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Med Sci (Paris). 2015 June; 31(6-7): 629–637.
Published online 2015 July 7. doi: 10.1051/medsci/20153106016.

Transmission intercellulaire de HTLV-1
Des mécanismes loin d’être complètement élucidés

Gerges Rizkallah,1,2,3 Renaud Mahieux,1,2,3 and Hélène Dutartre1,2,3*

1Équipe oncogenèse rétrovirale ; équipe labellisée Ligue nationale contre le cancer ; centre international de recherche en infectiologie, Inserm U1111-CNRS UMR5308, Lyon, France
2École normale supérieure de Lyon, 46, allée d’Italie, 69007Lyon, France
3Université Lyon 1, Lyon Cedex 07, 69364, France
Corresponding author.
 

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Le rétrovirus oncogène T-lymphotrope de type 1 humain (HTLV-1, human T-lymphotropic virus type 1) est endémique au Japon, en Afrique subsaharienne, dans la région Caraïbe et en Amérique du Sud. Il infecte 5 à 10 millions d’individus dans le monde [1]. Il est l’agent étiologique de l’ATLL ou leucémie à cellules T de l’adulte, et de la TSP/HAM ou paraparésie spastique tropicale/myélopathie associée à HTLV-1. L’ATLL, caractérisée par l’intégration clonale du provirus dans les cellules tumorales, est une lymphoprolifération maligne de lymphocytes T CD4+ ayant un phénotype activé. Cliniquement, quatre formes d’ATLL sont identifiées : indolente, chronique, lymphomateuse et aiguë. Les formes indolente et chronique peuvent progresser vers la forme aiguë, cette dernière étant la plus agressive, avec une médiane de survie des patients de 6 mois. La HAM/TSP est, quant à elle, une maladie neuro-inflammatoire chronique [2] dont l’évolution aboutit à une invalidation progressive des fonctions motrices. Elle est cliniquement caractérisée par une spasticité1 et une faiblesse musculaire des membres inférieurs, et par un dysfonctionnement de l’appareil urinaire. Ainsi, dix ans après le diagnostic, près de 50 % des patients sont incapables de se déplacer de façon autonome. Ces deux pathologies ne se développent qu’après une période de latence clinique de plusieurs décennies suivant la primo-infection par le virus.

Le génome d’HTLV-1 est encapsidé dans une structure formée par la protéine virale p19, codée par le gène viral gag, et enveloppé d’une membrane contenant une glycoprotéine de surface, la gp46 (ou surface unit - SU), liée à une glycoprotéine transmembranaire, la gp21 (ou transmembrane unit - TM). Les protéines gp46 et gp21 sont codées par le gène viral env. C’est la protéine gp46 qui assure la fixation, puis l’entrée du virus dans les cellules cibles. La transmission d’HTLV-1 d’un individu à un autre suit l’une des trois voies suivantes [3] : transmission verticale lors d’un allaitement prolongé au-delà de six mois ; transmission sexuelle préférentiellement de l’homme vers la femme ; transmission par des produits sanguins contenant des cellules infectées.

L’objectif de cette revue est de documenter les mécanismes moléculaires permettant la transmission d’HTLV-1.

Tropisme viral de HTLV-1

HTLV-1 a été détecté pour la première fois dans les cellules d’un patient atteint d’un lymphome T cutané initialement diagnostiqué comme mycosis fungoides, ainsi que dans deux lignées dérivées des cellules tumorales de ce même patient. La recherche du génome viral intégré (provirus) dans l’ADN génomique de différentes populations cellulaires a permis de définir le tropisme du virus (Tableau I). In vivo, le provirus HTLV-1 est très majoritairement détecté dans les lymphocytes T mémoires CD4+CD45RO+. Des analyses ex vivo ont permis de montrer que le provirus est également présent dans les lymphocytes T CD8+, les lymphocytes B, les monocytes, les cellules dendritiques myéloïdes, les cellules dendritiques plasmacytoïdes et les macrophages. Des ARN messagers viraux ont été détectés dans des astrocytes au sein de biopsies du cervelet et de la moelle épinière de patients atteints de TSP/HAM.

Les modèles actuels suggèrent que l’infection virale induit d’abord une étape d’immortalisation au cours de laquelle les cellules infectées se divisent de façon continue sous l’influence des effets pléiotropes de la protéine transactivatrice Tax. Cette étape requiert la présence de cytokines telles que l’interleukine (IL)-2. Par la suite, cette immortalisation conduit à la transformation des cellules à l’origine de la leucémie. L’expression de la protéine Tax est plus rarement détectée dans les cellules transformées provenant de patients souffrant de leucémie T de l’adulte (ATLL). Le virus induit une prolifération clonale, ce qui permet d’augmenter la charge provirale en l’absence de toute étape de transcription inverse ou de production de virions. Ainsi, chez un individu infecté, asymptomatique ou malade, plusieurs clones de lymphocytes T infectés sont détectés, chacun de ces clones résultant d’un événement d’intégration virale. Mais le développement d’une leucémie sera la conséquence de la prolifération d’un seul clone, dans lequel un événement transformant sera survenu [4]. In vivo et ex vivo, ni les ARN messagers viraux, ni les protéines virales, ni le virus libre dans le plasma ne sont aisément détectés. Ceci suggère la mise en place d’une réponse immunitaire de l’hôte à l’origine de la restriction de l’expression du virus [5].

In vitro, HTLV-1 infecte de façon productive les lignées de cellules lymphoïdes et les cellules dendritiques dérivées de monocytes humains (pour une revue [3]). Bien que susceptible à l’infection, les monocytes eux-mêmes ne sont pas permissifs pour la réplication virale. Leur exposition au virus conduit en effet à leur mort par apoptose [6]. Pourtant, on peut retrouver des provirus intégrés dans le génome des monocytes de patients infectés [7].

Les cellules dendritiques, quant à elles, sont capables de transmettre le virus aux lymphocytes T CD4+in vitro [8]. Ces cellules, qu’elles soient mucosales ou sanguines, pourraient ainsi être les premières cellules infectées lors d’une primo-infection in vivo, et elles pourraient transmettre HTLV-1 aux lymphocytes après leur migration vers les organes lymphoïdes.

Trois molécules impliquées dans l’entrée virale

La capacité du virus HTLV-1 à infecter de nombreuses cellules humaines et animales in vitro a longtemps constitué un obstacle à l’identification de ses récepteurs. Plusieurs molécules sont impliquées dans la fixation du virus aux cellules cibles, puis dans l’entrée du virus dans les cellules (Tableau II) (pour revue voir [9]). La fixation des particules virales sur les cellules cibles dépend de l’expression de protéoglycanes à héparanes sulfates (HSPG), qui constituent un premier facteur d’attachement. GLUT-1, un transporteur du glucose fortement exprimé par les cellules T activées, est ensuite impliqué dans l’entrée du virus. Le niveau d’expression de GLUT-1 à la surface des cellules n’est cependant pas corrélé au niveau de fixation de la protéine virale d’enveloppe SU [10], suggérant que GLUT-1 intervient dans les évènements tardifs de l’entrée (étape de fusion) [11]. Une troisième molécule contribue à l’entrée du virus. Il s’agit de la neuropiline-1 (NRP-1 ou BDCA4 [blood dendritic cell antigen 4], CD304 ou VEGF165R [vascular endothelial growth factor isoform 165 receptor]). Son expression in vivo est limitée aux lymphocytes T activés, aux cellules dendritiques, aux cellules endothéliales ainsi qu’à certaines cellules tumorales [12]. NRP-1 est en effet exprimée dans la très grande majorité des cellules transformées, dont les lignées de laboratoires [13], ce qui corrèle avec le tropisme de HTLV-1 in vitro. C’est un récepteur de l’isoforme A du VEGF (VEGF165), qui joue un rôle en particulier dans la survie des cellules tumorales [14].

L’entrée productive du virus requiert des interactions séquentielles entre les protéines d’enveloppe virales et ces trois molécules [9]. Selon le modèle proposé par Pique et Jones [3], les HSPG interagissent avec SU, permettant l’attachement initial des virions et leur concentration à la surface cellulaire. Les HSPG assurent par ailleurs le recrutement de NRP-1. Une interaction s’établit ensuite entre la région 90-94 de SU et le domaine « b » de NRP-12,, stabilisée par les HSPG. Un second changement de conformation permet l’interaction de la tyrosine 114 de la SU avec GLUT-1, conduisant alors à la fusion des membranes virales et cellulaires. Ce modèle a été validé dans les lymphocytes T CD4+, mais n’est peut être pas généralisable à toutes les cellules primaires. En particulier, l’infection des cellules dendritiques dérivant de monocytes reste possible en présence d’anticorps bloquant l’interaction de SU avec les HSPG ou NRP-1. Dans ce cas, la fixation du virus pourrait dépendre de l’expression de DC-SIGN (dendritic cell-specific intercellular adhesion molecule-3-grabbing non-integrin), une lectine de type C exprimée par les cellules dendritiques [15]. De même, bien que n’exprimant pas GLUT-1, les cellules de la lignée U87 (provenant d’astrocytes tumoraux) sont infectables par HTLV-1 [16]. Leur infection dépendrait de l’expression de NRP-1 [17]. Ces deux exemples suggèrent l’existence possible d’autres récepteurs spécifiques de certains types cellulaires cibles de HTLV-1, ou une utilisation alternative des récepteurs en fonction des types cellulaires.

Une capacité accrue des cellules infectées à migrer

Bien que certaines études aient décrit l’infection de lymphocytes T ou de lymphocytes B par du virus libre in vitro, aucun cas humain d’infection n’a été observé après une transfusion de produits sanguins acellulaires. In vitro, et à l’exception des cellules dendritiques [8], l’infection des cellules cibles n’est possible qu’après un contact étroit avec une cellule infectée de façon productive [18], ce qui permet d’augmenter d’un facteur 10 000 l’efficacité de l’infection [19].

Ce contact cellule-cellule, parfois appelé « conjugué », est associé à plusieurs événements : migration des cellules infectées vers leur cible, formation d’une synapse, polarisation du centre organisateur des microtubules (microtubule organizing center, MTOC) dans la cellule infectée, et transfert polarisé et localisé du virus au point de contact. Ces évènements dépendent tous d’une réorganisation du cytosquelette qui fait intervenir les réseaux d’actine et de tubuline dans la cellule infectée [19, 20]. Ce phénomène est contrôlé par la protéine virale Tax, qui colocalise partiellement avec le MTOC [20].

L’infection par HTLV-1, ou l’expression de la protéine Tax elle-même, modifie l’expression de plusieurs protéines impliquées dans la régulation du cytosquelette (Figure 1). CRMP-2 (collapsin response mediator protein 2) participe à la polarisation et la migration des lymphocytes T [21]. La fascine3 [22] stabilise les filaments d’actine en se concentrant au niveau des protrusions. Gem [23], une protéine de la famille des petites protéines G Rac/Rho, ou CADM-1 (cell adhesion molecule 1), une molécule d’adhérence impliquée dans l’infiltration des cellules tumorales [24], sont étroitement liées à la motilité et à l’adhérence des cellules infectées à leurs cellules cibles. L’engagement de CADM-1 permet le recrutement de TIAM (T lymphoma invasion and metastasis), un facteur d’échange pour la GTPase Rac, l’activation de Rac et la formation de lamellipodes [25]. Gem et la fascine colocalisent avec l’actine [22, 23], mais pas avec Tax, alors que CRMP-2 colocalise avec les microtubules et partiellement avec Tax au niveau des contacts cellule-cellule [26]. CRMP-2 permet l’assemblage des microtubules lorsqu’elle est phosphorylée par ROCK-II (Rho-associated, coiled-coil containing protein kinase 2), une kinase activée par la GTPase Rho, ce qui pourrait contrôler la polarisation du MTOC. La fascine contrôle la stabilisation des filaments d’actine au niveau des filopodes par son interaction avec LIMK1/2 (LIM domain kinase 1/2), celle-ci est également contrôlée par la GTPase Rho.

Dans les neurones, Gem est un régulateur négatif de ROCK1 (Rho-associated, coiled-coil containing protein kinase 1), une kinase activée par la GTPase Rho qui est impliquée dans la rétraction des neurites. Gem pourrait donc aussi réguler ROCK1 et promouvoir la dépolarisation de l’actine au niveau de la traîne cellulaire (uropode) dans les lymphocytes infectés par HTLV-1, permettant leur mouvement vers les cellules cibles. L’extinction de l’expression d’une seule de ces protéines suffit à diminuer fortement la migration des cellules infectées, suggérant que les trois mécanismes ne sont pas redondants. De plus, si les protéines Gem, CRMP-2 et fascine contrôlent à la fois la migration des cellules infectées et les contacts entre cellules, seule la protéine Gem est impliquée dans le transfert des particules virales vers la cellule cible [23].

Une transmission polarisée au niveau du point de contact cellule-cellule

Le contact entre une cellule infectée et une cellule cible permet l’établissement d’une synapse virologique [27, 56], qui s’apparente partiellement à la synapse immunologique (Figure 2A, panneau du haut). Comme il le fait dans la synapse immunologique [57], le MTOC se polarise au point de contact lors de la formation de la synapse virologique [27]. À la différence de la synapse immunologique, cette polarisation a lieu dans la cellule infectée et non dans la cellule cible. Elle est associée à une accumulation des protéines Gag et Env à la jonction entre la cellule infectée et la cellule cible, ainsi qu’à celle du génome viral [27]. Ceci suggère que le virus pourrait bourgeonner au niveau du contact, une hypothèse démontrée par la détection de particules virales à l’intérieur de la fente synaptique [28, 29].

La synapse immunologique et la polarisation du MTOC sont les conséquences de l’engagement des récepteurs impliqués dans l’activation immunitaire comme le TcR, CD28, LFA-1 (leukocyte function-associated antigen) et CD50 ou ICAM-3 (intercellular cell-adhesion molecule 3) [57]. Au contraire, dans les cellules infectées par HTLV-1, ces évènements sont indépendants de l’activation du TcR, de la voie NF-κB [20, 30] ou de l’engagement de CD28, CD2 ou CD50 [31].

C’est en fait l’interaction entre les protéines d’adhérence ICAM-1 (CD54) présentes sur la cellule infectée, et LFA-1 exprimée par la cellule cible, qui permet l’établissement de la synapse virologique [27] et la polarisation du MTOC [20, 30, 31]. Or, ICAM-1 est surexprimée dans les cellules infectées. L’engagement d’ICAM-1 par des anticorps, ou par son ligand LFA-1, suffit à induire une voie de signalisation impliquant RAS/MEK/ERK qui conduit à la polarisation du MTOC vers le pôle de signalisation [30]. Le même processus est aussi induit par l’agrégation de LFA-1 ou de CD25 [31], dont l’expression augmente dans les cellules infectées. Ainsi, la synapse virologique est stabilisée par des complexes ICAM-1/LFA-1 et des complexes LFA-1/ICAM-1 (Figure 2A panneau du bas).

La concentration de LFA-1 à la surface des cellules infectées est contrôlée par les protéines virales auxiliaires p12 et p8 [32, 33]. Ainsi, l’accumulation de LFA-1 induite par p12 augmente l’adhérence des lymphocytes T dans lesquels p12 est surexprimée [32]. Au contraire, p8 est recrutée à la membrane plasmique et colocalise avec LFA-1 [33] (Figure 2A panneau du bas).

Enfin, une troisième protéine d’adhérence pourrait être engagée dans la formation de la synapse virologique. Il s’agit de CD82, une tétraspanine, qui colocalise avec LFA-1 pour stabiliser la synapse immunologique à la suite de l’engagement du TcR, et qui participe à la réorganisation du cytosquelette via une voie de signalisation impliquant les protéines Rho. La présence de CD82 n’a pas été recherchée au niveau de la synapse virologique, mais il est vraisemblable qu’elle y soit présente car elle interagit avec les protéines virales SU et TM [34], ainsi qu’avec Gag [35, 36] (Figure 2A panneau du bas).

Ainsi, les protéines virales Gag, p8, p12, Env et Tax participeraient, selon des modalités distinctes, à l’induction de contacts cellulaires, la formation d’une synapse virale, l’assemblage des particules virales au point de contact et au transfert polarisé des virions.

Le biofilm : agrégats infectieux à la surface de la cellule hôte, une alternative à la synapse virologique ?

En dehors du contact cellulaire établi lors de la synapse virologique, HTLV-1 peut aussi être transmis par l’intermédiaire d’un agrégat viral ou biofilm viral (Figure 2B, panneau du haut) [56]. Concentré à la surface des cellules productivement infectées, au niveau de la matrice extracellulaire, le biofilm viral est composé de collagène, de galectine-3 [58], d’agrine, d’intégrine et de glycosides complexes [37] (Figure 2B, panneau du bas). Il ne comporte ni fibronectine, ni galectine-1, ni α-dystroglycane, ce qui suggère que l’accumulation de certaines protéines de la matrice extracellulaire y est sélective. On y trouve également la téthérine (également appelée BST-2 - bone marrow stromal antigen 2 ou CD317) [37], une protéine dont la synthèse est induite par l’IFN (interféron) de type I, et dont la fonction, décrite dans les cellules infectées par VIH-1 (virus de l’immunodéficience humaine de type 1), est de restreindre la dissémination virale en retenant les virions au niveau de la membrane plasmique. L’expression de la téthérine dans les cellules infectées par HTLV-1 n’affecte cependant pas la transmission virale lorsque celle-ci a lieu par contacts cellulaires [38]. Au contraire, la présence de la protéine dans le biofilm pourrait contribuer au maintien du virus au niveau de la membrane plasmique, et favoriserait son transfert lors d’un contact avec une cellule cible. L’association du virus dans un biofilm confère aussi une protection physique aux particules virales qui sont particulièrement instables dans les milieux biologiques et peu glycosylées [39] (pour une revue complète sur les biofilms, voir [59]) ().

(→) Voir la Synthèse de D. Lebeaux et J.M.Ghigo, m/s n° 8-9, août-septembre 2012, page 739

Le biofilm présente une capacité d’adhérence rapide à d’autres cellules. À la différence de la synapse virologique, sa transmission ne nécessite ni la réorganisation du cytosquelette de la cellule infectée, ni sa polarisation. Ceci pourrait permettre un transfert rapide du virus, même lors d’un contact éphémère. In vitro, le décrochage mécanique du biofilm réduit le nombre de cellules infectées de plus de 80 % lors de la formation de conjugués cellule-cellule [37], démontrant que cette structure participe efficacement à la transmission virale.

Les conduits : réseaux facilitant la transmission

En plus des agrégats viraux, on trouve au niveau des cellules infectées des protrusions nommées conduits (Figure 2C, panneau du haut). Ces structures sont formées de novo à partir de la membrane plasmique grâce à la polymérisation de l’actine-F qui forme des ponts entre les cellules productrices de virus et les cellules cibles. Ces conduits pourraient participer à la stabilisation des contacts entre les cellules, mais aussi permettre des échanges de protéines cytoplasmiques [33].

La protéine virale p8 augmente le nombre ou la longueur de ces conduits, mais aussi les contacts qu’ils établissent entre les cellules infectées et les cellules cibles [33]. Ces conduits permettent le transfert de la protéine p8 dans la cellule cible, avant ou concomitamment à l’infection (Figure 2C, panneau du bas). Le transfert de p8 permettrait de contrôler la réponse immune en diminuant la signalisation via le TcR et l’expression du CMH-1 (complexe majeur d’histocompatibilité) [33]. L’expression de p8 dans la cellule cible augmente l’expression de LFA-1 [33], dont l’interaction avec ICAM-1 au niveau de la cellule infectée est au cœur de la formation de conjugués et de l’établissement de la synapse virologique. Ainsi, la formation des conduits pourrait avoir une double fonction : stabiliser les interactions entre les cellules par des contacts autour de la synapse virologique, et permettre un passage d’éléments viraux (telle que la protéine p8) du cytoplasme de la cellule infectée vers celui de la cellule cible sans passage à la membrane.

Conclusions

HTLV-1 se transmet essentiellement lors de contacts cellule-cellule. La concentration virale au niveau de la synapse virologique ou du biofilm viral permet le transfert des virions de façon directionnelle et extrêmement efficace. Cette stratégie limite les interactions du virus avec le milieu, ce qui lui permet d’échapper à la réponse immune [28, 40]. Dans une coculture de cellules infectées avec des cellules cibles, on peut observer à la fois des synapses virologiques, des conduits entre les cellules, un biofilm [33], ou bien un biofilm et des synapses virologiques [37]. Le mécanisme de transmission par contacts cellule-cellule n’est cependant pas unique à HTLV-1 [41]. En particulier, VIH-1 se transmet via une synapse virologique [40, 42], et le transfert de protéines virales au travers de conduits formés entre les cellules infectées et les cellules cibles participe à la transmission virale [43]. Comme pour HTLV-1, ce mode de transmission est bien plus efficace que la libération de particules virales libres [44]. En revanche, l’accumulation de VIH-1 dans un biofilm viral à la membrane plasmique des cellules infectées n’a pour l’instant pas été décrite.

En dépit de la caractérisation des mécanismes de transmission de HTLV-1 décrits dans cette revue, plusieurs éléments restent mal compris. En particulier, on ne connaît pas encore les types cellulaires au sein desquels HTLV-1 se propage lors de la primo-infection, avant d’engager une réplication clonale dans les lymphocytes T CD4+. En effet, la majorité des travaux utilisent des lymphocytes T comme modèles, mais les mécanismes mis en jeu pour le transfert du virus d’une cellule à une autre pourraient être différents lorsque la cellule donneuse n’est pas un lymphocyte. De même, on ne connaît pas les mécanismes précis d’entrée du virus HTLV-1 dans la cellule cible lors de la transmission synaptique, ou lors du transfert de biofilm. Y a-t-il fusion à la membrane, ou, comme dans le cas du VIH-1, endocytose des particules virales et fusion dans les endosomes [45] ? Enfin, la nécessité d’un contact étroit entre une cellule infectée et sa cible suggère que le succès de l’infection pourrait aussi dépendre de signaux complémentaires induits par l’engagement de protéines cellulaires au moment du contact. Les études qui permettront de répondre à ces questions seront importantes pour une meilleure compréhension du mode de dissémination du virus lors de la primo-infection.

Liens d’intérêt

Les auteurs declarent n’avoir aucun lien d’interet concernant les donnees publiees dans cet article.

 
Acknowledgments

Gerges Rizkallah est financé par l’université Saint Joseph du Liban et le CNRS-Liban. Hélène Dutartre est financée par l’Inserm. Renaud Mahieux est financé par l’École normale supérieure de Lyon et par un contrat hospitalier de recherche translationnelle (AP-HP hôpitaux de Paris). L’équipe oncogenèse rétrovirale remercie l’Inserm, l’ARC et la Ligue nationale contre le cancer (programme équipe labellisée) ainsi que le comité de la Ligue contre le cancer Rhône Alpes pour leur soutien financier. Les auteurs remercient le Dr Chloé Journo et le Dr Patrick Lécine pour leurs conseils lors de la rédaction du manuscrit.

 
Footnotes
1 La spasticité est une augmentation du réflexe tonique d’étirement, c’est-à-dire une contraction musculaire réflexe exagérée. Le membre spastique perd de sa souplesse et de sa mobilité.
2 NRP-1 présente trois domaines extracellulaires (a, b et c), un domaine transmembranaire et un domaine intracytoplasmique court. Le domaine b est capable de lier le VEGF mais également les chaînes d’héparanes sulfates des HSPG.
3 La fascine qui stabilise les filaments d’actine et se concentre au niveau des protrusions cellulaires (filopodes) lors de la migration. Elle est exprimée dans les cellules dendritiques, neuronales, mésenchymateuses et endothéliales, mais pas dans les lymphocytes. Elle est surexprimée dans de nombreux cancers (sein, côlon, poumon, etc.) et serait un marqueur pronostique et de métastase.
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