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Med Sci (Paris). 2015 April; 31(4): 432–438.
Published online 2015 May 8. doi: 10.1051/medsci/20153104018.

Les addictions sous l’angle de la génétique

Nicolas Ramoz1 and Philip Gorwood1,2*

1Inserm unité 894, centre de psychiatrie et neurosciences, 2ter, rue d’Alésia, 75014Paris, France
2Clinique des maladies mentales et de l’encéphale (CMME), hôpital Sainte-Anne, université Paris Descartes, 100, rue de la santé, 75674Paris Cedex 14, France
Corresponding author.
 

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Il existe de grandes différences inter-individuelles dans les modalités d’expression des dépendances aux différents toxiques, ainsi que dans le type et la sévérité des conséquences vécues par les personnes présentant une addiction, ce qui rend difficile l’identification de facteurs étiologiques communs aux pathologies addictives. Cependant, l’influence des facteurs génétiques dans le début d’une consommation ou d’un comportement addictif, ainsi que dans la capacité à développer un « trouble de l’usage » (nouvelle appellation du DSM-51 se substituant aux anciens concepts d’abus et de dépendance).

d’une ou plusieurs substances, est largement décrite [13]. Ces facteurs peuvent s’exprimer différemment au cours de la vie des individus pour conférer une vulnérabilité qui, durant le développement des personnes, conduira au trouble psychiatrique. De plus, les dépendances entraînent, au-delà de la perte de contrôle sur la substance ou le comportement addictif, une souffrance physique et psychique qu’il convient de bien évaluer. Le but premier chez le patient dépendant est la consommation d’une substance, psychotrope ou non, afin d’obtenir du plaisir. Néanmoins, cette consommation peut aussi permettre à la personne d’atténuer une douleur, un stress ou une souffrance. Lorsque la dépendance est installée, la tolérance à la substance fait que le patient aura toujours besoin de consommer plus pour ressentir du plaisir, mais aussi pour réduire la souffrance que cette consommation produit en écho. Ainsi, la diversité des origines des addictions – le plaisir apporté par une substance ou l’effet analgésique lorsqu’on est en souffrance –, comme de leur devenir – rechercher de nouveaux plaisirs par l’augmentation des consommations ou l’instauration de polyconsommations –, peut résulter de l’implication de différentes voies neurobiologiques.

Les études épidémiologiques, les évaluations cliniques, les connaissances en neurobiologie et les progrès de la biologie moléculaire se sont multipliés et affinés ces dernières années, permettant d’identifier et caractériser de nombreux facteurs étiologiques relatifs aux addictions. Les études épidémiologiques ont permis de préciser les parts respectives des composantes génétique et environnementale. Les analyses d’agrégation familiale, de familles recomposées et d’enfants adoptés, ainsi que les comparaisons des taux de concordance chez les jumeaux monozygotes et dizygotes, ont permis d’estimer l’héritabilité, qui représente la proportion de la variance phénotypique attribuable aux facteurs génétiques dans les addictions. Ces travaux rapportent des héritabilités moyennes d’environ 70 % pour la dépendance à la cocaïne et aux opioïdes, 60 % pour la dépendance à l’alcool ou au tabac, et 40 % pour celle aux hallucinogènes [2]. Ces études suggèrent donc qu’il est possible d’identifier des facteurs génétiques à partir de populations de patients dépendants ou de cohortes de familles dont un individu au moins présente une addiction. L’évaluation clinique standardisée, qui renseigne sur la présence et l’intensité de la dépendance, s’est dotée d’une nouvelle version du « manuel diagnostique et statistique pour les troubles mentaux, psychiatrie et addictions », le DSM-5, qui se veut plus dimensionnel et quantitatif que les versions précédentes [4]. Le DSM-5 s’appuie, notamment, sur les observations mesurables, mais il essaie d’intégrer aussi des données de neuroscience et de génétique. Pour les addictions, les notions d’abus et de dépendance disparaissent au profit du concept de « trouble de l’usage », ou mésusage, d’une substance. Ainsi, le diagnostic est établi dès lors qu’il y a une utilisation inadaptée d’une substance, conduisant à une dégradation ou à une détresse cliniquement significatives ; deux critères sur 11 doivent être présents au cours des 12 derniers mois, quelle que soit la substance en question (Tableau I). La sévérité des troubles est évaluée sur le nombre de critères rencontrés : deux ou trois critères indiquent un trouble léger ; quatre ou cinq critères, un trouble modéré ; et six ou plus, un trouble sévère. L’utilisation des précédentes classifications DSM avait unifié les évaluations cliniques des addictions à travers le monde, et facilité la recherche en génétique en rendant possible la constitution de cohortes de patients à comparer à des sujets contrôles, ou des cohortes familiales (trios, fratries et familles multiplex).

Les stratégies d’analyse génétique mises en place dans les addictions sont les mêmes que celles qui ont été développées pour les autres pathologies, à savoir : (1) la génétique classique ; elle s’appuie sur une hypothèse biologique de l’addiction ou un phénotype, et recherche des mutations ou crible des variants dans un (ou des) gène(s) sélectionné(s) selon cette hypothèse ; et (2) la génétique inverse ; en l’absence d’une hypothèse biologique de l’addiction, elle consiste à cribler des polymorphismes génétiques dans tout le génome, afin de découvrir la (ou les) région(s) chromosomique(s), puis le (ou les) gène(s) associé(s) au phénotype, c’est-à-dire à la dépendance étudiée. Ces deux méthodologies complémentaires ont porté leurs fruits puisque plusieurs gènes associés à des addictions ont été identifiés. Par ailleurs, le génotypage des variants bialléliques, comme les polymorphismes nucléotidiques ou SNP (single nucleotide polymorphism), a permis des avancées importantes grâce aux criblages à haut débit pangénomiques ou GWAS (genome-wide association study), réalisés sur des cohortes de plusieurs milliers de patients, contrôles ou familles, issues de consortiums internationaux [5].

De nombreuses études de type GWAS sont maintenant publiées, dont des études concernant le tabagisme et, plus spécifiquement, la nicotine, la dépendance à l’alcool, et des addictions aux drogues, dont le cannabis et l’héroïne (Tableau II).

Variants génétiques associés au tabagisme

Le nombre de consommateurs de tabac à travers le monde s’élève à 1,3 milliard d’individus, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Les conséquences du tabagisme représentent la seconde cause de mortalité dans le monde avec quelque cinq millions de décès par an, après les maladies cardiovasculaires (> 17 millions de décès par an). Sur les plans clinique et pharmacologique, le tabac confère peu d’effets psychotropes ressentis, mais il est très « accrocheur », et les patients deviennent vite et durablement dépendants. En 2007, la première analyse génétique à grande échelle chez les patients tabagiques fut réalisée sur 348 gènes candidats : 3 713 SNP furent génotypés chez 1 050 patients dépendants au tabac et 879 sujets fumeurs non dépendants [6]. Ce travail identifia des variants associés à la dépendance nicotinique dans les gènes CHRNA5 (neuronal acetylcholine receptor subunit a5), CHRNA3 et CHRNB4, situés dans la région chromosomique 15q25 et codant, respectivement, pour les sous-unités α5, α3 et b4, qui participent à la formation des récepteurs nicotiniques à l’acétylcholine. L’année suivante, une étude pangénomique réalisée chez plusieurs milliers de patients atteints d’un cancer du poumon, a également identifié une association génétique avec des SNP de ces trois gènes. L’analyse exhaustive des données cliniques a montré une association bien plus importante entre des variants de ces gènes, la quantité de cigarettes fumées et la dépendance au tabac [7]. En 2010, les analyses pangénomiques de dizaines de milliers de fumeurs par trois consortiums ont confirmé l’implication de ces gènes dans la dépendance au tabac [8]. L’analyse fonctionnelle du variant rs16969968 de CHRNA5, dont l’allèle majeur G est changé en A, a révélé que la substitution de l’acide aminé aspartate en position 398 par une asparagine dans le récepteur nicotinique α5 entraînait une activité réduite de moitié du produit de cet allèle A associé à la dépendance [9]. Enfin, les gènes CHRNA5, CHRNA3 et CHRNB4 sont exprimés dans le cerveau, mais également dans le poumon, ce qui expliquerait leur implication dans le cancer du poumon. Une récente métaanalyse, portant sur 94 000 fumeurs, observe que le variant rs16969968 du gène CHRNA5 est aussi associé à un début plus précoce du tabagisme et à une consommation plus importante [10]. Ainsi, les individus porteurs d’une copie de ce variant ont un risque de dépendance au tabac multiplié par deux, et ce risque est multiplié par trois chez ceux qui possèdent les deux copies de ce variant.

Un cluster de gènes, qui code pour les sous-unités α5, α3 et b4 du récepteur nicotinique, a donc été associé à la dépendance au tabac. C’est surtout un variant génétique particulier qui porte l’essentiel de cette association (le SNP rs16969968 du gène CHRNA5), ce variant conférant à lui seul un risque (risque « attribuable ») de 14 % [712], ce qui est particulièrement élevé pour une pathologie comportementale. Ce résultat est remarquable pour une pathologie aussi complexe et multifactorielle que la dépendance au tabac, et il n’a aucun équivalent dans les autres addictions, ni même dans les différents troubles psychiatriques. Il amène toutefois à quelques commentaires sur les approches génétiques des pathologies comportementales, telles que les addictions en général. Tout d’abord, les premières études de gènes candidats dans cette addiction que représente la dépendance au tabac n’avaient pas réussi à révéler le rôle de ce cluster de gènes, probablement par manque de puissance (nombre de sujets) et d’homogénéité des cohortes (ces études associaient sujets tabagiques et souffrant d’un cancer du poumon, ces derniers étant potentiellement plus sévèrement dépendants). Ensuite, cette découverte doit aussi beaucoup à la qualité des groupes contrôles, qui permet de mieux cibler le phénotype analysé, qui est plus simple à définir pour le tabac (les sujets sont soit non-fumeurs, soit fumeurs mais n’ayant jamais développé de dépendance). Enfin, c’est le recrutement de patients ayant développé des complications (cancer du poumon ou cardiopathie ischémique) qui a probablement facilité l’identification de ce cluster. Outre leur localisation cérébrale, notamment dans le striatum ventral (région clé dans l’ « effet récompense » et donc dans l’appétence addictive), les récepteurs cholinergiques sont aussi exprimés dans le poumon (ils interviennent fonctionnellement dans la contraction des bronchioles) et le cœur. Ces effets pléiotropes participent vraisemblablement à la forte homogénéité phénotypique des sujets recrutés dans les études (sujets dépendants, mais ayant aussi des complications cardiaques ou pulmonaires).

Plusieurs autres associations ont été décrites dans ces études pangénomqiues : entre un autre variant fonctionnel, rs6265, du gène BDNF (brain-derived neurotrophic factor), codant pour un facteur neurotrophique, et le début de la consommation de tabac ; entre le SNP rs3733829 du gène CYP2A6 (cytochrome P450, family 2, subfamily A, polypeptide 6), dont le produit métabolise la nicotine en cotinine, et la consommation de tabac, mais aussi le développement du cancer du poumon [11, 12] ; entre le variant rs3025343 en amont du gène DBH, qui code pour la dopamine b-hydroxylase (l’enzyme qui convertit la dopamine en noradrénaline), et la fréquence de l’arrêt du tabagisme [11, 12].

Ainsi, ces travaux de génétique portant sur l’ensemble du génome de dizaines de milliers de sujets et impliquant de nombreux consortiums à travers le monde, ont permis de disséquer les interactions entre la neurobiologie, l’environnement et la génétique des sujets ayant une addiction au tabac, et d’identifier les facteurs génétiques jouant un rôle dans l’initiation, la dépendance ou le maintien du tabagisme.

Gènes associés à la dépendance à l’alcool

Il y aurait deux milliards de consommateurs d’alcool dans le monde, dont 140 millions de patients dépendants à l’alcool, et 2,5 millions de décès seraient imputables à l’alcool chaque année. L’héritabilité de la dépendance à l’alcool, estimée entre 40 et 60 %, est plus élevée dans certains sous-groupes que caractérisent : la précocité de l’âge de début de la consommation, une forte sévérité de la dépendance, une tolérance initiale plus élevée à l’alcool ou encore une association à des traits psychopathiques [13]. Il a ainsi été proposé de distinguer deux sous-types de dépendance à l’alcool : le type I débute chez un adulte sans antécédent psychiatrique ou de criminalité, ni d’alcoolisme familial ; le type II se caractérise par une forte concentration familiale de cas, un début avant 25 ans, des troubles neuropsychologiques précoces, des comportements délictueux et des conséquences somatiques ou sociales graves [13]. La dépendance à l’alcool de type II est sous-tendue par une vulnérabilité biologique et génétique, et son héritabilité est estimée à 88 % ; elle est de 20 % seulement pour le type I. Les premières études de génétique de la dépendance à l’alcool se sont concentrées sur l’étude de gènes candidats. Mais, grâce à la constitution de grandes cohortes, dont la cohorte de familles multiplex de patients dépendants à l’alcool (cohorte COGA, collaborative study on the genetics of alcoholism), des études GWAS ont été réalisées [1, 2].

Sur le plan neurobiologique, l’alcool augmente le taux de dopamine dans les synapses au niveau de la voie dopaminergique mésolimbique de l’aire tégmentale ventrale (ATV) et du noyau accumbens (NAc) [2, 14]. Le gène candidat le plus étudié intervenant dans cette voie dopaminergique code pour le récepteur D2 de la dopamine, DRD2 (dopamine receptor D2). Les récepteurs D2 sont localisés aux synapses de l’aire tégmentale ventrale et du noyau accumbens ; ils existent sous deux isoformes, D2L et D2S, respectivement distribuées sur les éléments présynaptiques et postsynaptiques. Ils jouent un rôle dans la régulation de la synthèse et de la sécrétion de la dopamine dans la fente synaptique [14]. Le polymorphisme le plus étudié dans le gène DRD2 est le TaqIA (SNP rs1800497) avec ses allèles A1 et A2 [14, 15]. Chez les patients porteurs de l’allèle A1, existe une hyposensibilité des récepteurs à la dopamine et une vulnérabilité accrue à la dépendance à l’alcool. Cependant, les différentes études génétiques de ce variant rapportent une grande hétérogénéité que l’on peut attribuer aux populations étudiées en fonction de leur structure génétique, de l’hétérogénéité phénotypique de la dépendance à l’alcool ou de biais de stratification. En fait, le variant A1 du polymorphisme TaqIA du gène DRD2 constituerait un facteur de risque favorisant la recherche d’expérience avec l’alcool et d’autres psychotropes, et prédisposant aux comportements impulsifs ou compulsifs [14, 15]. Enfin, le polymorphisme TaqIA est localisé à l’extrémité 3’ du gène DRD2 dans un gène ANKK1 (ankyrin repeat and kinase domain containing 1) récemment identifié, qui code pour une X-kinase qui régule potentiellement le récepteur D2, et est aussi associé à la dépendance à l’alcool [16]. D’autres variants du gène DRD2 sont également associés à la dépendance à l’alcool, mais aussi à d’autres substances addictives [1, 16]. Ainsi, le SNP rs6277, qui est en déséquilibre de liaison avec le rs1800497 du gène ANKK1 et qui correspond à la mutation synonyme2, de l’acide aminé proline 290 du DRD2, a été associé à la dépendance à l’alcool. Or, la présence de cette mutation et d’autres mutations synonymes du gène DRD2, affecte la stabilité de l’ARNm et la synthèse du récepteur DRD2 [17]. Dans le cas d’un autre gène de la voie dopaminergique, SLC6A3 (solute carrier family 6, member 3)/DAT1 (dopamine active transporter 1), qui code pour le transporteur de recapture de la dopamine, c’est un allèle porteur de neuf répétitions (le polymorphisme de ce gène est dû à un nombre variable de répétitions des tandems [VNTR] 9 et 10 dans le 15e exon) en 3’ qui est associé aux patients dépendants à l’alcool ayant des complications sévères de sevrage [18]. Enfin, plusieurs polymorphismes des gènes codant pour des enzymes du métabolisme, dont les alcool déshydrogénases (gène ADH1B/ADH2) et les acétaldéhyde déshydrogénases (ALDH2), protègent de la dépendance à l’alcool. Les variants génétiques impliqués ont en effet la particularité de provoquer une accumulation d’acétaldéhyde à la moindre prise d’alcool (par excès de métabolisme ou déficit de catabolisme), ce qui provoque des effets « flush » (rougeur, chaleur, nausée, malaise, perte de connaissance) extrêmement aversifs [1].

Une première grande étude pangénomique, parue en 2010, qui travaille sur la génétique et l’environnement des addictions (consortium SAGE, study of addiction: genetics and environment) porte sur 1 897 patients dépendants (dont certains sont issus de la cohorte COGA) et 1 932 sujets non dépendants contrôles, afro-américains et caucasien-américains. Cette étude a montré une association de la dépendance à l’alcool avec des marqueurs couvrant le gène GABRA2 (GABAA receptor, a2), qui code pour le récepteur α2 du GABA (g-aminobutyric acid), en accord avec l’hypothèse neurobiologique des effets de l’alcool [19]. L’année suivante, l’analyse GWAS de 26 316 personnes a identifié une association entre le variant rs6943555 du gène AUTS2 (autism susceptibility candidate 2), un possible régulateur transcriptionnel neuronal exprimé dans plusieurs régions du cerveau, initialement identifié comme un gène de susceptibilité à l’autisme, et la consommation d’alcool, observation qui a été confirmée par l’analyse d’une deuxième cohorte de 21 185 individus [20]. L’allèle mineur A du rs6943555 est associé à une réduction de 5,5 % de la consommation d’alcool. Cet allèle a un effet biologique, puisqu’il diminue la production de l’ARN messager AUTS2 de 20 à 50 % selon qu’il est présent à l’état hétérozygote ou homozygote. Enfin, l’invalidation de ce gène dans un modèle animal réduit la sensibilité à l’alcool de ces animaux [20].

Un consortium allemand a montré, par des analyses pangénomiques, une association entre la dépendance à l’alcool et des polymorphismes dans le cluster de gènes codant pour les enzymes alcool déshydrogénases, dont ADH1B et ADH1C, chez 487 patients dépendants comparés à 1 358 sujets contrôles. Cette observation a été répliquée dans une cohorte indépendante de 1 024 patients dépendants et 996 sujets contrôles appariés selon l’âge [21, 22]. L’analyse récente de cohortes américaines confirme l’association de la dépendance à l’alcool avec des variants qui changent des acides aminés des produits des gènes ADH1B et ADH1C [23]. D’autres métaanalyses de GWAS déjà publiées confirment l’implication des gènes que nous venons de décrire, et en identifient de nouveaux ainsi que de nouvelles voies neurobiologiques intervenant dans l’addiction à l’alcool et dans diverses pathologies qui lui sont associées [23, 24].

Gènes et drogues psychotropes

La première étude pangénomique de la dépendance au cannabis comparait 708 patients dépendants et 2 346 sujets exposés au cannabis, mais non dépendants ; elle n’avait pas permis d’identifier de variant dont l’association à la dépendance au cannabis était statistiquement validée après correction pour les tests multiples [25]. Des variants du gène ANKFN1 (ankyrin repeat and fibronectin type-III domain-containing protein 1), codant pour une protéine de fonction peu connue, avaient été impliqués dans des associations nominales avec la dépendance au cannabis. Une récente métaanalyse de deux études GWAS, portant sur l’initiation au cannabis et incluant près de 10 000 sujets, n’a pas identifié d’association [26]. Cette étude exploitait plus de 4 500 familles indépendantes, dont la descendance de la moitié d’entre elles comportait des jumeaux. Cela a donc permis d’estimer l’héritabilité de l’initiation de la consommation de cannabis à environ 6 %, bien loin des 40 % jusqu’alors observés [26]. Enfin, les résultats de l’analyse pangénomique dans la dépendance à plusieurs drogues, dont le cannabis, la cocaïne et les opioïdes, à partir de 2 322 sujets de la cohorte COGA viennent d’être publiés. Ils identifient trois gènes potentiellement impliqués dans le phénotype de dépendance, sans qu’une association spécifique entre un gène et une substance puisse être définie [27].

Une étude GWAS sur la dépendance aux opioïdes, réalisée sur deux cohortes indépendantes de plus de 5 000 sujets chacune, a permis d’observer une association avec des variants dans les gènes KCNC1 (potassium voltage-gated channel, member 1) et KCNG2, qui codent pour des sous-unités de canaux potassiques dépendants du voltage [28]. Et les analyses in silico des voies biologiques associées à cette dépendance aux opioïdes mettent en évidence l’implication de la voie de signalisation du calcium dans la potentialisation à long terme [28]. La première étude de GWAS sur la dépendance à la cocaïne a été réalisée par le même consortium et sur les mêmes cohortes que l’étude précédente [29]. Elle révèle une association avec le gène FAM53B (family with sequence similarity 53, member B), dont le produit est impliqué dans la régulation de la prolifération cellulaire ; son rôle biologique dans la dépendance à la cocaïne reste à explorer [28].

Enfin, dans le cas de la dépendance à l’héroïne, le génotypage de 1 430 SNP dans des gènes candidats a été réalisé chez 1 459 patients dépendants, 1 495 sujets contrôles, mais aussi 531 sujets contrôles habitant au voisinage des patients dépendants et, donc, potentiellement tout aussi exposés aux drogues de par leur environnement [30]. Une association entre la dépendance à l’héroïne et des variants dans la région des gènes ANKK1 et DRD2 a été identifée, et l’étude démontre combien il est important de prendre en compte l’historique d’une exposition aux drogues pour le groupe de sujets contrôles [30]. Ces mêmes gènes ANKK1 et DRD2, dont l’association à la dépendance à des substances psychotropes a été identifiée dans cette étude, avaient été précédemment impliqués dans la dépendance à l’alcool (voir ci-dessus).

Conclusion

Les études pangénomiques appliquées aux pathologies addictives permettent d’identifier deux types de gènes : (1) des gènes spécifiquement impliqués dans la vulnérabilité à une substance psychotrope, et ce via les voies biologiques ou métaboliques d’action (par ex. récepteurs nicotiniques pour le tabac) ou de dégradation (par ex. alcool déshydrogénases pour l’alcool) de la substance ; (2) des gènes impliqués dans un processus plus global de la récompense et de la motivation, tels que les gènes ANKK1 et DRD2. Afin d’identifier des mutations ou des variants de novo ou rares, la nouvelle stratégie en génétique consiste à séquencer l’ensemble des exons d’un individu, son « exome », par GWES (genome-wide exome sequencing). Cette approche est en cours d’application dans les addictions. L’interaction gène-environnement dans les addictions est par ailleurs étudiée sous l’angle de l’analyse épigénétique, qui s’intéresse aux modifications chimiques et environnementales de l’ADN, lequel peut être méthylé et/ou compacté par différentes protéines de type histone, elles-mêmes modifiées, ou encore en interaction avec des petits ARN, ces modifications contrôlant l’expression ou la répression des gènes. Plusieurs études ont été récemment publiées montrant que la prise de drogues modifie bien l’épigénétique, au niveau des histones notamment [31], et ce durablement mais pas forcément de façon irréversible, ce qui laisse la place à de nombreuses intervention thérapeutiques.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Diagnostic and statistical manual of mental disorders (DSM). Le chiffre 5 désigne la 5e édition.
2 Substitution d’un codon par un autre codon qui code pour le même acide aminé (reflète la dégénérescence du code génétique).
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