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Med Sci (Paris). 2015 October; 31(10): 869–880.
Published online 2015 October 19. doi: 10.1051/medsci/20153110013.

Protéger et sévir : p53, métabolisme et suppression tumorale

Olivier Albagli1*

1U1016 Inserm-Institut Cochin, groupe hospitalier Cochin-Port-Royal, bâtiment Cassini, 123, boulevard de Port-Royal, 75014Paris, France
Corresponding author.
 

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D’innombrables données démontrent le rôle du gène p53 1 dans la suppression tumorale. Plusieurs oncoprotéines virales neutralisent p53 [1, 2]. In vitro, l’inactivation de p53 promeut l’immortalisation cellulaire [3]. In vivo, la perturbation de la fonction de p53 est l’anomalie la plus fréquente observée dans les cancers humains. Cette perturbation est souvent causée par des mutations ponctuelles du gène (50 à 60 % des cancers humains), ou par d’autres modifications conduisant à l’affaiblissement de sa fonction, telles que l’amplification de mdm2 (mouse double minute), codant un régulateur négatif de p53, ou l’inactivation de arf (alternative reading frame), codant un inhibiteur de Mdm2 [4]. La mutation germinale d’une copie de p53 est associée au syndrome de Li-Fraumeni, caractérisé par une prédisposition à développer de nombreux types de cancers. Dans les tumeurs des patients ayant hérité d’un allèle nul de p53, l’autre allèle (normal) est invariablement perdu [5]. Chez la souris, l’invalidation homozygote ou même (dans une moindre mesure) hétérozygote de p53 conduit à une impressionnante accélération de la survenue des tumeurs [1, 2]. Le développement de ces souris n’est cependant que faiblement affecté, même si la fertilité des femelles est diminuée [2]. Pour l’individu lui-même, la fonction principale de p53 semble donc être la suppression tumorale.

Le triumvirat

Aux cours des trente dernières années, trois programmes ont été associés à p53 : l’arrêt du cycle cellulaire, la sénescence et l’apoptose. Ce triumvirat 2 [6] est fondamental dans la réponse aux lésions génotoxiques. Un stress génotoxique modéré provoque l’arrêt transitoire du cycle cellulaire par p53, ce qui limite les lésions et permet leur réparation. Si le stress est plus intense ou prolongé, p53 inhibe la prolifération par un mécanisme généralement irréversible (sénescence) ou déclenche l’apoptose [6] (Figure 1). Un point mal élucidé reste comment p53 « choisit » parmi ces trois programmes. p53 apparaît principalement comme un facteur de transcription régulant, positivement ou négativement, l’expression de nombreux ARN codants ou non codants (Figures 1 et 2) [1, 2, 4, 7]. Les cofacteurs de p53, ses modifications post-traductionnelles et sa quantité, contribuent à déterminer ses gènes cibles et l’intensité de leur modulation, sélectionnant ainsi l’un des trois programmes du triumvirat [8]. De plus, de nombreuses fonctions non transcriptionnelles de p53 ont été décrites et certaines sont probablement impliquées dans le triumvirat [9]. Enfin, il existe deux gènes apparentés à p53, p73 et p63 [55] (), dont les rôles se superposent en partie à ceux de p53. Ces trois gènes codent pour de multiples isoformes présentant des fonctions différentes voire opposées [4, 10]. La réponse induite par p53 est donc aussi dépendante de l’équilibre entre les différentes isoformes exprimées par ces trois gènes.

(→) Voir la synthèse de C. Caron de Fromentel et al., m/s n° 4, avril 2012, page 381

La chute du triumvirat ?

Les trois programmes du triumvirat ont en commun de limiter l’expansion de cellules lésées, et donc potentiellement mutantes et tumorales. Le triumvirat semblait donc pouvoir expliquer la suppression tumorale. Cependant, dès 2006, des résultats suggéraient que l’apoptose et la suppression tumorale en réponse à de sévères lésions génotoxiques sont deux fonctions temporellement et génétiquement séparables de p53 [11].

L’obtention récente de plusieurs lignées de souris génétiquement modifiées a permis de tester directement si la suppression tumorale dépend du triumvirat. La réponse apparaît plutôt négative dans plusieurs situations expérimentales. En effet, l’invalidation de trois gènes cibles clés de p53 (p21, noxa et puma) abolit sa capacité à induire l’apoptose et l’arrêt du cycle cellulaire (et même en partie la sénescence), mais n’affecte pas la suppression tumorale, en tout cas vis-à-vis de la tumorigenèse spontanée [12]. De même, différents mutants de p53 incapables d’induire une, voire deux, des trois réponses du triumvirat, conservent la propriété de suppression tumorale, au moins vis-à-vis de la tumorigenèse spontanée précoce (avant 6 mois) (Figure 3). Restait cependant envisageable une redondance complète entre les trois programmes, c’est-à-dire que l’induction de n’importe lequel soit nécessaire et suffisante pour la suppression tumorale. Cette possibilité semble désormais écartée par les résultats obtenus avec des souris exprimant, à la place de p53 normale, le mutant p533KR où trois lysines (K) acétylées du domaine de liaison de la molécule à l’ADN, ont été remplacées par trois résidus non acétylables (arginine, R) (Figure 2). Dans les cellules de ces souris, p533KR s’accumule normalement sous l’effet de stress génotoxiques couramment utilisés pour activer p53, mais ne stimule l’expression d’aucun des nombreux gènes cibles sélectionnés pour leur implication dans le triumvirat. Il ne déclenche effectivement aucun des trois programmes. Malgré tout, les souris p533KR/3KR sont protégées (au moins) des tumeurs spontanées précoces (jusqu’à un an environ) [6, 13] (Figure 3). Ces travaux suggèrent que la suppression tumorale ne dépend pas du triumvirat.

L’effet Warburg

Il y a environ 90 ans, le physiologiste Otto Warburg montra qu’à l’inverse des cellules normales, les cellules tumorales privilégient la production d’ATP par glycolyse plutôt que par phosphorylation oxydative, même lorsque l’oxygène est abondant. Cette « reprogrammation métabolique », connue sous le nom d’effet Warburg (ou de glycolyse aérobie car elle est insensible à la concentration en oxygène), se manifeste par une diminution de la consommation d’oxygène, une augmentation souvent considérable de l’entrée de glucose et du flux glycolytique et une intense production de lactate (fermentation) à partir du pyruvate détourné du cycle de Krebs [14] (). Ces observations fondent aujourd’hui une méthode courante d’imagerie des cellules tumorales par la mesure de l’entrée du 18-fluoro-désoxyglucose (18-FDG), un dérivé radiomarqué du glucose [14].

(→) Voir la synthèse de J. Razungles et al., m/s n° 11, novembre 2013, page 1026

Même si l’effet Warburg reste toujours mal compris dans ses causes et ses conséquences [15], notre perception de ce phénomène a notablement changé depuis sa découverte. Contrairement aux hypothèses initialement formulées, les mitochondries sont fonctionnelles dans les cellules tumorales et la réduction de la phosphorylation oxydative n’y est ni systématique, ni irréversible [14, 16]. De plus, l’intensification du flux glycolytique dans les cellules tumorale semble en réalité n’être qu’une manifestation de son association, plus générale, avec l’indifférenciation et la prolifération cellulaires [17]. L’effet Warburg n’apparaît donc plus comme une simple conséquence de la transformation, ou le vestige d’une adaptation métabolique des cellules tumorales à des environnements hypoxiques. Il semble, au contraire, fondamentalement lié à la production de biomasse malgré le faible rendement énergétique de la glycolyse comparé à celui de la phosphorylation oxydative [14, 18]. On sait à présent qu’un flux glycolytique élevé accroît la vitesse de production de l’ATP [18, 19]. Surtout, l’effet Warburg limite la production de dérivés réactifs de l’oxygène (DRO, en anglais : ROS pour reactive oxygen species) et augmente la quantité de précurseurs disponibles pour la synthèse de macromolécules (lipides, acides nucléiques, protéines) nécessaires à la fabrication de nouvelles cellules [18, 19]. Si le glucose est abondant, un flux glycolytique élevé favorise donc la prolifération cellulaire [19]. Dans la suite de cette revue, on considèrera l’effet Warburg dans une acception large. Son inhibition correspondra aux régulations favorisant la production d’ATP dans les mitochondries au détriment de l’oxydation incomplète et l’utilisation anabolique des nutriments.

p53 et effet Warburg

De nombreuses connexions existent entre les altérations génétiques et métaboliques associées à la transformation tumorale. Plusieurs oncogènes induisent l’effet Warburg. Réciproquement, des gènes suppresseurs de tumeurs diminuent la probabilité de la réorientation métabolique vers la glycolyse aérobie [14].

La perte d’une ou, plus encore, des deux copies de p53 provoque une diminution de la consommation d’oxygène, reflétant celle de la phosphorylation oxydative, et une augmentation de l’entrée de glucose et de la production de lactate [20, 21]. Ces résultats indiquent que p53 inhibe l’effet Warburg. La corrélation positive, dans certaines tumeurs, entre la mutation de p53 et l’augmentation de l’absorption du 18-FDG pourrait donc refléter une relation causale [19].

Le mutant p533KR inhibe aussi l’effet Warburg puisque les cellules p533KR/3KR présentent une consommation de glucose et une glycolyse plus faibles que des cellules complètement dépourvues de p53 [13]. Cette inhibition est probablement liée au reliquat d’activité transrégulatrice du mutant p533KR. Une analyse transcriptomique montre en effet que la régulation de l’expression d’au moins trois gènes cibles de p53 liés au métabolisme, n’est pas modifiée dans les souris p533KR/3KR par rapport aux souris de génotype normal. Il s’agit de glut3, d’une part, et de gls2 et tigar, d’autre part, respectivement réprimé et activés par p533KR (et par p53). Ces gènes codent un transporteur de glucose (Glut3) et deux enzymes, l’une (Gls2) transformant la glutamine en glutamate dans les mitochondries, et l’autre (Tigar) déphosphorylant le fructose 2-6 biphosphate (Tableau I). La répression de glut3 réduit l’entrée de glucose dans les cellules tandis que Tigar diminue la quantité d’un activateur de la phosphofructokinase, enzyme clé de la glycolyse. Réciproquement, l’augmentation de l’expression de Gls2 favorise la respiration mitochondriale en accroissant la transformation de la glutamine en glutamate, précurseur de l’α-cétoglutarate, qui alimente le cycle de Krebs [22]. p533KR n’induit donc aucune des réponses du triumvirat mais inhibe l’effet Warburg. Par conséquent, cette inhibition apparaît, au moins en partie, responsable de la suppression tumorale. Notons cependant qu’un travail très récent suggère que la suppression tumorale par p533KR repose aussi sur la capacité de ce mutant à réprimer l’expression du transporteur membranaire SLC7A11 (solute carrier family 7 [anionic amino acid transporter light chain, xc- system], member 11) et induire ainsi la ferroptose, une forme non apoptotique de mort cellulaire associée à un stress oxydant [13, 23, 56] ().

(→) Voir la synthèse de L. Cabon et al., m/s n° 12, décembre 2013, page 1117

Autres cibles de p53 et inhibition de l’effet Warburg

D’autres régulations exercées par p53 renforcent cette hypothèse. En effet, comme celle qui s’exerce sur glut3, tigar et gls2, elles tendent souvent (au moins en théorie) à diminuer la glycolyse et à favoriser une oxydation complète du glucose (Tableau I) [7, 24]. Le même type d’influence existe sur le métabolisme des lipides puisque p53 favorise leur oxydation dans les mitochondries et réduit leur synthèse [7, 2426]. p53 agit directement sur des gènes codant des effecteurs du métabolisme énergétique, ou, plus indirectement, inhibe des promoteurs de l’effet Warburg, tels que le facteur de transcription HIF-1 (hypoxia-inducible factor) ou la cascade PI3K/AKT [27, 28] (Tableau I). En stimulant la phosphorylation oxydative et la synthèse d’ATP au détriment de la production de biomasse, ces régulations pourraient participer à la suppression tumorale. Cette idée est aussi suggérée par un autre mutant, p5325,26 partiellement déficient dans ses fonctions transactivatrices (Figure 2). Des souris p53 25,26/25,26 (dont les deux copies de p53 sont remplacées par p5325,26 ) sont protégées contre différents types de tumeurs [26, 29] (Figure 3). Parmi les rares gènes cibles connus de p5325,26 figurent le suppresseur de tumeur phlda3 (pleckstrin homology-like domain family A member 3), codant un inhibiteur des kinases AKT, et plusieurs gènes impliqués dans la β-oxydation des acides gras et le maintien de la phosphorylation oxydative en cas de carence en glucose. Deux mutations supplémentaires (mutant p5325,26,53,54, Figure 2 ) éliminent complètement à la fois la transactivation et la suppression tumorale [26, 29]. Toutefois, p5325,26 régule d’autres suppresseurs de tumeurs et induit la sénescence, et même l’apoptose, dans certaines conditions (Figure 3) [29]. L’implication des cibles métaboliques de p5325,26 dans son action antitumorale reste donc à démontrer.

D’autres fonctions, non directement métaboliques, de p53 sont susceptibles de contribuer à la suppression tumorale en favorisant la phosphorylation oxydative. Il s’agit, en particulier, de son activité anti-oxydante, probablement essentielle pour la suppression tumorale [30] et nécessaire pour éviter la contre-sélection d’un métabolisme énergétiquement très efficace, mais générateur de DRO (dérivés réactifs de l’oxygène). De même, l’induction par p53 d’une autophagie modérée réduit la toxicité et augmente l’efficacité de la phosphorylation oxydative par l’élimination des mitochondries ou des protéines mitochondriales défectueuses [31, 32].

Ce schéma explicatif semble aussi valable pour les gènes p63 et p73. Moins flagrante que celle de p53 et longtemps controversée, la suppression tumorale par p63 et p73 est à présent bien établie [1]. Dans un lymphome développé par des souris dépourvues de p53, l’activation de p63 ou de p73 (par élimination de leurs isoformes inhibitrices) provoque une régression tumorale accompagnée de l’induction d’un gène, baptisé iapp (islet amyloid polyprotein), dont la surexpression suffit à réduire l’entrée de glucose et la glycolyse [10] (Tableau I). L’inhibition de l’effet Warburg pourrait donc être aussi en partie responsable de la suppression tumorale par p63 et p73.

Le duumvirat sénescence-apoptose et les cellules transformées

Les effets métaboliques de p53, p63 et p73, et de leur cibles, y compris tigar et gls2, sont néanmoins complexes, dépendants de leur niveau d’expression et du contexte cellulaire, et pas toujours interprétables en termes d’inhibition de l’effet Warburg [6, 7, 24, 33].

L’implication de la sénescence et de l’apoptose dans la suppression tumorale n’était pas qu’une séduisante spéculation. Des résultats expérimentaux l’étayaient fortement in vivo. Par exemple, l’expression, dans le plexus choroïde de souris transgéniques, de l’antigène T du virus SV40, qui complexe et inactive p53, conduit au rapide développement de tumeurs. En revanche, un mutant de T incapable de lier p53 (mais encore capable d’inactiver les protéines de la famille pRb, retinoblastoma gene product), induit des tumeurs beaucoup plus lentes présentant une apoptose importante. Ces tumeurs retrouvent leur agressivité (et perdent leur apoptose) si ce même mutant est exprimé dans des cellules dépourvues de p53 [34]. De même, l’invalidation ciblée du gène suppresseur de tumeurs pten (phosphatase and tensin homolog) dans la prostate de souris conduit à des cancers invasifs après une longue latence qui est spectaculairement raccourcie si l’on invalide, en plus, p53. Cette accélération s’accompagne d’une diminution de la proportion de cellules sénescentes [3]. Chez la souris toujours, différents systèmes expérimentaux permettent d’éliminer la fonction de p53 tout en maintenant la possibilité de la restaurer au moment voulu. Dans plusieurs de ces systèmes, cette restauration entraîne une régression tumorale associée à une induction de l’apoptose ou de la sénescence [3].

Plus convaincant encore, il s’avère que, parfois, l’abrogation de l’apoptose a un effet identique à celui de l’inactivation naturelle de p53 associée à la tumorigenèse. En effet, des souris transgéniques surexprimant l’oncogène c-myc dans les lymphocytes B, sont prédisposées à développer des lymphomes. p53 exerce une forte suppression tumorale dans ce modèle, puisque l’invalidation d’une seule copie de p53 accélère considérablement la survenue des lymphomes [35]. À nouveau, la latence est associée à une apoptose importante, contrôlée en partie par p53 [36]. Le blocage artificiel de l’apoptose, par exemple par la surexpression de bcl2 (B-cell CLL/lymphoma 2), reproduit l’effet tumorigène de l’invalidation d’une copie de p53. Surtout, il abolit la pression de sélection aboutissant à la mutation ou l’inactivation complète de p53 dans les tumeurs [35, 36]. Par conséquent, dans cette lymphomagenèse, la sélection naturelle semble « vouloir » n’éliminer de p53 que sa capacité à induire l’apoptose.

Un point commun à tous ces systèmes est qu’ils reposent sur l’expression d’un oncogène ou l’invalidation d’un gène suppresseur de tumeur (en plus de p53). Le duumvirat sénescence-apoptose apparaît donc essentiel pour la suppression tumorale dans des situations de tumorigenèse induite, c’est-à-dire grandement facilitée par le dispositif expérimental.

Conclusion, perspectives

La suppression tumorale par p53 paraît reposer sur un nombre toujours croissant de fonctions plus ou moins interdépendantes [37]. Tentons, néanmoins, de proposer une interprétation simple pour rassembler les résultats présentés ici. La suppression tumorale dépend de deux types d’activités, les unes, conservatrices et constamment à l’œuvre dans les cellules normales, les autres, destructrices, et induites dans les cellules transformées (Figure 4).

L’avantage sélectif que peut procurer une forte activité glycolytique implique que l’équilibre d’un organisme multicellulaire dépend du maintien d’un métabolisme respiratoire et/ou de la stricte limitation de la glycolyse dans toutes ses cellules [1719]. Un écart trop important de l’une d’entre elles par rapport à cette règle menace en effet d’enclencher, dans la cellule déviante, une cascade de sélections positives aboutissant à une tumeur. L’inhibition de l’effet Warburg limite cet écart, et la réduction du stress oxydant diminue les lésions de l’ADN et atténue l’avantage compétitif que pourrait conférer la glycolyse aérobie. Ces deux activités, inhibition de l’effet Warburg et du stress oxydant, seraient donc principalement responsables de la suppression tumorale constitutive exercée par p53. Il est remarquable que l’expression basale de p53 permette de nombreuses régulations, impliquées dans ces deux activités, qui apparaissent de plus en partie couplées via l’induction de gls2, parkin, sco2, p53R2 ou tigar (Tableau I) [13, 18, 22, 24, 30, 3842]. La suppression tumorale constitutive bloquerait la tumorigenèse spontanée qui dépend précisément de l’exagération de cet écart, premier pas vers le cancer. Le maintien de la stabilité chromosomique fait vraisemblablement partie des fonctions conservatrices responsables de la suppression tumorale constitutive [43]. L’efficacité de la suppression tumorale constitutive pourrait varier selon les espèces, en relation avec leur longévité et leur résistance au stress oxydant, et serait, par exemple, plus robuste chez l’homme que chez la souris [5, 44]. Notons d’ailleurs que p53 diverge beaucoup plus rapidement que p63 ou p73 au cours de l’évolution des vertébrés [45]. Dans des contextes d’oncogenèse induite, en revanche, les activités destructrices de p53, liées à son expression plus soutenue, seraient prééminentes pour la suppression tumorale. En effet, dans ces systèmes expérimentaux sensibilisés par ingénierie génétique, ou par un traitement par un carcinogène chimique, les cellules ont une probabilité élevée d’accomplir, voire ont d’emblée accompli, ce premier pas vers le cancer (Figure 4).

Cette interprétation s’accorde avec la prépondérance du duumvirat sénescence-apoptose pour la suppression tumorale dans des tumeurs déjà formées ou préformées [3, 3436]. Elle est corroborée par le mutant p53E177R qui empêche la tumorigenèse spontanée, grâce à sa capacité à réduire la glycolyse et le stress oxydant, et (faiblement) un type de tumorigenèse induite, par sa capacité intacte à déclencher la sénescence [38]. Elle explique l’importance de l’apoptose vis-à-vis de la tumorigenèse tardive [13, 38, 43, 46] (Figure 3) : le temps finit sans doute non seulement par reproduire les situations créées artificiellement par les modèles de tumorigenèse induite, mais aussi par révéler les limites, voire les effets pervers, de la sénescence pour la suppression tumorale [3]. Elle impliquerait que, chez les souris p53-/- , la régression des lymphomes T consécutive à l’activation de p63 ou p73 et l’expression de iapp, ne soit pas directement provoquée par la reprogrammation métabolique des cellules tumorales, mais par l’apoptose qui l’accompagne [10].

Une conséquence importante de la dualité fonctionnelle de p53 est que si la cellule ne « voit » pas sa transformation oncogénique, soit parce que celle-ci reste en dessous d’un certain seuil, soit parce que des activateurs de p53 sont mutés, p53 continue d’exercer ses fonctions conservatrices et peut alors favoriser paradoxalement la croissance tumorale [1, 2, 4, 11, 25, 26]. Les mutations de p53 aggravent cette situation : elles entraînent souvent la mise hors circuit définitive de ses fonctions destructrices, voire, par un effet dominant négatif, de celles de p63 et p73, tout en préservant (ou en exagérant) éventuellement certaines fonctions conservatrices bénéfiques aux tumeurs [1, 9, 25, 43, 47]. De plus, des allèles de p53 fréquemment associés aux cancers humains présentent de nouvelles propriétés (mutants néomorphes) participant activement à la transformation (Figure 4) [1, 4, 5]. Ainsi, plusieurs mutations ponctuelles altèrent ou inversent les fonctions métaboliques de p53 : les mutants correspondants promeuvent l’effet Warburg et/ou la voie du mévalonate et la synthèse des acides gras, ce qui contribue à leur effet tumorigène [4850] (Tableau II) (Figure 5). Il apparaît donc que les multiples influences de p53 sur le métabolisme et la survie cellulaire, sa capacité à moduler la stabilité génétique, et sa propension à acquérir une nouvelle fonction par un seul changement d’acide aminé, en font aussi un outil de choix pour la « gymnastique oncogénétique » [15] permettant aux cellules tumorales de s’adapter et croître dans des environnements variables et souvent défavorables.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Je remercie vivement Thierry Soussi pour sa relecture critique, d’intéressants échanges et de nombreuses suggestions, et Hélène Pelczar et Patrick Martin pour leur aide et leurs conseils.

 
Footnotes
1 Dans cet article, p53 désigne le gène (humain ou murin), et p53 son ou ses produits protéiques impliqué(s) dans l’activité biologique décrite. Pour plus de clarté, l’allèle « sauvage » (non muté) de p53 sera parfois appelé « p53 normal ». Dans la littérature, le gène humain est souvent désigné par TP53 (tumor protein 53) et celui de souris par trp53 (transformation-related protein 53).
2 Ce terme fera toujours référence à ces trois activités fondamentales de p53.
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