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Med Sci (Paris). 2013 November; 29(11): 957–960.
Published online 2013 November 20. doi: 10.1051/medsci/20132911009.

Les jeux vidéo (bientôt) au service des patients ?

Bruno Bonnechère,1* Bart Jansen,2,3 Lubos Omelina,2 Vanessa Wermembol,4 Marcel Rooze,1 and Serge Van Sint Jan1

1Laboratoire d’anatomie, de biomécanique et d’organogenèse (LABO), Université Libre de Bruxelles, CP 619, route de Lennik 808, 1070Bruxelles, Belgique
2Department of electronics and informatics-ETRO, ULB, Vrije Universiteit Brussel, Pleinlaan 2, B-1050Bruxelles, Belgique
3iMinds, Department of future media and imaging (FMI), Gaston Crommenlaan 8 (box 102), B-9050Ghent, Belgique
4Service neuropédiatrique, hôpital Erasme, ULB, Bruxelles, Belgique
Corresponding author.

MeSH keywords: Paralysie cérébrale, thérapie, Humains, Accident vasculaire cérébral, Réadaptation après un accident vasculaire cérébral, Thérapeutique, méthodes, Jeux vidéo, Thérapie par réalité virtuelle

 

Depuis longtemps, le jeu fait partie intégrante de la société et intervient dans divers processus d’apprentissage. D’abord extrêmement rudimentaires (exemple du jeu des osselets), les jeux se sont peu à peu complexifiés. Avec l’avènement de la technologie à la fin des années 1970, les jeux sont entrés dans une nouvelle dimension, celle du jeu vidéo (JV). Le but de cet article n’est pas de débattre des dérives négatives que pourraient engendrer ces jeux (violence, perte du contact social, etc.), mais d’identifier les nouvelles possibilités que ces derniers offrent aux patients et aux thérapeutes.

L’idée d’intégrer des jeux vidéo dans la prise en charge d’un patient n’est pas neuve, mais l’essor actuel des techniques de réalités virtuelles s’explique par l’augmentation grandissante de la technologie et, surtout, par une démocratisation importante de l’équipement requis pour jouer.

Avant d’explorer les différentes applications possibles des jeux vidéo en réadaptation, il convient de préciser certains termes. Les serious gaming sont des jeux vidéo commerciaux principalement destinés aux divertissements. Même si ce n’est pas leur but initial, ces jeux sont utilisés par certains thérapeutes dans le cadre de la rééducation de leurs patients [ 1]. Les serious games sont des jeux vidéo spécialement développés dans un but thérapeutique (par exemple, des jeux adaptés aux déficiences physiques ou mentales). Le but premier de ces jeux n’est donc pas l’amusement, mais la réadaptation personnalisée des patients concernés.

La commercialisation de la console Wii™ (Nintendo®) fin 2006 a été l’élément déclenchant de l’attrait du monde (para)-médical pour l’utilisation de ces jeux dans la recherche de la restauration d’un certain degré de validité. Deux ans plus tard, c’est au tour de la caméra Kinect™ (Microsoft®) de faire son apparition sur le marché et d’offrir des possibilités plus étendues du point de vue de l’analyse de la gestuelle des mouvements détectés, via les caméras associées aux jeux proposés. Ajoutons à cela la facilité d’utilisation de petits accéléromètres facilement implantables dans des gants ou des vêtements, et qui détectent les mouvements du corps.

Des champs d’application divers

Les champs d’applications potentiels sont très variés : citons la diminution de la douleur chez les grands brûlés, la prévention de l’obésité, l’autisme, la prévention des chutes chez la personne âgée, l’amélioration de l’équilibre, etc. Nous ne pouvons évidemment pas ici détailler toutes les pathologies possibles. Nous nous focaliserons sur deux d’entre elles - la paralysie cérébrale (PC) et les accidents vasculaires cérébraux (AVC) ; elles pourraient bénéficier de l’apport des jeux vidéo, d’une part parce que leur prévalence est élevée dans la population, d’autre part parce que la prise en charge de rééducation est très lourde. Nous décrivons notre expérience du développement de serious games adaptés aux spécificités de ces deux pathologies, paralysie cérébrale et accidents vasculaires cérébraux, dans le cadre du projet ICT4Rehab récemment décrit dans m/s [ 10].

Quelques exemples de jeux

La Figure 1 illustre quelques exemples de jeux vidéo développés et testés avec des enfants atteints de paralysie cérébrale [ 2]. Ces jeux sont assez élémentaires afin que les patients se concentrent sur la tâche motrice à effectuer. On remarque dans les quatre exemples (Figure 1) que l’image du patient est intégrée dans les jeux, ce qui donne un feedback visuel [ 3]. Notons que le graphisme de ces jeux, incluant des arrière-plans complexes et très colorés, peut parfois s’avérer problématique pour ces patients souvent atteints d’un déficit visuel ou cognitif.

Dans les pathologies neurologiques dont nous parlons, l’hétérogénéité clinique est importante, que ce soit celle des signes cliniques, souvent très différents au niveau de la région atteinte, ou la sévérité des troubles ou l’intensité des déficits associés. Les jeux doivent donc être développés spécifiquement pour ces pathologies, d’où l’utilisation préférentielle des serious games. Cependant, deux patients atteints de la même pathologie (par exemple, une hémiplégie droite suite à un infarctus survenu dans le territoire de l’artère sylvienne gauche) ne présenteront pas les mêmes symptômes ni les mêmes signes cliniques secondaires. Pour espérer un effet thérapeutique, la configuration des jeux doit donc pouvoir être facilement adaptée au mieux à chaque patient. La Figure 2 illustre quelques jeux développés dans le cadre du projet ICT4Rehab. L’originalité du projet est que chaque jeu est basé sur un scénario clinique développé en collaboration avec des cliniciens spécialistes des pathologies traitées. Ainsi, la plupart des signes cliniques secondaires (spasticité, équilibre, posture, étirement, etc.) observés chez des patients atteints de paralysie cérébrale ou d’accidents vasculaires cérébraux peuvent être directement pris en compte. Une autre particularité de ce projet est que tous les jeux développés ont été construits sur une plateforme permettant une grande liberté au niveau de l’équipement utilisé pour le contrôle des jeux (un même jeu peut être contrôlé avec la Balance Board de Wii® ou la caméra Kinect®). L’adaptation des jeux aux problèmes spécifiques posés par chaque patient tient compte des articulations à solliciter spécifiquement, de la vitesse de réalisation des mouvements, de l’amplitude articulaire au repos (important en cas d’attitudes vicieuses), ou encore des amplitudes maximales que le patient peut atteindre [ 4]. Le projet ICT4Rehab a développé plusieurs mini-jeux afin de pouvoir varier les défis gestuels offerts aux patients, et de maintenir ainsi leur attention et leur motivation.

Est-ce efficace ?

Une revue de la littérature récente sur l’utilisation de la réalité virtuelle dans la rééducation à la marche des patients atteints d’AVC montre que ces techniques sont prometteuses et permettent une amélioration [ 5]. Selon une étude Cochrane, l’effet des jeux vidéo serait limité comparé à la thérapie conventionnelle en ce qui concerne la rééducation des membres supérieurs chez ces mêmes patients (fonction des bras et réalisation des activités de la vie quotidienne) [ 6].

Dans le cas des enfants atteints de paralysis cérébrale, de nombreuses études sont également disponibles, mais le nombre réduit de patients dans chaque étude et la diversité des protocoles utilisés et des paramètres étudiés compliquent l’interprétation de l’efficacité des jeux vidéo. Toutefois, 12 des 13 études recensées dans ce domaine font état des résultats positifs. Les JV pourraient donc être bénéfiques pour ces enfants [ 7].

Quels mécanismes d’actions ?

Plusieurs hypothèses permettent d’expliquer le succès des jeux vidéo dans la rééducation de ces patients. L’aspect sans doute le plus important est la (dé) motivation. La perte de motivation des patients est en effet le facteur principal de mauvais résultats lors de traitements de rééducation longs et intensifs. Les jeux vidéo pourraient donc agir en remotivant le patient, à qui l’on propose de la nouveauté et de la diversité dans son traitement, et que l’on confronte à de nouveaux défis [ 8]. De plus les jeux vidéo permettent une adaptation plus facile de la difficulté des exercices.

Un autre aspect est l’effet de concentration : les patients, en se concentrant sur les jeux, en oublient leur handicap et effectuent des mouvements plus amples que lors d’exercices conventionnels, ce qui facilite les progrès. La possibilité de pouvoir jouer à ces jeux en dehors d’un environnement médicalisé, par exemple à la maison, est d’autant plus attractif pour le patient jeune qui préfère rester dans son environnement familier. Enfin, la répétition des mouvements effectués est beaucoup plus importante dans les jeux vidéo que lors des exercices classiques - le patient se focalise plus sur la tâche à accomplir durant le jeu que sur les mouvements qu’il doit effectuer - ce qui est source également de progrès [ 9].

Enfin, les techniques de réalité virtuelle, dont les jeux vidéo font partie, auraient également un impact sur les circuits neuronaux. Elles permettent un feedback et les patients peuvent ainsi visualiser les mouvements qu’ils font et travailler sur la pratique mentale [3]. Dans cette optique le niveau de difficulté peut facilement être augmenté : visualisation ou non du patient à l’écran, mouvements effectués par un avatar, mouvements en miroirs, etc.

Conclusions

L’industrie du jeu vidéo est en pleine expansion, et il est légitime de se demander si ces jeux doivent être destinés uniquement au divertissement où s’ils pourraient également aider les patients dans leur rééducation. Nous n’avons exposé que quelques exemples de jeux, mais leur nombre ne cesse d’augmenter. Cependant, force est de constater qu’à l’heure actuelle, les indices d’une efficacité de cette approche lors de la rééducation de ces patients sont encore assez faibles, ce qui doit nous encourager à poursuivre les études afin de déterminer précisément les limites et les champs d’application de ces nouvelles techniques.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
Jelsma J , Pronk M , Ferguson G , et al. The effect of the Nintendo Wii Fit on balance control and gross motor function of children with spastic hemiplegic cerebral palsy . Dev Neurorehabil. 2013; ; 16 : :27.–27.
2.
Reid D . The influence of virtual reality on playfulness in children with cerebral palsy: a pilot study . Occup Ther Int. 2004; ; 11 : :131.–144.
3.
Malouin F , Richards CL , McFadyen B , et al. Nouvelles perspectives en réadaptation motrice après un accident vasculaire cérébral . Med Sci (Paris). 2003; ; 19 : :994.–998.
4.
Omelina L , Jansen B , Bonnechère B , et al. Serious games for physical rehabilitation: designing highly configurable and adaptable games . In Proceedings of 9th international conference on disability, virtual reality and associated technologies . Québec: : Université Laval; , 2012 : :195.–201.
5.
Moreira MC , de Amorim Lima AM , Ferraz KM , et al. Use of virtual reality in gait recovery among post stroke patients: a systematic literature review . Disabil Rehabil Assist Technol. 2013; ; 8 : :357.–362.
6.
Laver KE , George S , Thomas S , et al. Virutal reality for stroke rehabilitation . Cochrane Database Syst Rev. 2011; ; 9 : :CD008349..
7.
Snider L , Majnemer A , Darsaklis V . Virtual reality as a therapeutic modality for children with cerebral palsy . Dev Neurorehabil. 2012; ; 13 : :120.–128.
8.
Tatla SK , Sauve K , Virji-Babul N , et al. Evidence for outcomes of motivational rehabilitation interventions for children and adolescents with cerebral palsy: an american academy for cerebral palsy and developmental medicine systematic review . Dev Med Child Neurol. 2013; ; 55 : :593.–601.
9.
Langhorne P , Bernhardt J , Kwakkel G . Stroke rehabilitation . Lancet. 2011; ; 377 : :1693.–1702.
10.
Van Sin Jan S , Wermeubol V , Van Bogaert P , et al. Une plate-forme technologique liée à la paralysie cérébrale : le projet ICT4Rehab . Med Sci (Paris). 2013; ; 29 : :529.–536.