Une approche thérapeutique différente, appelée « traitement verrou » ou lock therapy peut, dans certains cas, être envisagée. Son principe repose sur le remplissage in situ de la lumière du cathéter par un faible volume d’une solution très concentrée en agent antimicrobien (100-1000 fois la concentration minimale inhibitrice [CMI]) laissée en place pendant quelques heures à quelques jours. La solution concentrée joue alors un rôle de « verrou » sur la lumière du cathéter [
22–
24]. Verrous fongiques : modèles et efficacité De nombreuses études in vitro et in vivo ont été publiées sur la technique des verrous antibiotiques, mais les données de la littérature concernant l’efficacité des verrous antifongiques sont moins nombreuses [
25]. L’équipe de Ko [
26] et celle d’Oncu [
27] ont réalisé des études in vitro sur des modèles de cathéters infectés. Les biofilms fongiques âgés de 5 jours étaient traités par des verrous antifongiques (amphotéricine B, caspofungine, azolés, etc.) à des concentrations n’excédant pas 1 g/l pendant 1, 3, 5 ou 7 jours. L’équipe d’Oncu a pu confirmer ainsi l’activité de l’amphotéricine B et de la caspofungine utilisées en verrous sur des biofilms de C. albicans ou C. parapsilosis. Cependant, contrairement à la majorité des résultats publiés, l’équipe de Ko a mis en évidence la supériorité d’action des azolés pour le traitement des biofilms à C. albicans, C. glabrata ou C. tropicalis sur cathéter par rapport à l’amphotéricine B et à la caspofungine. Schinabeck et al. [
28] ont utilisé un modèle expérimental d’infection à C. albicans sur cathéter chez le lapin. L’efficacité in vivo de verrous antifongiques par l’amphotéricine B liposomale utilisée à 10 g/l et laissée en place 8 h/j pendant 7 jours a été évaluée par la numération des levures après mise en culture du cathéter. En 2006, l’équipe de Shuford [
29] a démontré, avec le même modèle animal, que l’action conjointe d’un traitement systémique et d’un verrou antifongique (7 j) par la caspofungine (6,7 g/l) ou l’amphotéricine B déoxycholate (3,3 g/l) pouvait stériliser la surface d’un cathéter infecté par C. albicans.
Dans les études de Ko, Oncu et Shuford [26, 27, 29], les cathéters étaient « verrouillés » durant une journée au minimum et sept jours au maximum. Or, l’intérêt des verrous antimicrobiens repose sur le maintien du cathéter chez les patients, nécessaire à l’administration de médicaments ou en cas de nutrition parentérale. Les modèles de traitement verrou des cathéters dont la durée excède une journée ne présenteraient donc qu’un intérêt limité en pratique clinique. Enfin, en 2009, Muhkerjee et al. [
30] ont montré l’efficacité in vivo (mise en culture du cathéter), chez le lapin, de verrous utilisant l’amphotéricine B lipidique à la concentration de 5 g/l et laissée en place 4 ou 8 h/j pendant 7 jours, sur un modèle expérimental de biofilms fongiques associés à des cathéters. Les rares expériences cliniques publiées sur les verrous antifongiques sur cathéter utilisent un protocole de traitement n’excédant pas 8 h/j. Les équipes d’Angel-Moreno [
31], de Castagnola [
20] et de Buckler [21] ont ainsi traité des infections sur cathéter à C. albicans [21], C. glabrata [21, 31], C. parapsilosis [20, 21] ou C. guillermondii [21], par des verrous utilisant l’amphotéricine B (déoxycholate ou liposomale) à des concentrations comprises entre 2,7 et 5 g/l en association à un traitement systémique par le fluconazole [31] ou l’amphotéricine B [20, 21]. Selon Schinabeck et al. [28], l’intérêt des traitements verrous est de lutter contre la résistance croissante des microorganismes se développant au sein d’un biofilm, d’éviter la toxicité des molécules utilisées dans le traitement systémique et ainsi de s’affranchir des dosages plasmatiques de ces molécules et, finalement, d’éviter la dissémination des microorganismes en verrouillant le cathéter. Efficacité d’un verrou antifongique unique Notre équipe a mis au point un modèle in vitro de biofilms pour étudier l’activité, d’une part, de deux échinocandines (caspofungine et micafungine) connues pour leur activité antibiofilm [ 6,
32], et d’autre part d’un azolé récent (posaconazole), utilisé individuellement en verrou [
33]. Ces molécules ont été testées à une concentration correspondant à 100-200 ou 500 fois la CMI des souches étudiées, conformément aux travaux publiés en 2005 par Lepape [ 22], soit 5 et 25 mg/l pour la caspofungine, et 5 et 15 mg/l pour la micafungine. Chaque molécule a été testée sur 2 souches de référence de C. albicans et 14 souches cliniques de C. albicans et de C. glabrata. Les biofilms ont été formés sur des sections de cathéters en silicone (100 %) pendant 12 h (biofilm jeune) ou 5 jours (biofilm mature), puis traités pendant 12 h par un verrou antifongique. L’évaluation du biofilm persistant après traitement a été réalisée par mesure de l’activité métabolique des levures reposant sur la réduction de sels de tétrazolium (XTT) [
34]. Cette mesure était effectuée 24 h, 48 h ou 72 h après l’arrêt du verrou pour les biofilms jeunes, et 24 h ou 48 h après l’arrêt du verrou pour les biofilms matures (les recommandations de la société française d’hygiène hospitalière sont de remplacer les cathéters veineux périphériques toutes les 96 h). Nous avons ainsi montré que la caspofungine et la micafungine utilisées sous forme de verrou présentaient une activité inhibitrice (comprise entre 65 et 81 %) sur les biofilms de C. albicans, qu’ils soient jeunes ou matures, rémanente jusqu’à 2 jours pour les biofilms matures ou 3 jours pour les biofilms jeunes après l’arrêt du verrou (Tableau I). Nous n’avons cependant pas mis en évidence de différence significative d’activité entre les deux concentrations d’échinocandine étudiées (100-200 fois la CMI ou 500 fois la CMI). Ce phénomène pourrait s’expliquer par l’effet de croissance paradoxale décrit par Melo et son équipe en 2007 [
35]. En effet, ces auteurs retrouvent un regain de croissance des levures du genre Candida (planctoniques ou organisées en biofilm) lorsqu’elles sont traitées par la caspofungine à des concentrations supérieures à la CMI (à partir de 16 mg/l, notamment pour les biofilms de C. albicans).
Tableau I.
|
|
Pourcentages d’inhibition de l’activité métabolique des levures (± écart-type) |
Candida spp |
Délai post-verrou (h) |
Caspofungine |
Micafungine |
Posaconazole |
|
|
5 mg/l |
25 mg/l |
5 mg/l |
15 mg/l |
10 mg/l |
Biofilms jeunes
|
|
|
24 |
81,3 ± 8,8 |
76,9 ± 12 |
75,1 ± 14,1 |
70,7 ± 11,3 |
54,2 ± 6 |
C. albicans
|
48 |
76,8 ± 12,4 |
78,6 ± 11,1 |
77,7 ± 14,4 |
65,4 ± 18,3 |
49,7 ± 12 |
|
72 |
78,6 ± 17,4 |
79,5 ± 8,3 |
81,2 ± 9,3 |
74,8 ± 13,3 |
41,3 ± 7,9 |
|
|
24 |
76,7 ± 10,1 |
NE |
92,7 ± 0,4 |
NE |
Ø |
C. glabrata
|
48 |
55,8 ± 16,7 |
NE |
91,6 ± 20,7 |
NE |
Ø |
|
72 |
42,8 ± 19,1 |
NE |
92,4 ± 0,8 |
NE |
Ø |
|
Biofilms matures
|
|
C. albicans
|
24 |
84,1 ± 7 |
75,2 ± 15,3 |
71,7± 15,3 |
66,4 ± 13,3 |
57,6 ± 3,5 |
|
48 |
80,4 ± 11,1 |
81,5 ± 8,5 |
78,7 ± 16,1 |
75,9 ± 18,3 |
48,4 ± 6,8 |
|
C. glabrata
|
24 |
77,7 ± 10,6 |
NE |
87,5 ± 11,9 |
NE |
Ø |
|
48 |
44,4 ± 18,5 |
NE |
90,3 ± 4,3 |
NE |
Ø |
Pourcentages d’inhibition de l’activité métabolique des levures d’un biofilm jeune ou mature de Candida 24, 48 ou 72 h après l’arrêt d’un traitement verrou. Les moyennes des pourcentages d’inhibition sont calculées pour chacune des espèces (10 souches de C. albicans et 6 souches de C. glabrata) ; ces moyennes sont présentées pour chaque concentration d’antifongique testée (5 et 25 mg/l pour la caspofungine, 5 et 15 mg/l pour la micafungine et 10 mg/l pour le posaconazole) et pour chaque délai post-verrou (24 h, 48 h ou 72 h). NE : non étudié ; Ø : aucune inhibition mesurée. |
Par ailleurs, des travaux similaires utilisant uniquement la plus faible concentration en échinocandine (5 mg/l) ont été menés sur C. glabrata et ont montré que la durée d’action de la caspofungine était plus réduite que celle de la micafungine, quel que soit le stade de maturité du biofilm (Tableau I). Au regard de ces résultats, les verrous de posaconazole ont uniquement été testés à la concentration la plus basse (100-200 fois la CMI) soit 10 mg/l. Cet antifongique a montré une activité inhibitrice (d’environ 50 %) moins élevée que celle des échinocandines sur les biofilms de C. albicans jusqu’à 2 ou 3 jours après l’arrêt du verrou, et ne présentait aucune activité inhibitrice sur les biofilms de C. glabrata, connue pour sa sensibilité diminuée aux azolés même sous forme planctonique [
36]. Par la suite, des travaux similaires ont été menés au sein de notre équipe, utilisant ce modèle in vitro de verrous sur cathéters, pour étudier l’efficacité de l’amphotéricine B liposomale (0,2 ou 1 g/l) sur des biofilms jeunes (12 h) ou matures (5 j) de C. albicans, C. glabrata ou C. parapsilosis. Le verrou était appliqué pendant 4, 12 ou 24 h sur le cathéter infecté. L’activité métabolique des levures persistant au sein du biofilm était mesurée 24 ou 48 h après l’arrêt du verrou. Les résultats montrent que, quelles que soient la concentration d’amphotéricine B liposomale étudiée et la durée du verrou, les biofilms de C. albicans et C. glabrata étaient inhibés à plus de 70 % (Tableau II). Les biofilms matures de C. parapsilosis étaient significativement moins inhibés (activité et rémanence plus faibles) par les verrous à l’amphotéricine B liposomale utilisée à la concentration de 0,2 g/l (Tableau II).
Tableau II.
|
|
|
Pourcentages d’inhibition de l’activité métabolique des levures (± écart-type) |
|
Durée du verrou (h) |
Délai post-verrou (h) |
Biofilm jeune |
Biofilm mature |
|
|
|
L-AmB 0,2 g/l |
L-AmB 1 g/l |
L-AmB 0,2 g/l |
L-AmB 1 g/l |
|
4 |
24 |
89 ± 2,8 |
86,5 ± 0,7 |
73,5 ± 17,7 |
83,5 ± 3,5 |
|
48 |
84 ± 2,8 |
86,5 ± 0,7 |
76 ± 5,7 |
80 ± 8,5 |
Candida albicans
|
12 |
24 |
91,5 ± 3,5 |
89 ± 2,8 |
86,5 ± 0,7 |
84,5 ± 2,1 |
|
48 |
91 ± 4,2 |
88,5 ± 2,1 |
87,5 ± 2,1 |
87,5 ± 2,1 |
|
24 |
24 |
79,5 ± 4,9 |
84,5 ± 2,12 |
81,5 ± 0,7 |
83,5 ± 3,5 |
|
48 |
86 ± 1,4 |
84,5 ± 2,1 |
82 ± 2,8 |
81 ± 1,4 |
|
|
4 |
24 |
75,5 ± 7,8 |
84,5 ± 4,9 |
83 ± 8,5 |
86 ± 4,2 |
|
48 |
80 ± 7,0 |
86,5 ± 0,7 |
87,5 ± 3,5 |
87 ± 2,8 |
Candida glabrata
|
12 |
24 |
93 ± 0 |
88 ± 0 |
89,5 ± 3,5 |
89,5 ± 0,7 |
|
48 |
91 ± 2,8 |
88,5 ± 3,5 |
88,5 ± 4,9 |
87 ± 0 |
|
24 |
24 |
77,5 ± 0,7 |
85 ± 1,4 |
85 ± 0 |
84 ± 0 |
|
48 |
81,5 ± 0,7 |
85,5 ± 2,1 |
83,5 ± 2,1 |
88,5 ± 0,7 |
|
|
4 |
24 |
85,5 ± 9,2 |
83 ± 9.9 |
71,5 ± 20,5 |
77,5 ± 3,5 |
|
48 |
86 ± 7 |
80,5 ± 7,8 |
41,5 ± 48,8 |
62 ± 18,4 |
Candida parapsilosis
|
12 |
24 |
88,5 ± 6,4 |
86 ± 5,7 |
73 ± 18,4 |
76 ± 9,9 |
|
48 |
87,5 ± 9,2 |
88,5 ± 4,9 |
55,5 ± 40,3 |
78 ± 11,3 |
|
24 |
24 |
83,5 ± 10,6 |
86,5 ± 3,5 |
82,5 ± 0,7 |
81,5 ± 0,7 |
|
48 |
83,5 ± 7,8 |
85 ± 4,2 |
64 ± 22,6 |
77,5 ± 4,9 |
Pourcentages d’inhibition de l’activité métabolique des levures d’un biofilm jeune ou mature de Candida spp 24 ou 48 h après l’arrêt d’un traitement verrou par de l’amphotéricine B liposomale (L-AmB). Les moyennes des pourcentages d’inhibition sont calculées pour chacune des espèces C. albicans, C. glabrata et C. parapsilosis ; ces moyennes sont présentées pour chaque concentration de L-AmB testée (0,2 et 1 g/l), pour chaque durée de traitement (4 h, 12 h ou 24 h) et pour chaque délai post-verrou (24 h ou 48 h). |
Nos travaux renforcent ainsi l’intérêt potentiel des verrous antifongiques dans la prévention des biofilms à Candida liés aux cathéters, mais n’ont en revanche pas montré d’activité inhibitrice à 100 % de ces biofilms. Cependant, nos travaux évaluent l’efficacité d’un verrou unique. En pratique clinique, les verrous sont habituellement répétés laissant présager une meilleure efficacité cumulée et donc un intérêt potentiellement supérieur. Les verrous antimicrobiens ne présentent d’activité que sur les microorganismes situés dans la lumière interne du cathéter. Les expériences cliniques rapportées sur l’utilisation de verrous antifongiques font d’ailleurs état d’une association à un traitement antifongique systémique [20, 21, 31]. Ainsi, il semble que c’est en les associant à un traitement systémique que l’emploi de verrous antifongiques pourrait s’avérer utile pour la prise en charge spécifique des candidoses chez certains patients porteurs de cathéter. Il serait de surcroît nécessaire d’évaluer les conséquences, au plan économique et en matière de résistances, induites par l’utilisation de ces fortes concentrations d’antifongiques. Liens d’intérêt
Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.
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