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Med Sci (Paris). 2013 October; 29(10): 834–836.
Published online 2013 October 18. doi: 10.1051/medsci/20132910007.

Première caractérisation d’un inhibiteur allostérique des récepteurs des fibroblast growth factors

Corentin Herbert,1 Chantal Alcouffe,1 and Françoise Bono1*

1Unité de recherche et développement E2C (Early to candidate department), Sanofi R&D, 195, route d’Espagne, 31036Toulouse Cedex, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Régulation allostérique, effets des médicaments et des substances chimiques, Site allostérique, Espace extracellulaire, Humains, Liaison aux protéines, Conformation des protéines, Inhibiteurs de protéines kinases, pharmacologie, Protein-tyrosine kinases, antagonistes et inhibiteurs , Récepteur facteur croissance fibroblaste, Transduction du signal

Les récepteurs des fibroblast growth factors : cibles complexes mais grand intérêt thérapeutique

Les FGF (fibroblast growth factor) forment une famille de 22 protéines identifiées à ce jour chez l’homme. Les récepteurs des FGF (FGFR) appartiennent à la famille des récepteurs à activité tyrosine kinase (RTK) et sont au nombre de quatre (FGFR1 à FGFR4). Ils sont constitués d’une région amino-terminale extracellulaire, d’un domaine transmembranaire unique, et d’une région carboxy-terminale intracellulaire (Figure 1A). De nombreuses isoformes des FGFR existent, qui résultent d’épissages alternatifs. Les FGFR peuvent également être mutés ou surexprimés dans un contexte physiopathologique, tumoral en particulier. Outre leurs rôles physiologiques dans la croissance et la différenciation cellulaires, les FGF contribuent à l’initiation et la progression de différentes pathologies. Dans un contexte tumoral, ils promeuvent la vascularisation (angiogenèse), ainsi que la survie et la prolifération des cellules tumorales. Enfin, ils interviennent dans les mécanismes de résistance des tumeurs aux traitements par des inhibiteurs du VEGF (vascular endothelial growth factor) [ 1].

Malgré le rôle majeur des FGF dans les mécanismes d’initiation et de progression tumorales, les stratégies d’adressage thérapeutique de ces cibles par l’inhibition orthostérique de la liaison ligand/récepteur au moyen d’anticorps monoclonaux, ou par le blocage de l’activité enzymatique tyrosine kinase par de petites molécules (TKI), n’ont pas permis de développer à ce jour avec succès des thérapies ciblant spécifiquement ce type de récepteur. Ces échecs sont liés, soit aux redondances et surexpressions des couples ligand/récepteur pour les approches anticorps antagonistes orthostériques [ 2] (résistance ou échappements sous traitement), soit à des problèmes de sélectivité vis-à-vis d’autres kinases pour les inhibiteurs des activités enzymatiques tyrosine kinase (émergence d’effets secondaires non liés à la cible FGFR) [ 3]. Dans ce contexte, la recherche de nouveaux modes de blocage de ces cibles s’est imposée.

L’adressage de cible par des modulateurs allostériques [ 11] – qui se fixent sur une région du récepteur différente de celle du ligand et modifient les fonctions de ce récepteur sans bloquer la fixation du ligand – apparaît comme une approche innovante dans le cas des RTK et, plus particulièrement, des FGFR. En effet, ces inhibiteurs possèdent des propriétés avantageuses : (1) compte tenu de leur affinité plus faible, ils sont généralement plus efficaces et plus sélectifs que les inhibiteurs orthostériques ; (2) ils ne sont pas actifs lorsque le ligand endogène n’est pas présent, limitant ainsi les effets indésirables [ 48].

Dans deux articles publiés récemment dans Cancer Cell [ 9, 10], nous décrivons pour la première fois la caractérisation du mode d’action et les activités pharmacologiques d’un antagoniste allostérique des récepteurs aux FGF : le SSR128129E [9, 10].

Inhibition allostérique des récepteurs des FGF : mise en évidence et conséquences biologiques

Par criblage à haute capacité, nous avons identifié des molécules chimiques et, en particulier, le SSR128129E (SSR), peu efficace vis-à-vis de la liaison du ligand à son récepteur, mais bloquant très efficacement les réponses cellulaires. En combinant de la spectrométrie infrarouge à transformée de Fourier (FTIR), des mesures de calorimétrie (ITC) et de la modélisation de dynamique moléculaire, nous avons démontré que le SSR, en se liant au domaine D3 du récepteur, induit un changement de conformation de ce dernier qui altère son fonctionnement (Figure 1B). Ce type d’interaction allostérique a été confirmé par des analyses complémentaires de relation structure/activité sur un grand nombre de molécules appartenant à la famille chimique du SSR et par des analyses de mutagenèse dirigée du récepteur. Le changement de conformation des FGFR induit par le SSR se traduit par une inhibition très spécifique et efficace des réponses cellulaires induites par les ligands naturels dans de nombreuses lignées cellulaires exprimant ces récepteurs. Si l’on étudie plus en détail les voies de signalisation, de manière surprenante, le SSR, même à très forte dose, ne bloque jamais totalement la phosphorylation des FGFR. Ce phénomène, appelé effet plafond, n’est pas observé avec des inhibiteurs orthostériques et représente donc une preuve supplémentaire du mode d’action allostérique du SSR. En se référant aux études menées sur des modulateurs allostériques d’autres classes de récepteurs, il apparaît que ces composés peuvent bloquer de manière différente les multiples voies de signalisation cellulaire utilisées par ces récepteurs. Ce phénomène est appelé sélectivité fonctionnelle ou antagonisme biaisé [10]. De manière similaire, le SSR inhibe sélectivement certaines voies de signalisation en fonction du contexte cellulaire (Figure 1C). Cette propriété représente une preuve supplémentaire de son mode d’interaction allostérique.

Les RTK, et en particulier les récepteurs des FGF, jouent un rôle prépondérant à la fois sur la prolifération des cellules tumorales et sur la vascularisation des tumeurs. Nous avons donc étudié l’activité du SSR dans différents modèles de cancer chez la souris. Notre compréhension récente du dialogue entre la tumeur et son environnement et de son implication dans la résistance aux traitements, dans le processus métastatique et l’angiogenèse, permet de penser que les modèles orthotopiques (implantation de tumeurs au sein de l’organe d’origine) pourraient être plus informatifs que les modèles classiquement utilisés (implantation sous-cutanée) pour évaluer l’efficacité du SSR. Ainsi, dans différents modèles de cancer réalisés après implantation orthotopique de cellules tumorales, le traitement par le SSR (par voie orale) bloque à la fois la croissance tumorale et l’apparition de métastases. Cette efficacité est également observée vis-à-vis de tumeurs résistantes aux anti-VEGF [9].

Bénéfices attendus par rapport aux inhibiteurs orthostériques ou aux inhibiteurs des tyrosine kinases

Les inhibiteurs orthostériques bloquent l’activation des récepteurs par le ligand. Si dans un contexte tumoral les quantités de ligands augmentent, des doses plus élevées d’inhibiteur seront nécessaires pour bloquer cette liaison. Ainsi, des études précliniques montrent que, dans le cas des inhibiteurs orthostériques du VEGF, les doses nécessaires efficaces induisent des effets indésirables comme des érythrocytoses et des augmentations de la pression artérielle. En revanche, par principe, un inhibiteur allostérique sera efficace quelle que soit la dose de ligand présente. Cette propriété unique permet d’envisager des traitements efficaces dépourvus d’effets secondaires indésirables. Concernant les inhibiteurs des tyrosine kinases, indépendamment du fait que leur sélectivité vis-à-vis d’un récepteur donné est difficile à obtenir, ces composés inhibent complètement la signalisation cellulaire induite par la fixation du ligand endogène au récepteur RTK. Dans ce contexte, la cellule, et en particulier la cellule tumorale, met en place des mécanismes de compensation visant à utiliser d’autres récepteurs et voies de signalisation pour pallier ce blocage. Elle devient donc résistante à ces inhibiteurs. De manière intéressante, les inhibiteurs allostériques, quelle que soit la dose utilisée, ne bloquent que partiellement la signalisation cellulaire induite par la liaison du ligand sur le RTK. Ils permettent ainsi de maintenir une homéostasie cellulaire et de prévenir la mise en place de mécanismes compensatoires [11].

Conclusion

L’ensemble de ces résultats suggèrent que l’inhibition allostérique des récepteurs aux FGF peut représenter une nouvelle approche thérapeutique anticancéreuse efficace, n’induisant ni effets secondaires indésirables, ni de résistance. Ces résultats montrent également que le ciblage des récepteurs RTK par des modulateurs allostériques actifs par voie orale est possible et efficace. Ainsi, une nouvelle étape a été franchie dans le développement de médicaments ciblant cette classe de récepteurs, ouvrant de nombreuses perspectives thérapeutiques.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
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