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Med Sci (Paris). 2012 June; 28(6-7): 663–666.
Published online 2012 July 16. doi: 10.1051/medsci/2012286022.

miR-9 : la sentinelle des neurones dans la progéria

Sophie Blondel,1,2,3 Claire Navarro,4 Nicolas Lévy,4,5 Marc Peschanski,1,2,3 and Xavier Nissan1,2,3*

1CECS, I-STEM (Institute for stem cell therapy and exploration of monogenic diseases), AFM, 5, rue Henri Desbruères, 91030Évry Cedex, France
2Inserm U-861, I-STEM, AFM, 5, rue Henri Desbruères, 91030Évry Cedex, France
3UEVE U-861, I-STEM, AFM, 5, rue Henri Desbruères, 91030Évry Cedex, France
4AMU-Inserm UMR_S 910, génétique médicale et génomique fonctionnelle, faculté de médecine la Timone, 27, boulevard Jean Moulin, 13385Marseille, France
5Département de génétique médicale, Hôpital d'enfants la Timone, 264, rue Saint-Pierre, 13385Marseille, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Vieillissement précoce, étiologie, génétique, anatomopathologie, Humains, Cellules souches pluripotentes induites, métabolisme, physiologie, microARN, Modèles biologiques, Neurones, Progeria, physiopathologie

Lamine A, progéria et vieillissement prématuré

La progéria typique (Hutchinson-Gilford progeria syndrome - HGPS) est un syndrome extrêmement rare (prévalence d’environ 1 sur 4 à 8 millions de naissances) qui est caractérisé par un vieillissement accéléré des patients. En 2003, deux équipes, dont celle du Pr Nicolas Lévy, ont identifié le défaut moléculaire responsable de cette pathologie [ 1, 2] : dans la majorité des cas il s’agit d’une mutation de novo localisée dans l’exon 11 du gène LMNA (c.1824C>T ; p.G608G) codant pour les lamines A et C. Bien que prédite comme silencieuse au niveau protéique, cette substitution entraîne l’activation d’un site cryptique d’épissage, cinq nucléotides en amont de la mutation, et la production d’une isoforme tronquée de la lamine A, appelée « progérine ». D’un point de vue moléculaire, l’expression de cette protéine aberrante a des conséquences graves. Cette lamine A tronquée de 50 acides aminés dans sa partie carboxy-terminale ne peut plus subir la dernière étape de sa maturation post-traductionnelle qui, dans les conditions physiologiques, permet au précurseur de la lamine A d’être transformé en lamine A mature (Figure 1). En effet, au cours de ce processus de maturation, l’ancrage puis le décrochage de ce précurseur du réticulum endoplasmique se font normalement via l’ajout d’un groupement farnésyl, puis le clivage de cette partie carboxy-terminale farnésylée [ 3]. Or, c’est cette dernière étape qui fait défaut dans la progéria du fait de l’absence du site de reconnaissance de l’enzyme ZMPSTE24/FACE1 (zinc metalloproteinase Ste24 homolog/ farnesylated proteins converting enzyme 1). Au niveau cellulaire, ce défaut de maturation se traduit par une accumulation de progérine qui reste ancrée à la membrane nucléaire interne, entraînant une déstructuration de l’enveloppe nucléaire et un dysfonctionnement de nombreuses fonctions biologiques majeures, dont la réparation de l’ADN ou la prolifération cellulaire [3].

D’un point de vue clinique, cette maladie est caractérisée par l’apparition précoce d’un ensemble de symptômes le plus souvent associés au vieillissement physiologique. Les enfants malades présentent un retard staturopondéral sévère ainsi que des altérations de nombreux tissus/organes incluant les tissus squelettique, adipeux, cutané, musculaire ou encore cardiovasculaire. C’est cette atteinte du système cardiovasculaire qui est, dans la plupart des cas, à l’origine de leur décès prématuré. Alors qu’une grande majorité de tissus et d’organes sont affectés dans cette pathologie, le système nerveux central est, de façon surprenante, épargné. Quels sont les mécanismes à l’origine de cette protection ? Cette question était restée jusqu’à présent sans réponse, du fait de la difficulté à accéder au tissu nerveux humain et de l’absence de modèle cellulaire adapté.

Apport des cellules iPS à la modélisation de la progéria

Depuis 2007 et la découverte des induced pluripotent stem cells (iPS) par l’équipe du Pr Shinya Yamanaka (université de Kyoto, Japon) [ 4], de nombreuses équipes ont pu modéliser in vitro des pathologies pour lesquelles l’absence de modèle adapté était justement un obstacle à l’étude des mécanismes en jeu et à la recherche de nouveaux traitements. En effet, comme nous l’avons récemment développé dans les colonnes de médecine/sciences [ 5, 6], les cellules souches pluripotentes présentent deux propriétés fondamentales qui en font une ressource potentiellement inépuisable de cellules humaines de tout phénotype d’intérêt, l’autorenouvellement illimité et la capacité à se différencier vers l’ensemble des types cellulaire de l’organisme.

En 2011, trois équipes ont ainsi successivement mis en évidence la pertinence de cette stratégie pour modéliser la progéria en montrant que les cellules iPS porteuses de la mutation, une fois différenciées en cellules souches mésenchymateuses, en fibroblastes ou en cellules musculaires lisses, exprimaient la progérine et des défauts de structuration de la matrice nucléaire, de prolifération et de réparation de l’ADN comparables à ceux qui sont observés dans des cultures de cellules primaires [ 79]. Dans ce contexte, notre équipe a cherché à utiliser le même modèle d’étude pour comprendre ce qui pouvait être à l’origine de l’étonnante préservation des capacités cognitives des patients. Nous avons donc produit des lignées de cellules iPS à partir de cellules d’enfants atteints de progéria et les avons ensuite différenciées en un panel de types cellulaires : osseux, épidermique, rétinien et neural. Nos résultats, publiés dans la revue Cell Reports [ 10], ont ainsi montré que parmi tous ces types cellulaires, les neurones présentaient une originalité qui pouvait être à l’origine de cette singularité clinique, celle de ne pas exprimer les lamines de types A. Nous avons alors tenté de percer les mécanismes moléculaires physiologiques qui étaient à l’origine de cette absence d’expression de la lamine A dans les neurones. Dans ce but, nous sommes partis à la recherche de facteurs qui pourraient interférer spécifiquement avec l’expression du gène LMNA au niveau du système nerveux central, et avons ainsi mis en évidence l’implication d’un microARN, miR-9 [10] (Figure 2).

Identification du rôle clé de miR-9 dans la protection des neurones chez les patients atteints de progéria

Découverts dans un premier temps chez la plante en 1990, les microARN sont des petits ARN de 21 à 25 nucléotides qui participent aux mécanismes endogènes de régulation post-transcriptionnelle [ 11]. À ce jour, près de 2 000 microARN ont été décrits chez l’homme et l’on estime qu’ils modulent l’expression d’environ 30 % des gènes. D’un point de vue moléculaire, les microARN ciblent principalement les ARN messagers (ARNm) au niveau de leur partie 3’ transcrite mais non traduite (3’UTR) pour en diminuer l’expression, soit en entraînant leur dégradation, soit en inhibant leur capacité de traduction, ou encore en provoquant la dégradation de la protéine néosynthétisée. Bien que ce mécanisme de régulation post-transcriptionnelle ait été à ce jour associé au contrôle de très nombreux processus biologiques, la majorité des études attribue aux microARN surtout un rôle dans la régulation des processus de prolifération et de différenciation. Plus récemment, certains microARN ont toutefois été impliqués aussi dans le contrôle d’autres mécanismes moléculaires associés au vieillissement : ainsi, miR-34a et miR-22 interviennent dans la réponse au stress cellulaire et miR-24 dans le contrôle de la sénescence réplicative et la réparation de l’ADN. En 2011, l’équipe du Dr Carlos López-Otín a, par ailleurs, mis en évidence le rôle de deux microARN, miR-1 et miR-29, dans la régulation de deux des principales voies de signalisation associées au vieillissement normal et pathologique, les voies de l’IGF1 (insulin growth factor 1) et de p53 [ 12].

Partant du constat de ce rôle majeur joué par les microARN dans le contrôle de l’expression génique, nous avons réalisé une étude bio-informatique dans le but d’identifier un ou plusieurs microARN capables de se fixer sur la séquence 3’UTR de l’ARN codant pour la lamine A. Les résultats obtenus par le croisement de trois algorithmes différents nous ont ainsi permis de définir une liste restreinte de microARN, parmi lesquels miR-9 a plus particulièrement attiré notre attention (1) parce qu’il n’est exprimé massivement que par les cellules neurales et (2) parce qu’il participe à la régulation de nombreux processus neuronaux. Dans un premier temps, nous avons confirmé l’interaction prédite entre miR-9 et la région 3’UTR de la lamine A d’un point de vue fonctionnel, en réalisant une étude de gain de fonction de miR-9 dans des cellules qui, physiologiquement, ne l’expriment pas, en l’occurrence des cellules souches mésenchymateuses. Ces expériences ont démontré que la surexpression de ce microARN pouvait induire une diminution d’expression de la lamine A dans des cellules mésenchymateuses issues de cellules iPS contrôles et de la progérine dans des cellules mésenchymateuses dérivées des lignées iPS - progéria (Figure 2). Ces résultats contribuant à faire de miR-9 un candidat solide pour le mécanisme neuroprotecteur que nous recherchions, nous avons dans un deuxième temps cherché à évaluer l’effet de la surexpression de ce microARN sur l’un des principaux défauts cellulaires associé à cette pathologie, les déformations de l’enveloppe nucléaire. Nos résultats ont effectivement montré que l’expression dans des cellules non neurales dérivées des lignées iPS-progéria du prémiR-9 validait cette hypothèse en provoquant une diminution significative de la proportion de noyaux anormaux dans les cultures cellulaires. Parallèlement à notre étude, une autre, menée par l’équipe du Dr Loren Fong (UCLA, Los Angeles) a identifié un mécanisme similaire chez une souris transgénique modèle de la maladie [ 13]. L’ensemble des travaux réalisés de manière concomitante par nos deux équipes, dans deux modèles différents, établissent donc clairement que c’est l’expression physiologique du microARN miR-9 dans les cellules nerveuses qui assure la préservation du système nerveux central, et des fonctions cognitives qu’il sous-tend, chez les patients atteints de progéria (Figure 3).

Conclusions

Au-delà de la mise en évidence du rôle de miR-9 dans la protection des neurones progéria, nos travaux soulèvent la question de l’utilisation de microARN à des fins thérapeutiques. Peut-on envisager de surexprimer miR-9 dans toutes les cellules d’un patient en vue de le guérir ? Bien que l’utilisation de microARN ou d’anti-microARN soit déjà une réalité clinique [ 14], et ce principalement en cancérologie, il est bien évidemment trop tôt pour envisager de les utiliser pour traiter un individu entier. Ce changement d’échelle non négligeable nécessite le développement de nouveaux outils à commencer par les vecteurs d’administration qui doivent permettre d’atteindre toutes les cellules du patient. Un second défi qui devra être relevé consistera à limiter les effets off target d’un tel traitement. En effet par définition les microARN sont des régulateurs capables d’affecter plusieurs centaines, voire milliers de cibles différentes. La surexpression d’un microARN dans une cellule qui, dans des conditions phydiologiques, ne l’exprime pas, pourrait, par exemple, entraîner la répression de nombreux gènes nécessaires à la survie ou aux fonctions de cette cellule. À ce jour de tels outils ne sont pas encore à notre disposition, mais leur développement pourrait, à terme, rendre ce type d’alternative thérapeutique possible.

Remerciements

Ce travail a été cofinancé par l’Association française contre les myopathies (AFM) et l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), et a bénéficié de soutiens complémentaires de l’Université d’Évry Val d’Essonne (UEVE), d’un contrat ANR, et de Genopole.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

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