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Med Sci (Paris). 2014 May; 30(5): 488–492.
Published online 2014 June 13. doi: 10.1051/medsci/20143005005.

Mutations récurrentes des gènes RHOA et FYN dans les lymphomes T périphériques

Lucile Couronné,1,2,3* Christian Bastard,4 and Olivier A. Bernard5,6,7

1Service d’hématologie adulte, Assistance publique-Hôpitaux de Paris (APHP), hôpital Necker, Paris, France
2Inserm UMR1163, CNRS ERL 8254, Institut Imagine, Paris, France
3Université Paris Descartes-Sorbonne Paris Cité, Paris, France
4Inserm U918, Université de Rouen, Centre Henri Becquerel, Rouen, France
5Inserm U985, Villejuif, France
6Université Paris-Sud, Orsay, France
7Institut Gustave Roussy, Villejuif, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Transformation cellulaire néoplasique, génétique, Analyse de mutations d'ADN, Fréquence d'allèle, Séquençage nucléotidique à haut débit, Humains, Lymphome T périphérique, épidémiologie, Mutation, Protéines proto-oncogènes c-fyn, Protéine G RhoA

Séquençage à haut débit dans les lymphomes T périphériques

Les lymphomes T périphériques constituent un groupe hétérogène d’entités au pronostic globalement sombre dont les mécanismes de développement sont encore mal compris. Des mutations des gènes TET2 (methylcytosine dioxygenase 2), DNMT3A (DNA [cytosine-5-]-methyltransferase 3 alpha) et IDH2 (isocitrate dehydrogenase), entraînant une dérégulation du contrôle de la méthylation de l’ADN, ont déjà été rapportées dans les deux sous-types histologiques les plus fréquents, le lymphome T angio-immunoblastique (AITL) et le lymphome T périphérique, non spécifié (PTCL, NOS) [ 1- 4]. Les mutations de TET2 sont associées au phénotype T follicular helper (TFH) [ 2], défini par la positivité des cellules tumorales pour les antigènes CD10 et PD1, la prolifération de cellules folliculaires dendritiques positives pour le CD21, et la présence de cellules B exprimant l’EBV (Epstein Barr virus) [ 5], mais ne sont observées que chez une fraction des patients.

Deux groupes viennent de rapporter les résultats de séquençage à haut débit de lymphomes T périphériques [5, 6]. De façon similaire, après une première analyse par séquençage de l’ensemble des régions codantes du génome (whole-exome sequencing) des cellules d’une série limitée de patients, les gènes mutés ont été analysés dans une cohorte d’extension indépendante de lymphomes T périphériques (159 patients pour l’équipe japonaise, 125 patients pour l’équipe américaine) en utilisant des techniques sensibles de détection comme le séquençage haut débit [5, 6] ou la PCR quantitative spécifique d’allèle [6].

Le reséquençage ciblé réalisé par l’équipe japonaise a confirmé la présence de mutations des gènes TET2, DNMT3A, et IDH2 chez respectivement 69 %, 27 % et 18 % des cas d’AITL et de PTCL,NOS [5]. Ces valeurs sont plus élevées que celles rapportées par le groupe américain, probablement en raison de profondeurs de lecture plus importantes permettant des seuils de détection plus bas [6].

L’équipe américaine a également identifié des mutations somatiques dans des gènes potentiellement intéressants pour les processus de transformation tels que TET3, ATM, B2M, CD58, CDKN2A, PRKD2, RHOT2 et SMARCAL1 (Tableau I).

Mutations récurrentes des gènes FYN et RHOA

Des mutations dans deux autres gènes, FYN et RHOA, sont observées de façon récurrente et ont été testées sur le plan fonctionnel [5, 6].

  • FYN appartient au groupe des tyrosine kinases SRC et joue un rôle important dans la signalisation du récepteur à l’antigène des lymphocytes T (TCR) et l’activation lymphocytaire T [ 7]. Trois mutants de FYN ont été détectés : L174R, R176C et Y531H [6] (Figure 1A et Tableau I). Ces mutations affectent négativement l’interaction entre le domaine SH2 et la partie carboxy-terminal de FYN qui inhibe normalement l’activité de la protéine. Les mutations conduisent à une configuration ouverte et active de la protéine, et l’activation de la protéine résiste à la surexpression de l’enzyme CSK (C-terminal Src kinase), supposée inhiber l’activité de FYN (Figure 1B). Dans le modèle cellulaire Rat1A, la croissance des cellules exprimant les mutants FYN est inhibée par le dasatinib1,, un inhibiteur pharmacologique des SRC kinases [6].
  • Le gène RHOA est touché par une mutation récurrente et spécifique des PTCL, qui entraîne la substitution en position 17 d’une glycine par une valine (G17V), dans 67 à 71 % des cas d’AITL et dans 17 à 18 % des cas de PTCL,NOS [5, 6]. D’autres mutants (C16R, G17E, T19I, D120Y, G17del, A161E) ont été identifiés, mais uniquement de façon isolée dans des échantillons sans mutation RHOA G17V [5, 6] (Figure 2A et Tableau I). Les mutations de RHOA semblent spécifiques des PTCL,NOS dits TFH-like, c’est-à-dire présentant au moins deux des caractéristiques immunohistochimiques des AITL [5]. L’analyse en cytométrie de flux effectuée à partir de prélèvement de quelques cas de PTCL révèle que la charge allélique en RHOA G17V est corrélée à la proportion de cellules tumorales présentes dans les différents échantillons [6], et l’étude de sous-populations cellulaires chez deux patients montre que la mutation RHOA G17V est restreinte à la population tumorale [5].

Il existe une très forte corrélation entre la présence des mutations RHOA G17V et celle des mutations TET2 et IDH2 [5, 6]. Les mutations TET2 et DNMT3A ont, dans la plupart des cas, une charge allélique significativement plus élevée que celle des mutations RHOA et IDH2, et peuvent être observées dans d’autres cellules hématopoïétiques que les lymphocytes T [5], suggérant qu’elles surviennent probablement avant celles de RHOA et d’IDH2 dans l’histoire naturelle de la maladie [5].

Conséquences fonctionnelles de la mutation RHOA G17V

La protéine RHOA fait partie de la famille des petites GTPases qui ont la propriété de passer d’un état inactif lié au GDP à un état actif lié au GTP. L’équilibre entre ces deux conformations est régulé par l’activité des facteurs d’échange de guanine (GEF) qui catalysent la dissociation du GDP et le chargement en GTP et donc activent RHOA, et par celle des protéines activatrices de GTPases (GAP), qui stimulent l’hydrolyse du GTP en GDP et donc inactivent RHOA [ 8- 10] (Figure 2B). RHOA est impliquée dans nombre de processus cellulaires via l’activation de voies de signalisation variées [ 11] (Figure 2C). Elle régule en particulier l’activité du facteur de transcription serum response factor (SRF), en contrôlant la localisation subcellulaire d’un cofacteur de la famille MRTF MKL1/MAL. En effet, RHOA est responsable de l’incorporation de l’actine monomérique G au sein des filaments d’actine F. Cet équilibre contrôle la localisation nucléaire de MAL qui, une fois entré dans le noyau, interagit avec SRF (Figure 2C) et stimule la transcription de gènes cibles impliqués dans la prolifération, la différenciation, la motilité cellulaires et le contrôle des éléments dynamiques du cytosquelette [ 12].

Fonctionnellement, la mutation RHOA G17V semble exercer un effet dominant négatif sur l’activité de la protéine normale. La surexpression de RHOA G17V a pour effet de réduire, proportionnellement à la dose, le chargement en GTP de la forme sauvage de RHOA, probablement en séquestrant les GEF [5, 6]. Testé avec un vecteur indicateur répondant à SRF, le mutant RHOA G17V n’active pas la transcription, contrairement à la forme sauvage de RHOA, et exerce même un effet dominant négatif sur l’activité de celle-ci [5]. Des analyses globales d’expression génique montrent une signature d’activité de SRF lorsque la forme sauvage de RHOA est surexprimée, mais pas lorsque RHOA G17V l’est [5]. Enfin, l’expression ectopique de RHOA G17V dans des modèles cellulaires conduit aux mêmes anomalies morphologiques que le dominant négatif RHOA T19N et inhibe la formation des fibres de stress [5,6], sans effet évident sur la prolifération cellulaire [5,6].

L’ensemble de ces résultats suggèrent que RHOA G17V est un mutant perte de fonction, exerçant un effet dominant négatif par rapport à l’activité de la protéine sauvage [5, 6] (Figure 2B).

Lymphomes T périphériques : un processus multiétapes

En conclusion, ces données apportent un éclairage nouveau sur les anomalies génétiques survenant au cours de la lymphomagenèse T. Elles suggèrent que le dasatinib pourrait avoir un intérêt thérapeutique chez un petit nombre de patients dont les cellules expriment une mutation de FYN. L’identification d’une mutation récurrente de RHOA (G17V) souligne le rôle important de cette voie de signalisation au cours de la transformation tumorale T. Sa grande spécificité pour les lymphomes à phénotype TFH pourrait permettre une nouvelle classification moléculaire des PTCL et indique que cette voie peut constituer une cible thérapeutique.

Enfin, ces résultats renforcent l’hypothèse d’un processus multiétapes d’installation de la maladie : un premier événement (mutations de TET2 et/ou DNMT3A) affectant des progéniteurs hématopoïétiques précoces serait à l’origine d’une hématopoïèse anormale, puis une deuxième anomalie génétique (mutations de RHOA, FYN et/ou IDH2) survenant secondairement dans des cellules plus matures, conduirait au phénotype de lymphomes T périphériques.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Inhibe l’activité de la kinase BCR (breakpoint cluster region)-ABL (Abelson) caractéristique de la leucémie myéloïde chronique, des kinases de la famille SRC (SRC, LCK, YES, FYN), c-KIT, EPHA2, et PDGFRβ.
References
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