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Med Sci (Paris). 2014 February; 30(2): 199–203.
Published online 2014 February 24. doi: 10.1051/medsci/20143002019.

Les comptes nationaux de la santé 2012
Une stabilité d’apparence

Carine Franc1*

1Centre de recherche, médecine, sciences, santé, santé mentale, société, Cermes3-CNRS UMR 8211-Inserm U988, Site CNRS, 7, rue Guy Môquet, 94801Villejuif Cedex, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Coûts des médicaments, Gestion financière, France, Coûts des soins de santé, statistiques et données numériques, Dépenses de santé, Coûts hospitaliers, Mécanismes de remboursement

 

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Chaque année, à la mi-septembre, se réunit autour du ou de la ministre de la santé, la commission des comptes de la santé. Cette commission a la responsabilité de valider les comptes pour l’année passée. Ces comptes permettent, à travers des agrégats et des indicateurs rigoureux, de donner une vue d’ensemble des grands équilibres - ou déséquilibres - du système de santé [ 1, 2].

Après des années de fortes hausses des dépenses, il semblerait que « le ralentissement de la progression » de la consommation en soins et biens médicaux (CSBM), amorcé en 2008, se confirme en 2012. La CSBM, agrégat des comptes de la santé qui regroupe l’ensemble des dépenses directement affectées aux malades1, a atteint en 2012 183,6 milliards, soit 9 % du produit intérieur brut (PIB). Relativement stable entre 2008 et 2009, le taux de croissance en valeur de la CSBM, c’est-à-dire en euros courants, dépasse légèrement les 2 % en 2012 alors qu’il était supérieur à 6 % en 2002 soit 10 ans plus tôt. En 2010 et 2011, le taux de croissance du PIB (produit intérieur brut) a été supérieur au taux de croissance de la CSBM (Figure 1). Ainsi, après avoir représenté 8,0 % du PIB en 2000, 8,6 % en 2008 puis 9,1 % en 2011, la part de la CSBM est revenue à 9 % du PIB - indicateur traditionnel de la richesse nationale [ 3]. L’analyse de la part de la CSBM dans le PIB permet de mettre en perspective les dépenses de santé directement affectées aux malades et leur dynamique avec les ressources internes du pays. La dépense courante de santé (DCS), le plus grand des agrégats des comptes de la santé, qui inclut, en sus de la CSBM, les soins aux personnes en institutions, les indemnités journalières, les soins à domicile, la prévention, la recherche, la formation et les coûts de gestion du système, a atteint 243 milliards, soit 12 % du PIB en 2012.

Une analyse des évolutions par poste de soins

L’analyse par poste de soins de la CSBM apporte des éléments intéressants pour la compréhension de la dynamique des dépenses de santé (Tableau I). Les soins hospitaliers (46,3 % de la CSBM) représentent, en 2012, 85,1 milliards d’euros, les trois quarts correspondant à la dépense hospitalière du secteur public (cette dernière représentant 76,5 % de la dépense hospitalière totale). La croissance en valeur de ce poste a été de 2,4 % entre 2011 et 2012, respectant quasiment l’objectif prévu par le parlement (ONDAM2) après avoir atteint 3,9 % entre 2008 et 2009.

La consommation de soins de ville s’élève à 47,3 milliards d’euros (25,7 % de la CSBM) après une croissance de 3,2 % en 2012 (versus 4 % en 2011). Cette progression des soins de ville est essentiellement liée à la hausse importante des soins d’auxiliaires médicaux (+ 7,2 % entre 2011 et 2012) et surtout des soins infirmiers qui comptent globalement pour moitié de cette dépense. Alors que la dépense en analyses de laboratoire diminue pour la première fois depuis quinze ans (- 1,8 %), les dépenses en honoraires continuent de progresser, même si cet accroissement semble aussi ralentir : les honoraires de médecins pour 19,7 milliards (42 % des dépenses de soins de ville), et de dentistes pour 10,5 milliards (22 % des dépenses de soins de ville), ont augmenté respectivement de 2,4 % et 2,2 % en 2012 (versus 4,4 % et 3 % en 2011).

La dépense en médicaments s’élève en 2012 à 34,3 milliards d’euros (18,7 % de la CSBM). Pour la première fois, la dépense de ce poste a reculé de 0,9 % après des hausses très faibles de 0,5 % en 2011 et 1,2 % en 2010. L’évolution de ces trois dernières années montre ainsi un ralentissement sans précédent de la dépense en médicaments. Ce dernier est le résultat d’une baisse significative des prix combinée à un tassement des volumes. La baisse des prix s’explique à la fois par des réductions ciblées des prix des médicaments, mais aussi par le développement important des génériques. Au cours des trois dernières années, cette baisse des prix moyens atteint : - 2,2 % en 2010, - 2 % en 2011 et - 3,2 % en 2012. Dans le même temps, la hausse des volumes s’est également ralentie (+ 3,4 % en 2010, + 2,4 % en 2012).

À l’inverse, la dépense des « autres biens médicaux » est particulièrement dynamique (+ 5,1 % en 2012 après 5,3 % en 2011 et 5,6 % en 2010) même si, pour l’instant, elle ne représente « que » 7 % de la CSBM, soit 12,8 milliards. Ce poste de consommation « autres biens médicaux » regroupe les dépenses d’optique (+ 4 % en 2012), les dépenses de prothèses, orthèses et véhicules pour personnes handicapées physiques (+ 6,6 %) et les dépenses pour le petit matériel médical (+ 5,6 % en 2012).

Une répartition du financement d’apparence stable

La part du financement public de la CSBM (sécurité sociale et État, collectivités locales et CMU-C [couverture maladie universelle complémentaire]) est restée relativement stable au cours des dix dernières années (- 1,3 %) correspondant en 2012 à plus des trois quarts des dépenses (76,7 % dont 75,5 % pour la sécurité sociale et 1,2 % pour les autres financeurs publics). Entre 2005 et 2008, l’application des dispositions prévues par la réforme d’août 2004, telles que la participation forfaitaire de 1 euro, a contribué à réduire la part de financement public dans la CSBM. La part du financement des organismes complémentaires d’assurance maladie (OCAM) a augmenté sur la période de + 1,4 %, permettant aux ménages de maintenir leur part de financement de la CSBM sous la barre des 10 %, à 9,6 %, ce qui représente quand même en 2012 plus de 17,6 miliards.

Derrière cette apparente stabilité, qui continue de placer la France parmi les pays où le « reste à charge » des ménages pour leurs soins de santé est le plus faible (OCDE, 2013), existent pourtant des évolutions de la répartition des financements par poste de soins, mais aussi des évolutions rapides des dispersions des dépenses et des remboursements entre les individus.

Des variations par poste de soins
La part du financement privé dans les dépenses hospitalières a augmenté significativement au cours des dix dernières années (+ 1,4 %) (Tableau IIA). Cette hausse, notamment liée à la hausse progressive du forfait hospitalier, a été entièrement absorbée par les OCAM. Dans le même temps, si la part de financement privé dans la dépense de médicaments a très légèrement augmenté (+ 0,9 %) entre 2002 et 2012, celle des ménages a fortement augmenté, de 4,2 % (Tableau IIC). En effet, du fait des mesures de déremboursements de médicaments intervenues depuis 2006 et de l’instauration de franchises sur les boîtes de médicaments (0,5 € par boîte en 2008), la participation des OCAM à ce poste de dépenses a décru sensiblement. En revanche, la part financée par les ménages sur la dépense des autres biens a baissé de près de 15 % du fait d’une amélioration de la prise en charge à la fois par la sécurité sociale et par les OCAM (Tableau IID).

Des disparités croissantes des dépenses et remboursements
La dispersion des dépenses et des remboursements est très importante : 10 % des patients concentrent environ 60 % des dépenses de soins ; 10 % des patients (potentiellement différents des précédents) concentrent environ 40 % du « reste à charge » (Haut conseil pour l’avenir de l’assurance maladie, HCAAM, 2011 [ 4]). En 2010, par exemple, parce qu’ils concentrent une majorité des dépenses (55 % du total), les 15 % d’individus en affection de longue durée (ALD) concentrent 62 % des remboursements effectués par la sécurité sociale. Cette concentration croissante des remboursements de l’assurance maladie au profit des personnes les plus malades (ALD) et sur les soins lourds et/ou de longue durée (hospitaliers ou médico-sociaux) n’apparaît pas lorsqu’on considère le taux moyen de prise en charge des financeurs publics pour l’ensemble de la population (consommant ou pas des soins sur une année). Pourtant en 2010, ce taux de prise en charge par la sécurité sociale de la CSBM atteint plus de 88 % pour les personnes en ALD et « seulement » 59,7 % pour les personnes qui ne sont pas en ALD, pour un taux moyen de prise en charge de 75 % (hors État, collectivités locales et CMUC) (HCAAM, 2011 [4]).

Par ailleurs, il est important de noter que dans les comptes de la santé, établis sur la base des données de consommations et de remboursements des régimes d’assurance maladie, la zone dite « aveugle » du non-recours aux soins, comme celle de l’automédication, sont par définition absentes (HCAAM, 2011). S’agissant du non-recours, c’est-à-dire des soins auxquels les bénéficiaires ont renoncé, il ne peut en aucun cas être reporté et donc étudié et ce, quelle que soit la nature des problèmes auxquels les patients aient pu être confrontés : problèmes d’accessibilité financière et/ou d’accessibilité géographique.

Ainsi, notamment du fait de la dispersion des dépenses comme des remboursements, l’approche par des chiffres moyens, comme par exemple les parts de financement « moyennes », calculées en prenant en compte l’ensemble de la population des « consommants » comme des « non-consommants », ne donne qu’une approche partielle de l’accessibilité aux soins car elle ne rend pas compte des réalités vécues. Selon le HCAAM (2011) [4], une grande majorité des assurés ont un reste à charge après assurance maladie obligatoire relativement peu élevé puisque inférieur à 40 € pour 70 % d’entre eux en 2008, alors qu’il dépasse 1 000 € par an pour 10 % d’entre eux. De même, en 2005, le HCCAM soulignait déjà que les assurés en ALD supportent des restes à charge hors dépassements qui sont en moyenne le double de ceux des assurés qui ne sont pas en ALD, et ce malgré un taux de prise en charge plus élevé.

Aussi, les comptes de la santé permettent de se faire une bonne idée de la dynamique des dépenses de santé en fonction des grands postes de soins et en fonction de la nature des financeurs. Toutefois, il faut être vigilant quant à l’interprétation des taux moyens puisque des taux relativement stables peuvent en réalité masquer des évolutions contrastées du fait notamment de disparités croissantes des dépenses et remboursements entre les individus.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Hors soins de longue durée pour les personnes âgées et personnes handicapées en institution.
2 L’Objectif national des dépenses d’assurance maladie (Ondam) est un montant prévisionnel établi chaque année pour les dépenses de l’assurance maladie. Il constitue un outil de maîtrise des dépenses de santé. Créé par une ordonnance de 1996, l’Ondam englobe les soins de ville, les soins d’hospitalisation dispensés dans les établissements privés ou publics et les établissements médico-sociaux. Il est voté chaque année par le Parlement dans le cadre de la loi de financement de la sécurité sociale (LFSS). Source : site du ministère de l’Économie et des finances.
References
2.
Le Garrec MA , Bouvet M . Les comptes nationaux de la santé en 2012 . DREES Études et Résultats n°. 851, septembre. 2013.
3.
Le Garrec MA , Bouvet M , Koubi M . Les comptes nationaux de la santé en 2011 . DREES Études et Résultats n°. 809, septembre. 2012;.
4.
OCDE . Panorama de la santé 2013, les indicateurs de l’OCDE . Paris: : Éditions de l’OCDE; , 2013. http://dx.doi.org/10.1787/health_glance-2013-fr
5.
HCAAM. (2011). L’accessibilité financière des soins : comment la mesurer ? Avis du 27 janvier 2011 . http://www.securite-sociale.fr/IMG/pdf/rapport_annuel_hcaam_version_definitive_2011–2.pdf