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Med Sci (Paris). 2014 January; 30(1): 30–32.
Published online 2014 January 24. doi: 10.1051/medsci/20143001009.

La migration nucléaire dans les progéniteurs neuronaux
Quand le cerveau joue au yo-yo

Alexandre D. Baffet1*

1Department of Pathology and Cell Biology, Columbia University, 630w, 168th street, 15-410 New York, NY10032, États-Unis

MeSH keywords: Animaux, Noyau de la cellule, physiologie, Cortex cérébral, cytologie, embryologie, Humains, Mitose, Mouvement, Cellules souches neurales

Le développement du cortex cérébral

Le cortex cérébral est la structure du système nerveux central qui a connu la plus forte croissance au cours de l’évolution des vertébrés. Son expansion est associée à l’apparition de fonctions cognitives supérieures telles que le langage, la perception ou la prise de décision. L’identification des progéniteurs neuronaux, c’est-à-dire des cellules qui se divisent pour former les neurones, a eu lieu récemment, au début des années 2000 [ 1]. Ces cellules, connues sous le nom de cellules de la glie radiaire (CGR), sont les précurseurs de la majorité des neurones formés durant le développement du cortex cérébral [ 2]. Elles ont une morphologie très caractéristique, avec un prolongement apical contactant la surface ventriculaire du cortex et un prolongement basal contactant la surface piale (Figure 1). Les CGR sont capables de s’autorenouveler, c’est-à-dire qu’elles peuvent se diviser asymétriquement pour produire une nouvelle CGR ainsi qu’un progéniteur intermédiaire dont la division produira deux neurones. Les neurones ainsi formés migrent ensuite le long du prolongement basal des CGR pour constituer la plaque corticale, qui deviendra le cortex [ 3] (Figure 1). Plusieurs pathologies, regroupées sous le terme de malformations corticales, résultent de défauts de développement du cortex cérébral [ 4]. Par exemple, la microcéphalie (petit cerveau) est dûe à un défaut de prolifération des progéniteurs tandis que la lissencéphalie (cerveau lisse) est due à un défaut de migration neuronale.

La migration nucléaire intercinétique

Les CGR forment un épithélium pseudo-stratifié, c’est-à-dire composé d’une seule couche de cellules mais dont les noyaux sont dispersés à travers la zone ventriculaire (ZV). Une caractéristique commune aux épithéliums pseudo-stratifiés est l’oscillation des noyaux au cours du cycle cellulaire, un phénomène décrit dès 1935 et nommé migration nucléaire intercinétique [ 5]. Lors de ce processus, les noyaux migrent vers le pôle basal durant la phase G1 puis vers le pôle apical durant la phase G2. La mitose est toujours observée à l’extrémité la plus apicale des cellules, au niveau de la surface ventriculaire (Figure 1).

Dans les CGR, le centrosome est localisé à l’extrémité apicale et organise un réseau de microtubules polarisés (Figure 2). Au cours de la phase G1, la migration basale du noyau est dépendante d’un moteur se déplaçant vers les extrémités « plus » des microtubules : la kinésine Kif1A. À l’inverse, durant la phase G2, le noyau est transporté vers la région apicale par un moteur de polarité opposée : la dynéine cytoplasmique [ 6] (Figure 2).

Nous avons entrepris notre étude pour répondre à deux questions : quels mécanismes moléculaires contrôlent le recrutement des moteurs à la membrane nucléaire ? Et, quelles sont les conséquences d’un défaut de recrutement de ces moteurs, et donc de migration du noyau, sur la neurogenèse [ 7] ?

Un indice concernant le mécanisme de recrutement de la dynéine est venu d’études faites sur des cellules non neuronales, dans lesquelles il a été montré que la dynéine se localise à la membrane nucléaire spécifiquement au cours de la phase G2. Deux voies indépendantes, impliquant le recrutement d’un partenaire de la dynéine au niveau des pores nucléaires, ont été identifiées [ 8, 9]. Dans l’une, la protéine BicD2 (bicaudal D homolog 2 [Drosophila]) se lie à la nucléoporine RanBP2 ; dans l’autre, la protéine CENP-F (centromere protein F) se lie à la nucléoporine Nup133. Nous avons donc émis l’hypothèse que ces mécanismes, dont l’intervention n’est pas indispensable dans les cellules non neuronales, puissent avoir un rôle fondamental dans le cerveau en contrôlant la migration nucléaire dans les CGR au cours de la phase G2. Pour étudier cette question, nous avons utilisé la technique d’électroporation in utero de cerveaux d’embryons de rats. Cette méthode consiste à injecter un vecteur d’expression dans les cerveaux des embryons, puis à appliquer sur ces derniers une électroporation afin de faire pénétrer l’ADN dans les CGR. Les vecteurs d’expression peuvent coder pour une protéine fluorescente ou pour un ARN interférent permettant d’éteindre l’expression d’un gène cible. Après deux à quatre jours d’expression, les cerveaux sont disséqués et l’analyse d’imagerie est réalisée en temps réel sur une période de 12 à 15 heures, ou ultérieurement après fixation.

Mécanisme de la migration apicale

Après extinction de l’expression des protéines BicD2 ou CENP-F dans les CGR, nous avons observé une inhibition de la migration apicale des noyaux, mais aucun effet sur la migration basale (Figure 2). Ces deux voies de recrutement de la dynéine jouent toutefois des rôles très différents au cours de ce processus. La voie BicD2 est activée précocement au cours de la phase G2, et est impliquée dans la majeure partie de la migration du noyau tandis que la voie CENP-F est activée tardivement et n’est requise que pour les derniers micromètres de la migration (Figure 2). Ces deux voies sont partiellement redondantes car la surexpression de BicD2 est capable de sauver le phénotype d’arrêt de la migration induit par l’inhibition de CENP-F. Ces résultats indiquent que le rôle de la voie CENP-F est de permettre le recrutement de molécules de dynéine supplémentaires, et suggèrent que des forces plus importantes sont requises lors des dernières étapes de la migration du noyau. Ces résultats ont donc permis d’identifier les mécanismes moléculaires par lesquels la migration du noyau est activée au cours de la phase G2 du cycle cellulaire dans les CGR.

Contrôle de l’entrée en mitose

Comme nous l’avons mentionné ci-dessus, les CGR se divisent toujours au niveau de la surface ventriculaire du cortex en développement (Figure 1). L’idée qui prévalait était que la migration apicale du noyau n’était pas requise pour l’entrée en mitose, et que les deux évènements se succédaient, sans lien de cause à effet. L’un des résultats les plus surprenants de notre étude est l’observation que l’arrêt de la migration du noyau induit par l’inhibition du recrutement de la dynéine, bloque également l’entrée des cellules en mitose. Comme attendu, ceci se traduit par une réduction du nombre de neurones produits. De plus, la restauration de la migration du noyau, induite par différentes méthodes, est suffisante pour rétablir l’entrée en mitose, suggérant l’existence d’un signal mitotique localisé à l’extrémité apicale (Figure 2). Ces résultats montrent donc que le bon déroulement de la migration nucléaire intercinétique est requis pour la neurogenèse corticale au cours du développement embryonnaire.

Si la compréhension des mécanismes moléculaires contrôlant la migration nucléaire intercinétique a grandement progressé au cours des dernières années, sa fonction précise reste à élucider. Une hypothèse émergente propose que ce processus de migration permettrait aux noyaux de n’occuper la membrane apicale que pendant le temps de la mitose, leur migration vers la zone basale libérant la place pour de nouveaux noyaux prêts à se diviser. Il semble en effet que la mitose en position apicale soit primordiale pour le mécanisme de division asymétrique de ces cellules (Figure 2) [ 10]. De ce point de vue, le signal d’entrée en mitose suggéré par nos résultats est particulièrement intéressant puisqu’il permettrait un contrôle positionnel de la division des CGR. Les conséquences sur la neurogenèse d’une entrée en mitose prématurée, en position basale, ainsi que l’identité de ce signal d’entrée en mitose, seront d’importantes questions à résoudre pour améliorer notre compréhension du développement du cortex cérébral.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

L’auteur remercie Aurélie Carabalona pour ses commentaires sur le manuscrit. Ce travail a été soutenu par le National Institutes of Health (NIH) et l’American Heart Association (AHA).

References
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