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Med Sci (Paris). 2014 November; 30: 8–13.
Published online 2014 November 17. doi: 10.1051/medsci/201430s202.

Médecine personnalisée
Un concept flou, des pratiques diversifiées

Simone Bateman1*

1Centre de recherche médecine, sciences, santé, santé mentale, société (CERMES3), CNRS UMR 8211, Université Paris Descartes, EHESS, Inserm U988, Campus CNRS de Villejuif, 7, rue Guy Môquet, 94801Villejuif, Cedex, France
Corresponding author.
 

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Un nombre croissant de publications scientifiques annonce l’avènement d’une médecine dite personnalisée – affirmation étonnante pour tous ceux qui ont pu croire que la médecine impliquait déjà une attention à la singularité du cas de chaque personne, appréciée dans sa globalité. Toutefois, malgré la récurrence de ce terme dans les débats sur l’avenir de la médecine, il est difficile de trouver dans l’abondante littérature à ce propos une définition consensuelle du terme. L’expression « médecine personnalisée » elle-même ne fait pas l’objet d’un consensus, puisqu’elle génère aussi un débat sur des formules alternatives qui lui seraient préférables : médecine de précision, médecine stratifiée, médecine prédictive, médecine génomique.

Si la médecine personnalisée échappe à une caractérisation précise, c’est en grande partie parce qu’elle s’affiche comme un objectif à atteindre plutôt que comme une réalité pratique à analyser. Tous les protagonistes de ce débat semblent cependant s’accorder sur quelques traits indispensables à sa caractérisation comme personnalisée, et sur les conditions nécessaires à sa réalisation. Une définition formelle de cette médecine paraît donc, dans l’immédiat, être un exercice moins utile qu’une enquête sur ce dont il serait question si une telle personnalisation de la médecine devait être mise en œuvre. L’anglais permet de saisir cette distinction de façon plus concise : il s’agit non pas de savoir « what personalized medicine is, but what it is about ».

Parmi les récentes publications ayant fait état de l’avènement d’une médecine personnalisée, il convient de signaler une série de rapports, préparés par des instances scientifiques ou gouvernementales de plusieurs pays occidentaux et parus depuis 2008, ayant pour objectif de « préparer le chemin » de cette nouvelle médecine. Ces rapports, riches d’enseignements, illustrent cependant cette absence de consensus, non seulement sur une définition du terme, mais aussi sur le champ que le terme recouvre, sur le point d’entrée qu’il convient de privilégier pour comprendre son développement, et sur les stratégies qu’il convient de mettre en œuvre pour y aboutir. Certains rapports portent sur la médecine personnalisée elle-même [ 16] ; d’autres en font état de manière subsidiaire, puisqu’ils portent principalement sur des technologies qui la rendent possible (enabling technologies) et sur les structures qui lui sont associées [ 79], ou sur les difficultés spécifiques que suscite une telle approche de la médecine [ 1014]. Cette littérature comporte cependant un certain nombre de thèmes qui reviennent avec insistance et qui nous permettent donc de mieux cerner de quoi on parle lorsque l’on se réfère aujourd’hui à « la médecine personnalisée ».

Une médecine faite sur mesure

La plupart des rapports évoqués ci-dessus s’accordent au moins sur un point : la médecine personnalisée tient compte des caractéristiques individuelles de chaque patient. Curieusement, ces définitions puisent leurs métaphores dans le vocabulaire de l’habillement : à la place de soins standardisés relevant d’une médecine à taille unique (one size fits all), voire du « prêt-à-porter », et donc dispensés selon des catégories standard (âge, poids, symptômes, etc.), il s’agit de proposer des traitements « faits sur mesure » (customised, tailored).

  •  La médecine personnalisée se réfère aux traitements médicaux « faits sur mesure » [the tailoring of medical treatment] selon les caractéristiques individuelles de chaque patient ([1], p. 7) 1.
  •  La médecine personnalisée peut se décrire comme des soins de santé ajustés [customisation of healthcare], autant que possible, aux différences individuelles, et ceci à toutes les étapes du processus, de la prévention au diagnostic, au traitement, et au suivi après traitement ([ 3], p. 13).
  • …la promesse de la « médecine personnalisée »…consiste à proposer des traitements médicaux « faits sur mesure » [the tailoring of medical treatment] selon les caractéristiques individuelles, les besoins et les préférences de chaque patient ([ 4], p. 2).
  •  La médecine personnalisée [est] un modèle médical où les soins médicaux sont « faits sur mesure » [customised] suivant le profil de chaque patient ([ 5], p. 98).

À première vue, cette description métaphorique de la médecine personnalisée ne diffère guère d’une conception plus classique de la prise en charge personnalisée du patient. Certains rapports reconnaissent ouvertement ce fait :

  •  Le principe qui consiste à ajuster un traitement aux caractéristiques spécifiques du patient n’est pas nouveau ; il a toujours été l’objectif des médecins ([1], p. 7).
  •  Le concept de médecine personnalisée n’est pas nouveau : les cliniciens ont depuis longtemps observé que des patients ayant des symptômes similaires peuvent avoir différentes maladies, avec des causes différentes ; et, de même, que des interventions médicales peuvent réussir chez certains patients ayant une maladie, mais pas chez d’autres ayant apparemment la même maladie ([4], p. 2).

Toutefois, les précisions apportées dans la seconde citation indiquent que c’est moins la singularité du cas de chaque patient qui fonde cette personnalisation nouvelle que les différences entre individus appartenant à une même catégorie de patients. Le Comité de bioéthique du Président des États-Unis précise, dans son rapport sur la médecine stratifiée, ce que veut dire, d’un point de vue pratique, cette médecine faite aux mesures du patient :

  • Dans la pratique,…la médecine personnalisée ne signifie pas littéralement la création de médicaments ou de dispositifs médicaux spécifiques pour chaque patient. Au contraire, il s’agit de la capacité de classer les individus dans des sous-populations selon qu’ils sont ou non susceptibles de développer une maladie particulière ou sensibles à un traitement spécifique. Des interventions à but préventif ou thérapeutique seront alors proposées uniquement à ceux qui pourront en bénéficier, épargnant ainsi les frais et les effets secondaires aux autres ([1], p. 7).

En d’autres termes, la médecine personnalisée s’intéresse au patient, non pas en tant que personne dont l’état de santé et la situation sont appréciés dans leur globalité, mais en tant qu’individu faisant partie d’un groupe particulier de patients. Elle consisterait à mieux cerner et comprendre ces différences entre patients, afin de créer de nouvelles catégories – les strates auxquelles se réfère le terme « médecine stratifiée » – plus pertinentes que celles utilisées actuellement par la médecine.

Une médecine habilitée par les technologies émergentes

Les rapports cités plus haut attribuent le caractère inédit de cette nouvelle forme de personnalisation de la médecine à l’émergence de nouvelles technologies :

  •  Le principe qui consiste à ajuster un traitement aux caractéristiques spécifiques de chaque patient n’est pas nouveau… Cependant, des progrès rapides en génomique et biologie moléculaire, dont surtout le séquençage du génome humain, promettent d’augmenter considérablement la capacité des médecins à stratifier les patients de manière cliniquement utile ([1], p. 7).
  •  La nouveauté, ce sont les avancées dans un large éventail de domaines, de la génomique à l’imagerie médicale à la médecine régénérative, ainsi que la puissance accrue du calcul informatique et l’avènement des technologies mobiles et sans fil ; ces avancées permettent aux patients d’être traités et surveillés de manière plus précise et efficace, et d’une façon qui répond mieux à leurs besoins individuels ([4], p. 2).

Le rapport du Nuffield Council for Bioethics sur les biotechnologies émergentes parle de « technologies habilitantes » (enabling technologies), c’est-à-dire de technologies qui rendent possible cette forme de personnalisation :

  • Il est également important de reconnaître l’influence du développement technologique sur la science. Ce qui est devenu possible dans les sciences de la vie est clairement influencé par l’introduction de nouvelles technologies. Parfois, ces technologies sont explicitement développées en réponse aux besoins perçus des chercheurs en sciences de la vie, mais d’autres fois elles sont développées dans d’autres contextes… Une fois mises au point, leur disponibilité commerciale et les améliorations apportées à leur facilité d’utilisation permettent la diffusion rapide de ces nouvelles techniques dans différents laboratoires et contextes de recherche ([9], p. 99).

Parmi les biotechnologies ayant un impact sur la personnalisation de la médecine, les rapports citent la génomique, la pharmacogénétique, la pharmacogénomique et la bioinformatique. Les progrès en matière de séquençage, et la capacité à produire en moins de temps et à un moindre coût la séquence du génome d’un individu, permettent ainsi d’envisager une utilisation clinique de ce type de données. Par ailleurs, le développement de biobanques, où sont conservés les échantillons biologiques humains destinés aux recherches impliquant entre autres le séquençage, constitue un service technique complémentaire indispensable à cette forme de personnalisation [ 8]. Enfin les technologies de l’information et de la communication ont considérablement augmenté leur puissance d’analyse et capacité de stockage des données numériques (cloud-computing) ; de plus, elles jouent un rôle important dans la diffusion au consommateur d’une offre de génomique dite personnalisée (personalized genomics) qui se situe en parallèle, voire même en concurrence avec l’offre plus encadrée de conseil et de prise en charge proposée par l’institution médicale [7].

Le rapport du Nuffield Council propose ainsi une définition de la médecine personnalisée qui met davantage en évidence le rôle crucial des technologies :

  • Médecine personnalisée : un concept qui reflète la confluence de différentes disciplines et démarches scientifiques, technologiques et sociales. Le terme a plusieurs sens, mais parmi ceux-ci, il y a celui d'une médecine « faite sur mesure » [the tailoring of medicine] selon les caractéristiques biologiques de patients spécifiques ou de groupes de patients (pharmacogénétique, médecine stratifiée). La technologie habilitante de base [basic enabling technology] de la médecine personnalisée est la biologie moléculaire ([9], p. 192).

Remarquons que l’ensemble de connaissances et d’outils techniques mis en œuvre pour servir cette démarche converge essentiellement vers la caractérisation du profil génomique de la personne. Cette insistance sur la valeur de celui-ci pour la prise en charge souligne le caractère central de l’information génétique pour déterminer les catégories optimales de soin. C’est ce qui conduira le National Cancer Institute américain à dire que la médecine personnalisée est, tout simplement, une médecine génétiquement informée (genetically informed medicine) 2.

Une médecine génétiquement informée

La génétique joue depuis presqu’un siècle un rôle dans la médecine, notamment auprès de familles chez lesquelles l’on constate la présence sur plusieurs générations d’une maladie grave, ou auprès de couples confrontées à la naissance d’enfants ayant une affection grave conduisant ou non à un décès. L’intérêt pour les données génétiques n’est donc pas récent.

De nombreux témoins identifient le projet Génome Humain, dont la mise en œuvre date de 1988, comme l’un des événements scientifiques ouvrant la voie à cette nouvelle forme de personnalisation de la médecine. Francis S. Collins, médecin chercheur et directeur à l’époque du National Human Genome Research Institute (NHGRI) des National Institutes of Health (NIH), et à ce titre responsable de la conduite de ce projet, déclare ainsi dans une conférence prononcée en 1999 :

  • Il y a une décennie, l’histoire de la biologie a été transformée à jamais par l’audacieuse décision de lancer un programme de recherche qui caractériserait, jusqu’aux derniers détails, l’ensemble des instructions génétiques de l’être humain… Les scientifiques voulaient cartographier le terrain génétique humain, sachant que cela les conduirait à des connaissances précédemment inimaginables et de là au bien commun. Ce bien comporterait une nouvelle compréhension de l’apport de la génétique aux maladies humaines et l’élaboration de stratégies rationnelles pour minimiser ou prévenir complètement les phénotypes des maladies ([ 15], p. 28).

L’importance accordée à ce tournant pour l’avenir de la médecine a conduit le New England Journal of Medicine (NEJM) à publier, de novembre 2002 à septembre 2003, une série d’articles de synthèse (review articles) sous la rubrique « Genomic Medicine », et ceci en libre accès pour que l’ensemble de la communauté médicale puisse en bénéficier. Cette initiative sera renouvelée, sous le même intitulé, entre mai 2010 et février 2012. Francis Collins est un fréquent contributeur aux deux séries, cosignant notamment avec Alan Guttmacher plusieurs articles, dont les articles de lancement de chaque série : « Genomic Medicine – A Primer » [ 16] et « Genomic Medicine – An Updated Primer » [ 17]. Le fait que Collins ait été nommé directeur des NIH en 2009 est aussi une indication de l’importance accordée à la médecine génomique comme visée de la recherche biomédicale.

Le rapport du Nuffield Council sur les biotechnologies émergentes [9] – tout comme le New England Journal of Medicine – classe la médecine personnalisée comme l’une des formes possibles de ce qu’ils appellent une « médecine génomique ». Comme Collins, le rapport attribue l’intérêt croissant pour cette personnalisation génomique de la médecine aux avancées que représente le projet Genome Humain (HGP) et les autres recherches qui lui sont associées : les études d’association pangénomique (GWAS), le projet de catalogue des haplotypes (HapMap), ou l’étude des éléments fonctionnels du génome (ENCODE). Mais, à la différence de Collins, il en souligne les limites :

  • Pendant les premières années du xxi siècle, la façon dont l’aboutissement du projet génome humain conduirait à une nouvelle ère de la médecine, axée sur la prédiction et la prévention de maladies plutôt que sur leur guérison, a fait l’objet de discussions. Ce changement découlerait du recours à des techniques de diagnostic plus puissantes… et de l’utilisation de l’information ainsi produite pour instruire des changements dans les modes de vie, les produits pharmaceutiques faits sur mesure [tailored pharmaceuticals], et la thérapie génique. Malgré l’enthousiasme qui entoure la réalisation du projet génome humain,… la mise en place d’un système d’innovations qui intègre la génomique dans les soins de santé s’est avérée plus complexe qu’une simple question de diffusion technique ([9], p. 28).

En effet, cette médecine requiert, pour la rendre effective, que soient menées des recherches sur une masse considérable de données ; car rappelons-nous, il s’agit non pas d’avoir plus de données sur chaque individu, mais d’avoir des données sur des populations, permettant théoriquement de mieux cerner les critères qui permettront aux médecins de distinguer les patients entre eux et donc de mieux les soigner.

Une médecine avide de données

La réalisation d’une médecine personnalisée fondée sur une meilleure exploitation clinique des caractéristiques génétiques de chaque patient suppose l’existence de connaissances solides sur les variants génétiques associés aux différentes maladies. Les connaissances aujourd’hui à notre disposition ne sont pas négligeables, mais elles sont pour la plupart limitées à des maladies à transmission mendélienne. L’identification de variants associés aux autres maladies non mendéliennes implique la collecte de données à des fins de recherche sur des groupes élargis de patients. Leur utilité pour la prise en charge clinique du patient ne peut être établie que sur le long terme. De tels travaux de recherche sont en cours depuis plusieurs années (GWAS, PheWAS). Mais, pour le moment, les résultats sont plutôt décevants, les variants génétiques identifiés n’ayant souvent qu’une valeur prédictive faible.

Cette nécessité de travailler sur de grandes populations a incité les chercheurs à prendre des initiatives en vue de mettre en commun leurs données de recherche. En 2013, plusieurs institutions de recherche se sont réunies à cette fin sous le nom de Global Alliance :

  • L’Alliance mondiale pour la génomique et la santé (Global Alliance) a été créée pour accroître la capacité de la médecine génomique à faire progresser la santé humaine. Elle réunit plus de 220 institutions de premier plan travaillant dans les soins de santé, la recherche, la défense des droits des patients, les sciences de la vie et les technologies de l’information. Les partenaires de l’Alliance mondiale se sont associés pour créer un cadre commun et pour harmoniser leurs approches du partage responsable, volontaire et sécurisée de données génomiques et cliniques 3.

Certains chercheurs estiment également qu’il est nécessaire de compléter la collecte de données génétiques par celle de données cliniques. Ainsi, des chercheurs de plusieurs institutions américaines ont pris l’initiative de créer, en 2007, un consortium afin d’étudier la meilleure manière d’exploiter à des fins de recherche les données de dossiers médicaux électroniques :

  • Le Electronic Medical Records and Genomics Network (eMERGE) est un consortium financé par le National Human Genome Research Institute, et engagé dans l’élaboration de méthodes et de bonnes pratiques pour l’utilisation du dossier médical électronique comme outil de recherche en génomique… Le réseau a joué un rôle majeur dans la validation du concept que les données cliniques provenant de dossiers médicaux électroniques peuvent être utilisées avec succès dans la recherche en génomique [ 18].

Depuis, en 2010, le National Research Council (NRC) américain, dans son rapport sur la « médecine de précision » [ 2] a préconisé la collecte de données observationnelles en situation clinique, en vue d’alimenter un réseau commun de données pouvant servir la communauté de recherche. Dans ce même but, le National Health Service (NHS) du Royaume-Uni a créé, en janvier 2014, une base de données – le « care.data programme » – ayant pour objectif de centraliser les informations contenues dans les dossiers médicaux du NHS, à des fins de recherches. Cette initiative vise globalement les problèmes liés à la qualité du service proposé par la NHS. La médecine personnalisée n’est pas explicitement mentionnée, mais l’objectif est indéniablement présent :

  • Accepter de partager des informations sur les soins que vous avez reçus nous aide à comprendre les besoins de santé de chacun et la qualité du traitement et des soins dispensés, il nous aide à réduire les inégalités dans les soins dispensés… Ces informations contribueront à : trouver des moyens plus efficaces de prévenir, traiter et gérer les maladies ; …comprendre qui est le plus à risque de certaines maladies et affections, de manière à ce que ceux qui planifient la prise en charge puissent fournir des services de prévention ; …identifier qui pourraient être à risque d’une maladie ou bénéficier d’un traitement particulier ; …orienter les décisions sur la gestion des ressources du NHS afin que ceux-ci puissent mieux soutenir le traitement et la prise en charge de tous les patients 4.

Le fait de savoir si l’accumulation de données permettra, à terme, de fonder valablement une médecine personnalisée, au sens où elle est préconisée aujourd’hui, reste une question ouverte, voire même controversée. Sans doute faut-il garder à l’esprit l’idée que la médecine personnalisée constitue l’horizon d’un vaste domaine de recherche en développement, dont le principe de base - qu’une meilleure connaissance des profils génomiques des patients permette de mieux les soigner - n’a pas encore fait ses preuves. Cependant, toute production de données génétiques, voire toute utilisation à des fins de recherche de données cliniques, impliquent le patient dans une nouvelle forme de contribution à la recherche dont il convient de préciser les termes du consentement à sa participation. On assiste là à une reconfiguration du cadre de la relation entre le médecin et son patient, qui dépasse largement celui plus restreint auquel renvoie la notion de colloque singulier.

L’avenir incertain de la médecine personnalisée

Au terme de cette brève enquête sur le champ de pratiques que recouvre le terme « médecine personnalisée », il en ressort que celle-ci s’intéresse moins à la singularité du cas de chaque patient qu’aux différences entre patients d’une même catégorie. La médecine personnalisée dont il est désormais question vise, grâce à l’apport de nouvelles technologies, une objectivation accrue du recueil des données biologiques les concernant, afin d’améliorer les outils dont elle dispose pour faire des diagnostics, prendre des décisions thérapeutiques, voire mettre en place des mesures préventives plus efficaces. Ces nouveaux outils pourraient aussi servir à repenser la nosographie de certaines pathologies. En d’autres termes, la médecine cherche dans la personnalisation génomique de sa démarche les moyens qui lui permettraient de consolider sa mission thérapeutique.

La spécialité médicale dans laquelle cette démarche est la plus avancée est aujourd’hui l’oncologie. Les recherches actuellement en cours visent à se servir des altérations génétiques de la tumeur pour choisir le traitement le plus efficace ou le mieux toléré, voire éviter un traitement inefficace aux effets secondaires toxiques. Dans la mesure où la caractérisation de la tumeur aboutit à l’identification de marqueurs associés à des thérapies dites ciblées parce que reconnues comme efficaces sur les tumeurs ainsi marquées, on parle de médecine de précision. En revanche, puisque ces marqueurs ne sont présents que chez une partie seulement des patients ayant la même maladie, on parle de médecine stratifiée. Que la médecine personnalisée soit une question de précision ou de stratification est une question de perspective.

Les données génomiques font également leur apparition dans la médecine pré- et périnatale, sans parler de leur abondante utilisation par les services de génomique personnalisée vendus directement au consommateur. En effet, la médecine personnalisée se veut aussi prédictive et préventive, au sens où elle fournirait les données permettant de déterminer la probabilité de développer des maladies courantes et de mettre en place des stratégies préventives.

Quel sera alors l’avenir de cette médecine personnalisée ? Il convient peut-être d’entendre l’avertissement de Holtzman et Marteau qui, dès les années 2000, se servaient autrement des métaphores de l’habillement :

  • Dans notre précipitation à affubler la médecine d’un manteau génétique, nous perdons de vue d’autres moyens d’améliorer la santé publique. Les différences liées à la structure sociale, aux modes de vie et à l’environnement expliquent des parts plus importantes des maladies que les différences génétiques. Même si nous ne prétendons pas que le manteau génétique soit aussi invisible que ne l’étaient les habits neufs de l’empereur, il n’est pas fait de soie et d’hermine comme certains le prétendent [ 19].

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Mes travaux sur la médecine génomique personnalisée ont bénéficié du soutien du SIRIC de l’Institut Curie. Je remercie Catherine Bourgain pour sa relecture attentive de la première version de cet article et ses remarques toujours pertinentes.

 
Footnotes
References
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