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Med Sci (Paris). 2012 October; 28(10): 817–819.
Published online 2012 October 12. doi: 10.1051/medsci/20122810006.

Les trypanosomes africains ont le sens du sacrifice

Étienne Pays1*

1Laboratoire de parasitologie moléculaire, Institut de biologie et de médecine moléculaire (IBMM), Université Libre de Bruxelles (ULB), 12, rue des Professeurs Jeener et Brachet, B6041Gosselies, Belgique
Corresponding author.

MeSH keywords: Adenylate Cyclase, immunologie, métabolisme, physiologie, Animaux, Humains, Système immunitaire, Modèles biologiques, Trypanosoma brucei gambiense, pathogénicité, Maladie du sommeil, parasitologie, Glycoprotéines de surface variables du trypanosome

Infection par le trypanosome : rôle du système immunitaire et de la glycoprotéine VSG

Les trypanosomes africains, dont le prototype s’appelle Trypanosoma brucei, sont des protozoaires flagellés capables d’infecter de nombreux mammifères suite à leur inoculation intraveineuse lors d’un repas sanguin pris par des mouches infectées, les Glossines, appelées communément mouches tsétsé. Chez l’homme, cette infection provoque la maladie du sommeil. Elle affecte aussi les bovins, compromettant l’élevage du bétail sur un tiers du continent africain.

Les trypanosomes sont bien connus pour leur capacité extraordinaire à jongler avec le système immunitaire de leur hôte, non seulement par l’amoindrissement de la qualité de la réponse immune (perte de la spécificité et de la mémoire immunitaires), mais aussi et surtout, par un pouvoir illimité de variation antigénique [ 1]. Ces deux propriétés sont dues à une glycoprotéine attachée à la membrane plasmique du parasite par un radical d’ancrage de type glycosyl-phosphatidyl-inositol (GPI) : la glycoprotéine VSG (variant surface glycoprotein). La VSG est présente en quantité extrêmement abondante sous la forme d’un manteau protecteur dense et homogène. Lors de chaque vague de prolifération du parasite, atteinte en quelques jours, cette glycoprotéine est libérée par le clivage de l’ancre GPI, active les macrophages et perturbe le système immunitaire. Parallèlement, un changement d’expression génique conduit à la production de variants de VSG. Collectivement, ces phénomènes expliquent que le trypanosome provoque des infections chroniques de longue durée, ce qui est nécessaire pour assurer la transmission du parasite d’un hôte à l’autre lors d’improbables piqûres par la mouche tsétsé.

L’adénylate cyclase du trypanosome : son rôle au stade initial de l’infection parasitaire
Adénylate cyclase et stress environnemental
Bien que des informations très nombreuses et détaillées aient été obtenues concernant les mécanismes mis en œuvre par le trypanosome pour manipuler le système immunitaire au cours de l’infection, rien n’était connu des stratégies d’invasion du parasite, lorsque les premiers parasites envahisseurs sont confrontés à un système immunitaire parfaitement fonctionnel.

Mon laboratoire s’intéressait depuis longtemps à la fonction de l’adénylate cyclase du trypanosome et au rôle de l’AMP cyclique (AMPc) dans l’infection parasitaire. D’une part, nous avions observé que la synthèse d’AMPc était pratiquement indétectable chez le parasite dans des conditions normales de croissance, et ce messager n’avait pas été impliqué non plus dans les nombreuses tentatives d’identification des voies de signalisation intracellulaire fonctionnant chez le parasite. D’autre part, de façon assez paradoxale, le génome de Trypanosoma brucei était caractérisé par une expansion considérable du nombre de gènes codant pour l’adénylate cyclase, avec presque 100 copies codant pour différentes isoformes.

Un indice important nous a mis sur la piste et permis de résoudre ce paradoxe : nous avons observé que diverses conditions de stress environnemental provoquaient une activation considérable de l’adénylate cyclase, l’effet optimal étant observé lors de la lyse cellulaire [ 2]. Par ailleurs, le séquençage du génome de différents trypanosomatidés a révélé que la multiplication des gènes d’adénylate cyclase était caractéristique des parasites à vie extracellulaire, présents dans la circulation sanguine (T. congolense, T. vivax), et donc en contact constant avec les cellules du système immunitaire ; à l’opposé, le nombre de copies de gènes codant les adénylate cyclases était moindre chez les parasites essentiellement intracellulaires (T. cruzi, Leishmania), donc moins exposés à ces cellules immunitaires. Ainsi, la fonction des isoformes d’adénylate cyclase du trypanosome pouvait être liée au stress du parasite provoqué par l’interaction des cellules immunitaires avec le pathogène sanguin.

Le sacrifice des premiers envahisseurs
Afin de tester cette hypothèse, nous avons tiré parti d’une propriété intrinsèque de l’activité des enzymes adénylate cyclase du trypanosome : la dimérisation du site catalytique. Chez les trypanosomatidés, les différentes formes d’adénylate cyclase possèdent une structure qui s’apparente à celle des récepteurs transmembranaires avec un seul domaine catalytique intracellulaire ; par conséquent, ces enzymes doivent dimériser pour s’activer. Nous avons construit des trypanosomes transgéniques surexprimant une forme « dominante négative » du domaine catalytique : celui-ci a été inactivé par mutagenèse dirigée de manière à réduire l’activité de l’adénylate cyclase globale une fois le dimère formé (effet dominant négatif). De façon très claire, une diminution de l’activité de l’adénylate cyclase a été observée, et celle-ci était associée à une forte réduction de la capacité du parasite à résister à l’immunité innée de l’hôte en tout début d’infection [ 3]. Plus précisément, nous avons pu montrer que l’activation des adénylate cyclases liée à la phagocytose du parasite par les cellules myéloïdes du foie (Figure 1) était nécessaire pour inhiber la production de la cytokine TNF-α (tumor necrosis factor- α ) par ces mêmes cellules, via l’activation de la protéine kinase A (PKA, dont l’activité est dépendante du niveau d’AMPc) (Figure 2). Le TNF-α étant fortement impliqué dans la réaction antiparasitaire en tout début d’infection, la stimulation des cyclases provoquée par la capture et la mort des premiers trypanosomes permet, en neutralisant cette réponse cytokinique de l’hôte, aux autres parasites de proliférer. Donc, la mort des « premiers » trypanosomes envahisseurs permet à leurs congenères d’établir l’infection (Figure 2).

Que l’adénylate cyclase puisse être associée à l’inhibition de la réponse immune par des pathogènes était déjà connu : les bactéries Bordetella pertussis et Brucella anthracis libèrent des toxines à activité adénylate cyclase qui empoisonnent et détruisent les macrophages [ 4]. Ce qui est original dans le cas des trypanosomes, c’est le sacrifice, au bénéfice de la population, de certains parasites intoxiquant les macrophages de l’intérieur au cours de leur capture lors de l’étape initiale de l’infection. Une autre observation intéressante concerne le contrôle de l’activité des adénylate cyclases : elles sont maintenues sous forme inactive de façon permanente dans les conditions normales d’approvisionnement énergétique, et leur activation spontanée en conditions de stress est un exemple remarquable d’adaptation immédiate d’un organisme à un environnement modifié en l’absence de tout apport énergétique. Un tel mécanisme d’activation, particulièrement adapté pour un parasite confronté aux changements soudains de son milieu, vaut aussi pour l’activation de l’enzyme qui clive la structure d’ancrage GPI de la VSG en conditions de stress [2].

Conclusion et perspectives

Le rôle des adénylate cyclases à l’interface hôte-parasite explique l’expansion et le polymorphisme de cette famille enzymatique chez les trypanosomes : en multipliant les isoformes, le parasite évite d’être reconnu de façon spécifique et efficace par le système immunitaire de l’hôte. Une telle diversification a déjà été observée pour d’autres enzymes parasitaires exposées au système immunitaire : par exemple les trans-sialidases de T. cruzi ou les kinases de Toxoplasma [ 5, 6].

Enfin, la fonction des adénylates cyclases, qui cible les cellules infectées de l’hôte plutôt qu’une fonction du parasite lui-même explique, d’une part, les échecs des tentatives d’identification des ligands capables d’activer ces enzymes, et d’autre part, l’absence de voie de signalisation intracellulaire dépendant de l’AMPc chez ces parasites.

En matière de lutte contre ce parasite, bien qu’il soit difficile dans l’immédiat d’identifier des perspectives concrètes, la conception de stratégies empêchant la dimérisation des adénylates cyclases et, ainsi, bloquant les étapes initiales de colonisation de l’hôte par le parasite pourrait se révéler prometteuse.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
Pays E , Vanhamme L , Pérez-Morga D. Antigenic variation in Trypanosoma brucei : facts, challenges and mysteries . Curr Opin Microbiol. 2004; ; 4 : :369.–374.
2.
Rolin S , Hanocq-Quertier J , Paturiaux-Hanocq F , et al. Simultaneous but independent activation of adenylate cyclase and glycosylphosphatidylinositol-phospholipase C under stress conditions in Trypanosoma brucei . J Biol Chem. 1996; ; 271 : :10844.–10852.
3.
Salmon D , Vanwalleghem G , Morias Y , et al. Adenylate cyclases of Trypanosoma brucei inhibit the innate immune response of the host . Science. 2012; ; 337 : :463.–466.
4.
McDonough KA , Rodriguez A. The myriad roles of cyclic AMP in microbial pathogens : from signal to sword . Nat Rev Microbiol. 2012; ; 10 : :27.–38.
5.
Ratier L , Urrutia M , Paris G , et al. Relevance of the diversity among members of the Trypanosoma cruzi trans-sialidase family analyzed with camelids single-domain antibodies . PLoS One. 2008; ; 3 : :e3524..
6.
Saeij JPJ , Boyle JP , Coller S , et al. Polymorphic secreted kinases are key virulence factors in Toxoplasmosis . Science. 2006; ; 314 : :1780.–1783.