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Med Sci (Paris). 2014 December; 30(12): 1078–1080.
Published online 2014 December 24. doi: 10.1051/medsci/20143012008.

Cancer, formes réactives de l’oxygène et neuropathies périphériques chimio-induites

Frédéric Batteux,1* Olivier Cerles,1 and Carole Nicco1

1Département reproduction, développement et cancer, Inserm U1016, hôpital Cochin, pavillon G. Roussy, 8, rue Méchain75014Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Antinéoplasiques, effets indésirables, Acide édétique, analogues et dérivés , Humains, Tumeurs, traitement médicamenteux, métabolisme, Neuropathies périphériques, induit chimiquement, Phosphate de pyridoxal, Espèces réactives de l'oxygène, Superoxide dismutase

Les formes réactives de l’oxygène

Les formes réactives de l’oxygène (FRO) [ 1] sont des espèces chimiques oxygénées très réactives du fait de la présence d’électrons de valence non appariés. Les FRO sont produites en continu par les cellules eucaryotes, conséquence du métabolisme cellulaire aérobie normal. Elles jouent un rôle indispensable dans le contrôle des voies de signalisation en réponse aux changements intra et extracellulaires. Tous les organismes vivants doivent maintenir leur équilibre redox pour survivre et proliférer [ 2]. De ce fait, plusieurs systèmes antioxydants permettent de réguler finement les taux de FRO intra et extracellulaires. Il existe des systèmes non enzymatiques comme certaines vitamines (C et E), certains oligo-éléments (Se, Cu, Zn), le glutathion, les flavonoïdes. Il existe également plusieurs systèmes enzymatiques : les superoxyde dismutases (SOD) catalysent la dismutation de l’anion superoxyde (O2 .-) en peroxyde d’hydrogène (H2O2) ; la catalase et la glutathion peroxydase catalysent la décomposition d’H2O2 en eau et en O2. Indispensables à la physiologie cellulaire normale, ces molécules peuvent aussi avoir des effets toxiques si elles sont produites en excès, ou s’il existe un défaut de leur élimination [ 3]. Un excès de FRO peut induire des lésions de l’ADN potentiellement mutagènes, ainsi que la peroxydation des lipides et l’oxydation des protéines, entraînant le dysfonctionnement de ces dernières. Un stress oxydant chronique est observé dans de nombreux processus pathologiques comme les maladies inflammatoires systémiques, les cancers ou les maladies neurodégénératives.

Les formes réactives de l’oxygène en oncologie

En oncologie, l’ambivalence de l’action des FRO est reconnue et capitale [ 4]. Plusieurs études ont permis de mettre en évidence le rôle majeur d’H2O2 dans la prolifération des cellules normales et tumorales. Dans les cellules normales, un stress oxydant modéré est associé à une augmentation de la prolifération cellulaire via l’activation de kinases, l’inhibition de phosphatases cellulaires et/ou des lésions de l’ADN favorisant un processus de carcinogenèse. Ce phénomène tend à être constitutif dans les cellules tumorales dont la production basale de FRO est significativement plus élevée que celle des cellules normales [4]. Dans les cellules tumorales, la surproduction de FRO est en partie due à des modifications métaboliques (effet Warburg) et à la diminution de défenses antioxydantes. Les cellules tumorales sont plus sensibles que les cellules normales à une augmentation des FRO dont la concentration y dépasse plus vite un seuil létal. De nombreuses chimiothérapies comme les taxanes [ 5], les sels de platine [ 6], l’arsenic [ 7] ou certains inhibiteurs de tyrosine kinases [ 8] exercent au moins en partie leur effet antitumoral en générant des FRO. Toute molécule capable de moduler la production de FRO en réponse à ces drogues peut potentialiser la réponse à la chimiothérapie. Il a été montré que des modulateurs du stress oxydant comme des mimétiques de SOD [6, 9] stimulent la production d’H2O2 induite par la chimiothérapie et en améliore les effets. L’O2 .-, produit en excès par le métabolisme de la cellule tumorale, augmente encore lorsque ces cellules sont soumises à certaines chimiothérapies. Les mimétiques de SOD augmentent la concentration d’H2O2 par dismutation de l’O2 .-. Ce phénomène augmente la toxicité de la chimiothérapie car l’O2 .- est moins toxique que l’H2O2. Les cellules normales sont intrinsèquement moins sensibles au stress oxydant induit par la chimiothérapie : elles produisent moins de FRO à l’état basal et ont des défenses antioxydantes supérieures. En outre, certains mimétiques de SOD possèdent, en plus de l’activité SOD, des activités catalase et glutathion réductase. Ces activités sont mineures par rapport à l’activité SOD et ne permettent pas de bloquer les effets toxiques de ces drogues sur les cellules tumorales. En revanche, dans les cellules normales, cette activité permet de détoxifier une partie de l’H2O2 généré par la chimiothérapie et d’en prévenir les effets toxiques. C’est ainsi que certains mimétiques de SOD permettent d’augmenter l’index thérapeutique des taxanes ou des platines en prévenant notamment les leucopénies chimio-induites.

Les neuropathies chimio-induites, conséquence de la chimiothérapie

La neuropathie chimio-induite représente un effet secondaire majeur de la chimiothérapie des cancers tant par ses conséquences que par son incidence. Elle survient chez 85 à 95 % des patients traités par platine [ 10] et impose une réduction de dose et de durée du traitement. L’amélioration de l’efficacité de l’oxaliplatine par une modulation des FRO implique donc de ne pas augmenter la neuropathie périphérique. L’apparition de la neuropathie se fait en deux phases, l’une aiguë, immédiatement après l’administration de la drogue, avec des paresthésies et des crampes musculaires au niveau des pieds et des mains. La rapidité d’apparition du phénomène suggère un effet direct sur les fibres nerveuses. La neuropathie devient chronique dans 15 à 20 % des cas, parfois de façon irréversible.

La neuropathie périphérique chimio-induite est liée à plusieurs phénomènes. Une atteinte des nerfs caractérisée par des lésions axonales et demyélinisantes associées à des anomalies des canaux sodiques et potassiques qui régulent l’influx nerveux [ 11]. Ce phénomène est responsable d’une perte partielle des fibres nerveuses intraépidermiques avec une modification de la sensibilité et l’apparition de décharges spontanées douloureuses [ 12]. Des régulateurs des canaux sodiques et potassiques font disparaître l’allodynie au froid et réduisent l’hyperexcitabilité des axones induite par l’oxaliplatine chez le rat [ 13, 14]. D’un point de vue moléculaire, outre son effet toxique direct, l’oxaliplatine se scinde dans les neurones en diaminocyclohexane platine et en oxalate qui chélate le calcium intracellulaire et interfère avec certains canaux ioniques. Ce phénomène serait à l’origine des manifestations neurosensitives et musculaires, cliniques et électromyographiques observées chez les patients [ 15].

L’oxaliplatine peut également provoquer des neuropathies par un mécanisme ischémique affectant les vasa nervorum comme cela est décrit dans les neuropathies périphériques observées au cours du diabète [ 16]. L’activation par l’oxaliplatine des cellules endothéliales, mais également des cellules gliales, des macrophages ou des cellules dendritiques, induit des phénomènes inflammatoires qui interviennent aussi dans ces neuropathies [ 17]. La production de FRO et de NO [ 18], de cytokines pro-inflammatoires comme le TNF-α (tumor necrosis factor) ou de facteurs neurotrophiques qui induisent une sensibilisation des nocicepteurs, aboutit à des décharges spontanées et une hypersensibilité mécanique et thermique.

Le stress oxydant joue un rôle majeur dans l’induction des neuropathies induites par l’oxaliplatine, par ses effets toxiques directs sur les nerfs (axones, gaine de myéline et canaux ioniques), par son impact sur l’intégrité des cellules endothéliales et par les phénomènes inflammatoires qu’il induit. Cliniquement, le rôle du stress oxydant [ 19] dans les neuropathies périphériques chimio-induites est mis en évidence par la diminution de l’hyperalgésie provoquée par l’oxaliplatine grâce à l’administration d’antioxydants tels que l’acétyl-L-carnitine, l’acide α-lipoïque ou la vitamine C. Toutefois, l’utilisation de ces molécules est limitée par leur effet protumoral et inhibiteur des chimiothérapies.

Le rôle bénéfique d’un mimétique de SOD

Nous avons récemment montré [ 20] qu’un mimétique de SOD, le mangafodipir, pouvait prévenir la neurotoxicité induite par l’oxaliplatine dans un modèle murin, mais aussi chez les patients présentant une neuropathie de grade 2 ou plus [20]. Chez les animaux traités par oxaliplatine et mangafodipir, les manifestations neurosensitives et musculaires - cliniques et électromyographiques - sont significativement réduites. Dans cette étude, le mangafodipir rétablit le fonctionnement des canaux potassique et prévient les altérations des axones et de la gaine de myéline des fibres nerveuses induites par l’oxaliplatine. L’association permet de réduire significativement le grade de la neuropathie chez plus de 75 % des patients tout en poursuivant le traitement neurotoxique par oxaliplatine.

La neurotoxicité sévère étant la principale cause d’arrêt de l’oxaliplatine, sa diminution grâce au mangafodipir est un phénomène particulièrement intéressant et qui revêt ici un caractère unique très prometteur car le mangafodipir, au contraire d’autres antioxydants, possède aussi la capacité de potentialiser les effets antitumoraux de l’oxaliplatine [6]. ‡

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

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