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Med Sci (Paris). 2013 March; 29(3): 249–251.
Published online 2013 March 27. doi: 10.1051/medsci/2013293007.

La E-sélectine, un régulateur clé de la division des cellules souches hématopoïétiques et de leur résistance à la chimiothérapie

Jean-Pierre Levesque1* and Ingrid G. Winkler1

1Mater Research, TRI Building, 37 Kent Street, Woolloongabba, 4102, Queensland, Australie
Corresponding author.

MeSH keywords: Antinéoplasiques, pharmacologie, Division cellulaire, physiologie, Sélectine E, Cellules souches hématopoïétiques, cytologie, effets des médicaments et des substances chimiques, Humains

Fonctions des cellules souches hématopoïétiques

Les cellules souches hématopoïétiques (CSH) sont à l’origine de toutes les cellules sanguines et immunitaires. Ces cellules souches doivent faire face à deux demandes contradictoires. La première est de renouveler les progéniteurs qui se divisent rapidement pour remplacer les deux millions d’érythrocytes, 15 millions de plaquettes et le demi-million de leucocytes que nous consommons par seconde. Pour ce faire, les cellules souches hématopoïétiques doivent se diviser, soit symétriquement pour générer deux cellules souches, soit asymétriquement pour donner naissance à une cellule souche et un progéniteur qui va s’engager dans une voie de différenciation. Cependant, la division cellulaire a un coût, car plus les cellules souches hématopoïétiques se divisent, plus elles perdent leur capacité d’autorenouvellement. En effet, dans plusieurs modèles de souris génétiquement modifiées, les mutations qui accélèrent la division des CSH entraînent un épuisement plus rapide du système hématopoïétique qui aboutit à une aplasie médullaire et une pancytopénie. La deuxième demande est de maintenir une réserve de cellules souches hématopoïétiques quiescentes afin d’assurer l’intégrité génétique et fonctionnelle de ce compartiment, sans lequel le système hématopoïétique ne peut plus se régénérer. En effet, chez l’homme et la souris adultes, la majorité des cellules souches hématopoïétiques ne se divisent qu’une fois toutes les 20 à 25 semaines à l’état stationnaire [ 1, 2], soit deux fois par an ! Quand le système hématopoïétique doit répondre à une demande accrue ou à une destruction massive de leucocytes (par exemple lors d’une infection ou au décours d’une chimiothérapie), les cellules souches sortent de leur quiescence et se divisent pour restaurer le compartiment des progéniteurs le plus rapidement possible. Puis elles quittent à nouveau le cycle cellulaire et retournent dans un état quiescent une fois le travail accompli [2]. Quels régulateurs de la moelle osseuse permettent aux cellules souches de répondre à ces différentes demandes ? De nombreuse cytokines et facteurs de croissance régulant positivement ou négativement la division des cellules souches hématopoïétiques sont connus depuis longtemps. Mais, comment certaines de ces cellules peuvent-elles rester quiescentes pendant de très longues périodes (excédant 20 semaines), alors que d’autres se divisent plus fréquemment pour régénérer les cellules sanguines ?

Niches ostéoblastique et vasculaire des cellules souches hématopoïétiques

La solution est dans l’hétérogénéité des niches. Les cellules souches hématopoïétiques ne sont pas distribuées de façon aléatoire dans la moelle osseuse, mais résident dans des niches très spécialisées [ 11]. Dans la moelle osseuse murine, elles sont plus abondantes près de l’endostéum, l’interface entre l’os et la moelle, et relativement plus rares au centre de la moelle osseuse [ 36]. Cette observation a conduit au concept de niche endostéale ou ostéoblastique. Cependant, de nombreuses cellules souches sont aussi en contact direct avec des cellules endothéliales formant les sinus endothéliaux [ 7], sortes de sacs vasculaires atones qui se remplissent et se vident de sang toutes les 2 à 3 minutes. Ces niches sont appelées niches vasculaires. Une première interprétation de cette distribution particulière est qu’il y a deux types de niches, ostéoblastiques et vasculaires, qui remplissent deux fonctions distinctes : maintenir les cellules souches quiescentes et induire leur prolifération. Cependant cette interprétation est trop simpliste, car l’endostéum est richement vascularisé par un réseau dense de sinus endothéliaux rendant la distinction entre niches endostéales et niches vasculaires arbitraire. De plus, la délétion conditionnelle du gène Kitl codant pour le ligand du récepteur à activité tyrosine kinase c-Kit dans les ostéoblastes et ostéoprogéniteurs n’a que peu d’effet sur les cellules souches hématopoïétiques. Au contraire, la délétion de ce même gène dans les cellules endothéliales et les progéniteurs mésenchymateux périvasculaires réduit fortement le nombre de cellules souches hématopoïétiques présentes dans la moelle osseuse [ 8]. Ces résultats suggèrent que les niches vasculaires jouent un rôle clé dans la maintenance des cellules souches.

La E-sélectine, un modulateur de la quiescence et de la prolifération des cellules souches hématopoïétiques

En cherchant à caractériser les signaux extracellulaires qui distinguent les niches maintenant les cellules souches hématopoïétiques quiescentes de celles qui induisent leur prolifération, nous avons identifié la E-sélectine. La E-sélectine est une protéine d’adhérence cellulaire, exprimée exclusivement par les cellules endothéliales. C’est donc une protéine exclusive de la niche vasculaire. Dans un article récemment publié dans Nature Medicine [ 9], nous rapportons que, chez les souris dépourvues du gène Sele codant pour la E-sélectine, la proportion de cellules souches hématopoïétiques quiescentes est plus importante et que celles-ci se divisent plus lentement. L’administration d’un inhibiteur synthétique de la E-sélectine, le GMI-1070, a le même effet que la délétion du gène Sele. Cette augmentation de la quiescence des cellules souches est aussi observée dans des transplantations croisées dans lesquelles des cellules souches hématopoïétiques sauvages sont greffées à des souris receveuses déficientes en E-sélectine. Dans les transplantations inverses (souris donneuses de cellules souches déficientes en E-sélectine, souris receveuses sauvages), les cellules souches hématopoïétiques se divisent à une vitesse normale. Ces résultats suggèrent que c’est la perte de la E-sélectine dans le stroma médullaire, et non pas dans les cellules souches hématopoïétiques, qui est responsable de cet effet. La E sélectine n’agit pas sur les cellules souches via ses récepteurs classiques - présents sur les macrophages et les neutrophiles -, comme CD162 (P-selectin glycoprotein ligand-1 ou PSGL-1) ou CD44, mais plutôt via des glycosphingolipides membranaires et la protéine ESL-1 (E-selectin ligand-1).

Les inhibiteurs de la E-sélectine pour combattre la cytotoxicité des chimiothérapies

Du fait de la plus grande proportion de cellules souches quiescentes qu’elle entraîne, la délétion de Sele ou l’administration de GMI-1070 augmente la survie des cellules souches et des souris, et diminue la période de cytopénie après administration d’une chimiothérapie intensive ou d’une forte dose de radiations (8 Gy). Le fait que seulement 10 à 20 % des cellules endothéliales médullaires expriment la E-sélectine [9] peut expliquer l’hétérogénéité des niches vasculaires, car seules les niches comprenant des cellules exprimant la E-sélectine pourraient stimuler la prolifération des cellules souches. De plus, les inhibiteurs spécifiques de la E-sélectine, comme le GMI-1070, pourraient avoir un intérêt thérapeutique pour protéger les cellules souches durant des traitements de chimiothérapie intensifs [9, 10]. En effet, les chimiothérapies répétées peuvent épuiser la réserve de cellules souches, en tuant celles qui se divisent pour régénérer les progéniteurs détruits par le traitement, ce qui résulte en un épuisement hématopoïétique avec aplasie médullaire persistante voire fatale. Le risque infectieux durant la période de neutropénie qui suit la chimiothérapie est lui aussi non négligeable. Plus cette période d’immunodéficience est longue, plus le patient court le risque d’une infection fatale, que son système immunitaire temporairement détruit ne peut combattre. En préservant la quiescence des cellules souches hématopoïétiques, ces inhibiteurs peuvent protéger ces dernières contre la cytotoxicité des chimiothérapies qui tuent sans distinction les cellules malignes et les cellules saines en division. Ceci permettrait de réduire le risque d’aplasie médullaire induit par la chimiothérapie, et de réduire la durée de la neutropénie pendant laquelle le patient court un risque élevé de contracter une infection fatale.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
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