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Med Sci (Paris). 2015 February; 31(2): 121–123.
Published online 2015 March 4. doi: 10.1051/medsci/20153102002.

La radiothérapie FLASH pour épargner les tissus sains

Vincent Favaudon,1* Charles Fouillade,1 and Marie-Catherine Vozenin2**

1Inserm U 612, Institut Curie-Recherche, bâtiments 110-112, centre universitaire, 91405Orsay, France
2Radio-oncologie/radiothérapie, centre hospitalier universitaire vaudois, 1011Lausanne, Suisse
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Apoptose, Cellules cultivées, Chromosomes, Fractionnement de la dose d'irradiation, Électrons, Humains, Poumon, Souris, Organes à risque, Accélérateurs de particules, Lésions expérimentales radio-induites, Pneumopathie radique, Radiothérapie, Facteur de croissance transformant bêta, Recherche médicale translationnelle, Tests d'activité antitumorale sur modèle de xénogreffe, effets des radiations, effets indésirables, usage thérapeutique, métabolisme, prévention et contrôle, étiologie, anatomopathologie, méthodes, biosynthèse

Position du problème

La radiothérapie est, avec la chirurgie, la technique la plus efficace pour le traitement des tumeurs solides. En France, près de 180 000 patients bénéficient chaque année d’une radiothérapie à but curatif, palliatif ou symptomatique. Les progrès effectués durant les 30 dernières années ont été considérables et le taux de guérison, variable selon la localisation, le type et le stade des cancers, atteint aujourd’hui 60 %. Ces progrès sont liés pour l’essentiel à un gain en précision de l’imagerie, de la balistique et de la dosimétrie. Les diverses techniques de radiothérapie conformationnelle ont ainsi permis un meilleur contrôle local et une survie accrue. Toutefois, les technologies embarquées dans les accélérateurs linéaires d’électrons (canon, section accélératrice et production de rayons-X par freinage) utilisés en médecine et les modalités de délivrance de la dose, avec un débit de dose de l’ordre du Gray (Gy) par minute et une dose par fraction/jour de 2 Gy, n’ont guère évolué au cours des dernières décennies. D’autres procédés, comme l’irradiation par microfaisceaux (Pencil beam scanning, PBS) qui se développe en protonthérapie, mettent en œuvre des débits de dose instantanés qui peuvent atteindre 200 Gy/s, mais nécessitent un balayage du volume à irradier, de sorte que le temps nécessaire pour traiter une tumeur n’est pas très différent de celui qui prévaut en radiothérapie conventionnelle. Les réponses à ces nouvelles modalités de traitement en termes de complications (fibrose, cancers radio-induits, etc.) et d’efficacité antitumorale n’ont pas fait l’objet de recherches systématiques.

C’est cette lacune que nous avons cherché à combler en modifiant le débit de dose.

Premiers indices

Prempree et al. [1] avaient montré sur des cultures de cellules in vitro qu’une irradiation impulsionnelle (FLASH - dans ce cas précis 2 nanosecondes) produit moins d’aberrations chromosomiques d’échange qu’une irradiation conventionnelle (CONV - quelques minutes). Cette observation a été récemment confirmée par d’autres auteurs [2]. Nous mêmes avions montré [3, 4] qu’à dose égale, le taux de mort cellulaire différée, conséquence de l’instabilité chromosomique induite par l’irradiation, est considérablement plus faible après une irradiation FLASH qu’après une irradiation CONV. Or, à l’échelle d’un tissu, le mécanisme de mort cellulaire est un déterminant important des effets à long terme de l’irradiation, en particulier vis-à-vis de la survenue des complications.

Une méthodologie peu conventionnelle

L’ensemble de ces observations nous ont conduits à étudier la fibrose pulmonaire radio-induite chez des souris C57BL/6J [5, 6] exposées en une seule fois à une dose de 17 Gy localisée au thorax en mode FLASH (≥ 60 Gy/s, durée d’irradiation ≤ 0,5 s) et en mode CONV (0,03 Gy/s, durée d’irradiation > 500 s). Pour ces études, nous avons utilisé un accélérateur linéaire d’électrons, prototype qui fonctionne au sein du centre de recherche de l’Institut Curie à Orsay et délivre des électrons de 4,5 MeV avec un débit de dose moyen qui peut atteindre 2 000 Gy/s. Les souris irradiées selon l’un ou l’autre mode ont été suivies pendant 36 semaines. Les poumons ont été prélevés à intervalles de huit semaines avec examen des animaux avant (poids, état de la peau) et après autopsie (état des organes situés dans ou hors du champ d’irradiation, recherche d’une éventuelle pneumonie au stade congestif, etc.). Les poumons ont été fixés et préparés en coupes sériées pour caractérisation histologique de l’existence d’une fibrose dont le stade a été analysé selon une échelle appropriée. D’autres échantillons ont été préparés pour l’analyse du taux d’apoptose ou de l’expression du TGF-β (transforming growth factor). Le pouvoir antitumoral des deux modalités d’irradiation a ensuite été comparé, d’une part sur des xénogreffes de tumeurs humaines (HBCx-12A, carcinome du sein triple négatif ; HEp-2, carcinome tête et cou) implantées chez la souris Swiss nude, d’autre part sur des tumeurs syngéniques orthotopiques (carcinome TC-1 Luc+) localisées au poumon de souris C57BL/6J.

L’irradiation FLASH protège le poumon [7]

Les animaux exposés à 17 Gy CONV développent tous une alvéolite aiguë évoluant en 16 à 24 semaines en une fibrose pulmonaire complète. En revanche, aucune complication n’est observée chez les souris exposées à la même dose en mode FLASH. Il faut monter à 30 Gy FLASH pour produire une fibrose histologiquement comparable à celle observée après 17 Gy CONV, et induire l’expression du TGF-β, un marqueur universel de la fibrose pulmonaire [8]. Une réduction spectactulaire du taux d’apoptose radio-induite est observée au niveau des cellules musculaires lisses entourant les artérioles et les bronches. La peau est également protégée par l’irradiation FLASH jusqu’à 32 Gy, soit une dose presque double de celle qui produit une nécrose cutanée après une irradiation CONV. En revanche, l’irradiation FLASH s’est montrée aussi efficace que l’irradiation CONV sur les trois modèles tumoraux testés, et l’escalade de dose qu’autorise la réduction des complications au niveau des tissus sains a permis de parvenir à une cure complète dans deux cas sur trois.

L’irradiation FLASH a donc pour effet d’accroître le différentiel de réponse entre tumeurs et tissus sains. Ceci suggère que la méthode pourrait être utilisée, soit pour réduire l’incidence de complications, soit pour augmenter l’efficacité antitumorale.(Figure 1).

Des mécanismes aux applications cliniques

Qu’est-ce qui peut expliquer un tel écart entre tumeurs et tissus sains ? Une différence constante entre les deux types de tissus est que, chez l’adulte, les cellules des tissus sains se trouvent le plus souvent en état de quiescence (dormance), alors que la plupart des cellules tumorales se répliquent activement. Or, les voies de réparation des dommages de l’ADN dépendent pour une large part de la progression dans le cycle cellulaire et, selon les auteurs, le mécanisme de recombinaison homologue, qui seul permettrait une réparation fidèle des lésions complexes de l’ADN, est bloqué dans les cellules quiescentes [9, 10]. Nous supposons donc que la différence entre les deux modalités d’irradiation s’explique par le fait que l’irradiation FLASH ne produit pas un sous-type de dommages dont la réparation nécessite la mise en œuvre de la recombinaison homologue. L’avenir dira si cette hypothèse se vérifie.

La radiothérapie FLASH est-elle transposable en thérapeutique humaine ? Pour répondre à cette question il faut approfondir la connaissance des mécanismes biologiques qui sont à l’origine du phénomène que nous avons mis en évidence. D’autres limites sont d’ordre opérationnel et technologique. Ainsi, l’effet différentiel du FLASH a été obtenu avec un protocole extrêmement hypofractionné (une seule fraction). L’avantage sera-t-il conservé en fractionnant la dose ? Quel sera alors l’étalement optimal : combien de fractions, quel intervalle ? Les accélérateurs qui permettraient de générer des flux d’électrons et/ou de rayons-X suffisamment élevés pour délivrer la radiothérapie en FLASH sont en cours de développement ; cette tentative représente en soi un véritable défi technologique. En attendant, les faisceaux de PBS à haut débit de dose qui se mettent actuellement en place dans les centres de protonthérapie pourraient, au prix d’une modification des protocoles spatio-temporels de délivrance de la dose, permettre de déterminer si la radiothérapie FLASH apporte un bénéfice en situation clinique. En tout état de cause, l’irradiation FLASH constitue un outil original et puissant pour étudier les paramètres biologiques fondamentaux qui différencient tumeurs et tissus sains du point de vue de la réponse au rayonnement. ‡

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

References
1.
Prempree T, Michelsen A, Merz T. The repair time of chromosome breaks induced by pulsed x-rays on ultra-high dose-rate . Int J Radiat Biol. 1969; ; 15 : :571.–574.
2.
Schmid TE, Dollinger G, Hable V, et al. Relative biological effectiveness of pulsed and continuous 20 MeV protons for micronucleus induction in 3D human reconstructed skin tissue . Radiother Oncol. 2010; ; 95 : :66.–72.
3.
Ponette V, Le Péchoux C, Deniaud-Alexandre E, et al. Hyperfast, early cell response to ionizing radiation . Int J Radiat Biol. 2000; ; 76 : :1233.–1243.
4.
Fernet M, Ponette V, Deniaud-Alexandre E, et al. Poly (ADP-ribose) polymerase, a major determinant of early cell response to ionizing radiation . Int J Radiat Biol. 2000; ; 76 : :1621.–1629.
5.
Sharplin J, Franko AJ. A quantitative histological study of strain-dependent differences in the effects of irradiation on mouse lung during the early phase . Radiat Res. 1989; ; 119 : :1.–14.
6.
Noble PW, Barkauskas CE, Jiang D. Pulmonary fibrosis: patterns and perpetrators . The J Clin Invest. 2012; ; 122 : :2756.–2762.
7.
Favaudon V, Caplier L, Monceau V, et al. Ultrahigh dose-rate FLASH irradiation increases the differential response between normal and tumor tissue in mice . Sci Transl Med. 2014;; 6 : :245ra93..
8.
Yarnold J, Vozenin-Brotons MC. Pathogenetic mechanisms in radiation fibrosis . Radiother Oncol. 2010; ; 97 : :149.–161.
9.
Mohrin M, Bourke E, Alexander D, et al. Hematopoietic stem cell quiescence promotes error-prone DNA repair and mutagenesis . Cell Stem Cell. 2010; ; 7 : :174.–185.
10.
Blanpain C, Mohrin M, Sotiropoulou PA, Passegue E. DNA-damage response in tissue-specific and cancer stem cells . Cell Stem Cell. 2011; ; 8 : :16.–29.