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Med Sci (Paris). 2015 March; 31(3): 320–327.
Published online 2015 April 8. doi: 10.1051/medsci/20153103018.

Identification par deux criblages simultanés indépendants d’une famille d’inhibiteurs du métabolisme des glycérolipides

Florian Chevalier1 and Éric Maréchal1*

1Laboratoire de physiologie cellulaire végétale, UMR 5168, CNRS-CEA-INRA-université Grenoble Alpes, 17 rue des Martyrs, 38054Grenoble Cedex, France
 

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Les vertus du hasard pour le processus d’innovation

Nous avons tous en tête des découvertes scientifiques, anecdotiques ou fascinantes, qui furent le fruit du hasard ayant parfois introduit des ruptures scientifiques et technologiques que les approches rationnelles ne pouvaient pas apporter. On parle de découverte accidentelle, concept introduit au xviii e siècle par Horace Walpole sous le terme anglais « serendipity » [1]. Cette vertu du hasard peut être érigée en méthode lorsqu’on recherche de nouveaux composés actifs au milieu d’un très grand nombre de molécules testées en parallèle, allant de la dizaine à la centaine de milliers par jour pour un criblage robotisé, à des millions de structures moléculaires pour des criblages réalisés virtuellement à l’aide de logiciels [2, 24] (). On parle d’approches sans a priori, approches qui sont considérées comme stratégiques dans le processus d’innovation. Les progrès de la chimie, de la biologie, de la miniaturisation, des méthodes de détection, de l’imagerie cellulaire, de la robotisation et du traitement des données ont permis de lancer cette aventure et d’explorer l’espace chimique pour y découvrir des composés nouveaux qui seront autant d’outils spécifiques et flexibles pour contrôler des processus biologiques subtils [3]. Parmi ces nouveaux composés se trouvent, espérons-le, de nouvelles classes de médicaments. Bien entendu, on ne s’en remet pas uniquement au hasard, en considérant par exemple que le criblage initial (criblage primaire) permette d’identifier immédiatement un composé à ce point efficace qu’il serait actif aux doses les plus faibles. La pêche pharmacologique peut, en effet, échouer si l’épuisette est trop petite. Lorsqu’on crible une collection de molécules (ou chimiothèque), un compromis est en général envisagé en testant des concentrations assez basses, mais pas minimales, de l’ordre de 1 à 10 micromolaires, permettant selon notre expérience d’identifier quelques composés actifs parmi 10 000 à 100 000 testés. Une fois qu’un composé actif a ainsi été identifié, aussi appelé « composé hit », inhibant ou stimulant un processus biologique, l’étude d’analogues structuraux peut permettre d’identifier des molécules proches plus actives ou spécifiques. Le criblage pharmacologique est donc un processus long et coûteux, sur plusieurs années, qui peut échouer à tout moment si les molécules ont des effets non désirés impossibles à supprimer, une activité insuffisante ou une spécificité trop faible. Même en tentant d’explorer méthodiquement l’espace chimique, il y a plus d’échecs que de succès. Alors, lorsque des travaux indépendants, réalisés dans des laboratoires différents aux États-Unis et en France sur des cibles biologiques apparemment sans relation, conduisent à l’identification de molécules actives distinctes, mais de structures très proches, le hasard rencontre le hasard. La découverte accidentelle résulte alors de l’examen comparatif de ces deux travaux de recherche, permettant de proposer l’existence d’une nouvelle famille de molécules actives sur des enzymes liant une catégorie de lipides membranaires, les glycérolipides, et d’exploiter cette connaissance nouvelle dans d’autres domaines d’application.

(→) Voir la Synthèse de D. Rognan et P. Bonnet, m/s n° 12, décembre 2014, page 1152

Deux problématiques différentes avec un point commun : le métabolisme des glycérolipides

Les deux études qui ont conduit à l’identification de molécules structurellement proches ont porté sur des cibles enzymatiques distinctes : d’une part, des enzymes de synthèses de glycérolipides rencontrées uniquement chez les plantes, les monogalactosyldiacylglycérol synthases (MGD1, MGD2 et MGD3) ; et, d’autre part, des phospholipases D humaines impliquées dans des cascades de signalisation (PLD1 et PLD2). Nous décrirons ces cibles plus loin, retenons pour l’instant que ces deux types d’enzymes agissent sur des substrats glycérolipidiques.

Les glycérolipides sont essentiels à l’ensemble des cellules vivantes, car ils sont parmi les composants principaux de la matrice des membranes biologiques. Les membranes sont en effet structurées sous forme de bicouches, avec un cœur hydrophobe imperméable à l’eau et aux solutés, et deux surfaces hydrophiles. La matrice des membranes biologiques requiert donc des molécules présentant une polarité importante entre une partie hydrophobe (queue hydrophobe) et une partie hydrophile (tête polaire), ce que rend possible la structure générale des glycérolipides (Figure 1). Ceux-ci sont constitués d’un squelette glycérol à trois carbones, numérotés sn-1, sn-2 et sn-3 (Figure 1A). La présence de deux acides gras aux positions sn-1 et sn-2, et d’une tête polaire à la position sn-3 permet d’obtenir les propriétés physicochimiques adéquates pour que ces molécules s’auto-assemblent sous forme de membranes. Il est à noter que l’addition d’un troisième acide gras sur la position sn-3 conduit à un glycérolipide complètement apolaire, exclu des membranes biologiques et s’accumulant sous forme de gouttelettes d’huile à l’intérieur des cellules.

Une dizaine de classes de glycérolipides, distingués suivant la nature de leurs têtes polaires, suffit à construire toutes les membranes chez les eucaryotes, allant des cellules animales aux champignons, algues, plantes, et à la biodiversité très complexe des eucaryotes photosynthétiques, appelés globalement les protistes. Il est possible de distinguer deux catégories de ces molécules. D’une part, les glycérolipides majeurs des membranes cellulaires animales ou des levures sont des phosphoglycérolipides, appelés ainsi en raison de la présence d’un groupement phosphate à la base de leur tête polaire. Parmi les phosphoglycérolipides, la phosphatidylcholine (PC, présentée en exemple sur la Figure 1D ) et la phosphatidyléthanolamine (PE) sont généralement les plus abondants. D’autre part, en plus des phosphoglycérolipides, les plantes sont caractérisées par la présence de lipides membranaires non phosphatés, les galactoglycérolipides. Ceux-ci ont une tête polaire très simple, composée d’un ou deux galactoses : le monogalactosyldiacylglycérol (MGDG, présenté en exemple sur la Figure 1D ) et le digalactosyldiacylglycérol (DGDG), respectivement. En raison de leur teneur élevée dans les membranes photosynthétiques, le MGDG et le DGDG forment la classe lipidique la plus abondante de la biosphère.

Les voies de synthèse des glycérolipides sont toutes assez proches, dérivant d’un schéma de base commun avec des variantes et des voies alternatives et parallèles, qui reflètent la diversité du monde vivant. Schématiquement, tous les glycérolipides sont construits à partir des même briques de base : le glycérol-3-phosphate (G3P), à l’origine du squelette glycérol, des acides gras (AG), formés de longues chaînes de carbone avec une extrémité carboxylique (Figure 1A) et, enfin, les précurseurs des différentes têtes polaires (Figure 1C). La synthèse débute ainsi par estérification des positions sn-1 et sn-2 du G3P par des AG, conduisant à de l’acide phosphatidique (AP). Puis cet AP peut être déphosphorylé par des AP phosphatases (PAP) pour produire un précurseur sans phosphate, le diacylglycérol (DAG) (Figure 1B). L’AP et le DAG forment un couple de métabolites qui peuvent s’interconvertir. En effet, l’AP peut être régénéré à partir de DAG par une famille d’enzymes très importantes, les DAG kinases (DGK). Ce couple AP et DAG est à la base de tous les glycérolipides membranaires (Figure 1C) et l’équilibre AP-DAG, contrôlé par les PAP et DGK, constitue un carrefour métabolique, appelé hub métabolique.

De façon très étonnante, l’AP et le DAG, qui sont la source de composants membranaires parmi les plus abondants de la cellule, sont aussi des molécules de signalisation [4]. Or, une molécule peut porter un signal, à condition de ne pas exister (ou de façon négligeable) avant le signal, d’être produite en masse en réponse à un stimulus, et d’être réduite au silence une fois que le signal a été transmis. Pourquoi utiliser une structure moléculaire si abondante dans la cellule ? Rappelons que l’AP et le DAG sont utilisés de façon si rapide pour la synthèse des glycérolipides membranaires que leur existence n’est que transitoire et qu’il est particulièrement difficile de les détecter. On peut donc considérer que leur niveau de base est suffisamment faible. Un intérêt possible que l’AP et le DAG soient utilisés comme signaux dans des contextes biologiques très nombreux, est qu’il suffit de retirer la tête polaire d’un lipide membranaire à proximité de la zone visée par le signal pour les produire. Cette hydrolyse de la tête polaire est réalisée par deux grandes classes d’enzymes : les phospholipases C (PLC), qui génèrent du DAG, et les PLD, qui génèrent de l’AP (Figure 1E). Le rôle de signalisation de l’AP et du DAG requiert enfin la nécessité de rajouter rapidement une tête polaire pour éteindre le signal et empêcher que celui-ci devienne permanent. Le couple AP-DAG est donc à la fois un hub métabolique et un système de signalisation très versatile, ce qui le place parmi les paramètres les plus régulés et importants de la cellule, et le rend aussi difficile à étudier.

Deux cibles enzymatiques actives sur le diacylglycérol et l’acide phosphatidique : les MGD de plantes et les PLD humaines

Les cibles enzymatiques qui ont fait l’objet des criblages pharmacologiques relatés ici agissent sur le couple AP-DAG dans des contextes biologiques qui n’avaient initialement rien à voir (Tableau I).

Les MGD des plantes
Les MGD des plantes sont des enzymes qui catalysent la production d’un glycérolipide dont la tête polaire est un simple galactose, le MGDG (Figure 1C), connu pour être le lipide le plus abondant des membranes photosynthétiques (thylakoïdes). Les thylakoïdes sont des sacs membranaires empilés à l’intérieur d’un organite spécifique entouré d’une enveloppe composée de deux membranes, le chloroplaste. Les thylakoïdes abritent les photosystèmes qui capturent l’énergie solaire et la convertissent en énergie chimique et en pouvoir réducteur permettant, dans un second temps, de convertir le CO2 atmosphérique en matière organique. Les membranes photosynthétiques sont donc comparables à des capteurs solaires. Le rôle vital des algues et des plantes dans la biosphère, en tant que producteurs primaires nécessaires à l’existence de toute autre forme de vie, et limitant l’impact du CO2 sur l’effet de serre, repose sur ce système. Le MGDG est ainsi produit en masse au niveau de l’enveloppe des chloroplastes et contribue à l’expansion spectaculaire des thylakoïdes. On estime ainsi qu’un mètre carré de feuilles contient une surface cumulée de membranes photosynthétiques qui est de l’ordre de une à trois fois la surface d’un terrain de football. L’addition d’un second galactose sur la tête polaire du MGDG génère du DGDG, qui est aussi un constituant des thylakoïdes et a la particularité de servir à l’élaboration d’autres membranes dans la cellule, en particulier en réponse à certains stress nutritifs que subissent les plantes. Les galactoglycérolipides jouent d’autres rôles physiologiques qui ne sont pas liés à l’expansion membranaire. D’une part, les galactoglycérolipides interagissent au niveau moléculaire avec certaines sous-unités protéiques des photosystèmes, jouant un rôle fonctionnel dans la capture et la conversion de l’énergie lumineuse [5]. Dans un tout autre contexte, les acides gras qu’ils portent peuvent être hydrolysés et servir de précurseurs pour la synthèse de plusieurs hormones végétales, dont l’acide jasmonique, un composé volatil émis en cas d’attaque par certains pathogènes, ou de blessures, telles que celles causées par des herbivores [6]. Il existe donc plusieurs fonctions biologiques connues pour le MGDG, et les progrès des connaissances reposent sur notre faculté à démêler cet écheveau et discerner chacun de ces rôles avec le plus de raffinement possible.

Les MGD sont une catégorie d’enzymes dont la structure est relativement bien conservée chez les eucaryotes photosynthétiques [7]. Chez l’arabette (Arabidopsis thaliana), la plante modèle des généticiens, il existe une famille multigénique composée de trois membres : MGD1, MGD2 et MGD3. L’enzyme MGD1 est la plus abondante dans les feuilles et autres tissus chlorophylliens, et est responsable de la production lipidique massive nécessaire à l’expansion membranaire des thylakoïdes. MGD2 et MGD3 sont plutôt présentes dans les tissus non verts, tels que les racines, et leur expression est plus importante en cas de carences nutritives telles qu’un manque de phosphate dans le sol. Pour approfondir notre connaissance du rôle de MGD1, MGD2 et MGD3, l’approche classique consiste à muter les gènes correspondants et à étudier les effets de ces mutations sur la plante. Cette stratégie génétique est rendue difficile, car la perte de MGD1 par mutation bloque brutalement l’expansion des membranes photosynthétiques et conduit à des plantes non viables. Il est donc difficile d’étudier d’autres fonctions éventuelles de MGD1. Par ailleurs, la mutation de MGD2 et MGD3 ne produit que peu d’effets visibles, en raison de la présence de MGD1 qui compense la perte de ces deux isoformes. Le criblage de petites molécules inhibant l’ensemble des MGD est donc apparu comme un des moyens de disposer d’un outil flexible, permettant d’inhiber l’activité de ces enzymes à des doses non létales et d’analyser les effets sur la plante, mais aussi sur des systèmes cellulaires particuliers, isolés, qu’il est impossible d’examiner sur des plantes non viables, par exemple les organes reproducteurs. À l’initiative de notre laboratoire, un test miniature de mesure des MGD de plantes a d’abord été conçu [8] et une collection d’environ 24 000 composés (chimiothèque de la société CEREP) a été criblée pour identifier des inhibiteurs de MGD1 d’Arabidopsis. Cinq molécules hit ont été sélectionnées, puis un criblage de validation, une étude d’analogues des hits, et la conservation d’une efficacité des niveaux in vitro et in vivo ont permis de retenir deux molécules, appelées galvestines parce qu’elles ont été présentée en 2009 à une conférence à Galveston aux États-Unis (Figure 2). Un inhibiteur agissant chez les plantes doit traverser un grand nombre de barrières biologiques hydrophobes, à commencer par la cuticule de l’épiderme et les membranes biologiques cellulaires, et être véhiculé dans le système vasculaire transportant les sèves, si l’effet recherché est systémique. Il est donc classique de rechercher des composés actifs et spécifiques in vivo à des doses de l’ordre du µM. Lorsque la galvestine-1 est fournie à des doses non létales, les effets à l’échelle de la plante sont cohérents avec une inhibition de l’ensemble des MGD, c’est-à-dire une chute de la synthèse de MGDG in vivo, une baisse de la teneur en MGDG, une diminution du nombre et de la surface des membranes photosynthétiques et, par conséquent, une baisse de la teneur en pigments chlorophylliens [9]. Qu’avons-nous appris de plus que ce que la génétique nous avait déjà enseigné ? Il a été tout d’abord possible de préciser les effets d’une invalidation de la synthèse de MGDG sur le développement de la plante, avec une organogenèse altérée des racines par exemple. De nouvelles fonctions de la synthèse de galactolipides ont été observées sur des types cellulaires isolés, par exemple sur la croissance du tube pollinique, système cellulaire dirigeant les gamètes mâles chez la plante. Une étude de l’expression de l’ensemble du génome a pu être réalisée à des doses croissantes de galvestine-1, permettant de pointer des systèmes possibles de compensation au sein du métabolisme des glycérolipides et des systèmes de transports lipidiques, qui n’étaient pas connus [9]. Certains de ces gènes sont aujourd’hui en voie de caractérisation au laboratoire. Enfin, la galvestine-1 est un outil dont nous disposons pour rechercher des gènes agissant comme régulateurs possibles de l’ensemble du métabolisme des glycérolipides, avec un effet compensateur d’une diminution de la synthèse des galactoglycérolipides, conférant une résistance à la drogue. Un criblage, génétique cette fois-ci, d’une collection de 100 000 plantes mutées aléatoirement sur l’ensemble du génome (environ 160 000 mutations générées de façon aléatoire par traitement chimique) a ainsi été mené, et la caractérisation des plantes résistantes à la galvestine-1 engagée. En cherchant à évaluer le potentiel de la galvestine-1 pour d’autres applications éventuelles, une ressemblance frappante a été trouvée avec une série d’inhibiteurs d’enzymes humaines étudiés pour leur rôle dans certaines pathologies cancéreuses.

Les phospholipases D humaines
La seconde catégorie de cibles est constituée des phospholipases D humaines (PLD1 et PLD2). Les PLD hydrolysent la tête polaire des phosphoplycérolipides en générant de l’AP (Figure 1E). Il existe de très nombreuses PLD chez les eucaryotes, avec des variations dans la structure protéique, la spécificité de substrat et le spectre de fonctions dans lesquelles elles peuvent être impliquées [10]. Les isoformes de mammifères sont connues pour être impliquées dans des cascades de signalisation induites par l’activation de récepteurs couplés à des protéines G (GPCR) [11] et de récepteurs à activité tyrosine kinase (RTK) [12]. En aval des GPCR, des GTPases de type ARF (ADP-ribosylating factor) et Rho régulent l’activité des PLD, plus spécifiquement de la PLD1 [13], et contrôlent le trafic et la sécrétion vésiculaires, ainsi que l’organisation du cytosquelette. En aval des RTK, un ensemble d’interactions protéiques, agissant plus spécifiquement sur l’activité de la PLD2, activent la voie mTOR (mammalian target of rapamycin) [14, 15] et contrôlent la croissance et la prolifération cellulaires [10]. Un défaut dans la signalisation par l’AP est associé à de nombreuses pathologies [16] : une augmentation de l’activité PLD ou une surexpression des gènes correspondants ont été relevées dans de nombreux contextes, tels que des cancers du sein, du rein, du système gastrique ou colorectal. La surexpression stable des gènes codant pour la PLD1 et la PLD2 conduit à une tumorigenèse [17]. Comme pour les MGD, il est difficile de distinguer avec finesse le rôle de chacune des PLD. L’existence de petites molécules spécifiques de l’une ou de l’autre des deux isoformes serait à la fois un moyen d’approfondir nos connaissances et de proposer des outils chimiothérapeutiques plus spécifiques.

La recherche d’inhibiteurs des PLD humaines a été très active. Une étude rapporte qu’un criblage pharmacologique à haut débit, visant à identifier des inhibiteurs de PLD2, a permis d’identifier parmi les hits un composé actif précédemment connu pour ses effets psychotropes : l’halopémide [18] (Figure 2). Ni le test enzymatique utilisé, ni la taille ou l’origine de la chimiothèque utilisée pour le criblage primaire ne sont décrits. La structure de l’halopémide a, dans un second temps, servi de base pour la conception et la synthèse d’une chimiothèque ciblée cette fois-ci, en construisant des composés proches de l’halopémide, mais apportant des variations chimiques à différents niveaux de la structure initiale. En examinant la structure chimique de l’halopémide, trois points de diversification ont été définis et fait l’objet de modifications : 263 analogues chimiques ont ainsi été produits suivant une approche dite de « synthèse chimique orientée sur la diversité » [19, 25] (). Certains de ces analogues chimiques se sont avérés plus actifs pour inhiber indifféremment PLD1 et PLD2, alors que d’autres ont montré une spécificité vis-à-vis de l’une ou l’autre des isoformes. Des composés de cette chimiothèque ciblée ont de plus montré une activité allant de l’inhibition des PLD in vitro, au blocage des propriétés invasives et prolifératrices de cellules du cancer du sein en culture [19]. Par exemple, le composé VU0285655, dérivé de l’halopémide (Figure 2), montre une plus grande sélectivité pour PLD2. Comme pour la galvestine-1, les composés ainsi découverts sont autant d’outils pour la recherche. Ils présentent, de plus, un intérêt pour inspirer des développements de nouveaux traitements anticancéreux.

(→) Voir la Synthèse de Y.S. Wong, m/s n° 1, janvier 2015, page 93

Les pipéridinyl-benzimidazolones : une nouvelle source d’inhibiteurs du métabolisme des glycérolipides ?

Les deux criblages indépendants que nous venons de décrire ont montré que des dérivés du pipéridinyl-benzimidazolone (Figure 3) inhibaient des enzymes impliquées dans la conversion de glycérolipides.

Il est clair, en comparant les deux systèmes (Figure 2), que l’AP et le DAG ont une parenté structurale, en raison de la présence d’un squelette glycérol estérifié à deux acides gras. De même, les structures des inhibiteurs sont proches. Toutefois, les séquences des enzymes ne montrent aucune similitude ou ressemblance. De même, il n’apparaît pas de similitude structurale entre le châssis moléculaire de l’AP/DAG et le châssis moléculaire des pipéridinyl-benzimidazolones. Pour compliquer un peu la tâche, il a été démontré que MGD1 pouvait aussi lier l’AP, qui est un activateur important de cette enzyme [20, 21]. Une première clé pour comprendre qu’il s’agit en effet d’une nouvelle famille de composés actifs est venue de l’étude de la galvestine-1. Cette molécule inhibe MGD1 en provoquant une modification de l’activité enzymatique, classique d’une compétition entre la liaison de la galvestine-1 avec le substrat DAG [9]. On parle alors d’inhibition compétitive. Il doit donc exister une forme de ressemblance chimique entre galvestine-1 et DAG. En modélisant la structure tridimensionnelle de la galvestine-1 et du DAG, il a en effet été possible de superposer la partie pipéridinyl-benzimidazolone avec la zone proche du squelette glycérol du DAG [9].

En considérant, d’une part, l’importance vitale du métabolisme des glycérolipides pour les eucaryotes, et, parmi eux, des eucaryotes pathogènes de l’homme et, d’autre part, la possibilité de faire varier la spécificité de cible des pipéridinyl-benzimidazolone, une chimiothèque d’analogues, contenant des motifs structuraux communs à la galvestine-1, à l’halopémide et à VU0285655, a été criblée pour rechercher des agent anti-infectieux inhibant la prolifération de Plasmodium falciparum et de Toxoplasma gondii [22]. Ces parasites appartiennent au groupe des Apicomplexes, proches dans l’évolution des algues [23], responsables respectivement du paludisme et de la toxoplasmose. Ni la présence de MGD, ni celle de PLD n’a pu être démontrée chez ces parasites. Toutefois, de nouveaux composés dérivant des pipéridinyl-benzimidazolones ont montré une efficacité sur la prolifération de ces parasites, avec des effets in vivo chez des souris malades d’un paludisme murin. Le mécanisme d’action de ces nouvelles molécules antiparasitaires doit maintenant être caractérisé, et un effet possible au niveau du métabolisme glycérolipidique démontré.

Conclusion

On ne sait jamais où un criblage pharmacologique va nous emmener dans l’espace chimique. On espère a priori découvrir des molécules simples à synthétiser, actives à très faibles doses, efficaces de l’in vitro à l’in vivo et extrêmement spécifiques. On aboutit souvent à des molécules n’ayant presqu’aucune de ces propriétés. De plus, lorsque l’on mène un projet de criblage pharmacologique, vu la spécificité de chacune des cibles, de chacun des modèles biologiques, et la diversité moléculaire des chimiothèques, il est très difficile de comparer ce criblage avec d’autres (surtout s’ils sont menés dans d’autres instituts de recherche), afin de tenter d’extraire des règles qui pourraient nous éclairer pour l’avenir. Cet article illustre cependant l’intérêt de fouiller la littérature scientifique dans le domaine. Les pipéridinyl-benzimidazolones, mises en évidence dans l’étude de deux enzymes distinctes, qui partagent le fait d’être actives sur le métabolisme des glycérolipides, pourraient certes mettre en évidence un défaut de spécificité. Toutefois, au sein même des enzymes manipulant AP et DAG qui ont été étudiées, quelques modifications sur la structure de base des inhibiteurs conduisent à cette spécificité que l’on recherche. On ne peut exclure l’existence, comme pour toute autre molécule active, d’un spectre de cibles non désirées pour les composés antipaludiques et antitoxoplasmiques dérivés de la galvestine-1, de l’halopémide et du VU0285655. Ce rapprochement entre deux études indépendantes nous permet toutefois de proposer les pipéridinyl-benzimidazolones comme une source d’inspiration pour rechercher des composés actifs sur le métabolisme des glycérolipides, qui pourraient être bénéfiques à des recherches dans de nombreux autres contextes biologiques et thérapeutiques.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Florian Chevalier est soutenu par l’Agence nationale de la recherche (projet ANR Réglisse). Éric Maréchal est soutenu par l’ANR (ANR Réglisse, ANR DiaDomOil), le programme Investissement d’avenir (Océanomics), l’Alliance grenobloise pour la biologie structurale et cellulaire intégrées (Labex GRAL) et par l’institut Carnot lipides pour l’industrie et la santé (LISA).

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