registre, certains wikis, à l’image de Wikigenes [ 22], requièrent l’identification des auteurs [ 23].

Outils de publication multimédia
Traditionnellement, les scientifiques ont limité leurs publications au support papier ou électronique, en respectant des codes et règles de publication bien établis. De nouvelles plates-formes de publication vidéo, dont Scivee [ 24] et Videolectures.net [ 25] ont récemment fait leur apparition, et proposent en ligne des présentations orales ou affichées de congrès sous forme de vidéos. Scivee propose également des vidéos explicatives réalisées par des auteurs d’articles publiés dans certains journaux scientifiques à comité de lecture (PLoS Medicine par exemple), afin d’apporter un éclairage différent, en présentant par exemple des informations relatives aux manipulations expérimentales absentes dans la version papier. Si le nombre de vidéos présentées est encore faible en proportion du nombre d’articles publiés dans la version papier des journaux sélectionnés sur le site, le concept pourrait probablement séduire à l’avenir un nombre croissant de chercheurs. Notons également qu’un certain nombre de journaux, à l’image de la revue à comité de lecture JOVE (Journal of Visualized Experiments), proposent maintenant aux auteurs d’adjoindre des vidéos à leurs articles.
Outils sociaux et de partage
Réseaux sociaux scientifiques
La collaboration entre chercheurs est depuis longtemps un des éléments primordiaux de l’échiquier scientifique. Actuellement, la quasi-totalité des équipes de recherche sont engagées dans des projets internationaux, souvent pluridisciplinaires, impliquant un grand nombre de chercheurs. Si l’identification de nouveaux collaborateurs potentiels se fait classiquement via la littérature ou des connaissances déjà établies, les réseaux sociaux scientifiques en ligne peuvent également jouer un rôle [ 26].

Fondés sur les mêmes principes que les réseaux sociaux généralistes type Facebook [3], les réseaux sociaux scientifiques sont nombreux (Researchgate [ 27], Academia [ 28], Nature network [ 29], etc.). Leur profusion ne facilite d’ailleurs pas le choix des chercheurs, qui peuvent légitimement se demander lequel adopter. Le côté chronophage de la mise à jour d’un profil ou de plusieurs profils peut également en rebuter plus d’un.

Bookmarking social
À l’exemple de Youtube pour les vidéos, un nombre important de sites permettent de partager des ressources électroniques de différents types, et notamment des références bibliographiques [ 3035] (Tableau II). Ces applications permettent aux chercheurs d’indexer leur bibliographie avec leurs propres mots clés (on parle d’indexation sociale) et offrent la possibilité de stocker, classer et partager des liens Internet, mais également des références d’articles scientifiques ou de livres. Toutes ces applications sont compatibles avec les différentes bases de données bibliographiques (importation et exportation automatiques des références), utilisables depuis n’importe quel ordinateur, et proposent (quasiment toutes) des fonctionnalités sociales proches de celles des réseaux sociaux. Si l’intérêt de ces outils pour gérer ses références bibliographiques et promouvoir sa propre production scientifique est évident, le partage d’une bibliographie sur les réseaux avec la communauté n’est pas sans poser des problèmes. Le résultat d’une recherche bibliographique sur un sujet donné représente bien souvent une somme de travail importante et un avantage concurrentiel par rapport aux autres chercheurs qu’il est peu souhaitable de partager.

Applications en ligne : informatique dans les nuages ou cloud computing

Les applications en ligne qui permettent d’utiliser son ordinateur personnel comme un terminal, sans y installer de logiciels, sont désormais nombreuses et relativement bien connues (Tableau III). Les applications pour le domaine de la recherche sont en plein essor [ 36]. Celles-ci proposent des ressources de calcul et de stockage déportées « dans les nuages », avec le plus souvent un paiement en fonction de l’utilisation qui en est faite. Ces solutions présentent l’avantage de pouvoir s’adapter aux besoins des utilisateurs, sans qu’ils aient à se préoccuper de la maintenance informatique et logicielle, et ceci à des coûts maîtrisés.

Cependant, le risque de perte de données sur ces applications en ligne, consécutif à une erreur du site ou à sa fermeture, est toujours à craindre, d’autant plus que les conditions générales d’utilisation déchargent généralement les responsables du site de toute responsabilité sur les données stockées et les moyens de sauvegarde mis en œuvre.

L’externalisation de données personnelles ou issues de la recherche pose également la question de leur confidentialité et des moyens employés pour que celleci soit sans faille, condition indispensable pour que les données personnelles ne soient pas divulguées à l’insu de leurs propriétaires. Déjà, un certain nombre d’acteurs privés ou académiques proposent ces services dans la recherche [ 37, 38]. Ce modèle pourrait bien s’imposer dans de nombreux domaines en biologie [ 39], à condition qu’il sache répondre de manière satisfaisante aux problèmes de perte de données et de confidentialité abordés ci-dessus.

Des bouleversements dans les usages des chercheurs

En premier lieu, les principaux bouleversements apportés par les nouvelles plates-formes web 2.0 concernent la possibilité de partager et mutualiser des données de la recherche (concept de science ouverte ou Open science). L’intérêt de telles pratiques a déjà été démontré à de nombreuses reprises avec les articles en libre accès. En effet, les chercheurs ou les équipes de recherche mettant à disposition leurs articles en libre accès sont globalement plus cités par leurs collègues que ceux qui ne le font pas [ 40, 41].

Il semblerait qu’il en soit de même en ce qui concerne le partage de données de recherche. Une étude menée dans le domaine de la cancérologie a clairement montré que cette pratique augmente de manière significative le nombre de citations des articles produits [ 42]. Ces pratiques sont encore malgré tout très décriées par une grande partie des membres de la communauté scientifique qui ne souhaitent pas partager leurs données de recherche, d’une part, pour éviter de mettre à disposition des résultats parfois non concluants et, d’autre part, pour des problèmes de propriété intellectuelle et de confidentialité de résultats. L’arrivée des applications web 2.0 dans le domaine scientifique a également accéléré la circulation et le débat d’idées par rapport aux circuits traditionnels de publication [ 43]. Les différents outils disponibles pour communiquer, notamment les blogs, le microblogging et les réseaux sociaux, permettent une augmentation de la rapidité des débats sur un sujet donné ou autour d’un article et de ses résultats. Un certain nombre d’articles ont d’ores et déjà été l’objet d’une mise en débat de la part de la communauté scientifique via ces outils, aboutissant parfois au retrait de l’article par l’éditeur [ 4447].

Les modes de production et de publication scientifiques ont également subi bon nombre d’évolutions au cours de ces dernières années. Dans la phase initiale du World Wide Web, les pratiques de publications sont restées relativement semblables, avec parfois simplement un transfert du support papier vers le numérique. La communication scientifique passait majoritairement par l’entité « article scientifique », avec un processus éditorial (une soumission de l’article à un éditeur suivi d’un processus d’évaluation par les pairs ou peer-reviewing) et une structure immuable (un journal, une version définitive, un ou des auteurs et une date de publication). La multiplication des modes de production de l’information proposés par les plates-formes web 2.0 a fait reconsidérer les modèles traditionnels de l’édition et de l’archivage. Si l’évaluation des textes publiés sur les wikis ou blogs se fait librement sans évaluation par les pairs, l’apparition d’évaluations postpublication par des experts ou post-publication peer review, comme c’est le cas sur le site F1000 [ 48], ou par la communauté à l’image de Webmedcentral [ 49], pourrait bien à terme faire évoluer les schémas classiques d’évaluation des articles. Ces bouleversements pourraient également amener à revoir certains critères d’évaluation bibliométrique dont le facteur d’impact est le pilier, et faire apparaître de nouveaux critères [48]. Il semble également important que soient pris en compte certains des nouveaux modes de publication alternatifs dans ces critères d’évaluation de la recherche, notamment par les instances nationales chargées des processus d’évaluation.

Des réticences à l’adoption de ces services

La multiplication des plates-formes et l’évolution rapide des technologies posent la question primordiale : celle de l’utilisation réelle de ces services par les chercheurs. Les rares enquêtes disponibles sur le sujet montrent que les processus qui incitent les chercheurs à utiliser ces nouveaux services sont encore assez mal définis, et dépendent grandement des domaines disciplinaires. Une étude réalisée au Royaume-Uni a révélé que les outils web 2.0 sont encore globalement peu utilisés par les chercheurs [ 50]. Dans l’échantillon interrogé, 13 % des personnes déclarent les utiliser beaucoup à titre professionnel, 45 % peu et 39 % pas du tout. À titre d’exemple, seuls 13 % des chercheurs interrogés utilisent les réseaux sociaux à titre professionnel. Il semble que, si la plupart des chercheurs sont curieux et intéressés par ces nouveaux outils, les freins à l’adoption de ces derniers sont encore très nombreux.

En premier lieu, les chercheurs ne voient pas forcément clairement les bénéfices immédiats qu’ils pourraient en tirer, ou ils considèrent ne pas avoir les compétences nécessaires pour appréhender ces nouveaux outils [43, 51]. De plus, la multiplication de l’offre de services similaires rend le choix parfois difficile et, dans un contexte d’instabilité concernant leur pérennité, se pose finalement la question de savoir si le service choisi existera encore dans quelques mois. Par exemple, les réseaux sociaux scientifiques sont si nombreux que le choix en devient problématique. La simple consultation de profils au hasard sur ces réseaux montre, qu’en majorité, les chercheurs qui investissent ces réseaux le font pour voir sans autre but que d’essayer, la plupart des profils étant très peu renseignés. C’est le contraire de ce que requièrent ces services pour atteindre une certaine efficacité, afin notamment que les propriétaires de profils entrent en contact avec d’autres chercheurs. Le manque d’interopérabilité entre tous ces outils limite encore leur adoption. Il est par exemple actuellement impossible d’exporter son profil d’un réseau social à l’autre. Il en va de même avec les sites de gestion de références bibliographiques, pour lesquels il est très difficile, voire impossible, de récupérer et d’exporter ses propres mots clés (tags) d’un service à l’autre.

Dans le cadre des usages bien établis de la communication scientifique, considérés comme une norme sociale, la publicité des débats reste pour beaucoup un obstacle insurmontable à la participation sur ces différentes plates-formes, ainsi que la pérennité non contrôlée des textes produits sur le web. En effet, les scientifiques n’ont pas forcément envie de participer à des critiques ou commentaires en ligne qui resteront gravés sur les disques durs de Google ou d’autres sites web. Le risque d’une perte de paternité des idées liée au partage et au stockage de données sur le web, notamment avec le développement du cloud computing, qu’il soit voulu ou résultant d’éventuelles failles de confidentialité des services utilisés, limite encore l’engouement que pourraient susciter ces nouveaux services. Enfin, la vitesse à laquelle évoluent ces outils demande un investissement important afin de suivre leurs transformations, effort que tous les chercheurs, notamment les plus âgés, ne sont pas toujours prêts à consentir faute de temps.

Malgré toutes ces limitations, des changements sont en cours concernant les usages informationnels des chercheurs, mutations susceptibles de s’accélérer avec le renouvellement des générations dans les laboratoires et l’arrivée des digital natives. Cependant, seuls resteront à terme les outils qui rendent vraiment de nouveaux services et apportent une plus-value dans les usages des chercheurs. C’est finalement l’usage que feront les scientifiques de ces nouveaux outils existants ou à venir qui déterminera si certains d’entre eux peuvent participer de manière significative aux avancées scientifiques.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

L’auteur remercie H. Billon pour la relecture du manuscrit.

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