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Med Sci (Paris). 2015 February; 31(2): 137–138.
Published online 2015 March 4. doi: 10.1051/medsci/20153102008.

Application de la méthode Cas9/CRISPR à l’étude de la fonction synaptique

Cédric S. Asensio1*

1Department of Biological Sciences, University of Denver, F. W. Olin Hall, Room 102, 2101 E. Wesley Ave, Denver CO, 80210, États-Unis
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Biolistique, Systèmes CRISPR-Cas, Cellules cultivées, Techniques de knock-down de gènes, Gènes rapporteurs, Hippocampe, Protéines de tissu nerveux, Techniques de culture d'organes, Phénotype, Sous-unités de protéines, Cellules pyramidales, Rats, Récepteur de l'AMPA, Récepteurs du N-méthyl-D-aspartate, Protéines de fusion recombinantes, Synapses, Transmission synaptique, Transfection, génétique, physiologie, métabolisme

Méthodes permettant de modifier le génome

Durant ces dernières années, plusieurs techniques permettant la modification du génome ont été développées (TALEN, zinc-finger nuclease [12]). De manière générale, ces méthodes se fondent sur l’activité guidée d’une nucléase, permettant de couper l’ADN double brin à un endroit spécifique du génome. L’une d’entre elles (Cas9/CRISPR) utilise la nucléase bactérienne Cas9, modifiée de manière à ce que son site de clivage puisse être déterminé grâce à la simple coexpression d’un ARN guide (gARN) de 20 nucléotides complémentaires à la région cible du génome [13] ().

(→) Voir la Nouvelle de H. Gilgenkrantz, m/s n° 12, décembre 2014, page 1066

L’unique contrainte pour la sélection de ce gARN est la reconnaissance d’un motif dit PAM (protospacer adjacent motif) (NGG) en position 3’. L’occurrence d’un tel motif étant extrêmement fréquente dans le génome, Cas9 est donc virtuellement capable de cibler n’importe quel gène. Face à la possibilité de pouvoir modifier le génome à la demande, cette technique est rapidement devenue très populaire, et a été employée avec succès pour inactiver, réprimer, ou modifier des gènes d’intérêt dans toutes sortes de cellules provenant de divers organismes [16]. L’incroyable engouement pour cette approche vient en grande partie de son énorme potentiel, mais aussi de sa simplicité d’utilisation et d’implémentation.

Application de la technique Cas9/CRISPR à l’étude de la synapse

En collaboration avec l’équipe du Dr Roger Nicoll à l’université de Californie à San Francisco, nous avons testé l’efficacité du système Cas9/CRISPR dans les neurones postmitotiques, une application qui n’avait jamais été testée jusqu’alors [7]. L’activité synaptique des neurones excitateurs reposent essentiellement sur deux récepteurs majoritaires : les récepteurs du glutamate NMDA (N-methyl-d-aspartate) et AMPA (alpha-amino-3-hydroxy-5-methyl-4-isoxazolepropionic acid). Les récepteurs NMDA sont composés de deux sous-unités essentielles (GluN1) et deux sous-unités régulatrices (GluN2). Les récepteurs AMPA, quant à eux, sont des hétérotétramères formés d’une combinaison des sous-unités GluA1 à GluA4. La sous-unité GluA2 est présente dans la grande majorité des récepteurs AMPA et est essentielle pour les propriétés biophysiques du récepteur. En l’absence de GluA2, les récepteurs AMPA deviennent perméables aux ions calcium, ce qui entraîne une relation courant-voltage avec une forte rectification entrante1 [8]. Nous avons donc décidé de cibler la sous-unité essentielle GluN1 dans une première série d’expériences, puis, dans une seconde, la sous-unité GluA2. L’efficacité de l’approche Cas9/CRISPR dans ces neurones peut être testée sans équivoque, car le phénotype induit par l’absence de ces protéines est très bien défini.

Le système expérimental que nous avons utilisé repose sur des cultures organotypiques d’hippocampes, transfectées via la technique de la biolistique2. L’efficacité de cette méthode de transfection est très modeste, mais a l’avantage de ne perturber le système que très légèrement. De plus, étant donné que la grande majorité des cellules de la coupe ne sont pas transfectées, elles peuvent servir de contrôle interne. Il devient donc possible de mesurer simultanément l’activité électrique d’un neurone cible, et celle d’un neurone voisin non atteint.

Inactivation des sous-unités GluN1 et GluA2

Dans une première série d’expériences, nous avons introduit dans les neurones simultanément un plasmide codant pour Cas9 et pour un gARN ciblant GluN1, ainsi qu’un plasmide codant pour la protéine fluorescente GFP (green fluorescent protein). La présence de cette dernière permet d’identifier les neurones transfectés. Les études préalables utilisant la même approche de transfection et de mesures électrophysiologiques, mais reposant sur l’expression de la recombinase Cre dans des coupes de souris knock-out conditionnelles pour GluN1, ont démontré que l’absence de GluN1 dans les cellules CA1 de l’hippocampe a deux conséquences majeures sur les propriétés électriques de ces neurones : une élimination totale de la composante NMDA accompagnée d’une augmentation compensatoire de la composante AMPA des courants postsynaptiques [9, 10]. En maintenant les coupes organotypiques en culture après transfection, nous avons pu mesurer l’évolution des composantes NMDA et AMPA des courants synaptiques induits par la stimulation d’afférences glutamatergiques. Nous avons observé une réduction partielle (60 %) de la composante NMDA dès cinq jours après la transfection de Cas9/CRISPR, et son élimination complète 12 jours après dans 100 % des neurones analysés [7]. Comme cela a été rapporté avec le système Cre/Lox, nous avons aussi mesuré une augmentation compensatoire (~100 %) de la composante AMPA. Des résultats identiques ont été obtenus avec un deuxième gARN. De plus, nous avons pu vérifier que la probabilité de relâchement présynaptique de neurotransmetteurs n’est pas affectée dans ces conditions. Afin de nous assurer de la spécificité de l’effet observé, nous en avons testé la réversibilité en réintroduisant la sous-unité GluN1 grâce à un plasmide contenant l’ADNc codant cette sous-unité. Dans ces conditions, les réponses électrophysiologiques sont absolument identiques à celles des neurones contrôles.

Afin de tester si l’approche est applicable à d’autres protéines, nous avons ensuite sélectionné un gARN ciblant la sous-unité GluA2 du récepteur AMPA. En suivant la stratégie décrite précédemment dans les coupes hippocampales, nous avons observé une réduction de la composante AMPA avec une rectification entrante totale de ces courants dans 100 % des neurones ciblés. La composante NMDA, en revanche, n’est pas affectée dans ces conditions, suggérant que l’expression de Cas9 n’altère pas la synapse de manière non spécifique. Comme précédemment, la réintroduction de GluA2 via son ADNc renverse complètement le phénotype.

Finalement, afin de confirmer que les gARN choisis réduisent effectivement l’expression des protéines ciblées, nous avons infecté des cultures de neurones pyramidaux dissociés avec des lentivirus exprimant Cas9 ainsi que les mêmes gARN utilisées dans les expériences d’électrophysiologie. L’analyse en western blot montre que les protéines GluN1 ou GluA2 ont effectivement été éliminées de manière spécifique [7].

Avantages de l’approche Cas9 pour l’étude de la synapse

Notre compréhension de la fonction synaptique a reposé pendant longtemps sur l’utilisation d’activateurs ou d’inhibiteurs pharmacologiques. Malheureusement, ces outils pharmacologiques n’existent pas pour la majorité des protéines contribuant à la fonction synaptique. Le développement des stratégies d’invalidation de gènes a permis de remédier à ce problème, mais leur utilisation en routine se heurte à deux obstacles importants : (1) la délétion d’un gène peut être létale et ne permet donc pas d’étudier la fonction synaptique ; (2) la délétion a lieu au niveau de la cellule germinale et il est donc possible que des mécanismes de compensation se développent, masquant le véritable phénotype. Les stratégies de transgenèse conditionnelle permettent de résoudre ces problèmes, mais requièrent la génération d’animaux transgéniques, ce qui prend beaucoup de temps et reste relativement coûteux. L’ARN interférence (ARNi) a offert une solution alternative, mais, dans la plupart des cas, la suppression de la protéine ciblée n’est que partielle, ce qui complique l’interprétation des phénotypes. En comparaison, l’approche Cas9/CRISPR répond à la majorité de ces problèmes et offre des avantages multiples pour l’étude de la synapse. En effet, la technique est très facile et rapide à implémenter dans n’importe quel laboratoire ayant la capacité de faire un minimum de biologie moléculaire de base, et, de plus, elle est très économique. Elle permet de cibler théoriquement n’importe quel gène d’intérêt avec une grande efficacité, et finalement, elle permet même d’inactiver plusieurs gènes simultanément avec une simple transfection [2, 13]. La grande efficacité de l’approche Cas9/CRISPR observée dans cette étude peut refléter la nature postmitotique des cellules étudiées. Étant donné que les neurones ne se divisent pas, le niveau d’expression de Cas9 reste élevé pendant suffisamment de temps pour permettre la coupure de l’ADN cible. Toutefois, même si l’activité de Cas9 est relativement spécifique, des effets hors cibles peuvent survenir [11]. Il est donc fortement conseillé de confirmer les phénotypes avec un deuxième gRNA indépendant, et de valider les observations par le biais d’une expérience de « sauvetage ». En conclusion, nos résultats démontrent la faisabilité de l’approche Cas9/CRISPR dans le contexte de neurones et anticipent que cette approche deviendra un outil incontournable pour l’étude de la fonction synaptique.

 
Footnotes
1 Pour les canaux dits voltage dépendants, il existe un mécanisme voltage-dépendant de régulation du courant, propriété intrinsèque au canal. Certains canaux favorisent le passage des ions dans le sens entrant aux dépens du sens sortant, ce qui définit la rectification entrante.
2 La biolistique consiste à bombarder des tissus avec des microparticules de tungstène ou d’or de 1 à 3 µm enrobées d’ADN. La force de propulsion du « canon à particules » est obtenue par la détente d’un gaz sous pression.
References
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