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Med Sci (Paris). 2014 May; 30(5): 496–499.
Published online 2014 June 13. doi: 10.1051/medsci/20143005007.

Stress du réticulum endoplasmique et apoptose de la cellule bêta dans le diabète
Chronique d’une mort annoncée

Decio L. Eizirik1* and Isabelle Millard1

1Laboratoire de médecine expérimentale et centre de recherche sur le diabète, Faculté de médecine, Université Libre de Bruxelles (ULB) Route de Lennik, 808, CP618, 1070Bruxelles, Belgique
Corresponding author.

MeSH keywords: Apoptose, Cytokines, métabolisme, Diabète de type 1, anatomopathologie, Diabète de type 2, Stress du réticulum endoplasmique, Humains, Insuline, Cellules à insuline, Réponse aux protéines mal repliées

 

Les cellules sécrétrices, telles que les cellules bêta pancréatiques, doivent faire face en permanence au défi que représente une synthèse protéique accrue. C’est ainsi que des cellules bêta exposées à de fortes concentrations de glucose augmentent de plus de dix fois leur production d’insuline, avec une synthèse hormonale représentant près de 50 % de la synthèse protéique totale. La traduction de la (pro)insuline et d’autres protéines sécrétées a lieu dans les ribosomes situés sur la surface cytosolique du réticulum endoplasmique (RE). La (pro)insuline nouvellement synthétisée est ensuite dirigée vers le réticulum endoplasmique, où elle va former des ponts disulfures et se replier selon sa structure tridimensionnelle caractéristique [ 1, 2]. Cette synthèse protéique très importante représente, à court et à long terme, une charge considérable pour le réticulum endoplasmique de la cellule bêta. D’une part, ces cellules doivent répondre à des exigences de production et de libération d’insuline en fonction des apports alimentaires [2], et, d’autre part, elles ont, chez l’homme, une durée de vie très longue (la population de cellules bêta est pratiquement établie dès l’enfance). Les cellules bêta de sujets obèses présentant une résistance à l’insuline doivent développer des mécanismes compensatoires sur de très longues périodes, afin de répondre aux besoins sans cesse croissants en insuline. Cela oblige les cellules bêta, tout comme d’autres cellules sécrétrices, à mettre en place des dispositifs de contrôle et de régulation de fonctionnement du réticulum endoplasmique.

L’UPR (unfolded protein response) : une réponse au stress du réticulum endoplasmique

Les dispositifs de régulation du réticulum endoplasmique constituent une réponse adaptative, connue sous le nom de réponse UPR (unfolded protein response), et régie par des capteurs (protéines) transmembranaires du réticulum endoplasmique, dont le domaine luminal détecte de manière indirecte les protéines mal repliées dans le réticulum endoplasmique (stress du réticulum endoplasmique) tandis que le domaine cytosolique transmet l’information à des effecteurs cytosoliques et nucléaires (Figure 1). La réponse UPR a pour fonction de ralentir temporairement l’arrivée de nouvelles protéines dans le réticulum endoplasmique, d’augmenter les capacités de repliement de l’organite en stimulant la synthèse de protéines chaperones, et d’accroître la dégradation des protéines mal repliées. Néanmoins, lorsque ces différents mécanismes ne permettent pas de restaurer l’homéostasie normale du réticulum endoplasmique, un processus d’apoptose de la cellule bêta peut être déclenché (Figure 2) via l’activation de la voie mitochondriale de la mort cellulaire [ 3]. Pourquoi et comment les cellules bêta subissent-elles cette transition entre une réponse UPR physiologique et une réponse pathologique, la chose reste à élucider, mais de récentes découvertes suggèrent qu’une défaillance progressive dans l’activation de XBP-1 (X-box binding protein 1) et ATF-6 (activating transcription factor 6) pourrait contribuer à la mort des cellules bêta [ 4].

Stress du réticulum endoplasmique et diabète de types 1 et 2

Une réponse UPR excessive ou prolongée, en raison d’une résistance à l’insuline et d’une concentration élevée en acides gras saturés (secondaires à de l’obésité), participe probablement au dysfonctionnement et à la mort des cellules bêta dans le diabète de type 2 (DT2)1, [1, 5, 11]. Il existe cependant un autre aspect de la réponse UPR qui présente un intérêt tout particulier dans le diabète de type 1 (DT1). Il s’agit du dialogue croisé entre l’UPR et l’immunité naturelle. Ce dialogue est à l’origine d’une augmentation des phénomènes inflammatoires locaux, de l’initiation/amplification de l’insulite et de la mort des cellules bêta pancréatiques [ 6]. Les composants de ce dialogue sont décrits ci-dessous.

Le rôle des cytokines inflammatoires dans l’altération de la réponse UPR
L’interleukine-1 bêta (IL-1β) et l’interféron gamma (IFN-γ), deux cytokines pro-inflammatoires produites au cours de l’insulite [ 7], ont pour effet d’induire, chez le rat, in vitro, une déplétion en Ca2+ du réticulum endoplasmique, un stress de ce dernier et l’apoptose des cellules bêta. La raison principale en est l’inhibition de la pompe calcique du réticulum sarco(endo)plasmique SERCA-2b via la synthèse d’oxyde nitrique (NO) [ 8]. SERCA-2b a pour fonction de pomper le calcium dans le réticulum endoplasmique, et toute inhibition chimique de cette pompe (par de la thapsigargine ou de l’acide cyclopiazonique CPA) se traduit, comme avec les cytokines, par un épuisement des réserves en Ca2+ du réticulum endoplasmique, un stress de ce dernier et la mort des cellules bêta. Les médiateurs intervenant dans le stress du réticulum induit par les cytokines dans les cellules bêta pancréatiques, semblent être spécifiques des espèces considérées. Le NO joue un rôle prépondérant dans l’apparition du stress du réticulum endoplasmique dans les cellules bêta de rat, alors que le mécanisme à la base du stress du réticulum induit par les cytokines chez l’homme et la souris est largement indépendant de la production de NO [6]. La nature précise de ce(s) mécanisme(s) reste encore largement méconnue, mais il est intéressant de noter que le palmitate induit également une inhibition de SERCA-2b, un stress du réticulum endoplasmique et l’apoptose des cellules bêta, et ce indépendamment de la formation de NO [5].

Il semble que dans les cellules bêta, différentes cytokines pro-inflammatoires affectent préférentiellement certaines branches de la réponse UPR. Ainsi, alors que l’IL-1β induit l’épissage alternatif de Xbp1 (Xbp1s) et la phosphorylation de PERK/eIF2α, l’IFN-γ diminue l’expression de Xbp-1s, de BIP et d’autres chaperones du réticulum endoplasmique en aval de ATF6/XBP1s, sensibilisant ainsi les cellules bêta à l’apoptose induite par des agents chimiques de stress ou par l’IL-1β [6]. En lien avec ce qui précède, l’inhibition in vivo de la voie ATF6 accélère le développement d’un diabète dans des souris NOD (non obese diabetic) [4].

Arguments in vivo en faveur d’une réponse UPR
Deux récentes études fournissent de solides indications quant à la présence de marqueurs de la réponse UPR in vivo dans des îlots enflammés de DT1. La première, comparant des îlots de souris NOD pré-diabétiques (âgées de 6 à 10 semaines) à ceux de souris contrôles, montre un réticulum endoplasmique anormalement gonflé (caractéristique d’un stress) et une augmentation de l’expression de l’ARNm de BIP, Xbp1s et Chop (C/EBP homologous protein) [ 9]. La seconde étude a utilisé une approche quantitative non biaisée afin d’évaluer la présence de marqueurs de stress du réticulum dans des coupes de pancréas de 13 patients atteints de diabète de type 1 (DT1) versus 15 sujets contrôles. Chez les patients diabétiques, on observe une augmentation de l’expression de CHOP et de BIP dans les îlots présentant une insulite [ 10]. Ces résultats laissent à penser que les cellules insulaires enflammées de sujets atteints de DT1 développent une réponse partielle au stress du réticulum. Cette réponse est probablement de type dynamique, comme le suggèrent des études time course sur des souris NOD montrant une augmentation précoce de l’expression d’ATF6 et de XBP-1, suivie par une diminution graduelle de l’expression de ces deux marqueurs de la réponse UPR, ce qui coïncide avec la perte progressive des cellules bêta [4]. Il est important de souligner que la restauration du niveau d’expression d’ATF6 par des chaperones chimiques prévient la mort des cellules bêta et le diabète. En effet, l’administration d’acide tauroursodéoxycholique (TUDCA), une chaperone chimique utilisée en pratique clinique pour traiter certaines maladies hépatiques, réduit l’incidence du diabète et améliore la survie et la morphologie des cellules bêta dans deux modèles murins de DT1 [4].
Conclusions et perspectives

De plus en plus d’éléments semblent indiquer que le stress du réticulum, induit par un stress immun (DT1) ou métabolique (DT2), contribue à la perte des cellules bêta, ouvrant la voie à de nouvelles possibilités thérapeutiques. Les bénéfices apportés par des chaperones chimiques, comme le TUDCA, administrées à des modèles murins de DT1 et de DT2 ne font que renforcer cette hypothèse. Néanmoins, ces chaperones ne sont pas spécifiques, ce qui rend indispensable le développement de nouveaux modulateurs spécifiques du stress du réticulum. De plus, il serait intéressant d’observer si des modifications du mode de vie comme une perte de poids associée à des exercices physiques, peuvent ralentir la progression du DT1 chez les jeunes obèses présentant des autoanticorps, via une diminution du stress du réticulum endoplasmique de leurs cellules bêta.

Il convient de garder à l’esprit qu’une prévention efficace de la perte des cellules bêta dans le DT1 doit passer par la mise en œuvre d’approches multiples et complémentaires, que les différentes voies de la réponse UPR sont essentielles au bon fonctionnement et à la survie des cellules bêta et que cette réponse, déclenchée par l’inflammation, est très hétérogène. Ainsi, moduler le stress du réticulum endoplasmique dans le but de protéger les cellules bêta devra nécessairement s’accompagner d’une stratégie visant à restaurer une certaine tolérance immunitaire, tout en tenant compte du rapport coût-bénéfice engendré par une intervention sur la réponse UPR dans des cellules hautement sécrétrices comme les cellules bêta.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Ces travaux ont été soutenus par des fonds de l’Union européenne (projets BetaBat et Naimit dans le 7e Programme cadre de la communauté européenne), par le Juvenile Diabetes Research Foundation International (JDRFI), le Fonds national de la recherche scientifique (FNRS) et l’Actions de recherche concertées de la communauté française (ARC), Belgique.

 
Footnotes
1 Voir le numéro thématique que médecine/sciences a consacré au « diabète : approches thérapeutiques émergentes » en 2013 (vol 29, n° 8/9).
References
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