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Med Sci (Paris). 2014 March; 30(3): 246–248.
Published online 2014 March 31. doi: 10.1051/medsci/20143003009.

La phénoménologie de souvenirs d’expériences de mort imminente peut-elle être comparée à celle de souvenirs d’événements réels et imaginés ?

Vanessa Charland-Verville,1* Marie Thonnard,1 Hedwige Dehon,2 Steven Laureys,1 and Audrey Vanhaudenhuyse3

1Coma science group, Centre de recherches du cyclotron et département de neurologie, université et CHU de Liège, allée du 6 août n° 8, Sart Tilman B30, 4000Liège, Belgique
2Unité de psychologie cognitive, faculté de psychologie et des sciences de l’éducation, université de Liège, Liège, Belgique
3Service d’Algologie - Soins palliatifs, Hôpital Universitaire de Liège, Domaine universitaire du Sart-Tilman, 4000Liège 1, Belgique
Corresponding author.

MeSH keywords: Coma, psychologie, Mort, Rêves, Humains, Imagination, physiologie, Mémoire

L’expérience de mort imminente

Les « expériences de mort imminente », ou EMI, font référence à des événements psychologiques profonds contenant des éléments transcendentaux et mystiques, survenant généralement lorsqu’une personne se trouve proche de la mort ou dans une situation de danger physique ou émotionnel intense. Les témoins d’une EMI, ceux qui l’ont vécue, décrivent dans la majorité des cas leur expérience comme très agréable, et leur vie en est positivement transformée. En effet, au décours de cet événement, ils expriment des valeurs altruistes et disent ne plus avoir peur de la mort. Par ailleurs, les EMI partagent des caractéristiques communes, même si l’interprétation qui en est faite peut différer selon les individus, en fonction de leur religion ou de leur culture [ 1]. Les témoins décrivent ainsi un intense sentiment de paix et de bien-être, des sensations de décorporation, d’avoir rejoint un monde inconnu et immatériel, de voir une lumière brillante et d’en être enveloppé, etc. (pour revue voir [ 2]).

Depuis la popularisation de l’expression « expériences de mort imminente » par Raymond Moody au milieu des années 1970, plusieurs théories ont été énoncées quant aux circonstances de sa survenue et à son contenu spécifique. Selon l’une d’elles, les EMI seraient le résultat d’une reconstruction de souvenirs imaginés et réels [ 3, 4]. Elles feraient intervenir une combinaison de mécanismes physiologiques et psychologiques : l’expérience de base serait déterminée biologiquement et aurait pour origine différentes altérations ou modifications des mécanismes neurophysiologiques normaux, mais son interprétation, ainsi que les détails rapportés, pourraient être influencés par les connaissances et croyances préalables de l’individu [3]. De nombreuses études en psychologie de la mémoire ont démontré que les souvenirs d’événements imaginés contiennent moins de caractéristiques phénoménologiques que les souvenirs d’événements réels [ 5]. En effet, les contenus émotionnel, sensoriel (c’est-à-dire les informations visuelles, auditives, gustatives et olfactives), temporel et spatial seraient moins bien représentés lors de la remémoration d’événements imaginés que lors de souvenirs d’événements réels, tels qu’on peut les évaluer à l’aide du Memory characteristic questionnaire (MCQ) [5].

Évaluation comparée des souvenirs chez les patients ayant vécu des EMI et ceux ayant vécu un coma

Afin d’examiner dans quelle mesure les souvenirs d’EMI peuvent être comparés à des souvenirs d’événements imaginés, nous avons, dans une étude dont les résultats ont été publiés récemment [ 6], comparé les caractéristiques phénoménologiques d’événements passés réels et imaginaires chez trois groupes de patients ayant survécu à un coma : des patients ayant rapporté une EMI, des patients avec des souvenirs de leur coma mais sans EMI, des patients n’ayant aucun souvenir de leur coma. Un groupe de volontaires sains n’ayant pas vécu de coma était inclus. Nous avons utilisé une version modifiée du MCQ qui évaluait six catégories caractéristiques : la présence de détails sensoriels, la clarté du souvenir, la présence d’éléments autoréférentiels et émotionnels, la fréquence de réactivation du souvenir et le degré de confiance en son propre souvenir. Tous les participants devaient énoncer cinq types de souvenirs émotionnellement saillants d’événements passés : (1) des souvenirs d’événements réels récents et (2) réels anciens (par exemple souvenirs de son mariage, de la naissance de son enfant) ; (3) des souvenirs d’événements imaginés récents et (4) anciens (par exemple des souvenirs de rêves ou d’intentions non réalisées, voir [5]) ; et (5) les souvenirs ciblés (qui représentent les souvenirs d’EMI pour ceux qui l’ont vécue, les souvenirs de la période de coma pour les patients s’en souvenant mais n’ayant pas eu d’EMI, et un souvenir d’enfance marquant pour les patients n’ayant pas de souvenir de leur coma et pour le groupe de volontaires sains).

Selon les mesures effectuées à l’aide de l’échelle MCQ, les souvenirs d’EMI contenaient plus de caractéristiques phénoménologiques que les souvenirs imaginés récents et anciens. Fait surprenant, les souvenirs d’EMI étaient plus riches en détails que les souvenirs réels, qu’ils soient récents et anciens. Cette observation est en lien avec les témoignages de ceux qui ont eu une EMI, rapportant que ce qu’ils ont vécu était « plus réel que la réalité » [ 7]. Parallèlement, les souvenirs d’EMI se sont révélés être plus saillants émotionnellement et possédant un contenu autoréférentiel plus riche (Figure 1).

En outre, la valeur émotionnelle d’une EMI pourrait expliquer la plus grande quantité de détails mémorisés. L’intensité émotionnelle augmente la quantité d’informations sensorielles rapportées dans les souvenirs d’événements très prégnants. Il en résulte une meilleure réactivation (en interne et/ou en externe lorsque ces souvenirs sont partagés avec d’autres personnes) aboutissant à leur donner plus d’importance et à augmenter leur niveau de disponibilité [ 8]. De plus, il est probable que la nature autoréférentielle de l’EMI favorise la récupération des détails qui lui sont associés [ 9]. Ainsi, en combinant les caractères émotionnel et autoréférentiel, les EMI pourraient devenir des « self-defining memories », favorisant la récupération des détails en mémoire.

D’autre part, une hypothèse a été évoquée, selon laquelle les EMI pourraient être le produit d’un faux souvenir ou d’une hallucination. L’événement à l’origine de ces expériences n’aurait pas été vécu dans la réalité (la personne n’est pas réellement sortie de son corps), mais plutôt subjectivement en raison d’une modification du fonctionnement cérébral, ce qui conduirait à un souvenir illusoire. Ces types de souvenirs peuvent être très détaillés et il a été démontré que dans un contexte émotionnellement saillant et lié à la survie de l’individu, on observait une augmentation de la reconstruction de souvenirs [ 10], ce qui pourrait être le cas dans les souvenirs d’EMI.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Ce travail a reçu le soutien financier du Fonds national de la recherche scientifique (FRS-FNRS), de l’université de Liège et de l’hôpital universitaire de Liège, de la Commission européenne (projets Mindbridge, COST, CATIA, DECODER et DISCOS), de la fondation James S. McDonnell, de la fondation Mind Science, de la Communauté francophone d’actions de recherche concertées (ARC 06/11-340), de la Fondation d’utilité publique « Université européenne du travail », de la « Fondazione Europea di ricerca biomedica » et de la Fondation médicale Reine Elisabeth ainsi que des fonds Léon Fredericq.

References
1.
Kellehear A . Culture, biology, and the near-death experience. A reappraisal . J Nerv Mental Dis. 1993; ; 181 : :148.–156.
2.
Blanke O , Diegez S . Leaving body and life behind: out-of-body and near- death experiences . In : Laureys S , Tononi G , eds. The neurology of consciousness: cognitive neuroscience and neuropathology . London: : Academic Press-Elsevier Ltd; , 2009 : :303.–325.
3.
Blackmore, S . Dying to live: science and near-death experience . London: : Grafton; , 1993.
4.
French CC . Dying to know the truth: visions of a dying brain, or false memories? Lancet. 2001; ; 358 : :2010.–2011.
5.
Johnson MK , Foley MA , Suengas AG , Raye CL . Phenomenal characteristics of memories for perceived and imagined autobiographical events . J Exp Psychol. 1988; ; 117 : :371.–376.
6.
Thonnard M , Charland-Verville V , Bredart S , et al. Characteristics of near-death experiences memories as compared to real, imagined events memories . PLoS One. , 2013; ; 8 : :e57620..
7.
Potts, M . The evidential value of near-death experiences for belief in life after death . J Near-Death Studies. 2002; ; 20 : :233.–235.
8.
Schaefer A , Philippot P . Selective effects of emotion on the phenomenal characteristics of autobiographical memories . Memory. 2005; ; 13 : :148.–160.
9.
Conway MA , Dewhurst SA . Remembering, familiarity, and source monitoring . QJ Exp Psychol B. 1995; ; 48 : :125.–140.
10.
Dehon, H . Illusory recollection: the compelling subjective remembrance of things that never happened. Insights from the DRM paradigm (special issue in honor of Géry d’Ydewalle) . Psychologica Belgica. 2012; ; 52 : (suppl) : :121.–149.