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Med Sci (Paris). 2013 April; 29(4): 397–403.
Published online 2013 April 26. doi: 10.1051/medsci/2013294013.

Radiosensibilité
L’évidence d’un facteur individuel

Nicolas Foray,1* Catherine Colin,2 and Michel Bourguignon3

1Inserm, UMR 1052, groupe de radiobiologie, centre de recherche sur le cancer, 28, rue Laennec, 69008Lyon, France
2Hospices civils de Lyon, département de radiologie, centre hospitalier Lyon-Sud, 69995Pierre-Bénite, France
3Autorité de sûreté nucléaire, 6, place Colonel Bourgoin, 75572Paris, France
Corresponding author.
 

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Vignette (Photo : Jean Bergonié [1857-1925], l’un des pionniers de la radiothérapie).

Une petite page d’histoire

Quelques mois après la découverte de Röntgen en décembre 1895, Victor Despeignes, médecin du canton des Échelles (Savoie, France), utilise un tube de rayons X pour traiter le cancer de l’estomac d’un de ses patients. Il décrit « la réduction du volume tumoral 1  », premier paramètre radiobiologique quantifiable de l’effet des radiations [ 1]. Après V. Despeignes, quelques traitements radiothérapeutiques furent tentés à la fin du xix e siècle en Allemagne et en Autriche. Le premier traitement par radiothérapie considéré comme un succès fut celui que Schiff appliqua à un patient atteint de lupus érythémateux en 1897 [ 2]. En 1901, Pierre Curie applique sur son avant-bras une ampoule contenant le premier gramme de radium. Il décrit une desquamation, un érythème et une nécrose, mais l’observation en reste là, faute de paramètre quantifiable pour les tissus sains [ 3]. Pourtant, de nombreuses observations s’accumulent. Par exemple, on découvrit très tôt l’intérêt des rayons X pour traiter l’hypertrichose2, et beaucoup de volontaires se firent épiler par les rayons X dans la première moitié du xix e siècle. C’est d’ailleurs à la suite de ce traitement par radiothérapie de l’hypertrichose, et non des cancers, que furent rapportées les premières descriptions des réactions tissulaires après irradiation [ 4]. Lors du congrès de l’Association française pour l’avancement des sciences (AFAS) organisé à Lyon en 1906, la question de l’idiosyncrasie est soulevée : Jean Bergonié (voir photo ci-dessus), le pionnier de l’électricité médicale, résume les débats en ces termes : « …tout le monde s’entend à peu près sur les deux causes d’erreur qui peuvent affecter l’application thérapeutique des rayons X : 1) l’incertitude des mesures [de dose] ; 2) la sensibilité des différents sujets, des diverses parties de la peau… ». Après une discussion passionnée, la motion suivante est adoptée à l’unanimité : « la section d’électricité médicale du congrès tenu à Lyon admet après discussion qu’avec des doses égales évaluées avec les indicateurs actuels, certains individus dans des conditions spéciales peuvent présenter des réactions quelque peu différentes » [ 5]. L’étude de la radiosensibilité allait cependant rester encore descriptive jusque dans les années 1950 (Figure 1).

La radiobiologie quantifiée

Après 1911 et un développement technologique considérable, les définitions des paramètres physiques aboutirent à un consensus sur la notion de dose de radiation, exprimée aujourd’hui en Gray (1 Gy = 1 J/kg) [ 6]. En parallèle, la codification des traitements radiothérapiques prit de l’ampleur grâce notamment à l’action de Claudius Regaud à l’Institut Curie de 1913 à 1940 : la prise en compte des différences interindividuelles s’effaça progressivement face aux contraintes pratiques et économiques qui obligèrent les radiothérapeutes à appliquer des traitements standardisés. En 1956, T.T. Puck et P.I. Marcus [ 7], puis L. Hayflick et P.S. Moorhead en 1961 [ 8] observèrent que le point commun aux différents types de mort cellulaire (sénescence, mort mitotique, apoptose, autophagie) est la perte de capacité par les cellules de former des clones/colonies en culture. Ils proposèrent d’utiliser ces tests clonogéniques pour quantifier la radiosensibilité : après ensemencement d’un nombre connu de cellules irradiées, la mesure du nombre de colonies formées par les cellules que l’irradiation n’avait pas stérilisées devint la méthode de référence pour évaluer la fraction survivante des cellules. On s’intéressa alors à la fraction survivante après 2 Gy (SF2, surviving fraction at 2 Gy), car une telle dose correspond à la dose moyenne quotidienne reçue lors d’une session de radiothérapie. Les premiers tests clonogéniques in vivo furent proposés par H.B. Hewitt et C.W. Wilson [ 9]. En 1981, après avoir analysé des centaines de courbes de survie de cellules humaines, B. Fertil et E. P. Malaise aboutirent à trois conclusions [ 10] :

  • il existe une corrélation entre l’efficacité du contrôle local in vivo et la radiosensibilité des cellules issues des biopsies de tumeurs, mesurée in vitro par le test clonogénique ;
  • il existe une différence significative entre chaque valeur de survie cellulaire mesurée in vitro : chacune des tumeurs peut être caractérisée par sa propre SF2. B. Fertil et E.P. Malaise nommèrent cette SF2 « radiosensibilité intrinsèque » ;
  • il existe un continuum dans les valeurs de radiosensibilité des tumeurs : toutes les valeurs sont possibles entre l’hyper-radiosensibilité et l’hyper-radiorésistance.

La notion de radiosensibilité intrinsèque ne se limita pas aux tumeurs, et la validité des trois conclusions fut démontrée pour les tissus sains. Dans les années 1970, les enfants souffrant d’ataxie télangiectasie (AT) - syndrome qui associe un déficit immunitaire mixte sévère, une ataxie cérébelleuse progressive et un risque élevé de cancers - succombèrent au traitement radiothérapique prescrit pour traiter un lymphome [ 11]. Une équipe anglaise avait déjà montré, en étudiant les courbes de survie à l’irradiation de fibroblastes issus de patients atteints de cette maladie, que l’ataxie télangiectasie était le syndrome associé à la plus forte radiosensibilité chez l’homme, avec une SF2 d’environ 1 % (on considère que la radiorésistance commence au-delà de 50 %) [ 12]. Une quarantaine de syndromes génétiques furent associés à des radiosensibilités plus ou moins fortes. B. Fertil et P. J. Deschavanne publièrent en 1996 une première liste de ces maladies génétiques radiosensibles, basée sur les valeurs de SF2 des fibroblastes de peau. De très nombreux cas de radiosensibilité intermédiaire (entre 1 et 50 %) furent mis en évidence [ 13] (Tableau I, Figure 1). La méthode des colonies est contraignante, longue (il faut plus d’une semaine pour que les colonies apparaissent), et elle nécessite un savoir-faire en culture de tissus. De nombreuses équipes de recherche se consacrèrent alors au développement de nouveaux tests, à la fois pour déterminer les bases moléculaires de la radiosensibilité, mais aussi dans l’espoir d’obtenir des résultats plus rapides. Mais quelle technologie et quel paramètre choisir ?

Déterminer les bases moléculaires de la radiosensibilité

Pour qu’un test soit réellement prédictif de la radiosensibilité individuelle, il doit répondre à au moins trois questions majeures :

  • Le pouvoir prédictif du test a-t-il été éprouvé sur : (1) une large gamme de doses compatibles avec la réalité clinique ? (2) un grand nombre d’individus ? (3) une large gamme de radiosensibilité ?
  • Les données issues du test sont-elles corrélées à d’autres paramètres reconnus comme prédictifs de la radiosensibilité (survie clonogénique ou tableau clinique) ?
  • Les données issues du test sont-elles dépendantes du modèle tissulaire et cette dépendance change-t-elle la corrélation avec la radiosensibilité ?

Les insuffisances de la mesure de l’apoptose comme reflet de la radiosensibilité

Le troisième point est particulièrement important. Il est illustré par l’exemple des tests basés sur la mesure de l’apoptose des lymphocytes circulants : celle-ci n’est toujours pas corrélée quantitativement à toute la radiosensibilité humaine et ne vaut que pour ce seul modèle cellulaire [ 14]. En effet, les fibroblastes, principaux composants du tissu conjonctif, cibles de la plupart des réactions radio-induites (exemple : les radiodermites) meurent très rarement par apoptose. Il en est ainsi des fibroblastes de patients AT hyper-radiosensibles qui ne montrent pas d’apoptose [14]. Une corrélation - mais inverse - a été observée entre les réactions tissulaires après radiothérapie et les taux d’apoptose induits par une dose de 8 Gy dans des lymphocytes circulants. Toutefois, cette corrélation reste limitée aux réactions tardives les plus sévères et aux patients qui ne sont pas atteints d’AT, et le fait que l’apoptose lymphocytaire soit plus faible chez les patients les plus radiosensibles et que chez les témoins radiorésistants n’est pas confirmé par la littérature [ 15, 16]. La question de la représentativité des lymphocytes dans la réponse tissulaire radio-induite est d’autant plus cruciale que le rôle d’autres types cellulaires, notamment les cellules endothéliales, et de la désorganisation de la microvascularisation dans la radiodermite chronique ou dans la fibrose, et plus généralement l’inflammation, ne peut être ignoré aujourd’hui [ 17].

Les données génétiques

De nombreux tests prédictifs basés sur l’expression, la mutation ou la fonction des gènes furent proposés pour remplacer le test de survie clonogénique, mais peu satisfont aux trois critères précités. D’autre part, très peu de gènes ont été identifiés dont l’expression varie avec la dose d’irradiation et la radiosensibilité, et aucun ne peut prétendre être un marqueur d’une radiosensibilité individuelle [14].

Les nombreux travaux de génomique ont apporté la preuve de la grande variabilité génétique entre individus, dont témoignent les polymorphismes, ce qui a naturellement suscité l’engouement des radiobiologistes. Toutefois, les polymorphismes sont des mutations généralement ponctuelles qui n’entraînent pas de changement fonctionnel significatif de la protéine. D’autre part, chaque individu porte environ 30 millions de polymorphismes (un toutes les 300 paires de bases), et il est donc peu probable qu’un seul polymorphisme puisse traduire toute la gamme de la radiosensibilité individuelle. Les résultats de la recherche de polymorphismes potentiellement liés à la radiosensibilité sont contradictoires, et ce champ de recherches devra relever les défis biostatistiques et méthodologiques, ce d’autant que les polymorphismes sont quelquefois confondus avec de vraies mutations hétérozygotes [15, 18, 19]. Ainsi, même si ces recherches en génomique, mais aussi celles de modifications épigénétiques, doivent être poursuivies, les syndromes qui s’accompagnent d’une radiosensibilité sont aujourd’hui essentiellement associés à des mutations homozygotes ou hétérozygotes de gènes intervenant dans la signalisation et la réparation des dommages de l’ADN, et notamment des cassures double-brin [ 20]. Ces dernières entraînent une létalité cellulaire si elles ne sont pas réparées, et une instabilité génomique si elles sont mal réparées [20]. La très grande majorité des études indiquent que si les taux de cassures double-brin non réparées ont un fort pouvoir prédictif de radiosensibilité, ce n’est pas vrai du nombre de cassures double-brin produites par les radiations qui, lui, varie suivant la taille du noyau cellulaire, donc de l’espèce. Ainsi, 1 Gy de rayons X produit autant de cassures double-brin (40 par cellule) dans des fibroblastes issus de patients AT que dans ceux de patients radiorésistants. En 2008, en utilisant une dizaine de techniques différentes appliquées à 40 lignées fibroblastiques issues de patients atteints de huit syndromes génétiques différents, nous avons montré qu’il existait une corrélation entre la SF2 et le taux de cassures double-brin 24 h après l’irradiation. Une classification de la radiosensibilité humaine en trois groupes fut alors proposée (Figure 2) [ 21].

Radiosensibilité des tissus sains : au rebours des paradigmes moléculaires actuels

Les modèles moléculaires actuels de la réparation des cassures double-brin ont été établis après les travaux réalisés chez les levures, bactéries ou rongeurs, modèles chez lesquels la prolifération cellulaire est bien plus intense que celle des tissus sains humains. L’existence de deux voies de réparation des cassures double-brin a été suggérée : la suture non homologue (NHEJ, non homologous end joining) active en phase G0/G1 (cellules quiescentes), et la recombinaison homologue (HR) active en phase S-G2/M (cellules proliférantes) [ 38, 39] (→).

(→) Voir la Synthèse de R. Buisson et J.Y. Masson, m/s n° 3, mars 2013, page 301

Le NHEJ dépend de l’activité des kinases ATM et DNA-PK (protéine kinase dépendante de l’ADN). L’une des étapes les plus précoces du NHEJ est la phosphorylation du variant d’histone H2AX ; celle-ci permet la détection des cassures double-brin réparées par NHEJ car le variant phosphorylé s’accumule sous la forme de foyers nucléaires observables en microscopie par fluorescence.

La HR fait intervenir ATM et les protéines RAD51 et RAD52, et certaines étapes d’échanges de brin restent encore inconnues pour les cellules humaines [ 2224]. C’est le mode de réparation des cassures double-brin prépondérant chez les bactéries et les levures, et les souches mutées pour RAD51 et RAD52 expriment logiquement une très forte radiosensibilité. Chez l’homme, les mutations de RAD51 et RAD52 sont létales à l’état embryonnaire ; celles des gènes BRCA1 (breast cancer 1), BRCA2 et BLM (muté dans le syndrome de Bloom), dont les produits sont les partenaires de RAD51 et RAD52, sont en revanche associées à une certaine radiosensibilité [ 25, 39]. De même, les lignées cellulaires dérivées de rongeurs et mutées pour Ku ou DNA-PKcs (DNA-PK catalytic subunit) sont les plus radiosensibles, mais aucun syndrome humain n’a, à ce jour, été associé à de telles mutations. On peut donc créer des mutants de gènes qui confèrent une hyper-radiosensibilité exceptionnelle, mais celle-ci n’existe pas chez l’homme. À l’inverse, les modèles actuels de réparation des cassures double-brin n’impliquent pas ou peu les gènes humains dont les mutations entraînent systématiquement une radiosensibilité, certes moins spectaculaire, mais bien réelle. Ainsi, parallèlement à l’application de traitements radiothérapeutiques standardisés, l’utilisation de modèles cellulaires ou d’animaux hyper-radiosensibles ou hyper-radiorésistants a fait disparaître la prise en compte des radiosensibilités intermédiaires, preuves du facteur individuel [14]. Comme nous l’avons mentionné plus haut, la multiplication des approches n’a pas pour l’instant permis de définir des marqueurs prédictifs de la radiosensibilité, mais il est probablement trop tôt pour apprécier les intérêts respectifs de ces approches.

La radiosensibilité en clinique aujourd’hui

Sur 380 000 nouveaux cas de cancers par an en France, environ 60 % sont traités par radio- et/ou chimiothérapie. Même si aucun recensement officiel n’est publié, un consensus existe au sein de la communauté scientifique, y compris de la part de la Commission internationale de protection radiologique (CIPR), pour estimer que 5 à 15 % des patients auront des réactions tissulaires postradiothérapie, dont certaines peuvent entraîner leur décès [ 26]. Il s’agit par exemple de dermites (cancers du sein), de rectites (cancers de la prostate), survenant en l’absence d’erreur dans la délivrance de la dose de rayonnements. On parle bien ici de radiosensibilité individuelle. Rappelons que même si une erreur de dosage était commise, elle ne pourrait expliquer l’ampleur de certaines réponses tissulaires (les pionniers de la radiothérapie en étaient déjà persuadés) [5]. Ainsi, l’accident de sur-irradiation d’Épinal a concerné environ 5 500 patients, pour la plupart atteints de cancers de la prostate, et le surdosage variait entre 3 et 54 %. Pour un même excès de dose, certains patients sont morts, d’autres ont été guéris, d’autres ont montré tous les niveaux de gravité des rectites, ce qui démontre encore une fois la diversité des réponses individuelles pour une même dose d’irradiation [ 27]. Pourtant, l’estimation de la radiosensibilité tissulaire se fonde encore aujourd’hui sur la seule expérience du praticien et la vérification de la dose administrée ; aucun paramètre biologique ne reflète objectivement le facteur individuel. Des échelles de gravité tissulaire sont proposées et le nombre de paramètres cliniques concernés croît régulièrement [14].

Comment cette proportion de 5 à 15 % de patients radiosensibles a-t-elle été estimée et à quoi peut-elle correspondre ? Un calcul qui additionerait les incidences de tous les syndromes radiosensibles mentionnés sur le Tableau I n’aboutit qu’à 1 % au plus. D’ailleurs, c’est dès l’enfance que le diagnostic est porté chez ces patients porteurs de mutations homozygotes responsables de ces syndromes. À l’inverse, les mutations hétérozygotes (une seule copie de gène mutée) entraînent des radiosensibilités intermédiaires, dont l’incidence est bien plus élevée. Ainsi, 0,5 à 5 % des individus dans le monde seraient porteurs de mutations hétérozygotes du gène ATM (qui causent une ataxie télangiectasie à l’état homozygote), alors que l’incidence des mutations homozygotes est de l’ordre de 1/100 000 [ 28, 29] ! Ainsi, faudrait-il rechercher une radiosensibilité essentiellement chez les porteurs de mutations hétérozygotes de gènes liés à la réponse aux radiations ou chez les porteurs de mutations homozygotes de gènes secondairement liés à la réponse aux radiations [ 30]. L’addition de l’ensemble de ces incidences aboutit effectivement à une proportion de 5-15 % d’individus radiosensibles.

Radiosensibilité et susceptibilité au cancer : une confusion sémantique récurrente

En dépit des termes définis par les pionniers, les scientifiques et les médecins désignèrent dès les années 1930 sous le même terme de radiosensibilité à la fois le risque de toxicité tissulaire et celui de cancer radio-induit. L’un des exemples les plus représentatifs de cette confusion a été donné par la CIPR [26]. Pour rapporter au corps entier une exposition qui concerne seulement un organe, on multiplie la dose de radiation exprimée en Gy par un facteur de pondération tissulaire WT affecté à chaque organe. On obtient alors la dose efficace en Sievert (Sv). Dans sa dernière recommandation de 2007, la CIPR a augmenté le WT du sein de 0,05 à 0,12 Sv. Le sein y est considéré comme un organe très radiosensible. Dans l’esprit des auteurs, ce terme signifie « plus susceptible au cancer radio-induit » [26]. Une telle confusion pose le problème de la compréhension du lien possible entre radiosensibilité et prédisposition au cancer. Ce lien est complexe : les syndromes que caractérise une grande radiosensibilité, comme l’ataxie-télangiectasie, sont tous associés à de fortes prédispositions au cancer. Certains syndromes, comme le syndrome de Li-Fraumeni, causé par des mutations hétérozygotes de p53, sont également associés à une forte prédisposition au cancer mais sans qu’il y ait de radiosensibilité tissulaire significative. Ainsi, une radiothérapie pourrait provoquer la mort d’un patient AT et un cancer radio-induit chez un patient Li-Fraumeni.

Sensibilité individuelle et faibles doses

Nous avons vu que le facteur individuel influence la réponse aux fortes doses de radiation. Qu’en est-il pour une exposition à de faibles doses, comme celles qui sont appliquées en radiodiagnostic, lors d’examens scanners et de mammographies ? En ce qui concerne le risque de réactions tissulaires visibles, il est clair que les doses inférieures à 0,1 Sv ne produisent ni dermites, ni rectites ni aucune réaction tissulaire. À l’inverse, les études épidémiologiques rapportent un risque non nul de cancer radio-induit. Chez l’adulte, les seuils pour lesquels existe un risque d’émergence de leucémies et de cancers solides radio-induits sont généralement fixés à 100 et 200 mSv de dose efficace respectivement [ 31]. Toutefois ces seuils ont été déterminés à partir de données épidémiologiques acquises à partir de larges cohortes dans lesquelles les possibles différences individuelles n’ont pas fait l’objet d’une analyse spécifique. Pourtant, si un individu a un risque de cancer 10 fois plus élevé qu’un autre, son seuil de risque de cancer radio-induit sera logiquement inférieur à 100 mSv. Des études radiobiologiques ont montré que le taux de mauvaise réparation d’une lésion de l’ADN peut rester très élevé, même en deçà de 100 mGy, chez des sujets prédisposés aux cancers [ 32]. De plus, des phénomènes non linéaires peuvent induire dans la cellule une perte du contrôle de son intégrité même pour des doses aussi faibles que quelques mGy [ 3335]. Enfin, la répétition des faibles doses, par exemple lors de mammographies, posent le problème de la possible amplification des effets ; dans ce cas, il ne faudrait pas négliger une augmentation significative du risque pour les patientes jeunes à haut risque familial [ 36, 37].

Conclusions

Depuis plus d’un siècle, la littérature scientifique montre qu’une réponse individuelle pour les radiations existe. Les données scientifiques récentes confortent ces travaux pionniers. Une meilleure prise en compte du facteur individuel passe par une approche qui se focalise délibéremment sur l’homme, en utilisant des cellules humaines aussi peu transformées que possible et les plus représentatives des risques tissulaires.

La radiothérapie comme le radiodiagnostic sauvent des vies. Pourtant, d’après la CIPR, 5 à 15 % des individus sont radiosensibles et plus prédisposés au développement d’un cancer radio-induit. Toutefois cette instance stipule que les tests prédictifs ne sont pas assez évolués ou fiables pour en tenir compte [36, 37]. Même si les incertitudes sur les paramètres biologiques prédictifs des réactions de radiosensibilité perdurent, le fait que des mutations de certains gènes confèrent un plus grand risque de cancer est démontré depuis les années 1980.

L’observation et la quantification des défauts de signalisation des lésions de l’ADN et de leur réparation sont prometteuses, car elles constituent une approche fonctionnelle essentielle du phénomène de radiosensibilité individuelle. D’autres approches, génomiques et épigénétiques sont à approfondir. De plus, c’est bien à ce carrefour de protéines gardiennes du génome que se situe l’initiation du processus cancéreux. La radiosensibilité individuelle pourrait ainsi constituer une nouvelle façon d’aborder la recherche en biologie, en mettant la réalité clinique au centre des recherches en radiobiologie.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Appelée aujourd’hui contrôle local, c’est-à-dire l’éradication de la tumeur primaire et éventuellement des ganglions de voisinage.
2 Excès de pilosité.
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