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Med Sci (Paris). 2015 January; 31(1): 15–17.
Published online 2015 February 6. doi: 10.1051/medsci/20153101004.

L’imagerie fonctionnelle des neurones individuels au sein de réseaux complexes

Romuald Nargeot,1 Guillaume Radecki,2 Ileana O. Jelescu,2 Denis Le Bihan,2 and Luisa Ciobanu2*

1Université de Bordeaux et CNRS, Institut de neurosciences cognitives et intégratives d’Aquitaine, UMR 5287, F-33000Bordeaux, France
2NeuroSpin, Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives, 91191Gif-sur-Yvette, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Aplysia, Suivi cellulaire, Imagerie par résonance magnétique, Manganèse, Réseau nerveux, Techniques de traçage neuroanatomique, Neurones, méthodes, composition chimique, cytologie

Premières images de neurones en IRM fonctionnelle

Comprendre l’origine des comportements normaux ou pathologiques nécessite d’analyser les propriétés fonctionnelles des réseaux de neurones du système nerveux central (SNC) et leur régulation par les entrées sensorielles périphériques. L’analyse de ces phénomènes, initialement basée sur des circuits simples [1, 2], a montré la grande diversité des neurones qui, par leurs propriétés membranaires et synaptiques, contribuent ensemble à organiser et à émettre les actes moteurs. La diversité neuronale est d’autant plus importante que les comportements sont complexes. Ainsi, les comportements motivés ou dirigés vers un but tels que les comportements alimentaires, sexuels ou sociaux, sont produits par des structures cérébrales complexes, composées de nombreux neurones aux propriétés fonctionnelles variées, qui rendent difficile une analyse cellulaire [3]. Pourtant, cette étude à l’échelle des cellules individuelles est fondamentale, non seulement pour appréhender le fonctionnement normal du SNC, mais également pour comprendre les mécanismes intimes des dérèglements à l’origine des conduites pathologiques.

Les techniques d’imagerie fonctionnelle ont permis des progrès considérables dans la visualisation du fonctionnement normal et pathologique du SNC. Ainsi, l’imagerie par résonance magnétique nucléaire (IRM) est aujourd’hui largement utilisée dans le contexte d’études expérimentales et cliniques. La plupart de ces études sont limitées par une résolution spatiale de l’ordre de (0,3 mm)3, une échelle qui permet de visualiser des structures nerveuses de plusieurs centaines de cellules, mais sans en distinguer les neurones constitutifs. La microscopie par résonance magnétique (MRM) permet cependant d’atteindre des résolutions de l’ordre du micromètre [4, 5]. Pourtant, jusqu’à présent, la vaste majorité des études en MRM se sont limitées à l’imagerie de structures statiques plutôt que fonctionnelles. Depuis une dizaine d’années, une nouvelle technique d’IRM fonctionnelle a été introduite : l’IRM rehaussée au manganèse (MEMRI). MEMRI utilise l’ion manganèse (Mn2+) comme marqueur de l’activité neuronale [6]. Cet analogue du calcium s’accumule dans les neurones en fonction de leur activité électrique individuelle, en empruntant les canaux calciques et cationiques de leur membrane plasmique. Grâce à ses propriétés paramagnétiques, le Mn2+ modifie localement l’environnement magnétique des protons, permettant ainsi de visualiser cet effet sur certaines images IRM.

L’étude MEMRI que nous avons menée a permis de faire passer la MRM de l’observation de structures statiques à l’observation des propriétés fonctionnelles dynamiques des réseaux neuronaux et de neurones individuels. Pour cela, nous avons utilisé le mollusque marin aplysie (Figure 1), dont le système nerveux est composé d’un nombre réduit de neurones qui sont les plus gros du règne animal (quelques centaines de micromètres) [7]. Chez ce modèle animal simple, les neurones formant les réseaux responsables de la genèse de son comportement alimentaire ont été identifiés au sein des ganglions buccaux par des méthodes d’électrophysiologie et d’histologie, et offrent ainsi une opportunité unique pour une analyse en IRM fonctionnelle [810].

Accumulation in vivo de Mn2+ dans des neurones identifiés

Pour visualiser l’activité neuronale en IRM, une faible concentration de Mn2+ est injectée chez l’animal [7]. Après une période pendant laquelle l’aplysie effectue sa recherche de nourriture sans aucun stimulus extérieur, les ganglions buccaux sont isolés puis analysés par résonance magnétique à ultra-haut champ (17,2 Tesla). Une série d’expériences a permis de vérifier que, comme chez les mammifères, le Mn2+ s’accumule dans les réseaux neuronaux. Cette accumulation est visualisée par une intensification du signal sur les images IRM. Cette méthode établit que les zones d’accumulation du Mn2+ correspondent précisément aux somas des neurones moteurs identifiés individuellement et dont l’activité électrique est responsable des contractions musculaires exécutées lors de la recherche de nourriture. Il est intéressant de noter que cette accumulation de Mn2+ varie d’un neurone à l’autre proportionnellement à la durée et à l’intensité de l’activité électrique résultant de l’ouverture, dépendante du voltage, des canaux membranaires propres à chaque neurone. Ces résultats, obtenus chez des animaux non stimulés, montrent que la concentration en Mn2+ dans les neurones reste relativement faible (environ 20 µM).

Modifications de l’activité neuronale par des stimulus sensoriels

Pour stimuler leur système nerveux, les animaux sont mis en présence d’aliments. Ces aliments activent des récepteurs sensoriels externes (péri-oraux) et internes (intra-buccaux) qui déclenchent les phases d’excitation et de consommation du comportement alimentaire. La phase d’excitation (ou appétitive) correspond à une intensification du déplacement de l’animal, qui recherche sa nourriture mais ne modifie pas drastiquement ses mouvements buccaux. La phase de consommation correspond en revanche à l’ingestion de l’aliment. Elle se différencie de la précédente par l’arrêt des déplacements et une intensification/répétition des mouvements buccaux. Ainsi, à la fois l’origine des stimulus sensoriels et les réponses motrices évoquées distinguent ces deux phases du comportement. Chez les animaux stimulés par l’aliment et ayant préalablement reçu une injection de Mn2+, l’imagerie des ganglions buccaux met en évidence une très nette augmentation du signal dans les neurones moteurs responsables des mouvements buccaux (Figure 2). Cette augmentation du signal correspond à une concentration intracellulaire de Mn2+ d’environ 64 µM.

Réponses différentielles des neurones

Les effets différentiels des stimulus externes et internes peuvent être observés : la très forte augmentation d’intensité du signal dans les neurones d’animaux qui ont été à la fois excités (stimulation externe) et nourris (stimulation interne) ne s’observe pas chez des animaux qui n’ont été qu’excités (stimulation externe). Dans ce dernier cas, les concentrations intracellulaires de Mn2+ restent proches, bien que légèrement supérieures (~ 30 µM), de celles observées chez les animaux non stimulés (~20 µM). Il est à noter que ces modifications du signal varient selon les neurones, et que l’on met en évidence la présence d’excitations, mais aussi d’inhibitions au sein du réseau. Ainsi, l’IRM fonctionnelle permet de visualiser non seulement des modifications d’activités neuronales individuelles, mais également différents profils de réponses neuronales.

Conclusion et perspectives

Cette étude [7] offre une preuve de concept de la possibilité d’une imagerie fonctionnelle des neurones individuels au sein de réseaux complexes qui génèrent des fonctions biologiques identifiées. Notons que les concentrations intracellulaires du marqueur d’activité utilisé (Mn2+) sont très inférieures à celles qui produisent des effets toxiques pour les cellules. Ainsi, cette avancée technique permet l’analyse du fonctionnement dynamique des neurones dans les conditions physiologiques, et pourra être étendue aux conditions pathologiques. D’autre part, bien qu’actuellement difficile, son application chez les mammifères est envisageable. L’IRM à l’échelle de la cellule sur des tissus fixés porcin et humain a déjà été réalisée [11]. L’amélioration de la technique dans un futur proche devrait permettre d’appliquer cette approche à des tissus vivants chez les mammifères. ‡

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Cette étude a bénéficié du soutien financier de l’Agence nationale pour la recherche (ANR-13-BSV5-0014-01).

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