Mon propos concerne les politiques et les enjeux politiques, sociétaux et culturels de la Do-it-yourself biology.
La DIY biology, ou « biologie de garage », consiste à mener des expériences de biologie moléculaire ou synthétique dans des lieux non institutionnels tels que garages, caves, cuisines, laboratoires communautaires, etc. Le mouvement s’est développé dès 2008 et s’est implanté dans les métropoles des pays de l’Ouest comme de l’Asie.
La DIY biology est souvent célébrée pour ce qu’elle promet en termes de démocratisation de la science, une science plus citoyenne et plus ouverte, pratiquée par des gens ordinaires, des amateurs. On lui confère une valeur éducative, économique et socioculturelle. Mais elle suscite également une vive inquiétude, aux États-Unis comme en Europe : qu’en est-il des risques potentiels pour la sécurité d’un pays ou de personnes qui manipulent des bactéries ? Quels sont les risques pour l’environnement ? Quelle régulation faut-il mettre en place pour contenir les usages criminels de ces technologies ?
Les commentaires qu’on peut entendre ici ou là sont divers. Dans Nature, un biologiste affirme que la biologie de garage n’est pas plus sophistiquée que ce qu’on peut trouver dans le laboratoire de biologie avancée d’un lycée. La fondatrice de Bio Curious en Californie indique que la DIY bio promet de concrétiser le rêve de la biotechnologie sans frontière. Un sociologue des sciences a estimé en 2010 que la DIY bio n’était pas un domaine de recherche ni d’innovation. D’autres pensent qu’elle démocratise la science. Ceux qui évoquent des risques estiment qu’il faut chercher à contenir les organismes modifiés qui pourraient s’échapper dans l’environnement et causer des dommages écologiques ou entraîner des risques pour la santé publique.
Mon travail s’intéresse plus particulièrement au boundary work ou travail frontière. Les discussions autour de DIY bio se concentrent souvent sur les frontières qui pourraient être surmontées, entre l’université et un domicile privé, entre amateurs et citoyens d’un côté, experts et scientifiques de l’autre, entre la science pratiquée dans un espace public et celle pratiquée dans un lieu privé, communautaire ou associatif, entre la biologie institutionnalisée et l’open Source et le hacking. D’autres frontières sont particulièrement soulignées, problématisées et policées, entre utilisations responsables et criminelles de la technologie, entre expérimentation sûre et dangereuse, entre laboratoire et monde extérieur, entre DIY biology et « vraie biologie » universitaire.
L’histoire de Kay Aull revient assez fréquemment lorsque l’on s’intéresse à la communauté DIY bio. Son père était atteint d’une maladie, l’hémochromatose, pour laquelle elle a créé un test de détection. Elle a construit chez elle un laboratoire pour l’équivalent de 1 000 dollars. Elle a acheté de l’équipement sur eBay et fabriqué certains équipements elle-même, comme un incubateur en utilisant une boîte de polystyrène, un thermostat d’aquarium, un ventilateur ; elle utilise la lumière bleue pour voir l’ADN grâce à une boule de Noël. Si on lui demande la raison pour laquelle elle s’est engagée dans une telle expérience, elle répond qu’elle veut « démystifier » le processus et démontrer que la réalisation d’un test génétique ne relève « pas de la magie ». Elle souhaite encourager les non-spécialistes à s’engager dans ce type de démarche.
La communauté DIY bio s’efforce de communiquer la science, de la domestiquer, voire de la banaliser, afin de rendre plus accessible, plus démocratique le « faire science ». Cette volonté de domestication de la science s’illustre par des contournements créatifs. Depuis quelques années, certains équipements scientifiques sont devenus plus abordables et disponibles. On peut acheter du matériel d’occasion sur Internet, on peut « bricoler » des équipements, trouver des alternatives. On peut transformer une webcam en microscope, utiliser un Dremelfuge au lieu d’une centrifugeuse, ou encore l’Open PCR au lieu d’un appareil PCR classique (Figure 1). On diminue ainsi le prix des équipements d’un facteur variant de 10 à 100. Je trouve intéressant d’analyser ces contournements créatifs, ces façons inventives de travailler sans les matériaux conventionnels et coûteux.
Ces contournements sont de deux types. Les premiers concernent les équipements scientifiques classiques, souvent coûteux ; les seconds concernent les institutions de biologie traditionnelles. Le rêve de nombreux acteurs de la biologie de garage est de construire une « citizen biotech-economy », une économie fondée sur les biotechnologies citoyennes (et conviviales), qui ne serait pas nécessairement marchande, favorisant ainsi la circulation d’équipements scientifiques.
La façon dont serait organisé ce réseau d’équipements et de connaissances scientifiques s’appuie sur une triple ouverture. L’ouverture en tant qu’accès matériel : aux savoirs scientifiques, aux objets, aux infrastructures. Ensuite elle est perçue comme idée sociopolitique d’une démocratisation de la science. Mais l’ouverture est aussi une alternative aux économies plus fermées qui sont celles de la technoscience. Cette notion d’ouverture correspond donc à une redistribution matérielle, à une démocratisation et à une alternative à la technoscience établie.
Des conférences ont été organisées en 2011 à Londres et San Francisco pour discuter du code éthique, car la DIY bio pose de nombreuses questions en matière d’éthique et de sécurité des expérimentations menées hors des institutions classiques. La délégation européenne a proposé un code éthique, de même que la délégation américaine. On peut y voir apparaître la nécessité de transparence, le respect de l’humain et des systèmes vivants. Ces démarches sont-elles suffisantes ? Que va-t-il advenir de ce code éthique ? Est-ce que des gens comme Thomas Landrain vont afficher et expliquer ces codes dans leurs laboratoires, comme La Paillasse ? Comment adapter et prescrire des principes qui sont assez globaux dans des contextes locaux ? L’adoption de ce code résoudra-t-elle véritablement les questions éthiques et de sûreté ? Le code éthique aura-t-il valeur légale ? Faut-il seulement surveiller ou bien, pour reprendre la formule de Michel Foucault, « surveiller et punir » ? Toutes ces questions méritent plus de réflexion.
En tant que sociologue des sciences, je considère que la DIY bio est un sujet d’analyse passionnant. Elle explicite un grand nombre de questions qui intéressent ma discipline. C’est une science amateur promise en devenir. On peut donc s’interroger sur son impact en termes de démocratisation, de décentralisation, de domestication de l’innovation scientifique et technologique. Les débats sur le cadrage éthique, sur la sécurité et la bioéthique sont d’actualité et se prolongeront dans le futur. Par ailleurs, la domestication et le contournement de la biologie moléculaire et synthétique, tout comme l’expérimentation sur des vivants hors du cadre institutionnel, ne peuvent faire l’économie de quelques recadrages, d’où la réflexion sur un code éthique. La DIY bio pose des questions intéressantes sur les frontières de la science, sur les nouvelles formes de sociabilité et de collectivité entre chercheurs et entre chercheurs et amateurs, sur la sécurité et l’éthique de la biologie. Ces questions sont toutes pertinentes pour des discussions sur la biologie de synthèse et réellement fascinantes pour un sociologue des sciences.
Catherine Paradeise Il est important de souligner cette dimension de contournement créatif qui habite ce type de mouvement des alternatifs qui s’inscrit dans nos sociétés post-consommation mais dans un monde assez paradoxal, un monde de technologies très sophistiquées et de savoirs plus distribués qu’ils ne l’ont jamais été. Pour comprendre ces mouvements, il faut probablement aussi convoquer ce type de considérations. |