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Med Sci (Paris). 2014 June; 30(6-7): 613–615.
Published online 2014 July 11. doi: 10.1051/medsci/20143006005.

La maladie d’Alzheimer, un problème de trafic endosomal dans les neurones ?

Virginie Buggia-Prévot1*

1The University of Chicago, Department of Neurobiology, Chicago, IL, 60637, États-Unis

MeSH keywords: Maladie d'Alzheimer, étiologie, métabolisme, Amyloid precursor protein secretases, Protéines amyloïdogènes, Aspartic acid endopeptidases, Transport biologique, Endocytose, physiologie, Endosomes, Humains, Neurones, cytologie

 

La maladie d’Alzheimer est la première cause de démence et touche une proportion – qui croît de façon alarmante – de la population âgée de plus de 65 ans. Cependant, il n’existe aucun traitement efficace pour guérir cette maladie neurodégénérative affectant la mémoire, qui devient un problème socio-économique majeur dans les pays développés. La recherche de nouvelles cibles thérapeutiques est donc cruciale pour une meilleure compréhension de la maladie d’Alzheimer, première étape pour élaborer de nouvelles stratégies thérapeutiques. Deux types majeurs de lésions sont observés dans le cerveau des patients atteints de la maladie d’Alzheimer : les dégénérescences neurofibrillaires et les plaques séniles constituées d’agrégats extracellulaires du peptide amyloïde Aβ. Il a été amplement démontré que la surproduction du peptide amyloïde est toxique pour les neurones et contribue largement aux troubles cognitifs associés à la maladie. Une des raisons de cette surproduction est une augmentation de l’interaction physique entre le précurseur du peptide amyloïde, APP (amyloid precursor protein), et l’enzyme limitante de sa production, la bêta secrétase BACE1, dont l’expression est augmentée dans le cerveau des patients atteints de la maladie d’Alzheimer. Depuis sa découverte en 1999, BACE1 a fait l’objet d’innombrables travaux, et l’industrie pharmaceutique a été à l’origine de nombreux essais cliniques utilisant des molécules bloquant l’activité enzymatique de BACE1 dans l’espoir de corriger la surproduction anormale de peptide amyloïde. Mais l’inhibition de l’activité enzymatique de BACE1 est problématique car l’enzyme n’a pas comme seul substrat le peptide amyloïde : elle clive aussi d’autres protéines nécessaires au bon fonctionnement du cerveau, et son inhibition pourrait induire des effets secondaires nuisibles.

Les endosomes, lieu de production du peptide amyloïde

Plusieurs études de systèmes cellulaires non neuronaux ont démontré que le peptide amyloïde est produit dans les endosomes, organites intracellulaires au pH acide dans lesquels l’activité de BACE1 est optimale. BACE1 et APP sont des protéines transmembranaires, qui, une fois synthétisées, sont transportées à la surface cellulaire (voie de sécrétion) puis réinternalisées dans les endosomes, véritable plate-forme de tri des protéines et déterminante pour leur devenir au sein de la cellule. À partir des endosomes, APP et BACE1 peuvent retourner à la surface de la cellule (recyclage), être dégradées (dans les lysosomes), ou être redirigées dans d’autres compartiments cellulaires. Les endosomes sont constitués de nombreuses vésicules très mobiles dans la cellule. Il semblerait que ce transport extrêmement dynamique permette à BACE1 d’être séparée physiquement d’APP en conditions physiologiques, et ce même si ces protéines empruntent les mêmes voies de transport. Il a été démontré, mais surtout dans des systèmes non neuronaux, que plusieurs protéines impliquées dans la modulation du transport de BACE1 ou d’APP influençaient la production de peptide amyloïde. Dans les neurones, APP est transportée le long de l’axone, et sa conversion en peptide amyloïde semble se produire pendant son transport dans l’axone et/ou au niveau des terminaisons axonales (terminaisons présynaptiques). En revanche, la localisation précise du clivage d’APP par BACE1 dans les neurones n’est pas encore élucidée. Dans le cerveau de patients atteints de la maladie d’Alzheimer, BACE1 s’accumule de façon anormale au niveau des terminaisons présynaptiques, autour des dépôts amyloïdes [ 1]. Il est donc envisageable qu’un dysfonctionnement dans le transport de BACE1 soit à l’origine de son accumulation à la synapse. Ainsi, l’augmentation locale de BACE1 favoriserait le clivage d’APP par BACE1.

BACE1, une protéine au transport unique dans les neurones

Dans un article récemment publié dans Cell Reports [ 2], afin d’évaluer l’impact de la localisation de BACE1 sur la production du peptide amyloïde, nous avons étudié la régulation du transport intracellulaire de l’enzyme par vidéomicroscopie dans des neurones cultivés in vitro. Pour permettre sa visualisation, nous avons élaboré une version fluorescente de BACE1 par l’ajout d’une étiquette à l’extrémité carboxy-terminale : la protéine YFP (yellow fluorescent protein), une version modifiée de la protéine GFP (green fluorescent protein) naturellement fluorescente chez certaines espèces de méduses. Afin d’étudier plus spécifiquement le transport de BACE1 après son internalisation dans les endosomes à partir de la surface du neurone, nous avons également incorporé une deuxième étiquette à l‘autre extrémité de la protéine, contenant la séquence minimale d’interaction avec l’α-bungarotoxine. L’α-bungarotoxine est issue du venin de serpent et se lie de façon très spécifique au récepteur de l’acétylcholine dans le cerveau, occasionnant une paralysie immédiate. Les neurones de souris cultivés in vitro exprimant cette version modifiée de BACE1 sont mis en présence de l’α-bungarotoxine fluorescente (émettant dans l’infrarouge) qui, après quelques minutes, commence à être internalisée avec BACE1 dans les endosomes (Figure 1). Cette stratégie nous permet de différencier le transport vésiculaire du pool total de BACE1 du pool internalisé dans les endosomes ; en la couplant à la vidéomicroscopie, nous avons fait une découverte surprenante : les vésicules contenant BACE1, une fois internalisées dans les dendrites, se déplaçaient uniquement en direction du soma du neurone, alors que dans l’axone, elles pouvaient être transportées dans les deux sens. Ce mode de transport est étonnant car les microtubules (les rails sur lesquels les vésicules transportent les protéines) sont orientés dans les deux directions dans les dendrites (extrémités « plus » et « moins »), mais dans une seule au niveau de l’axone. Cette orientation des microtubules permet aux vésicules qui transportent les protéines de se lier à un moteur moléculaire ; selon le type de ce dernier, le déplacement de la vésicule se fera en direction d’une extrémité ou de l’autre du microtubule. Il était donc inattendu d’observer que malgré cette orientation mixte des microtubules dans les dendrites, plus de 97 % des vésicules mobiles se déplaçaient dans le même sens en direction du soma du neurone.

Les protéines EHD, régulateur du transport vésiculaire de BACE1

En explorant plus en détail la localisation subcellulaire de BACE1 internalisée, grâce à l’utilisation de marqueurs pour chacun des différents types d’endosomes, nous avons découvert que BACE1 était plus particulièrement enrichie dans les endosomes de recyclage (Figure 1). Bien que ce type d’endosomes soit mal connu dans les neurones, deux fonctions principales ont été décrites : le renvoi de récepteurs à la surface cellulaire, ou leur ciblage dans un autre domaine de la membrane. De façon à identifier la machinerie moléculaire responsable du ciblage de BACE1 aux endosomes, nous avons évalué l’impact sur le transport de BACE1 de différentes protéines candidates, connues pour réguler le transport endosomal. Les protéines de la famille des EHD (Esp15 homology domain-containing proteins) ont plus particulièrement suscité notre intérêt, car elles sont colocalisées avec le récepteur de la transferrine et Rab11, deux protéines spécifiquement enrichies dans les endosomes de recyclage. En effet, EHD coopèrent avec la petite GTPase Rab11 qui permet de cibler les vésicules dans la voie de recyclage et ainsi de réguler la présence du récepteur de la transferrine à la surface cellulaire. La famille des EHD comprend quatre variants : EHD1, EHD2, EHD3, EHD4, et nous avons déterminé que seuls les variants EHD1 et EHD3 étaient exprimés ou colocalisaient avec BACE1 dans le cerveau de mammifères ainsi qu’avec le pool endosomal de BACE1 dans les cultures de neurones in vitro.

Pour étudier le rôle potentiel des EHD dans le transport de BACE1, et pour éviter les phénomènes de compensation, nous avons surexprimé des versions mutées de ces protéines ; les mutations affectaient leur fonction et leur conféraient une action de dominant négatif. Grâce à cette stratégie, nous avons révélé un rôle jusqu’alors méconnu pour les protéines EHD dans le mouvement des vésicules contenant BACE1 dans les dendrites après l’internalisation de l’enzyme dans les endosomes. En effet, l’expression de la forme inactive de EHD1 ou EHD3 bloque uniquement le transport vésiculaire de BACE1 internalisée au niveau des dendrites se déplaçant vers le soma du neurone (transport rétrograde), tandis que la surexpression des versions sauvages d’EHD1 et EHD3 n’affecte aucunement ce transport. Cette perte de mobilité des vésicules contenant BACE1 est également corrélée à une diminution de son accès à l’axone. Nous avons donc émis l’hypothèse que la transcytose de BACE1, c’est-à-dire le passage du compartiment somato-dendritique à l’axone, était dépendante de son internalisation dans les endosomes et requérait les protéines EHD (Figure 2).

Influence du transport vésiculaire de BACE1 dans les endosomes sur la production du peptide amyloïde

Si l’on envisage de nouvelles stratégies thérapeutiques ciblant cette voie, il était essentiel de déterminer si la modulation du trafic de BACE1 influençait la production de peptide amyloïde dans les neurones. De fait, abolir l’expression d’EHD1 et EHD3 dans les neurones en culture entraîne un déclin du taux de peptide amyloïde sécrété par les neurones, suggérant que le clivage d’APP par BACE1 est bien dépendant de la localisation subcellulaire de cette enzyme, en particulier dans un type spécifique d’endosomes. Notre identification récente de Rab11 comme régulateur de la transcytose de BACE1 dans les neurones confirme cette hypothèse [ 3]. De plus, Rab11 s’est révélé être la protéine Rab ayant le plus d’impact sur la production de peptide amyloïde dans les neurones, parmi la trentaine de différents variants de ces protéines que nous avons testés [ 4].

Conclusion

Notre étude a révélé un nouveau mode de transport dans les neurones : le transport unidirectionnel de BACE1 dans les dendrites ; elle a démontré un lien fort entre la localisation de BACE1 et son transport dans les endosomes, et la production de peptide amyloïde. Ces résultats sont encourageants pour le développement de nouvelles stratégies thérapeutiques visant à diminuer le taux de ce peptide, toxique pour les neurones lorsque sa concentration devient anormalement élevée dans le cerveau des malades atteints de la maladie d’Alzheimer. Ainsi, cibler le transport vésiculaire de BACE1 pourrait constituer une alternative thérapeutique prometteuse aux inhibiteurs de l’activité enzymatique de BACE1.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
Zhao J , Fu Y , Yasvoina M , et al. Beta-site amyloid precursor protein cleaving enzyme 1 levels become elevated in neurons around amyloid plaques: implications for Alzheimer’s disease pathogenesis . J Neurosci. 2007; ; 27 : :3639.–3649.
2.
Buggia-Prévot V , Fernandez CG , Udayar V , et al. A function for EHD family proteins in unidirectional retrograde dendritic transport of BACE1 and Alzheimer’s disease Abeta production . Cell Rep. 2013; ; 5 : :1552.–1563.
3.
Buggia-Prévot V , Fernandez CG , Riordan S , et al. Axonal BACE1 dynamics, targeting in hippocampal neurons: a role for Rab11 GTPase . Mol Neurodegener. 2014; ; 9 : :1..
4.
Udayar, V , Buggia-Prévot V , Guerreiro RL , et al. A paired RNAi and RabGAP overexpression screen identifies Rab11 as a regulator of beta-amyloid production . Cell Rep. 2013; ; 5 : :1536.–1551.