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Med Sci (Paris). 2013 November; 29(11): 954–956.
Published online 2013 November 20. doi: 10.1051/medsci/20132911008.

Communication foie/tube digestif
Rôle du microbiote dans la carcinogenèse hépatique

Jamila Faivre,1,2,3 Christian Bréchot,1,2 and Nicolas Moniaux1,2*

1Inserm U785, centre hépatobiliaire, 12-14, avenue Paul Vaillant Couturier, 94800Villejuif, France
2Université Paris-Sud, Faculté de médecine, 94800Villejuif, France
3Département d’hématologie et de biologie des tumeurs, Hôpital Paul Brousse, 94800Villejuif, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Infections bactériennes, Carcinogenèse, Humains, Inflammation, physiopathologie, Intestins, microbiologie, Lipopolysaccharides, Tumeurs du foie, immunologie, Microbiote, physiologie, Récepteur de type Toll-4

Immunité innée et défense de l’hôte contre les pathogènes

Au cours des cinq dernières années, les technologies les plus récentes de séquençage à haut débit et de métagénomique ont révélé des déséquilibres de la flore intestinale associés à des pathologies de « société », comme les maladies immuno-allergiques, métaboliques ou dégénératives. Des maladies aussi diverses que le diabète [ 11], l’obésité, les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin [ 12], les maladies cardiovasculaires, les maladies hépatiques, l’asthme, l’eczéma et même l’autisme, ont été associées à des perturbations quantitatives et qualitatives du microbiote intestinal (dysbiose).

Concernant les maladies du foie, des études récentes ont suggéré que le microbiote intestinal était impliqué dans la progression de la stéatose hépatique non alcoolique (NAFLD, non alcoholic fatty liver disease) et jouerait un rôle promoteur dans le développement du carcinome hépatocellulaire (CHC). Le rôle récemment évoqué et largement controversé dans l’hépatocarcinogenèse du système LPS/TLR4 (lipopolysaccharide/récepteur Toll-like 4) et, plus généralement, des motifs bactériens intestinaux et des récepteurs cellulaires (de type PRR, pattern recognition receptors) qui leur sont associés, est discuté dans cette revue.

Parmi les PRR, les récepteurs Toll-like (TLR) sont essentiels pour la défense contre les microorganismes [ 13]. Ils sont capables de déclencher les processus d’immunité innée et d’inflammation en réponse à des signaux de danger de nature procaryote ou eucaryote. Ils reconnaissent des MAMP (microbes-associated molecular pattern) provenant de microorganismes, et des DAMP (danger-associated molecular patterns) provenant de tissus endommagés () [ 14]. Après stimulation, ils induisent une sécrétion de cytokines pro-inflammatoires, telles que le TNFα (tumor necrosis factor α) et l’IL-6 (interleukine 6) via une cascade d’activation moléculaire intracellulaire impliquant, entre autres, Myd88 (myeloid differentiation primary response 88) et IRAK (IL1-receptor-associated serine kinase), qui mène à l’activation des facteurs de transcription NFκB et AP1 (activator protein 1), ainsi qu’à l’activation de facteurs déclenchant la réponse immunitaire adaptative.

(→) Voir la synthèse de Y. Jamilloux et T. Henry, page 975 de ce numéro

Rôle de l’intégrité de la barrière intestinale dans le carcinome hépatocellulaire

Le carcinome hépatocellulaire (CHC) se classe au cinquième rang des cancers et représente la troisième cause de mortalité par cancer dans le monde. Il s’agit d’une tumeur génétiquement hétérogène développée dans 85 % des cas sur une cirrhose, le plus souvent d’origine alcoolique ou virale. La répétition d’épisodes inflammatoires, dont l’origine peut être virale (virus des hépatites B et C), alcoolique et métabolique, et le développement d’hépatopathies chroniques associées, telles que la stéatohépatite (NASH) et la cirrhose, sont des causes majeures de carcinogenèse hépatique. Les cycles successifs d’agression du foie qui précèdent la survenue du CHC conduisent à un véritable remodelage de l’organe (nodules de régénération hépatocytaire). Ce dernier est associé, sur le plan moléculaire, à de profondes altérations des voies de signalisation régulant la prolifération, la mort cellulaire, la migration/invasion cellulaires et l’angiogenèse [ 1]. Il est, par ailleurs, bien connu que la cirrhose s’accompagne fréquemment d’une altération de l’intégrité de la barrière intestinale associée à une sensibilité accrue des patients cirrhotiques aux infections bactériennes issues du tube digestif. La translocation de produits bactériens, comme le lipopolysaccharide (LPS, composant de la paroi des bactéries Gram négatif), par le système veineux portal contribue ainsi à la pérennisation des lésions inflammatoires du foie [2, 6]. S’il a été montré que la composition du microbiote de patients cirrhotiques était différente de celle de sujets sains, avec notamment une sur-représentation de bactéries Gram négatif, il est impossible de distinguer la cause de la conséquence.

Implication de la voie LPS/TLR4 dans la carcinogenèse hépatique

Une étude pionnière publiée en 2010 a démontré que l’activation de la voie LPS/TLR4 favorisait la prolifération hépatocytaire via la sécrétion de TNFα et d’IL-6 par les cellules de Kupffer (macrophages résidents du foie), et augmentait la résistance des hépatocytes au stress oxydatif et à l’apoptose avec pour conséquence le développement accéléré de CHC dans un modèle expérimental chimio-induit par la diéthylnitrosamine (DEN) [ 3]. Dans le modèle expérimental utilisé dans cette étude, la déplétion du LPS circulant par une antibiothérapie, ou encore l’interruption de la voie d’activation LPS/TLR4, par invalidation du gène codant pour TLR4 inhibaient l’initiation et la progression du CHC [3]. L’influence de la signalisation LPS/TLR4 sur la carcinogenèse hépatique a été confirmée par l’équipe de Schwabe dans un autre modèle de CHC développé sur un foie chroniquement endommagé par l’administration combinée de deux toxiques, le DEN et le tétrachlorure de carbone (CCl4). Cette équipe montre que les types cellulaires cibles du LPS, dans le contexte d’une hépatopathie chronique, sont les hépatocytes et les cellules étoilées du foie, qui entretiennent un dialogue moléculaire paracrine pour activer fortement la voie NFκB et, par là, favoriser la progression du CHC. Celui-ci se caractérise par un nombre et une taille de nodules tumoraux bien plus importants que ceux développés dans les groupes contrôles [ 4]. De plus, l’activation de la voie LPS/TLR4 induit une abondante production hépatocytaire d’épiréguline, un mitogène de la famille des facteurs de croissance épidermique qui, en retour, accentue la progression du CHC en phase avancée de carcinogenèse [4]. A contrario, chez les souris axéniques (dépourvues de microbiote intestinal) ou encore les souris sauvages ayant reçu une antibiothérapie afin d’inactiver la voie du LPS dans les phases tardives de la carcinogenèse, le développement de CHC induit par DEN/CCl4 est très réduit [4]. Finalement, les auteurs suggèrent que la décontamination du microbiote intestinal à l’aide d’une antibiothérapie à large spectre pourrait constituer une stratégie thérapeutique plausible dans le CHC. On peut, à l’évidence, craindre les risques d’émergence de souches bactériennes résistantes liés à l’administration régulière d’antibiotiques et s’interroger sur la pertinence clinique d’une telle assertion alors même que le rôle de la voie LPS/TLR4 dans l’initiation/progression du CHC que ces études ont révélé est encore très largement débattu. Pour preuve, des résultats contradictoires très récents montrant le rôle positif « protecteur » de la voie TLR4 vis-à-vis du CHC dans un modèle chimio-induit par DEN. Dans ce contexte, la défense antitumorale impliquant TLR4 est rendue possible selon les auteurs par l’expression fonctionnelle d’une protéine impliquée dans la réparation de l’ADN, la protéine Ku70 [ 5]. Les auteurs proposent l’idée selon laquelle un système immunitaire bien structuré et éduqué par TLR4 constituerait le socle indispensable à l’initiation et au maintien de la sénescence cellulaire, des flux d’autophagie et de l’expression des protéines de réparation de l’ADN qui, ensemble, formeraient une barrière capable de lutter contre la carcinogenèse hépatique [5].

Méthodologie expérimentale et variabilité du rôle de la voie LPS/TLR4 dans l’hépatocarcinogenèse

Nombre de résultats contradictoires rapportés dans la littérature sont liés aux différences notables des méthodologies expérimentales employées, à leur diversité et à leur influence variable (et méconnue) sur la composition de l’écosystème intestinal et, par là, sur la réponse inflammatoire et la carcinogenèse. La liste est longue : elle comprend, entre autres, les conditions d’hébergement et de soins des modèles animaux, le type de carcinogenèse induite (dose, schéma d’administration, âge des animaux, hépatopathie chronique sous-jacente associée ou non), les caractéristiques de la dysbiose associée qui est elle-même influencée par les procédés de collecte des fèces et d’extraction de l’ADN génomique bactérien, sans oublier l’impact sur la réponse immuno-inflammatoire du portage chronique en différents écosystèmes (notamment microbiome et virome) intestinaux et extra-intestinaux. Il a également été observé que certains produits antibiotiques ou génotoxiques altéraient sensiblement la composition du microbiote intestinal et semblaient stimuler le développement d’un CHC chimio-induit chez le rat [ 6]. Dans cette étude, un traitement à base de pénicilline modifiait la composition de la flore commensale murine avec une disparition des bactéries commensales de type Bifidobacterium et Lactobacillus, et une sur-représentation des bactéries Gram négatif de type Escherichia coli et Atopobium, sources principales de LPS circulant [6]. Un tel profil de dysbiose associé à une augmentation du LPS circulant était également retrouvé chez des rats intoxiqués par le DEN n’ayant pas reçu d’antibiothérapie [6]. Ces résultats ne représentent pas une preuve formelle mécanistique reliant un type de microbiote intestinal particulier à la carcinogenèse hépatique. Ils indiquent cependant la nécessité d’analyser les profils métagénomiques bactériens des patients atteints de carcinome hépatocellulaire (ce qui reste à faire) et soulignent l’importance de sélectionner rigoureusement les cohortes de patients cancéreux à étudier et les groupes contrôles. En effet, si la composition bactérienne est directement associée au patrimoine génétique de l’hôte [ 7], les influences environnementale, nutritionnelle et métabolique semblent être prépondérantes dans la modulation du métagénome intestinal.

Sur le plan clinique, des données expérimentales suggèrent le rôle primordial de la voie LPS/TLR4 dans la carcinogenèse hépatique. Les individus portant une mutation du gène TLR4, polymorphisme rs2149356 T, ont un moindre risque de développer un CHC secondaire à une infection par le virus de l’hépatite C [ 9]. De même, chez les patients porteurs d’un CHC, le niveau d’expression de la protéine adaptatrice de la voie des TLR, Myd88, est élevé, et cette expression est directement corrélée à l’agressivité tumorale [ 10]. Au total, il est bien sûr prématuré de conclure avec certitude au rôle de la voie LPS/TLR dans la promotion du CHC, voie complexe qui se situe à l’interface des mécanismes de défense antimicrobienne, de réparation/régénération tissulaire, d’orientation de la réponse immunitaire tolérogène ou non tolérogène, et enfin de la carcinogenèse (Figure 1). Cet équilibre est dépendant du patrimoine génétique de chaque individu, de la composition de sa flore commensale, et de la nature et chronicité de l’agression à l’origine de la maladie inflammatoire. Des travaux de recherche expérimentale et clinique sont à l’évidence nécessaires pour mieux nous éclairer sur le rôle des MAMP/TLR dans la physiopathologie hépatique. En outre, ils permettront, peut-être, de stratifier les patients avec CHC suivant leur métagénome, ou encore de dégager des profils métagénomiques « particuliers » à risque, qui pourraient alors bénéficier d’un traitement modulateur de la microflore intestinale de type antibiotique, prébiotique ou probiotique.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

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