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Med Sci (Paris). 2013 November; 29(11): 935–936.
Published online 2013 November 20. doi: 10.1051/medsci/20132911001.

Les attentes d’un 3e plan cancer

Jean-Paul Vernant1*

1Professeur d’hématologie Chargé de coordonner la préparation du plan cancer AP-HP, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière Service d’hématologie clinique47-83, boulevard de l’Hôpital75651Paris Cedex 13, France
Corresponding author.

MeSH keywords: France, Mise en oeuvre des programmes de santé, méthodes, organisation et administration, Humains, Tumeurs, mortalité, prévention et contrôle

 

Le cancer est la principale cause de mortalité en France, avec 148 000 décès estimés en 2012 et 355 000 nouveaux cas de cancers par an. Si le risque individuel de cancer augmente, du fait des progrès d’un dépistage précoce et des progrès de la thérapeutique, le risque de décès par cancer, en revanche, diminue. Il n’empêche que le cancer reste la principale cause de mortalité prématurée, et une des causes majeures de mortalité « évitable ». Plusieurs indicateurs confirment les disparités importantes d’incidence et de mortalité en fonction des territoires, de l’activité professionnelle et du niveau d’études. Parmi toutes les affections, le cancer est celle pour laquelle les inégalités sociales sont les plus manifestes.

Le président de la République a annoncé en décembre 2012 le lancement d’un 3e plan cancer. Les apports du 1er plan cancer, lancé par Jacques Chirac en 2004, et du 2e plan cancer, lancé par Nicolas Sarkozy en 2008, ont été importants. On peut retenir, par exemple, la création de l’Institut national du cancer (INCa), la mise en place des réunions de concertation pluridisciplinaire, les 24 plates-formes de génétique moléculaire et la création des 8 sites de recherche intégrée sur le cancer. Le 3e plan doit représenter un nouvel élan.

Le président de la République a tracé les grandes lignes selon lesquelles celui-ci devait être conçu :

  • le renforcement de la prévention ;
  • la continuité des soins entre l’hospitalier et l’ambulatoire ;
  • le développement du continuum « recherche/prise en charge » ;
  • l’amélioration de la vie des patients durant et après le cancer ;
  • la prise en compte renforcée des inégalités sociales, géographiques et comportementales.

Fin août 2013, un rapport faisant des recommandations pour le 3e plan cancer a été remis à la ministre des Affaires sociales et de la Santé et à celle de l’Enseignement supérieur et de la Recherche. Il est destiné à alimenter la rédaction propre du plan que les deux ministères suscités sont chargés de piloter. Le plan sera remis au président de la République en février 2014. L’INCa aura la charge de sa mise en Ĺ“uvre.

Sans préjuger de ce que sera précisément le 3e plan cancer, on peut présenter quelques-unes des mesures que l’on pourrait y trouver.

  • La prévention est l’élément majeur. Elle permet de restreindre le nombre des morts prématurées et les morts « évitables ». Si l’on s’intéresse au tabagisme, on peut observer que, malgré les mesures prises (avertissements graphiques, interdiction de la vente aux mineurs, augmentation du prix du tabac), la consommation du tabac ne recule pas ; elle augmente même chez les jeunes et chez les femmes. De façon générale, il semble nécessaire de modifier l’approche de la prévention, en passant d’une prévention essentiellement prescriptive, fondée sur les interdictions, à une prévention essentiellement éducative. Il conviendrait ainsi que, durant la scolarité, soient acquises les connaissances concernant la santé et la prévention des comportements à risque en général.
  • Le dépistage des cancers est extrêmement mal partagé dans la population française. C’est ici que les inégalités sociales sont les plus marquées. Un tiers des femmes, les plus socialement défavorisées, ne bénéficie pas du dépistage du cancer du sein, et plus d’un tiers de celui du cancer du col de l’utérus. Il convient donc de définir une politique claire, visant à étendre le dépistage organisé du cancer du sein et à mettre en place celui du cancer du col de l’utérus. Pour convaincre du bien-fondé de ces dépistages, le rôle du médecin traitant, dont on sait l’importance de la parole dans ce contexte, devrait être mis en avant.
  • Pour ce qui concerne la recherche, la désignation de l’INCa comme opérateur unique de gestion des crédits de recherche, qui doivent au moins rester pérennes, apparaît comme un gage d’efficience et de lisibilité. Le soutien à la recherche d’amont (génomique, protéomique et métabolomique, pharmacogénétique, épigénétique, interactions tumeur-environnement, hétérogénéité tumorale…), à la recherche translationnelle (incluant la thérapie cellulaire et génique) et à la recherche clinique, avec une application rapide des avancées de la recherche au bénéfice des patients, doit se poursuivre. Il convient de stimuler la coopération des biologistes avec les mathématiciens, les physiciens et les informaticiens. La politique de développement des centres d’essais cliniques de phase précoce doit s’amplifier. Il convient d’obtenir de l’assurance maladie qu’elle poursuive la prise en charge de la partie soins de ces essais de phase précoce.
    Les sciences humaines et sociales, directement en lien avec la prévention, le dépistage, le parcours de soins et la vie pendant et après le cancer, ne seront pas oubliées.
    Les 7 cancéropôles, mis en place par le 1er plan cancer, ont rempli leur rôle d’animation de la recherche. Ils ont permis l’émergence des sites de recherche intégrée sur le cancer. Il convient maintenant de leur donner de nouvelles missions. Ils pourraient être les bras armés de l’INCa dans les régions et organiser la mise en commun, à un niveau inter-régional, des expériences conduites à un niveau territorial.
  • Les métiers du cancer : le DESC (diplôme d’études spécialisées complémentaires) de cancérologie est le garant, pour les jeunes spécialistes d’organes, médecins ou chirurgiens, de l’acquisition de connaissances en oncologie, leur permettant, dans le cadre de leur spécialité, de traiter les malades atteints de cancer. Il n’empêche que pour offrir aux patients des soins adaptés au degré de complexité de leur pathologie, il semble nécessaire de définir des niveaux de complexité pour tous les actes de chirurgie cancérologique et d’évaluer le niveau de complexité auquel peuvent prétendre les établissements de santé et les chirurgiens.
    La radiothérapie avec modulations d’intensité devrait être rapidement disponible dans tous les centres de radiothérapie pour les irradiations des cancers de la sphère ORL, de la prostate, de l’utérus et du canal anal.
    Les délais d’attente d’une IRM pour bilan d’un cancer du sein, de l’utérus ou de la prostate, étaient supérieurs à 27 jours en 2011. Il convient de restreindre ce délai à moins de 14 jours, faute de quoi il faudra augmenter rapidement le nombre d’appareils IRM sur le territoire national (il en existait, en 2011, moins de 10 par million d’habitants en France, contre plus de 27 par million d’habitants en Allemagne).
    De nouveaux métiers devraient voir le jour : les métiers d’infirmier spécialiste clinique, de dosimétriste, de technicien cytologiste en anatomo-cytopathologie, de bio-informaticien et d’ingénieur informatique spécialiste du cancer…
  • Il est souhaitable de simplifier les structures concernées par l’organisation de la cancérologie : souvent redondantes, celles-ci forment un millefeuille organisationnel d’une médiocre lisibilité, que le plan à venir devrait simplifier. Les liens entre l’INCa et les réseaux régionaux de cancérologie - qui travaillent maintenant en bonne harmonie avec les Agences régionales de santé - se sont distendus et doivent se resserrer. Cela pourrait être l’une des nouvelles missions des cancéropôles, bras armés de l’INCa dans les inter-régions, d’être cet agent de liaison.
  • Nous attendons de ce plan qu’il mette en place une nouvelle conception du soin, qui se réfère autant au « prendre soin » qu’à l’action de « soigner ». Cette nouvelle conception doit faire coexister les traitements et tout ce qui, par ailleurs, fait la vie du patient : travail ou scolarité, vie familiale, vie sociale. Les attentes du patient, comme de son entourage, doivent être prises en compte dans l’organisation du parcours de soins. Le rôle des acteurs de proximité, comme des associations, peut contribuer à la mise en place de cette nouvelle conception du soin. Ainsi peut-on espérer faire reculer l’exclusion sociale et les regards stigmatisants. Nous avons l’espoir que le plan à venir pourra contribuer à améliorer la vie des malades atteints de cancer et, de façon plus générale, la vie de tous les malades atteints d’affections graves.
  • Les dépassements d’honoraires et le reste à charge pouvant être imposés aux patients atteints de cancer sont sources d’inégalités, à la fois en termes de liberté de choix, mais aussi en termes de délai de prise en charge. Il apparaît donc justifié d’imposer le plus rapidement possible dans les secteurs libéraux et publics l’absence de reste à charge pour les malades atteints de cancer dans tous les domaines.

Les limites du tout financement des établissements de santé en ce qui concerne la tarification à l’activité (T2A) sont bien mises en évidence par la cancérologie. On peut en effet prévoir dans les années à venir des progrès thérapeutiques dont l’une des conséquences sera de diminuer les hospitalisations conventionnelles : ce sera un bénéfice pour les patients et pour l’Assurance maladie, mais mettra financièrement à mal les établissements de santé. Il importe donc de tester de nouvelles modalités de financement des prises en charge du cancer, en introduisant des formes de dotation en fonction de l’activité globale de la structure, du nombre et des types de parcours de soins effectués.

Un nouveau plan peut représenter un nouvel élan, mais il existe des dizaines de plans de santé et le risque existe que ce nouveau plan n’en soit qu’un de plus, éventuel facteur de morcellement et de confusion. On peut cependant espérer que cela ne sera pas le cas du 3e plan cancer, s’il s’attache à proposer des solutions pour tenter de régler les difficiles problèmes des inégalités sociales, des rapports entre soignants et soignés, et entre médecine hospitalière et médecine de ville. Tous ces problèmes débordant largement le cadre du cancer, on peut en outre espérer que ce plan, servant de modèle, aura un effet de levier et pourra contribuer à améliorer, de façon plus générale, l’ensemble de notre système de santé.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Je remercie Franck Chauvin, Gérard Ganem et Stéphane Paul, qui ont largement participé aux réflexions et à la rédaction du rapport « Propositions pour le 3e plan cancer » que l’on peut trouver sur le site de l’INCa.