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Med Sci (Paris). 2015 May; 31(5): 567–568.
Published online 2015 June 9. doi: 10.1051/medsci/20153105020.

Chroniques génomiques - Des résultats tout à fait inattendus

Bertrand Jordan1,2*

1UMR 7268 ADÉS, Aix-Marseille, Université/EFS/CNRS, Espace éthique méditerranéen, hôpital d’adultes la Timone, 264, rue Saint-Pierre, 13385Marseille Cedex 05, France
2CoReBio PACA, case 901, parc scientifique de Luminy, 13288Marseille Cedex 09, France 
Corresponding author.

MeSH keywords: Tumeurs du côlon, ADN, ADN tumoral, Erreurs de diagnostic, Femelle, Maladies foetales, Humains, Résultats fortuits, Cellules tumorales circulantes, Grossesse, Complications tumorales de la grossesse, Diagnostic prénatal, Analyse de détermination du sexe, Chimère obtenue par transplantation, Révélation de la vérité, sang, diagnostic, méthodes, utilisation

 

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Nous avons déjà évoqué plusieurs fois [1, 2] les tests prénatals non invasifs, qui rencontrent actuellement un très grand succès aux États-Unis : il s’en est pratiqué plus de huit cent mille en 2014, ce qui correspond à environ 20 % des naissances. Rappelons qu’ils reposent sur le séquençage de l’ADN présent dans un prélèvement sanguin de la femme enceinte, qui comporte environ 10 % d’ADN fœtal. L’analyse des séquences obtenues permet d’évaluer la représentation des différents chromosomes et de détecter, le cas échéant, une trisomie 21 (ou 18, ou 13) grâce à la précision des mesures effectuées, alors même que l’ADN maternel représente 90 % du prélèvement et n’est pas séparé de l’ADN fœtal. Comme nous l’avons vu récemment [2], la spécificité du test n’est pas encore suffisante pour éviter totalement les faux positifs, et un tel résultat doit obligatoirement être confirmé par une analyse chromosomique (invasive). Il s’agit donc d’un dépistage, non d’un diagnostic ; néanmoins, ce procédé est beaucoup plus spécifique que le dépistage classique par échographie de la clarté nucale et dosage des protéines sériques. Il réduit donc considérablement le nombre de procédures invasives, d’où son grand succès et son extension actuelle aux grossesses ne présentant pas de risque particulier. Succès qui est dû aussi à un malentendu, à l’idée qu’il éliminerait totalement les procédures invasives, ce qui n’est pas exact [2] - mais je ne reviendrai pas ici sur ce sujet : l’objectif de cette chronique est de décrire comment ce test a parfois permis de détecter l’existence d’un cancer chez la femme enceinte, et d’évoquer les questions que soulève ce type de résultat inattendu.

Un cas très médiatisé, et qui n’est pas unique

Lors d’une conférence tenue à la Scripps Institution début mars 2015 et intitulée Future of Genomic Medicine, l’entreprise Sequenom, qui commercialise le test prénatal non invasif MaterniT21, a révélé un cas qui a retenu l’attention des médias [3]. Il s’agit d’une jeune femme âgée de 40 ans, ayant fait pratiquer le test à la 10e semaine de grossesse : l’analyse indiquait des anomalies chromosomiques majeures, ce qui suggérait la possibilité d’un cancer. Ce résultat, transmis à l’obstétricien de la patiente, allait motiver une IRM (imagerie par résonance magnétique) globale, qui détecta effectivement une tumeur du côlon mesurant sept centimètres. Après ablation immédiate de la tumeur (sans chimiothérapie postérieure), la patiente poursuivit sa grossesse et donna naissance à un enfant en bonne santé - non sans avoir pratiqué, au 7e mois, un nouveau test qui ne détecta plus d’anomalie. En somme, le test prénatal MaterniT21 avait analysé un échantillon d’ADN comportant une forte proportion d’ADN tumoral circulant et permis ainsi de soupçonner l’existence d’une tumeur chez la mère. Cette histoire, avec son dénouement heureux, a fait beaucoup de bruit outre-Atlantique ; ce n’est pas le premier exemple d’un tel résultat, et un cas avait déjà fait l’objet d’une publication en 2013 [4] sans attirer autant d’attention.

En fait Sequenom a donné, lors de la même conférence, quelques éléments statistiques [3]1,. L’entreprise, qui est leader sur ce marché, a effectué environ 400 000 tests en 2014, et indique avoir rencontré 40 cas de résultats anormaux faisant suspecter un cancer ; 26 d’entre eux au moins ont été confirmés, avec des localisations assez diverses (sein, côlon, utérus, etc.). La fréquence est donc faible, de l’ordre de 0,1 pour mille, mais de tels évènements ne sont pas totalement exceptionnels. D’ailleurs la firme Illumina, qui commercialise elle aussi un tel test, indique avoir rencontré 10 cas où le test prénatal a détecté un cancer chez la mère [3]. Du coup, les deux entreprises indiquent qu’elles travaillent à la mise au point d’un test de dépistage non invasif du cancer.

La difficile gestion de résultats imprévus

Ces résultats semblent avoir pris tous les protagonistes par surprise : personne n’avait apparemment prévu que ces tests prénatals très largement pratiqués allaient parfois révéler une affection touchant la mère. L’amélioration de la précision de ces analyses (on parle actuellement de repérer aussi d’éventuelles petites délétions dans l’ADN fœtal) va mécaniquement accroître la probabilité de détection d’anomalies dans l’ADN maternel. Or la ligne de conduite des entreprises pratiquant le test n’est actuellement pas définie : Sequenom a choisi - sans en faire une politique officielle - d’avertir l’obstétricien ayant commandé le test si le résultat suggère fortement un cancer chez la mère ; Illumina au contraire n’a pas transmis d’information, et les dix cas indiqués correspondent à un diagnostic ultérieur de cancer effectué de manière tout à fait indépendante. Bien entendu, le formulaire de consentement qu’avaient signé les patientes ne mentionnait pas cette éventualité et ne demandait pas à la future mère si elle souhaitait être avertie le cas échéant. Une enquête rapportée lors du même colloque confirme d’ailleurs qu’aucune des entreprises proposant un test de trisomie non invasif ne signale cette possibilité.

La question est complexe, car l’information n’est pas nécessairement bénéfique : un soupçon de cancer peut entraîner des examens qui s’avèreront inutiles, mais comportent un risque non négligeable, sans parler de l’anxiété induite ; et des résultats anormaux peuvent avoir d’autres origines, comme le montre un cas où le diagnostic du sexe du fœtus était faux, en raison d’une transplantation rénale antérieure chez la mère impliquant un donneur mâle [5]. Une fois de plus, une analyse reposant sur le séquençage d’ADN s’avère capable d’apporter beaucoup plus d’informations que l’on ne pensait, et pose avec acuité deux questions : que faire de cette indication, et comment recueillir par avance l’avis du patient sur sa communication. Il est particulièrement difficile de répondre au deuxième point si l’on n’a pas prévu la nature de l’information que peut apporter l’analyse, comme dans le cas présent ! Les organisations professionnelles travaillent sur ces sujets, et produisent des recommandations sur l’interprétation des variants [6] et sur la communication des résultats aux patients [7], mais on voit bien qu’elles sont condamnées à suivre l’actualité plutôt qu’à prévoir les questions qui vont se poser. Le rôle des cliniciens impliqués dans l’interprétation des tests reste donc essentiel, il faut espérer que ceux-ci disposeront du temps et des informations nécessaires pour gérer au mieux ces cas délicats dont le nombre va augmenter avec la généralisation des analyses moléculaires détaillées dans différentes situations cliniques.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 À défaut d’une publication formelle, on trouvera sur BuzzFeedNews une présentation très journalistique mais assez complète de ces résultats : http://www.buzzfeed.com/virginiahughes/pregnant-women-are-finding-out-they-have-cancer-from-a-genet#.mo0X8vgmR
References
1.
Jordan B. L’invasion des tests non-invasifs . Med sci (Paris). 2014; ; 30 : :107.–108.
2.
Jordan B. Du bon usage d’un test non invasif . Med sci (Paris). 2015; ; 31 : :335.–338.
4.
Osborne CM, Hardisty E, Devers P, et al. Discordant noninvasive prenatal testing results in a patient subsequently diagnosed with metastatic disease . Prenat Diagn. 2013; ; 33 : :609.–611.
5.
Bianchi DW, Parsa S, Bhatt S, et al. Fetal sex chromosome testing by maternal plasma DNA sequencing: clinical laboratory experience and biology . Obstet Gynecol. 2015; ; 125 : :375.–382.
6.
Richards S, Aziz N, Bale S, et al. Standards and guidelines for the interpretation of sequence variants: a joint consensus recommendation of the American college of medical genetics and genomics and the Association for molecular pathology . Genet Med. 2015; ; 17 : :405.–423.
7.
Hegde M, Bale S, Bayrak-Toydemir P, et al. Reporting incidental findings in genomic scale clinical sequencing-a clinical laboratory perspective: a report of the association for molecular pathology . J Mol Diagn. 2015; ; 17 : :107.–117.