2010


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Rencontre-débat

Rencontre-débat du 3 février 2009

Pourquoi une expertise collective Inserm sur la réduction des risques ?

Pascal MELIHAN-CHEININ, chef du bureau des pratiques addictives de la DGS (Direction générale de la santé), rappelle que la politique de réduction des risques pour les usagers de drogues constitue un exemple de politique de santé publique extrêmement réussie – au point d’avoir trouvé une traduction législative dans la loi du 9 août 2004. La rencontre qui a lieu ce jour vise notamment à faire le point sur les expériences validées et sur la littérature, dans un cadre scientifique qui paraît tout à fait adapté – celui de l’Inserm. La DGS souhaite identifier les voies de progrès au regard de la politique actuelle de réduction des risques, dans un souci de pragmatisme et d’efficacité.1
Jeanne ETIEMBLE, directrice du Centre d’expertise collective Inserm, précise que la démarche d’expertise collective est adaptée en fonction de chaque sujet. La première étape consiste à prendre connaissance des initiatives de terrain, afin d’intégrer ce travail à la démarche qui sera menée en aval. Au-delà de cette journée, d’autres rencontres auront lieu, afin d’exposer les principales pistes qui auront été dégagées, recueillir le point de vue des participants et débattre d’un certain nombre de propositions qui pourront être formulées à l’issue de ces différentes étapes.

Interventions des représentants des associations

Valère ROGISSART, représentant de l’association Sida-Paroles et Président du groupe de travail sur la réduction des risques au sein de la Commission « Addictions », rappelle qu’il y a beaucoup à faire en matière de lutte contre le VHC (virus de l’hépatite C), en amont et en aval. Le projet ERLI (éducation aux risques liés à l’injection) se propose de travailler sur les prophylaxies en matière de contamination par le VHC. L’accompagnement individuel à l’injection constitue un volet important du projet mais d’autres efforts sont à produire afin d’améliorer les pratiques actuelles. Il pourrait notamment être question des moyens permettant de mieux utiliser le film « 17 minutes 10 », qui constitue un support pédagogique intéressant. Un accompagnement individuel à l’injection, en milieu festif, a été proposé, en coopération avec Médecins du Monde, compte tenu de la persistance de conduites à risque dans ce cadre. Ce dispositif a fait l’objet d’un suivi, qui a montré son utilité et qui a mis en évidence la nécessité de proposer le même type d’accompagnement en milieu urbain. Par ailleurs, des revues nationales et internationales de littérature ont été effectuées, afin de faire le point, notamment, sur les expériences menées à l’étranger. Des expériences de « salles de consommation », guidées principalement par une logique d’ordre public, ont ainsi été recensées. Elles ont fait l’objet d’un travail d’évaluation sur leur impact sur la sécurité publique mais pas sur la réduction des risques infectieux. Plus largement, Valère ROGISSART observe que le débat public, sur ces questions, est dominé par des considérations politiques et non techniques.
Elisabeth AVRIL, de l’association Gaïa/Bus méthadone/MDM, indique qu’au-delà de l’accompagnement que Gaïa propose au quotidien, l’association réfléchit à la mise en place d’ateliers, qui seraient consacrés aux techniques et sites d’injection (utilisation du garrot...), afin d’élaborer des flyers et de rencontrer des populations que les associations peinent à toucher jusqu’à présent. L’association souhaite également développer l’analyse des drogues au sein du Caarud (Centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques des usagers de drogues). En matière de dépistage du VHC, l’utilisation de salivettes a été expérimentée de 2003 à 2007. Les associations cherchent aujourd’hui à expérimenter des micro-prélèvements et à financer l’acquisition d’un fibroscan (projet interassociatif), afin de sensibiliser et de dépister plus rapidement un plus grand nombre de personnes.
Catherine PEQUART, de l’association Charonne, indique que le centre Beaurepaire a fêté son dixième anniversaire. Il reçoit, du fait de sa localisation, des populations fortement précarisées (étrangers nouvellement arrivés ou présents de longue date en France sans être intégrés). Le centre cherche à comprendre les besoins de ces personnes et à rendre accessible l’offre de service des Caarud. Ces usagers consomment, outre des substances illicites, de l’alcool et des médicaments en grande quantité, ce qui nécessite une action de prévention plus large que celle centrée sur l’usage de drogues. La barrière de la langue constitue un obstacle supplémentaire, qui requiert la mise en place de partenariats ou le recours à des personnes (bénévoles ou professionnelles) parlant différentes langues étrangères.
Lia CAVALCANTI, de l’association Espoir Goutte d’or, salue la démarche d’expertise collective, qu’elle juge extrêmement pertinente dans l’objectif de réduction des risques. Le programme de l’association Espoir Goutte d’or a été lancé en 1994, autour d’un principe d’évaluation interne. Il est apparu, dès 1996, que le crack était le premier produit consommé dans le Nord-Est parisien (zone regroupant le public prioritaire de l’association). Un programme de recherche-action a alors été lancé, sur la base d’un principe original : impliquer les usagers de drogues comme acteurs de cette recherche. Au Brésil, un mode expérimental de consommation du crack a été initié par une coopérative d’usagers. Cette initiative a donné des résultats extrêmement positifs, puisqu’en six mois, les associations ont pu entrer en contact avec 2 000 usagers de crack qui n’étaient pas connus jusqu’alors. La demande a donc été massive, au point de submerger les associations. Il reste à valider scientifiquement l’intérêt de la démarche – constaté empiriquement.
Danielle BADER-LEDIT, de l’association Espace Indépendance, indique que suite au constat de l’existence, en Alsace, d’un accès relativement aisé aux traitements de substitution, l’association a exporté, auprès de cabinets de médecine générale volontaires, sa pratique en centre de soins. Au sein du cabinet interviennent ainsi un psychologue et un travailleur social, en vue de la prise en charge de personnes qui acceptent cet accompagnement. Le dispositif est financé par l’Assurance Maladie, dans le cadre d’un budget fixe. Aujourd’hui, 14 microstructures existent, réparties dans les deux départements de la région Alsace, assurent le suivi de 761 patients, parmi lesquels de nombreux ressortissants des pays de l’Est ayant débuté leur consommation à l’armée. Ces personnes sont souvent précarisées du fait de leur statut de demandeurs d’asile.
Expliquant que le concept a été exporté dans les Bouches-du-Rhône, Karine ROYER (CNRMM), indique que la Coordination nationale du réseau des microstructures médicales a été créée en 2006, sur la base de l’expérience des réseaux alsaciens et marseillais. L’objectif de la Coordination est notamment de développer les actions de formation et les actions de recherche communes aux réseaux de microstructures. Chaque microstructure développe son propre partenariat local avec des centres spécialisés, afin de favoriser l’accès aux traitements par méthadone et d’améliorer le dépistage et le traitement des hépatites C. Les microstructures travaillent aussi en lien avec les pharmacies, pour la délivrance des traitements.
Patrick GREGORY, de l’association Aides, constate que la question de la réduction des risques en prison demeure entière. Il existe des programmes partout en Europe mais la France est encore peu engagée dans ce type de démarche ; sans doute le déni, vis-à-vis de la consommation de produits, constitue-t-il un obstacle majeur de ce point de vue. Les directeurs d’établissement acceptent que les associations dialoguent avec les détenus sur les risques VIH et hépatiques mais ils refusent généralement l’introduction, dans les établissements pénitentiaires, de matériel d’injection. L’accès aux préservatifs demeure également compliqué dans les lieux de détention.
Aides s’intéresse à la question de la réduction des risques depuis un peu plus de vingt ans. L’association intervient dans une trentaine de Caarud et dans environ 70 lieux d’accueil départementaux. Elle a constaté qu’environ la moitié des personnes recevant un traitement de substitution au Subutex est constituée d’injecteurs. L’association cherche à mettre en place des consultations d’hépatologues ainsi que des groupes de parole et d’entraide. Force est cependant de reconnaître que les espaces d’accueil de l’association sont aussi des lieux d’injection. Pour faire face à la demande des usagers d’avoir un espace où il est possible d’injecter, Aides aurait besoin d’un soutien méthodologique pour pouvoir mettre en place et évaluer cette pratique.
Catherine DUPLESSY indique que l’association Safe a été créée en 1989 afin d’étudier les problématiques de seringues auto-rétractables. Elle assure, depuis 1994, l’appui aux structures souhaitant installer les dispositifs d’automates permettant l’échange de seringues. Safe assure l’observatoire de ce dispositif, au plan national. Des enquêtes sont ainsi menées par l’association, qui cherche notamment à identifier, en lien avec les fabricants, les possibilités d’amélioration du dispositif. La couverture territoriale de ce programme apparaît aujourd’hui trop faible pour répondre à la réalité des besoins, en raison de freins politiques et du manque de moyens financiers. Des problèmes techniques sont constatés pour environ un tiers du parc d’automates, ce qui appelle un effort de renouvellement. La situation concurrentielle des fabricants se traduit toutefois par une très faible disponibilité de machines, au plan européen. Safe a également une activité de recherche sur les dispositifs de réduction des risques, et travaille actuellement sur la mise à disposition de seringues de 2cc pour les utilisateurs de médicaments.
Jean-Louis BARA, représentant l’association Safe également, souligne qu’une difficulté majeure que rencontre l’association réside dans l’accès à la réduction des risques et au matériel. Au-delà du périphérique parisien, la réduction des risques demeure virtuelle. Le quasi-abandon de la politique de la Ville, depuis 2002, explique largement cette situation. Un lien fort doit être retrouvé avec les territoires de proximité afin de « sortir de ce désert ».
Anne COPPEL, de l’AFR (Association française pour la réduction des risques), rappelle que la réduction des risques vise à accompagner des usagers qui ne sont pas en contact avec les institutions. Il importe donc que les associations intervenant en matière de réduction des risques fassent connaître leurs difficultés du point de vue de l’accès à ces usagers. Or, s’appuyant sur les travaux qu’elle a menés, Anne COPPEL souligne que l’usage de drogues est dominé par les stimulants et que les chercheurs ne peuvent évaluer l’ampleur de l’injection. Il est très difficile, par exemple, de connaître précisément de quelle façon l’héroïne est consommée. Une comparaison de la situation de villes européennes montre aussi que certaines villes se donnent les moyens de mieux connaître les pratiques, en formant des équipes allant au contact d’usagers. C’est ce type d’initiative qui doit être encouragé, en mettant au grand jour les obstacles rencontrés par les associations et en élargissant les travaux à des aspects complémentaires (recherche ethnographique...).
Béatrice STAMBUL, Présidente de l’AFR, rappelle que le travail avec les pairs constitue l’essence de la réduction des risques (qui constitue parfois un objectif affiché, sans réel contenu). L’éducation sur les risques liés à l’injection demeure une priorité, dans le champ du risque infectieux. Des expériences sont en train de se mettre en place et un soutien plus affirmé des tutelles serait bienvenu. L’obtention de nouveaux matériels adaptés (par exemple le matériel de filtrage) constitue une autre difficulté à laquelle se heurte l’AFR et, là aussi, un soutien plus appuyé serait utile. Enfin, l’AFR plaide pour l’élargissement de la palette des traitements de substitution, en particulier les traitements par injection (buprénorphine haut dosage).
Serge LONGERE, AFR/Proses, indique que Proses (Prévention des Risques Orientation Sociale Échange de Seringue) réfléchit à la façon dont un travail pourrait être engagé avec des usagers, afin d’adapter aux réalités des pratiques un discours de réduction des risques qu’eux-mêmes pourraient diffuser dans leurs lieux d’habitation (squats ou lieux privés). En banlieue, suite à l’épidémie liée au VIH, l’injection a été diabolisée et les nouvelles générations d’injecteurs se cachent pour s’injecter et par conséquent ont des pratiques à haut risque. Il y aurait nécessité de développer un discours vers ces nouvelles générations.
La présence policière, aux abords des lieux d’intervention, constitue par ailleurs une difficulté réelle. Les usagers ont tendance, de ce fait, à prendre du matériel en petite quantité. Un effort d’institutionnalisation de la réduction des risques, via les Caarud, a été consenti en France mais un paradoxe demeure : la professionnalisation présente le risque de s’éloigner d’un public qui est majoritairement précarisé et peu inséré.
Aude LALANDE, de l’association Act-Up, déplore qu’aucun discours ne soit tenu vis-à-vis des usagers, au plan national. Les campagnes menées vis-à-vis des usagers ont finalement été peu nombreuses, à l’exception des premières années d’augmentation de l’incidence du sida. Le message ne passe plus que par les associations et donc ne touche qu’une faible partie des usagers de drogues. Il existe de très nombreuses façons de consommer les drogues et il est regrettable que cette diversité d’usages ne puisse être approchée. L’existence d’une volonté politique apparaît, de plus en plus, comme un préalable indispensable, dans différents aspects de la réduction des risques : interventions en prison, testing, héroïne médicalisée. Il serait utile que l’Inserm et la DGS contribuent à faire évoluer cette situation, et en particulier en abordant la question de l’évaluation des pratiques.
Jean-Christophe CATUSSE signale que l’association SOS Drogue International peine à toucher le public féminin (qui représente environ 25 % des usagers), pour lequel il existe de réelles difficultés d’accueil.
Nicole DUCROS décrit l’intervention du réseau d’entraide « Le Tipi » constitué, en région Paca, autour d’usagers de drogues, de certains de leurs proches et d’habitants de quartiers concernés, afin d’éviter la constitution de ghettos. L’association mène deux à trois actions, chaque mois, en milieu festif. Elle se heurte toutefois à des difficultés dans ses rapports avec les forces de l’ordre, qui ne facilitent pas son travail. Par ailleurs, si le cadre fourni par les Caarud semblait peu adapté au départ, Nicole DUCROS reconnaît qu’il a facilité certains aspects de l’intervention de l’association (en permettant, notamment, l’embauche d’une salariée). Elle estime, enfin, qu’il serait utile de mener de nouveau des initiatives en matière d’accompagnement à l’injection.
Fabrice PEREZ explique que l’association Techno+ a été créée autour d’un public constitué principalement de gobeurs et sniffers, dont les produits d’élection étaient l’ecstasy, le speed, les amphétamines et le LSD. La spécificité de ce public a longtemps tenu l’association éloignée de la démarche de réduction des risques, telle qu’elle s’est développée et institutionnalisée. Ces usagers sont généralement ni dépendants, ni injecteurs, ni héroïnomanes. En termes d’outils, Techno+ a conçu un site Internet qui reçoit 1 million de visites. Les usagers peuvent y trouver des informations pratiques sur les produits et sur la prévention. Pour le reste, la territorialité constitue une difficulté plus grande encore en milieu festif, compte tenu de l’échelle géographique très vaste à laquelle se déplacent les « teuffers », déplacements favorisés par le climat de répression dominant en France. Beaucoup de fêtes en France se sont déplacées vers des lieux plus difficiles d’accès aux équipes de techno+ (boites de nuit, fêtes privées...). Le cadre légal constitue d’ailleurs, plus largement, un frein à l’action de réduction des risques, par exemple lorsqu’il s’agit d’éditer des documents à destination du public concerné par l’usage-revente. Vincent BENSO plaide pour une plus grande facilité d’accès des associations à des outils d’analyse rapide de produits, sur les lieux de fête (rave parties, free parties). Il serait également utile de rendre accessibles des outils de prévention routière (par exemple des tests de dépistage salivaire) en dehors du cadre répressif.
Sébastien PETIT, de l’association Prev’en Teuf, indique que les intervenants de l’association, tous bénévoles, interviennent en soirée, dans le cadre de petits groupes, afin d’aborder des thèmes préalablement identifiés, notamment dans une logique d’auto-support. La suppression brutale du testing est à déplorer, dans la mesure où il s’agissait d’un vecteur intéressant de rencontre de consommateurs, jeunes ou moins jeunes, mal informés. Cet outil présentait aussi l’intérêt de pouvoir rencontrer l’usager entre le moment où il se procure le produit et le moment où il le consomme. La population en milieu festif est considérée plutôt constituée de non injecteurs mais la proposition récente de matériels ou de messages en direction des injecteurs a révélé la présence d’injecteurs dans ce milieu.
Fabrice OLIVET explique que l’association Asud (Association d’AutoSupport Usagers de Drogues) a été créée en pleine épidémie de sida, à un moment où une éclaircie se faisait jour dans le ciel français du débat public autour de la question des drogues et de la toxicomanie. À la faveur des progrès thérapeutiques dans la lutte contre la maladie, cette fenêtre s’est refermée et l’association Asud, qui était animée par des militants, est devenue une association de patients. Cette évolution, ajoutée à un défaut de prise en charge sociale des usagers de drogues et à une répression croissante, a enfermé la réduction des risques dans une sorte de spécialisation autour des personnes précarisées : les personnes un tant soit peu insérées évitent soigneusement le système de soins et le secteur légal. Dans le même temps, l’excès de médicalisation a déséquilibré la relation entre les usagers et les intervenants qui les accompagnent. Ceux-ci sont, de plus en plus, des médecins dont le seul projet, à travers l’addictologie, semble être de faire de l’usage de drogues une maladie chronique – ce qu’il n’est pas.

Interventions des chercheurs, professionnels de santé et institutions

Jean-Michel DELILE, psychiatre, indique que l’Anitea (Association Nationale des Intervenants en Toxicomanie et Addictologie) est un organisme fédératif qui regroupe 180 associations. À ce titre, le réseau dispose d’une information continue sur l’intervention des CSST (Centre de soins spécialisés aux toxicomanes) et des Caarud. Il peut également mobiliser des acteurs professionnels afin que ceux-ci proposent des actions validées en matière de réduction des risques : formation, organisation d’échanges inter-régionaux, publications. À titre d’illustration, un article est paru le 2 février, à propos de l’Outreach ; il fait le point sur l’évaluation de dispositifs non invasifs dans un Caarud, à Bordeaux. Plus largement, Jean-Michel DELILE observe que le vocable de réduction des risques recouvre des actions dont les objectifs et les modalités diffèrent souvent (accès aux soins, prévention primaire...). Aucune véritable évaluation de l’impact des traitements de substitution sur le risque VIH en France n’a été proposée. Il en est de même s’agissant des interventions en milieu festif. Ce sont autant de pistes d’action à approfondir.
Patrick BEAUVERIE, pharmacien (Médecins du Monde), note qu’il a été peu question de démarches, de méthodes ni même de principes de base en matière de réduction des risques. Celle-ci constitue une politique publique, qui s’inscrit dans un cadre politique plus général. Il serait utile que l’expertise collective Inserm replace la réduction des risques dans ce cadre politique, en traçant des perspectives pour demain, au lieu d’être un « agent fixant » des acquis de la réduction des risques telle qu’elle existe aujourd’hui. On ne peut parler, en tout cas, d’échec de la stratégie de réduction des risques en France en matière de lutte contre l’épidémie d’hépatite C chez les consommateurs de drogue par voie injectable : la comparaison des politiques menées au plan international montre que la situation serait sans doute bien pire, si les actions de proximité en milieu festif, les actions menées en milieu urbain et les offres de traitement de substitution n’avaient été proposées. Pour autant, si on ne peut pas parler d’échec, on ne peut se satisfaire de la situation épidémiologique et il est temps d’intervenir.
Jeanne ETIEMBLE confirme que l’expertise collective Inserm a été d’emblée orientée avec la volonté de situer les outils, dont il doit être question, dans le cadre plus large de la politique menée en France en matière de réduction des risques, en prenant également appui sur les expériences étrangères.
Martine LACOSTE, directrice de l’association Clémence Isaure (Toulouse), attire l’attention des participants sur la nécessité de faire progresser la réduction des risques en province, et pas seulement à Paris. Elle observe que plus les consommateurs sont jeunes, plus la proportion de filles est élevée. Cela soulève des questions spécifiques liées aux usages, à la violence faite aux jeunes filles et au risque sexuel. Dans le cadre du développement des pratiques de réduction des risques liées aux usages d’alcool, un regard particulier doit être porté sur les femmes enceintes, encore consommatrice d’alcool afin qu’elles puissent accéder sans craintes de jugement aux structures de soin. Karl CERNY souligne l’inquiétude des acteurs de terrain quant à la précarisation, l’augmentation des co-morbidité psychiatriques et la chronicisation des personnes fréquentant les Caarud. Au titre de l’Anitea, Martine LACOSTE indique qu’il sera sans doute proposé de réunir une conférence de consensus sur les risques en prison. Des représentants de l’Administration pénitentiaire devront certainement être associés à cette démarche. Enfin, elle plaide pour la dépénalisation des usages simples et privés.
Laurence SIMMAT-DURAND, chercheur au Cesames, indique avoir travaillé sur les consommations de drogues pendant la grossesse, au travers d’enquêtes menées en partenariat avec le Gega (Groupe d’Étude « Grossesse et Addiction »). Il ressort de ces travaux que tous les produits sont potentiellement dangereux pendant la grossesse. Il est avéré que les polyconsommations accroissent ce risque, même s’il existe très peu de données concernant la consommation de médicaments. Un premier levier de prévention pourrait consister à agir en matière de prévention des grossesses non désirées. Il apparaît également que le placement d’enfants dont la mère consomme des substances se traduit, en l’absence d’accompagnement spécifique, par la rupture pure et simple du lien entre la mère et l’enfant. Laurence SIMMAT-DURAND considère que ces mères doivent être suivies en tant que femmes, ce qui suppose notamment la mise en place d’un suivi gynécologique et d’un suivi de contraception.
Marie JAUFFRET-ROUSTIDE indique que l’InVS s’est impliqué dès 1998 dans l’évaluation de politiques d’accompagnement d’usagers de drogue. Elle souligne que les enquêtes menées par l’InVS ont une visée pratique de santé publique. L’Institut est particulièrement attentif à la collaboration mise en place avec les acteurs de terrain. Ces derniers doivent pouvoir s’appuyer sur les résultats de la recherche pour mettre en œuvre des actions de terrain. Dans le cadre de l’enquête Coquelicot, par exemple, 30 % des usagers se déclarent séronégatifs vis-à-vis du VHC, alors qu’ils sont séropositifs. L’enquête a également mis en évidence la grave méconnaissance des modes de transmission du VHC parmi les usagers de drogue. Ces constats plaident pour l’évolution des stratégies de dépistage du VHC et notamment pour la mise en œuvre de stratégies de dépistage rapide d’une contamination par ce virus. Enfin, 13 % des usagers déclarent avoir pratiqué des injections en prison, ce qui souligne la nécessité de mise en œuvre de programmes de prévention dans les lieux de détention.
Laurent MICHEL, psychiatre au sein de l’Hôpital Émile Roux (AP-HP), indique que la situation s’améliore lentement, en prison, concernant les traitements de substitution. En revanche, il n’y a aucun outil de réduction des risques en milieu pénitentiaire. Il existe, de ce point de vue, un décalage sensible entre les recommandations de l’OMS (Organisation mondiale de la santé) et les pratiques au sein des établissements (où l’eau de Javel est couramment utilisée). Laurent MICHEL souligne qu’en prison, plus qu’ailleurs, une volonté politique est indispensable pour agir.
Jean-Pierre LHOMME, du Centre médical Marmottan, explique que la réduction des risques constitue une démarche, toujours pragmatique, sans morale ni jugement, qui a pour objectif constant de favoriser l’accès aux soins. Il s’agit de faciliter cet accès, qui repose essentiellement sur l’intentionnalité de la personne vis-à-vis des soins. La focalisation sur le risque infectieux constituerait déjà, de ce point de vue, une démarche réductrice au regard des objectifs de la réduction des risques. S’il est légitime que chacun témoigne de son expérience, une cohérence minimum doit exister quant à la définition que l’on donne à cette notion. La réduction des risques invite par exemple à travailler sur ce qu’est la loi en France : la loi n’est pas envisagée de manière pragmatique mais comme un outil de réprobation sociale.
Patrizia CARRIERI, chercheur à l’Inserm, observe que le modèle français de réduction des risques offre le seul exemple au monde, avec l’Australie, d’une approche qui ait permis de dégager des résultats positifs en termes d’indicateurs de santé publique. Des programmes d’évaluation des outils existants de réduction des risques doivent cependant être mis en œuvre, car leur absence pénalise fortement la collecte de données fiables sur l’efficacité individuelle de ces outils. Un autre enjeu consiste aujourd’hui à rechercher l’égalité d’accès aux outils de réduction des risques, ce qui passe sans doute par l’implication des jeunes injecteurs, dans le cadre de programmes de recherche-action. Plus largement, la palette des options thérapeutiques s’élargit actuellement et il importera de tenir compte des expérimentations en cours (sur le plan pharmacodynamique et sur le plan pharmacocinétique) de nouveaux traitements. Enfin, la forte prévalence de l’hépatite C doit faire de l’action contre ce virus une priorité. Les efforts doivent être conjugués, dans ce domaine, afin d’identifier des leviers efficaces de réduction des risques.
Jean-Michel COSTES, directeur de l’OFDT (Office français de lutte contre les drogues et les toxicomanies), estime que l’expertise doit s’attacher à cerner les pratiques d’usage, qui ont sensiblement évolué depuis une dizaine d’années :
• jeunes précarisés ;
• féminisation des publics ;
• consommation en milieu rural ;
• montée des stimulants ;
• renouvellement des pratiques d’injection ;
• interpénétration des espaces urbains et festifs.
S’agissant de l’évaluation, il conviendra de veiller à ne pas se montrer plus exigeant, vis-à-vis de la réduction des risques, que vis-à-vis des autres champs du traitement des usagers de drogue. Enfin, la réduction des risques constitue avant tout une démarche politique, dont les dimensions sociologiques et historiques devront être remises en perspective dans le cadre de l’expertise collective.

Conclusion

Pierre POLOMENI, membre du Haut Conseil de Santé publique, indique qu’il s’agit aujourd’hui d’élargir la politique de réduction des risques, autour de trois axes :
• l’usager
Du point de vue de l’usager, une distinction pourra être proposée en fonction du sexe, de l’âge, des produits consommés (héroïne, cocaïne, alcool, tabac...), du mode d’utilisation et en tenant compte de l’existence de groupes particuliers d’utilisateurs (« nouveaux arrivants », usagers « cachés », détenus).
• les risques
Les risques à prévenir sont nombreux : mortalité/morbidité, surdose/infection, problèmes locaux, problèmes sociaux, risques psychiatriques, incarcération.
• les outils
Programme ERLI, brochures...
Sur la base de ces trois axes, un positionnement politique doit être adopté : la réduction des risques modifie les frontières de l’interdit. Cela conduit à affirmer, par exemple, que l’on ne croit guère en un monde sans drogues. Dans le même ordre d’idées, la médecine ne se limite guère à la chirurgie et la santé ne se réduit pas à la médecine. Par ailleurs, si l’institutionnalisation présente un intérêt, elle fait aussi apparaître de nouveaux risques : les risques médico-légaux. Il ne faut pas négliger la notion de switch entre addiction.
Etaient présents : Elisabeth alimi (Inserm) ; Elisabeth avril (Gaïa/bus méthadone/MDM) ; Danielle bader-ledit (Espace indépendance) ; Jean-Louis bara (Safe) ; Patrick beauverie (MDM) ; Christian ben lakhdar (OFDT) ; Vincent benso (TECHNO+) ; Jean-Christophe catusse (SOS DI) ; Patrizia carrieri (Inserm U 912/ORS Paca) ; Lia cavalcanti (EGO) ; Karlmeinz cerny (Anitea/ADNSEA) ; Pierre chappard (Asud) ; Catherine chenu (Inserm) ; Anne coppel (AFR) ; Jean-Michel costes (OFDT) ; Jean-Pierre couteron (Anitea) ; Benoît delavault (Sida-Paroles) ; Jean-Michel delile (CEID, Bordeaux) ; François diot (Association Charonne) ; Nicole ducros (ANPREF/Le Tipi) ; Catherine duplessy (Safe) ; Jeanne etiemble (Inserm) ; Vincent fournier (Inpes) ; Patrick gregory (Aides) ; Ruth gozlan (MILDT) ; Chantal grellier (Inserm) ; Albert herszkowicz (DRASSIF) ; Marie jauffret-roustide (InVS/CESAMES) ; Aram kavciyan (Centre médical Marmottan) ; Martine lacoste (Anitea/Clémence Isaure) ; Aude lalande (ACT UP) ; Marie-Christine lecomte (Inserm) ; Jean-Marie legall (Aides) ; Jean-Pierre lhomme (Centre Médical Marmottan) ; Serge longere (AFR) ; Abla maache (DGS) ; Pascal melihan-cheinin (DGS) ; Laurent michel (Centre de Traitement des Addictions, Hôpital Émile Roux – APHP) ; Hélène morfini (DGS) ; Fabrice olivet (Asud) ; Catherine pequart (Association Charonne) ; Fabrice perez (TECHNO+) ; Sébastien petit (Prev’en Teuf) ; Pierre polomeni (Hôpital Jean Verdier, Bondy) ; Jean-Marc priez (AFR) ; Pascale redon (DGS) ; Priscille rivière (Inserm) ; Valère rogissart (Sida-Paroles) ; Karine royer (CNRMM) ; Karen segas (Clinique Montevideo, Paris) ; Laurence simmat-durand (CESAMES/Inserm/Cnrs) ; Arnaud simon (Aides) ; Olivier smadja (Cirdd Île-de-France/Crips Île-de-France) ; Béatrice stambul (AFR)
Etaient excusés : Maryse bellucci-dricot (SOS DI) ; Véronique bony (DGS) ; Gérard Bréart (ISP, Inserm) ; Françoise facy (Inserm) ; Marie-France chedru (MILDT) ; Isabelle gremy (ORS, Île-de-France) ; Sandrine halfen (ORS, Île-de-France) ; Béatrice lamboy (Inpes) ; William lowenstein (Clinique Montevideo, Paris) ; Patrick sansoy (MILDT) ; Xavier thirion (Faculté de Médecine, Marseille) ; Alberto torres (EGO) ; Delphine vilain (DRASSIF), Dominique vuillaume (MILDT)
Etaient également invités : Pierre arwidson (Inpes) ; Thomas baumert (Inserm U748, Strasbourg) ; Henri bergeron (CSO-CNRS-Sciences-Po) ; Patricia bouhnik (Faculté de Philosophie, Sciences Humaine et Sociales, Amiens) ; Véronique cazaly (Aides) ; Ugo d’alexandro (ANPREF (Ex-SpiriTek)) ; Marie debrus (MDM) ; Elisabeth delarocque astagneau (Institut national de veille sanitaire (InVS), Saint Maurice) ; Cristina diaz-gomez (OFDT) ; Alain ehrenberg (CESAMES, Inserm, Cnrs, Paris) ; Clémence eveno (TECHNO+) ; Michel kokoreff (Université René Descartes Paris V) ; Robert launois (Université Paris XIII, REES, Paris) ; Damien lucidarme (Groupe Hospitalier de l’Institut Catholique de Lille, Hopital Saint-Philibert, Lomme) ; Maïtena milhet (OFDT) ; Gilles pialoux (Hôpital Tenon, Service des maladies Infectieuses et tropicales, Paris) ; Michel reynaud (FFA) ; Françoise roudot-thoraval (CHU Henri Mondor, Créteil) ; Arielle rosenberg (Equipe Inserm Avenir) ; Jean-Louis san marco (Laboratoire de Santé Publique, Marseille) ; Bruno spire (Aides) ; Jean-Yves trepos (Laboratoire lorrain des Sciences Sociales, Metz) ; Marc valleur (Centre Médical Marmottan, Paris).

Rencontre-débat du 7 décembre 2009

Ouverture de la rencontre-débat

Jeanne ETIEMBLE, Directrice du Centre d’expertise collective de l’Inserm, rappelle qu’une première rencontre-débat a eu lieu le 3 février 2009, avant de débuter l’expertise collective confiée par la Direction générale de la santé à l’Inserm et consacrée à la réduction des risques chez les usagers de drogues injectables. L’expertise, bilan des connaissances sur ce sujet, a maintenant débuté depuis quelques mois. L’ensemble de la littérature scientifique a été analysé. Si ce type d’expertise constitue bien un outil utile à l’aide à la décision publique en donnant un éclairage scientifique il ne suffit toutefois pas toujours à définir une politique publique. D’autres actions et réflexions doivent nourrir le débat. Le groupe d’experts a travaillé avec rigueur dans une approche scientifique et les associations comme les institutions peuvent également apporter leur contribution.1
Quatorze experts participent à cette expertise collective ; ils présenteront une synthèse de leurs travaux d’analyse de la littérature dans un premier temps puis le débat sera ouvert avant de faire le point sur quelques projets en cours.

Point sur l’expertise collective : premiers éléments de synthèse

Usages de drogues et dommages associés

Jean-Michel COSTES indique que le nombre d’usagers problématiques de drogues en France est estimé entre 210 000 et 250 000 personnes et les usagers par voie intraveineuse (vie) à 145 000. La population d’usagers de drogues est pour partie composée d’usagers ayant déjà un long parcours dans la toxicomanie mais de nouvelles populations apparaissent comme les migrants issus des pays de l’Est ou des jeunes en rupture, parfois « errants ».
La principale pratique à risque est l’injection : si les pratiques d’injection ont baissé dans les années 1980, la décroissance s’est maintenant stabilisée. Une grande diversité existe derrière ces pratiques avec d’une part une population plutôt masculine de plus de 30 ans, plus ou moins engagée dans des pratiques de substitution et diminuant les injections, et d’autre part des jeunes en situation précaire qui connaissent une augmentation des pratiques d’injection.
Les décès en France liés à l’usage de drogues illicites montrent une prévalence de la mortalité inférieure à la moyenne européenne et une décroissance depuis 1994. Depuis les trois ou quatre dernières années, les indicateurs de décès remontent toutefois, sachant que la mortalité des usagers de drogues n’est pas documentée de manière exhaustive. Les dommages sanitaires et sociaux autres que les décès et les maladies infectieuses ne sont également pas bien documentés.

Infections par le VIH, le VHC et réduction des risques

Pierre-Yves BELLO indique que les cas de sida liés à l’usage de drogues injectées en France diminuent depuis 1993 du fait des seringues accessibles, du développement de la substitution et de l’accessibilité des trithérapies virales. Entre 2005 et 2008, la prévalence déclarée du VIH chez les usagers de drogues fréquentant les Csapa ou les Caarud se situe entre 5 et 10 %.
La prévalence de l’hépatite C chez les usagers de drogues est à des niveaux beaucoup plus élevés. Elle pourrait avoir amorcé une diminution au cours des dernières années mais cette hypothèse doit être confirmée car les données disponibles sont fragiles (la majorité des enquêtes sont déclaratives). L’enquête Coquelicot permet de produire des données biologiques plus fiables pour estimer la prévalence du VHC et suivre l’évolution de la dynamique de l’épidémie chez les usagers de drogues.
Damien LUCIDARME rappelle que l’usage de drogues par voie intraveineuse a explosé dans les années 1980. La prise de conscience des conséquences catastrophiques des épidémies du VIH et du VHC mais aussi le nombre élevé de décès par overdose ont amené les Programmes d’Échange de Seringues (PES) puis en 1995 l’introduction des traitements de substitution par méthadone et buprénorphine haut dosage dans le cadre d’une politique de « Réduction des Risques ». Une modélisation de l’épidémie du VHC dans la population générale avait suggéré le chiffre d’environ 12 000 cas incidents secondaires à un usage de drogues pour l’année 1990. Une étude d’incidence de l’infection par le VHC dans la population des usagers de drogues entre 1999 et 2001 menée dans le Nord et l’Est de la France a mesuré cette incidence à 9 % par an. Une extrapolation de ces résultats aux usagers de drogues présumés VHC négatifs estimait à cette époque que de 2 700 à 4 400 nouveaux cas de contamination parmi les usagers de drogues survenaient en France chaque année, impliquant une réduction très significative de l’incidence annuelle du VHC parmi les usagers de drogues entre 1990 et 2000. Toutefois, la plupart des études transversales menées entre 1991 et 2004 chez les usagers de drogues a retrouvé une prévalence du VHC de l’ordre de 50 à 80 %. La stabilité à des niveaux élevés de cette prévalence en dépit d’une diminution nette de l’incidence s’explique par un renouvellement très limité de la population des usagers de drogues suivis en centre de soins. À titre d’exemple, dans l’étude Coquelicot menée en 2004, 75 % de l’effectif global et 85 % des sujets VHC positifs étaient nés avant 1975. L’usage de drogues représenterait actuellement 75 % des nouvelles contaminations. Environ 2 000 contaminations surviendraient chaque année en France dont 1 500 par usage de drogues.

Réduction des risques et situations particulières

Marie JAUFFRET-ROUSTIDE indique que la réduction des risques a été pensée autour de l’héroïnomane injecteur d’où une définition minimale de la réduction des risques centrée autour de l’accès aux seringues et aux TSO (traitements substitutifs aux opiacés). Il convient de prendre en compte les évolutions de pratiques et de profils des consommateurs (produits, modalités, contextes de consommation). Les stimulants (cocaïne, crack/free base) sont actuellement les produits les plus consommés dans la population des usagers de drogues pris en charge en France. Les populations et les contextes évoluent avec des vulnérabilités spécifiques et une sur-exposition aux risques (jeunes, femmes, détenus, migrants, précarité sociale, initiation, milieu festif...).
Les données ethnographiques montrent que l’utilisation et le partage des outils liés à la consommation de crack engendrent des lésions mains-bouche, portes d’entrées pour la transmission du virus de l’hépatite C. Ces données sont confirmées par les données épidémiologiques de la littérature internationale. Des données sociologiques montrent que les usagers de crack cumulent des facteurs de vulnérabilité sociale, économique et sanitaire qui se renforcent mutuellement.
La vision néolibérale de la réduction des risques tend à pointer la responsabilité de la prise de risque uniquement du côté de l’individu. Or, il faut agir également sur les dimensions structurelle et environnementale du risque en s’intéressant aux normes de consommation et aux conditions de vie des usagers et en prenant en compte le contexte légal, économique et social.
Laurent MICHEL fait un point sur la situation épidémiologique en milieu pénitentiaire où les prévalences du VIH, du VHB et du VHC sont plus élevées qu’en population générale, avec de fréquentes comorbidités. Le dépistage doit être amélioré car il n’y a pas de données de séro-incidence. Par ailleurs, les données sont anciennes et les pratiques à risque en détention sont en outre mal connues.
Il apparaît que les mesures de réduction des risques sont insuffisantes (préservatifs, Javel...) en prison en France. L’accès aux traitements de substitution est hétérogène, les pratiques soignantes inadaptées (pilage ou mise en solution de la BHD) et les programmes d’échange de seringues ne sont pas disponibles. Les effectifs soignants et les consultations spécialisées sont limités. En revanche, l’accès aux antirétroviraux est considéré comme satisfaisant.
Les recommandations de l’OMS devraient être intégralement appliquées (réduction des risques, consultations spécialisées).
Laurence SIMMAT-DURAND fait un point sur la situation chez les femmes. Un tiers des usagers d’opiacés en Europe sont des femmes (40 % aux États-Unis) qui ont plus de comorbidités psychiatriques que les hommes et une plus forte consommation de psychotropes. Les risques de transmission des maladies infectieuses sont accrus chez les femmes (plus d’injection au sein du couple, injection par autrui, prostitution, violences et errance). Elles encourent en outre des risques particuliers du fait de la maternité : 30 000 usagères d’opiacés sont enceintes chaque année en Europe et à risque de grossesses non désirées, de fausses couches et de transmissions materno-fœtales des maladies infectieuses. Se pose la question des traitements de substitution pendant la grossesse. Enfin, il existe d’autres risques pour les enfants (négligence, maltraitance, ingestion de produits toxiques et exposition passive aux produits).
Les obstacles à la réduction des risques chez les femmes sont la peur de perdre la garde des enfants, le manque de lieux d’accueil mère-enfant. Certaines expériences étrangères font état de l’aménagement d’horaires, de la présence de professionnels féminins ou de suivi gynécologique ou de contraception.

Programmes existants et programmes en discussion, prévention, éducation

Marie JAUFFRET-ROUSTIDE aborde le sujet des traitements de substitution aux opiacés (TSO). L’impact positif des TSO est confirmé par la revue Cochrane en 2008, sur la séroconversion VIH, la fréquence d’injection et les comportements à risques de transmission du VIH et VHC. Dans le domaine de la prévention du VHC, il convient d’agir tout particulièrement auprès des injecteurs récents et des injecteurs de stimulants afin de bloquer l’épidémie. Il convient également de réfléchir à la posologie de la BHD pour le traitement, et à une offre diversifiée de TSO selon les usagers.
Les programmes d’héroïne médicalisée existent au Royaume-Uni, en Suisse, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Espagne et au Canada. Plusieurs études confirment l’efficacité de ces programmes, notamment un coût/efficacité prouvé sur la délinquance et sur les conséquences sanitaires liées aux drogues.
Françoise DUBOIS-ARBER évoque les programmes d’échanges de seringues qui ont des effets sur le comportement d’usage de drogues. L’effet de ces programmes sur la transmission du VIH est admis avec un niveau de preuve modeste alors que les preuves sont insuffisantes pour affirmer l’efficacité des PES à eux seuls dans la prévention du VHC.
Les centres d’injection supervisée (CIS) sont très hétérogènes quant à leur localisation, aux services offerts (local d’injection supervisée avec ou non enseignement, lieu d’accueil...), à la formation, aux règles d’accès et aux règles de fonctionnement (aide à l’injection, substances injectées, partage de substances...). Pour la faisabilité, il est montré que les centres d’injection supervisée peuvent atteindre les groupes à haut risque et fonctionner de manière adéquate en assurant une injection plus sûre. La mise en place des CIS a presque toujours donné lieu à des débats et souvent à des oppositions, particulièrement de la part de commerçants, de riverains ou de la police. Dans la plupart des cas, ces problèmes s’atténuent avec le temps. S’ils diminuent les pratiques à risques, les centres d’injection supervisée n’ont en revanche pas d’effet sur la morbidité (VIH/VHC) bien qu’ils réduisent la mortalité (via les overdoses mortelles évitées) et permettent d’améliorer l’accès aux soins (généraux et spécifiques). Ils réduisent en outre les impacts négatifs sur l’ordre public (diminution de la consommation dans les lieux publics et des nuisances associées, amélioration des perceptions de la population).
Cependant, ces centres ne sont pas la panacée et les attentes doivent être réalistes. Le bénéfice existe pour les usagers (sécurité, diminution des comportements à risque...) et pour la collectivité même si les centres d’injection supervisée ont un coût élevé et ne peuvent être efficaces que dans certaines conditions (besoin bien établi, couverture suffisante des besoins identifiés...).
Anne GUICHARD présente un point sur la prévention et l’éducation à la santé autour de l’injection. Des programmes visent à prévenir ou différer le passage à l’injection, à permettre une transition vers d’autres modes d’administration ou à informer sur les risques liés à l’injection. Concernant la première injection, de nombreuses inconnues demeurent. Les principaux facteurs de risque sont liés à la précocité de la consommation, à la dépendance, à la précarité et surtout à l’influence du milieu et du réseau social. Les programmes de prévention et d’éducation à la santé autour des risques liés à l’injection sont encore peu développés et recouvrent des modalités d’action très hétérogènes. Néanmoins parmi les protocoles d’action évalués, il ressort de ces programmes une capacité à agir sur : les attitudes et la perception des risques liés à l’injection ; les comportements des injecteurs de façon à limiter leur influence sur les non injecteurs, à réduire le nombre d’injection, à diminuer la fréquence des pratiques à risque. Des programmes globaux et intégrés combinant différents outils, techniques et approches présentent un intérêt tout particulier pour lutter contre l’hépatite C et prendre en compte les différents risques auxquels l’usager est exposé tout au long de sa trajectoire de consommateur/injecteur.

Dépistage et soins

André-Jean REMY estime qu’il faut étendre les lieux de dépistage, réfléchir à la personne qui propose le dépistage et aux méthodes. Si le dépistage est positif, il faut permettre l’accès à une consultation spécialisée. Il est prouvé que le traitement et le suivi sur site s’avèrent très positifs : or en France, seuls un tiers des CSST et un tiers des UCSA disposent d’une consultation spécialisée. L’accès des usagers de drogues au dépistage et au traitement des hépatites virales doit être renforcé.

Mise en place des actions et des programmes

Christian BEN LAKHDAR indique que le coût social de l’hépatite C est estimé à 5,46 milliards de dollars aux États-Unis. En France, les dépenses de traitements du VHC chez les usagers de drogues injecteurs sont comprises entre 239 et 249 millions d’euros. Les programmes de réduction des risques présentent un rapport coût/efficacité moyen pour limiter l’épidémie de VHC mais très bon pour le VIH. Les résultats dépendent toutefois fortement du contexte des études. Deux raisons expliquent cette différence d’efficacité. La première est que les coûts les plus importants attribuables aux pathologies du VHC, comme la nécessité d’une greffe de foie par exemple, n’interviennent que très tardivement dans l’histoire de l’individu infecté, et ne sont donc que peu valorisés par les études de coût/efficacité : le financeur ayant une forte préférence pour le présent. La seconde est liée à la plus grande infectiosité du VHC par rapport au VIH.
Gwenola LE NAOUR indique que différents contextes impactent la mise en place des actions, à commencer par les freins à l’acceptabilité par les usagers ou les problèmes d’acceptabilité par les riverains. Enfin, des enjeux récurrents de formation et de coopération apparaissent pour la mise en place des actions de réduction des risques. Trois questions restent en suspens : comment renforcer la sécurité aux abords des outils de réduction des risques ? Comment développer des coopérations opérationnelles sur site ? Comment doter de qualifications les intervenants de la médiation ?
Jean-Michel COSTES présente les dispositifs déjà en place : le dispositif officinal (vente de seringues) et la médecine de ville, le dispositif médico-social spécialisé constitué par les Caarud en complémentarité avec les Csapa, le dispositif associatif non médico-social et les dispositifs municipaux/communaux. L’accessibilité aux seringues est relativement bonne en France, avec un ratio de 200 seringues par an par individu injecteur. Les Caarud comptent 140 structures et distribuent notamment 3 millions de seringues.
Pierre POLOMENI rappelle qu’il existe deux aspects sur la réduction des risques : un aspect historique de l’évolution du « champ de la toxicomanie » en France (établi, bibliographie et auteurs) et un aspect relatif au contexte actuel, notamment aux niveaux local et national. Les politiques sont actuellement mal coordonnées, comme l’a pointé la Cour des Comptes. Dans plusieurs études (États-Unis, Canada, France), il est démontré qu’une répression surdéveloppée est inadaptée pour permettre soins et prévention. Les stratégies de réduction des risques sont assurées par des acteurs de santé et s’inscrivent dans une politique globale : comment améliorer les pratiques des intervenants ? Est-il possible d’envisager des allers-retours entre les professionnels de santé « généralistes » et les intervenants de la réduction des risques pour une meilleure qualité de vie des usagers de drogues ?

Débat avec les participants

Jean-Louis BARA, de l’association Safe, regrette de ne pas avoir reçu les documents avant la réunion et souhaiterait être davantage associé, au moins à la réflexion, surtout si les recommandations émises doivent être opérationnelles.
Katia ILLEL, responsable du Csapa de la Maison d’arrêt de la Santé de Paris, estime que les pratiques de réduction des risques en détention diffèrent considérablement d’une maison d’arrêt à l’autre. La question de la réduction des risques en détention ne se limite pas aux seringues et à la Javel. Les questions de transmission par la paille ou par des pipes à crack bricolées doivent être également prises en compte en termes de réduction des risques du fait de la forte prévalence aujourd’hui en maisons d’arrêt d’usagers de cocaïne et de crack. La mise à disposition de préservatifs et les actions d’information autour des pratiques à risque VIH, VHC restent également bien sûr toujours d’actualité.
André-Jean REMY précise que le dépistage doit être systématiquement proposé et non systématique. Les prisons sont en effet caractérisées par l’hétérogénéité de leurs pratiques.
Laurent MICHEL souligne la faiblesse des mesures existantes en détention et l’intérêt d’envisager un débat sur l’ensemble des mesures pour limiter les risques infectieux en détention.
Pierre CHAPPARD, de l’association Asud, note que Roselyne Bachelot a déclaré attendre les résultats de l’expertise collective pour lancer ou non l’expérimentation de salles d’injection, ce qui montre que l’expertise peut avoir un réel impact. De ce fait, il déplore que les associations n’aient pas été auditionnées. L’Institut national de santé publique du Québec a recommandé qu’il y ait des salles de consommation : l’Inserm recommandera-t-il l’instauration de salles de consommation en France ?
Jean-Pierre LHOMME, du Centre médical Marmottan, observe que la réduction des risques est un ensemble de démarches qui doivent être adaptées aux situations des personnes. Ne pas prendre en considération le fait que la réduction des risques est une stratégie et un concept mais le présenter comme une addition d’outil risque de s’avérer contre-productif.
Jeanne ETIEMBLE confirme que ces éléments (concept, stratégie) seront bien spécifiés dans l’expertise mais ne pouvaient être abordés ce jour.
Catherine DUPLESSY, de l’association Safe, se demande comment les experts en sont arrivés à la conclusion que l’accessibilité aux seringues était bonne.
Jean-Michel COSTES indique que le nombre total des seringues distribuées (par les officines, les Caarud...) semble satisfaisant. Les éléments présentés ne constituent toutefois qu’une synthèse : certaines populations et certains lieux ne sont effectivement pas atteints par ces programmes.
Anne COPPEL, de l’AFR, souligne que la démarche de réduction des risques ne se limite pas seulement aux usagers problématiques mais doit s’adresser à tous les usagers. C’est d’autant plus important que l’évaluation des risques porte sur les usagers accueillis dans les Caarud, alors que les prises de risques dépassent largement ce cadre.
Fabrice OLIVET, de l’association Asud, se demande si la réduction des risques ne doit pas également changer les comportements des usagers, uniquement considérés en France comme patients ou malades chroniques. Or, les usagers sont les principaux responsables de leur propre réduction des risques. Le fait que les associations d’usagers n’aient pas été auditionnées par l’expertise collective pose effectivement problème.
Lia CAVALCANTI, de l’association Espoir Goutte d’Or, rejoint ce point de vue sur la participation active des consommateurs : si la politique publique associe à sa construction les principaux intéressés, une étape importante sera franchie. Par ailleurs, il faut s’intéresser aux populations migrantes, invisibles car de plus en plus persécutées.
Arnaud SIMON, responsable prévention de l’association Aides, indique que l’association souhaite avancer sur les enjeux de renforcement des capacités des personnes à prendre soin de leur santé et de la santé d’autrui et s’interroge sur l’actuelle campagne sur les drogues de la Mildt et de l’Inpes, fondée sur la peur.
Martine LACOSTE, de l’Anitea, rejoint ce point de vue : cette campagne creuse le fossé entre les nouveaux usagers et les anciens ; cette stigmatisation des usages et des usagers de drogues va à l’encontre de la réussite des programmes de réduction des risques.
William LOWENSTEIN, représentant du Conseil national du sida (CNS), indique que la réduction des risques dépend de la conception des addictions qui ne doivent pas être traitées uniquement du point de vue médicamenteux.
Béatrice STAMBUL, de l’AFR, considère que la politique de réduction des risques est encore loin d’être cohérente. Les politiques publiques doivent bénéficier d’une couverture homogène sur l’ensemble du territoire : or, dans certains endroits en France, les usagers à risque ne sont pas du tout pris en charge. La difficulté actuelle à élargir la palette des outils montre qu’il faudrait prouver que les outils fonctionnent avant de les mettre en place. Si les solutions se sont avérées satisfaisantes dans les autres pays, il faudrait pouvoir les reprendre. La réduction des risques doit se construire dans le travail et sur le terrain.
Danielle BADER-LEDIT, d’Espace Indépendance, a l’impression d’une juxtaposition des dispositifs entre les différents acteurs.
Nicolas BONNET, pharmacien à la Pitié-Salpêtrière, s’enquiert des solutions qui seront retenues pour les autres infections, comme les abcès. Pour participer à l’éducation des injecteurs et à la diffusion du matériel, il existe le bras articulé pour s’exercer aux injections ou le programme d’échange de seringues dans les officines pharmaceutiques.
Patrick DAIME, de l’Anpaa, après avoir remercié les experts pour la qualité de leurs travaux, estime que le concept de réduction des risques requiert une approche globale centrée sur la personne, pour tous les usagers, dans tous les milieux, tout au long de la vie, pour tous les produits et tous les comportements, dans un continuum avec la prévention, les soins et l’accompagnement social. Ce concept s’inscrit dans une démarche de santé publique et doit bénéficier d’un cadre législatif adapté.
Fabrice PEREZ, de Techno+, critique également la méthodologie retenue et particulièrement l’absence d’auditions des associations qui œuvrent pour la réduction des risques. Par ailleurs, de nombreuses associations distribuent actuellement des pailles pour le sniff sans savoir réellement quels sont les effets de cette politique par manque de données scientifiques. Il regrette également que les présentations du groupe d’experts limitent la réduction des risques liés à l’usage de drogue aux seuls risques infectieux.
Marie JAUFFRET-ROUSTIDE confirme que cette question sera abordée même si les données de la littérature ne concordent pas.
Patrick FAVREL, de SOS Hépatites, s’étonne de ne pas entendre parler de polytoxicomanie. Concernant l’hépatite, dépistée souvent après 20 ou 25 ans avec des pathologies importantes comme les cirrhoses, il serait intéressant d’élargir la notion de coût dans le rapport coût/efficacité.
Pierre POLOMENI rappelle que l’expertise collective repose actuellement sur des données bibliographiques. Les travaux présentés ce jour ne sont qu’un travail d’étape et plusieurs aspects feront l’objet d’une réflexion qui intégrera les remarques des associations. Il convient toutefois, pour faire valoir certains points, de privilégier une approche scientifique.
Marie DEBRUS, coordinatrice du programme d’éducation aux risques liés à l’injection pour Médecins du Monde, estime que le ministère de la Santé n’est pas prêt à assumer cette approche pragmatique puisqu’il n’a pas encore procédé à l’évaluation du projet ERLI alors que cela était pourtant prévu.

Point d’informations et discussion sur les projets en cours en France

Projets de l’Inpes

Olivier SMADJA présente différentes études qui seront réalisées par l’Inpes, comme l’enquête 2009 menée dans les Centres d’hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), l’enquête KABP sida 2010, l’enquête SAMENTA du Samu social ou le Baromètre Santé 2010. Par ailleurs, l’Inpes attribue des subventions à titre exceptionnel pour le remplacement d’automates distributeurs et de matériel d’injection.
L’Inpes a un projet d’enquête portant sur les contextes et les pratiques d’initiation à l’injection et a édité un livret « Réduire les risques infectieux chez les usagers de drogues par voie intraveineuse ». Enfin, un séminaire sera organisé le 15 mars 2010 avec trois grands axes de travail relatifs à la prévention du passage à l’injection, aux transitions vers d’autres modes de consommation et à l’éducation pour la santé en matière d’injection. Ce séminaire associera des experts internationaux, des représentants des associations et des usagers.

Projets de l’InVS

Marie JAUFFRET-ROUSTIDE présente les projets initiés par l’InVS, en collaboration avec le Cesames et le soutien de l’ANRS. Pour les enquêtes socio-comportementales, l’InVS reconduira l’enquête ANRS-Coquelicot en 2010 sur huit villes (Lille, Strasbourg, Paris, Rennes, Lyon, Bordeaux, Toulouse, Marseille). Cette enquête a pour objectifs principaux de suivre l’évolution de la séroprévalence du VIH, du VHC et du VHB, de documenter les pratiques à risque et de contribuer à l’évaluation des politiques de réduction des risques. Les populations d’usagers « hors institutions » seront intégrées à l’étude par la méthode RDS (Respondent Driven Sampling). Un volet spécifique au milieu pénitentiaire sera également intégré de manière à décrire les pratiques à risque liées à la consommation de drogues en prison (en particulier l’injection) et de pouvoir proposer des interventions adaptées. Un dispositif d’enquêtes socio-anthropologiques sera couplé à Coquelicot afin de mieux appréhender le contexte social et les représentations des prises de risque.
Une enquête porte actuellement sur l’usage de crack et le VHC en coopération avec un collectif interassociatif ; elle vise à décrire la population des consommateurs de crack et leur vulnérabilité spécifique vis-à-vis du VHC, et à évaluer des outils de réduction de risques adaptés à l’évolution des pratiques des usagers de drogues.
Début 2010, un projet de recherche débutera sur l’évaluation des kits d’injection avec l’expérimentation de nouveaux outils, avec le financement de la DGS. Ce projet sera couplé à Coquelicot et associera au projet un comité de pilotage inter-associatif, à l’instar de la collaboration avec le collectif inter-Caarud sur le projet crack. L’objectif est de proposer des outils adaptés aux besoins des usagers de drogues et de pouvoir les valider afin d’obtenir des financements publics sur le long terme.

Projets de l’OFDT

Jean-Michel COSTES indique que l’OFDT tente de mieux documenter la mortalité liée aux usages de drogues. Une étude de cohorte est lancée auprès de patients suivis dans les Csapa et les Caarud. Elle vise à estimer le taux de mortalité pour cette population et à déterminer la cause de décès. D’autre part, l’OFDT qui suit l’évolution de la perception des Français sur les drogues et leur opinion sur les politiques publiques menées en la matière (enquête Eropp) rendra prochainement publiques les résultats et la dernière enquête menée en 2008.

Projet pour le milieu pénitentiaire

Laurent MICHEL évoque le projet PRIP2DE (Programme de recherche et d’intervention pour la prévention du risque infectieux chez les détenus) qui comprend trois volets : inventaire des mesures de réduction des risques et de leur application, indicateurs de prises de risques ; étude qualitative auprès des détenus et personnels pénitentiaires ; essai d’intervention comparant mesures nouvelles versus mesures actuellement disponibles, et une étude d’incidence du VHC avec étude cas-témoin. Par ailleurs, l’enquête Prevacar (DGS/InVS) fera le point sur les prévalences du VIH, du VHC et des TSO en prison avec une enquête exhaustive sur l’offre de soins pour le VIH et les hépatites, sur la prévention et la vaccination. Concernant Coquelicot, un volet « prison » sera ajouté dans la prochaine enquête (2010-2011).

Débat avec les participants

Thomas DUSOUCHET, de Gaïa Paris, indique que les associations Charonne, Gaïa et Ego ont acquis en commun un fibroscan pour inciter au dépistage les usagers qui fréquentent les Caarud mais aussi détecter les freins au dépistage, comme l’accès à la sécurité sociale et aux droits sociaux.
Lia CAVALCANTI précise qu’Ego a acquis un bras d’injection qui permet aux usagers de s’entraîner à l’injection intraveineuse : l’association peut prêter ce bras qui s’avère très efficace.
Nathalie RICHARD annonce que l’Afssaps mènera à partir de mars 2010 une étude sur les officines de villes et leur rôle dans les programmes de réduction des risques.
Martine LACOSTE ajoute que l’Anitea réfléchit actuellement à un protocole permettant de recueillir des témoignages d’usagers.
Catherine DUPLESSY fait part du fait que Safe a également conduit des enquêtes en 2009, notamment sur les échanges de seringues et la mise à disposition gratuite de matériel dans les pharmacies.
Marie DEBRUS indique que Médecins du Monde réalise une enquête sociologique sur les personnes vivant en squat afin de mieux connaître leur état de santé.
Martine LACOSTE indique que l’Anitea participe à un programme européen portant sur les jeunes en errance usagers de substances psychoactives.
Karlheinz CERNY a constaté une augmentation du nombre de décès. Une enquête montre qu’il y a un décès par semaine dans la région de la métropole lilloise.
Florent MARTEL ajoute qu’une enquête portera sur les pratiques d’injection de méthadone.
Jean-Pierre LHOMME propose de mener une réflexion sur la conception du soin, les concepts et les stratégies et s’enquiert des modalités.
Fabrice OLIVET aurait souhaité, plutôt que de faire l’inventaire des études en cours, évoquer la fluctuation des concepts qui ont présidé aux choix de réduction des risques y compris ceux qui mettent en cause cette politique. Il y a tout lieu de s’interroger également sur la pertinence du cadre légal actuel ainsi que sur les zones de blocages purement réglementaires qui font obstacle à l’approfondissement de la réduction des risques.
Sébastien PETIT, de Prev’En Teuf, avait proposé il y a deux ans que dans le cadre de l’enquête InVS, la consommation de crack en milieux festifs et groupes « privés » (groupe à domicile, squats...) puisse faire l’objet d’une étude de terrain au même titre que les usagers fréquentant les structures spécialisées. Cependant, il faut s’entendre et définir précisément ce que l’on comprend par « usagers ». Les usagers précités sont les usagers de drogues problématiques rencontrés dans les structures (Caarud, Csapa...). De ce fait, une trop grande partie des consommateurs n’est pas prise en compte.
Marie JAUFFRET-ROUSTIDE répond que l’enquête épidémiologique sur le crack est actuellement en cours et que l’enquête sur les consommateurs de crack en milieu festif constitue le volet socio-anthropologique de l’enquête qui ne débutera que début 2010.
Anne COPPEL estime que l’expertise collective doit effectivement prendre en considération l’usage festif puisqu’il concerne la très grande majorité des usagers de drogues actuels.
Fabrice OLIVET met en garde contre le fait de confondre « usages cachés » et « scène festive ». La définition des « usages cachés » étant plutôt sous-tendue par l’absence de liens avec le milieu médical et le repérage judiciaire, ce qui inclut tous les types d’usages, particulièrement celui des populations « insérées ».

Clôture

Jeanne ETIEMBLE rappelle que les échanges de la rencontre-débat feront l’objet d’une synthèse qui fera intégralement partie de l’expertise. Il est proposé que chaque association dispose de la possibilité d’écrire deux pages sur des concepts ou sur des projets en cours. Les diapositives, éléments de travail, ne seront pas transmises aux participants pour le moment.
William LOWENSTEIN juge problématique que les documents de travail ne soient pas partagés : il suffirait d’interdire leur diffusion et de noter qu’il s’agit de documents transitoires. Le non partage rend difficile de travailler en commun.
Jeanne ETIEMBLE rappelle que l’engagement visait à organiser trois rencontres avec les associations.
Fabrice PEREZ juge la méthodologie très opaque et estime que toutes les réponses n’ont pas été apportées.
Jeanne ETIEMBLE indique que la méthodologie est la même pour toutes les expertises collectives : l’Inserm a normalement, pendant l’exercice, un devoir de confidentialité.
Pascal MELIHAN-CHEININ avait évoqué le rôle des associations dans la diffusion des messages d’alerte. Les institutions préparent actuellement un message sur la variabilité des dosages d’opiacés. Avant de lancer le communiqué, les associations seront averties de la diffusion des messages qu’elles pourront répercuter.
Étaient présents : Élisabeth Alimi (Inserm), Marguerite Arene (DASES – Mairie de Paris), Betty Azocar (AFR), Danièle Bader-Ledit (Espace Indépendance), Jean-Louis Bara (Safe), Pierre-Yves Bello(Drass), Christian Ben Lakhdar(Université catholique de Lille), Angela Bergeret (CEDAT), Nicolas Bonnet (CHU Pitié Salpêtrière), Christine Calderon (CCMO Conseil), Jean-Christophe Catusse (SOS-DI), Lia Cavalcanti (Ego), Karlheinz Cerny (Anitea), Pierre Chappard (Asud), Catherine Chenu (Inserm), Anne Coppel (AFR), Jean-Michel Costes (OFDT), Patrice Couzigou (Hôpital Haut-Leveque), Patrick Daime (Anpaa), Marie Debrus (Médecins du Monde), Elisabeth Delarocque-Astagneau (Institut Pasteur), Dominique Deugnier (Mildt), François Diot (Centre Beaurepaire Association Charonne), Françoise Dubois-Arber (Institut universitaire de médecine sociale et préventive, Lausanne), Catherine Duplessy (Safe), Thomas Dusouchet(Gaïa Paris), Yves Edel (CHU Pitié Salpêtrière), Jeanne Etiemble (Inserm), Patrick Favrel (SOS Hépatites), Vincent Fournier (Inpes), Géraldine Franck (SOS DI), Chantal Grellier (Inserm), Anne Guichard (Inpes), Albert Herszkowicz (Direction générale de la santé), Katia Illel (SMPR Maison d’arrêt de la Santé, Paris), Marie Jauffret-Roustide (InVS), Martine Lacoste (Anitea), Christine Larsen (InVS), Gwenola Le Naour (Université Lyon 2), Jean-Pierre Lhomme (Centre Médical Marmottan), Serge Longere (AFR), Sandra Louis (SOS-DI), William Lowenstein (Clinique Montevideo), Damien Lucidarme (Hôpital Saint-Philibert), Béatrice Luminet (Médecins du Monde), Olivier Maguet (CCMO Conseil), Florent Martel (RuptureS), Magali Martinez(Aides), Pascal Melihan-Cheinin (Direction générale de la santé), Laurent Michel (Hôpital Émile Roux), Hélène Morfini (Direction générale de la santé), Fabrice Olivet (Asud), Anne-Laure Pellier (Inserm), Fabrice Perez (Techno+), Philippe Perin (Swaps), Sébastien Petit (Prev’En Teuf), Gregory Pfau (Asud), Pierre Polomeni (Hôpital Jean Verdier), Caroline Rault (Inserm), Pascale Redon (Direction générale de la santé), Brigitte Reiller (Anitea), André-Jean Remy (Hôpital Saint-Jean), Nathalie Richard (Afssaps), Karen Segas (Clinique Montevideo), Laurence Simmat-Durand (Inserm), Arnaud Simon (Aides), Olivier Smadja (Inpes), Béatrice Stambul (AFR), Claudine Vallauri (Crips Île-de-France), Dominique Vuillaume (Inserm)
Étaient excusés : Jean-Pierre Couteron (Anitea), Jean-Michel Delile (CEID), Ruth Gozlan (Mildt), Patrick Grégory (Aides), Franck Lecas (Anpaa), Xavier Thirion (Faculté de médecine, Marseille)
Étaient également invités : Élisabeth Avril (GAÏA Paris), Christine Bronnec (Dhos), Jean-Claude Desenclos (InVS), Sandrine Halfen (ORS Île-de-France), Delphine Jarraud (Anpaa), Didier Jayle (Cnam), Aram Kavciyan (Centre médical Marmottan), Michel Kokoreff (Université Nancy 2), Maud Muzzulini (Drassif), Catherine Pequart (Charonne), Valère Rogissart (Sida Paroles), Michelle Sizorn (SOS Hépatites), Delphine Vilain (Drassif)

Rencontre-débat du 24 juin 2010

Ouverture de la rencontre-débat

Gérard BREART, directeur de l’Institut thématique Santé publique, indique que ce dernier a notamment pour missions de produire des connaissances dans le domaine de la santé publique et de faciliter la diffusion de ces connaissances. L’expertise collective s’inscrit dans un processus d’aide à la décision. Il s’agit d’analyser des données, d’en faire la synthèse et de dresser un certain nombre de constats. Une fois ce travail effectué et des recommandations formulées, il appartient aux décideurs de s’en emparer, afin que les décisions soient prises sur des bases scientifiques. La présente réunion traduit également la volonté de l’Inserm de poursuivre un dialogue constant avec les associations.1
Philippe de BRUYN, de la Direction générale de la santé (DGS), rappelle que l’expertise collective « Réduction des risques chez les usagers de drogues » avait été commandée par le ministère de la Santé fin 2008, à un moment charnière. On constate en effet, depuis quelques années, une évolution sur le plan des pratiques d’usages de drogues, sur celui des produits et du point de vue des populations concernées. Il sera donc particulièrement intéressant de connaître les résultats et recommandations de l’expertise collective.

Comment adapter le dispositif de réduction des risques aux évolutions épidémiologiques

Présentation des experts : Jean-Michel COSTES et Damien LUCIDARME

Jean-Michel COSTES, de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) et membre du groupe d’experts, observe que la politique de réduction des risques chez les usagers de drogues, en France, a joué un rôle important sur la réduction de l’incidence du VIH et a contribué à la baisse des décès liés aux usages de drogues ainsi qu’à l’amélioration de l’accès aux soins pour les usagers de drogues. Elle a également atteint certaines limites :
• les résultats peu probants obtenus dans le domaine des hépatites virales ;
• l’apparition de nouvelles populations non couvertes ;
• le développement de nouvelles pratiques à risque ;
• le retour récent à la hausse du nombre de décès liés aux usages de drogues.
En préalable, une remarque importante du groupe d’experts : la politique de réduction des risques ne peut être considérée comme la seule mise à disposition d’outils et elle ne peut à elle seule tout résoudre. Elle doit s’intégrer dans une prise en charge globale des addictions et s’appuyer sur les politiques générales de réduction des inégalités sociales de santé comme l’accessibilité au logement.
La première recommandation formulée par les experts vise à adapter le dispositif de la réduction des risques à la spécificité des populations. Les dispositifs d’observation permettent d’identifier :
• une nouvelle population d’usagers (jeunes, 16-25 ans) de psychostimulants (cocaïne, free base...) ;
• la part croissante des femmes et notamment de très jeunes femmes en grande précarité sociale ;
• un attrait vers l’expérimentation de nouveaux produits ;
• un accroissement de l’usage de la cocaïne par injection parmi certains groupes ;
• des populations socialement précaires (migrants, jeunes en errance), difficiles à contacter et à prendre en charge.
Aussi le groupe d’experts recommande de prendre en considération les caractéristiques des populations d’usagers afin de définir et d’adapter le dispositif de réduction des risques, en particulier vis-à-vis des très jeunes, des migrants très marginalisés et des usagers ayant des troubles psychiatriques. Il propose de développer différentes pistes telles par exemple celles de développer le travail de rue.
La deuxième recommandation vise à élargir la palette des mesures et des approches dans un dispositif cohérent d’offres de service.
Un des constats majeurs est la complémentarité des dispositifs et des mesures. La complémentarité des dispositifs rend en effet la réduction des risques plus efficace. La France a cependant un dispositif limité, en termes de diversité des dispositifs. Les centres d’injection supervisés (CIS) ont été expérimentés dans plusieurs pays et ont fait leur preuve, à plusieurs égards :
• l’atteinte des usagers à haut risque ;
• assurer une plus grande sûreté des injections ;
• effets positifs sur les facteurs de risque des maladies infectieuses ;
• la réduction de la morbidité (notamment les abcès) et de la mortalité (overdoses mortelles évitées) ;
• l’amélioration de l’accès aux soins ;
• l’impact sur l’ordre public par la réduction de la consommation dans les lieux publics et des nuisances associées.
Il a également été montré que les CIS ne présentaient pas les effets adverses que l’on pouvait craindre (principalement l’augmentation des consommations et l’évitement ou le retard dans l’entrée en traitement). Le groupe d’experts recommande de renforcer les liens entre différents programmes (PES, TSO, CIS le cas échéant...) dans un dispositif cohérent et, sous réserve des besoins, d’envisager la mise en place de CIS en France. Il recommande de mener une étude des besoins pour l’ouverture d’un CIS afin de définir les objectifs spécifiques de ce dispositif (diminuer les overdoses mortelles, diminuer le nombre d’abcès, attirer des injecteurs à haut risque pour les (re)mettre en contact avec des structures de traitement...). La mise en place d’un CIS ne peut être envisagée que si ce dispositif répond à des besoins parfaitement identifiés tenant compte des évolutions de modalités d’usage de drogues qui peuvent varier d’un endroit à un autre : importance de l’injection en public, du nombre d’usagers de drogues par voie intraveineuse sans contact ou en rupture avec des structures de soin ; du nombre d’overdoses mortelles, des complications liées à l’acte d’injection (abcès). Ces centres, s’ils sont proposés, doivent être en mesure de couvrir ces besoins. Leur intégration dans un dispositif plus large, avec une bonne communication entre les services est également indispensable. Enfin, pour garantir un fonctionnement adéquat, leur implantation doit reposer sur un consensus entre tous les acteurs locaux : santé, police, autorités politiques et administratifs, population en général et voisinage immédiat, usagers eux-mêmes. Ceci demande une phase de préparation d’explication et de communication compte tenu des représentations souvent négatives qui prévalent pour ce type de dispositif. Une évaluation de la phase d’implantation est un élément important du processus d’acceptation des CIS.
La troisième recommandation vise à élargir la palette des options thérapeutiques pour les populations présentant une dépendance sévère. Les traitements de substitution (TSO) jouent un rôle prépondérant dans la réduction des risques. La couverture des usagers de drogues par les traitements de substitution, en France, peut être considérée comme de bon niveau. Cependant, le traitement par la méthadone ne peut pas être initié par les médecins généralistes en France. De plus, pour certains usagers présentant une dépendance sévère et ayant subi de multiples échecs thérapeutiques, l’option thérapeutique de l’héroïne médicalisée a démontré son efficacité. Le groupe d’experts recommande d’adapter le traitement de la dépendance aux besoins identifiés du patient et, pour cela, de pouvoir diversifier les options thérapeutiques (développement de l’accès à la méthadone, primo-prescription par la médecine de ville ; dosage supérieur de BHD ; et pour les usagers présentant une dépendance sévère et en échec avec les traitements classiques, envisager une prescription médicalisée d’héroïne).

Débat

Faisant part de son accord avec les recommandations présentées, Jean-Pierre COUTERON, président de l’Anitea, réaffirme le cadre général dans lequel la réduction des risques doit se centrer c’est-à-dire le soin et les inégalités d’accès au soin.
Anne COPPEL fait une remarque à propos des limites de la réduction des risques selon les conditions. La politique de réduction des risques a favorisé la baisse de 67 % des interpellations pour usage d’héroïne. Il y a une relation entre la baisse des interpellations et l’accès au traitement. Dans une étude américaine récente, il a été montré une relation entre la hausse de la mortalité et un renforcement de la réglementation. Ce n’est pas une limite de la réduction des risques, c’est une contradiction de la politique. Ce résultat lui paraît important, bien qu’il ne semble pas avoir été retenu par les experts dans leurs conclusions.
Béatrice STAMBUL, de l’AFR, rappelle qu’en France et en Europe, où la politique de réduction des risques existe à une échelle significative, la distribution des seringues semble « loin du compte », puisque le taux de distribution de seringues, par rapport au nombre d’injections, est inférieur à 1 sur 6. Or des études ont montré qu’un taux de 1 pour 1 entraînerait une baisse sensible des contaminations par le virus de l’hépatite C. On peut améliorer les outils déjà à disposition.
Fabrice OLIVET, de l’association Asud, estime qu’il convient d’insister sur la supervision des centres d’injection supervisés. Il faut réaliser une analyse sur le gain en ce qui concerne la sécurité pour les usagers et pour les riverains. La mise en place de tels centres doit être précédée d’une analyse sous l’angle de la sécurité, car il ne fait pas de doute que cette analyse serait de nature à convaincre plus aisément les autorités et le voisinage de l’utilité de tels lieux.
Marie DEBRUS, de Médecins du Monde, demande si des recommandations ont été formulées concernant des dispositifs individualisés, dans une logique éducative.
Jean-Michel COSTES précise que la littérature scientifique ne fait référence qu’aux CIS (centres d’injection supervisés). Le sigle « CIS » recouvre toutefois une grande diversité, en termes de contextes et de modes de fonctionnement, ce qui accroît la nécessité d’une analyse préalable des besoins.

Comment renforcer l’accessibilité aux programmes existants pour des populations spécifiques

Présentation des experts : Laurence SIMMAT-DURAND et Pierre-Yves BELLO

Laurence SIMMAT-DURAND, de l’Inserm et membre du groupe d’experts, poursuit l’exposé en soulignant que plusieurs populations spécifiques ont été identifiées par le groupe d’experts :
• les personnes présentant des comorbidités psychiatriques ;
• les usagers abusifs d’alcool ;
• les jeunes, surtout ceux en grande précarité sociale, consommateurs de psychostimulants ou en errance ;
• les migrants ;
• les détenus ;
• les femmes.
En Europe, un tiers des usagers d’opiacés sont des femmes. Les femmes présentent des risques particuliers, du fait de grossesses non désirées, de la prostitution, de risques sexuels et du risque d’injection par autrui, de la violence. Les effectifs de très jeunes femmes sont en augmentation dans les structures de première ligne. On estime que le nombre de grossesses exposées à la consommation de drogues illicites est compris entre 3 500 et 5 000 en France, chiffre qu’il faut doubler pour inclure les femmes enceintes suivant un traitement de substitution. Les risques encourus sont : une prématurité, un retard de croissance intra-utérine, un syndrome de sevrage néonatal, un risque de rupture du lien mère-enfant. Le groupe d’experts recommande une prise en charge globale médico-sociale s’inscrivant dans la durée au sein de services prenant en charge les spécificités des femmes et d’adapter les traitements de substitution durant la grossesse (maintien ou augmentation des posologies). Il plaide également pour un travail préservant le lien mère-enfant même en cas de placement des enfants quand la situation le nécessite.
L’incarcération est fréquente chez les usagers de drogues et les sujets qui s’injectent continuent pour partie cette pratique en prison. Par ailleurs, si la proportion des détenus sous TSO augmente, d’importantes hétérogénéités demeurent selon les établissements. Il est fréquent de constater des pratiques inadaptées dans la distribution des TSO (pilage du TSO ou sa dilution). La prison constitue, en outre, un lieu à haut risque infectieux (usage de drogues, tatouage, piercing...). Différents dispositifs existent en Europe : les TSO et les mesures éducatives, les dispositifs d’échange de seringues, la distribution d’autres matériels comme l’eau de Javel et autres désinfectants, les préservatifs, les traitements anti-rétroviraux... Certains besoins ne sont pas couverts en France tels que les consultations spécialisées (infectiologie, hépatologie, psychiatrie...), des expériences diverses de distribution d’eau de Javel, des problèmes d’accès aux préservatifs... Plus largement, en l’absence d’une politique d’échange des seringues, on ne peut pas parler d’une politique réelle de réduction des risques en prison.
À la lumière de ces constats, le groupe d’experts plaide pour la mise en œuvre d’un projet thérapeutique pour chaque détenu et pour le respect du principe d’équité dans l’accès aux soins et aux mesures de réduction des risques entre prison et milieu libre. Il considère aussi comme nécessaire la formation du personnel soignant au sein des établissements pénitentiaires et l’amélioration des stratégies de dépistage des affections virales.

Débat

Laurent EL GHOZI, Président de l’association « Élus, Santé Publique et Territoires », s’interroge sur la signification du respect du principe d’équité dans l’accès aux soins en prison ; cela signifie-t-il également la mise en place de salles d’injection supervisées en prison ?
Bertrand NALPAS, de l’Inserm, souligne qu’il existe aujourd’hui des obstacles à l’introduction des équipes d’addictologie dans les services de gynécologie obstétrique. Cela rejoint la question du repérage des conduites à risque parmi les femmes enceintes, tant pour les produits opiacés que pour l’alcool.
Béatrice STAMBUL signale qu’il existe un amalgame entre les femmes en traitement de substitution et les toxicomanes chez les personnes des services sociaux.
Laurence SIMMAT-DURAND souligne le rôle des réseaux de périnatalité en cours de mise en place. Dans certains pays, il existe des sages-femmes référentes drogues ; par exemple, en Angleterre depuis 1995, elles accompagnent la mère pendant la grossesse jusqu’aux trois ans de l’enfant et font la liaison avec l’école si besoin. En France, les expériences sont peu publiées.
Béatrice STAMBUL considère qu’il faut associer distribution de matériels, traitement de substitution et aide à l’accompagnement à la prise des traitements psychotropes. Au niveau du bus méthadone avec les personnes en immense précarité, comorbides, les résultats sont tout à fait probants avec une meilleure observance des traitements lorsqu’ils sont confiés aux travailleurs de l’association.
Fabrice PEREZ, de l’association Techno+, demande si des recommandations ont été formulées concernant les mineurs.
Laurence SIMMAT-DURAND répond par la négative. Si l’émergence de groupes de mineurs a été repérée, au titre des constats, aucune recommandation ne les vise spécifiquement.
Elisabeth AVRIL, de l’association Gaïa Paris, souligne la faiblesse des aides apportées aux associations intervenant auprès des populations migrantes, pour lesquelles la barrière de la langue s’ajoute aux difficultés de prise en charge existant pour d’autres populations.
Jean-François CORTY, de Médecins du Monde, insiste sur l’augmentation de la demande émanant de ces populations vulnérables, souvent exposées à des traumatismes additionnels du fait de leur situation de migration. Il existe donc un enjeu majeur autour de cette population.
Jean-Michel COSTES précise que cette population n’a pas été oubliée par le groupe d’experts. Ces derniers plaident notamment, dans leur rapport, pour le développement du travail de rue et des équipes de médiation.
Martine LACOSTE, de l’association Anitea/Clémence Isaure, signale l’intérêt d’une expérimentation en cours, à l’initiative de Housing First, à Toulouse, Marseille et Lille. Elle consiste notamment à appliquer les principes de réduction des risques à des personnes présentant des problématiques d’errance, d’addiction et des problématiques de psychiatrie. Les résultats de cette expérimentation seront donc particulièrement intéressants.
Lia CALVACANTI, de l’association Ego, évoque une question fondamentale au sujet des populations migrantes. Le travail des associations ne se résume pas au travail de prise de contact. Comment faire cohabiter dans un espace restreint des populations avec des modes de consommation singuliers et avec une extrême intolérance à se supporter les uns les autres, étant toujours au bord de l’affrontement ? Les difficultés sont immenses, les conflits sont quotidiens et massifs. Comment accueillir ? Il faut des liens entre politique de réduction des risques et autres politiques publiques. Ce sont des nouveaux défis pour lesquels les associations ne sont pas outillées.

Comment promouvoir l’évaluation de nouveaux outils et approches

Présentation des experts : Marie JAUFFRET-ROUSTIDE,Anne GUICHARD et Christian BEN LAKHDAR

Marie JAUFFRET-ROUSTIDE, de l’Institut national de veille sanitaire (InVS) et membre du groupe d’experts, souligne la nécessité, pour les experts, de partir des besoins des usagers de drogues afin d’adapter les outils qui leur seront proposés. En France, la réduction des risques a été pensée autour du modèle de l’héroïnomane injecteur, ce qui constitue une approche « minimale » et peu évolutive de la réduction des risques. L’inhalation de crack et l’injection de la BHD constituent de nouvelles sources infectieuses et entraînent d’autres effets sur la santé. Les études menées en France montrent que l’utilisation détournée de BHD sous forme d’injection concerne 15 % des patients sous traitement. À cause des excipients, l’injection peut conduire à des complications autour du site d’injection mais aussi à d’autres complications sanitaires graves. Les experts proposent que la composition des kits d’injection soit revue et prenne en compte la diversité des pratiques des usagers, afin de proposer un matériel de prévention adapté à la réalité des usages. L’utilisation des filtres à usage unique est à évaluer dans la panoplie des mesures de réduction des risques.
L’augmentation de la consommation de stimulants (cocaïne, crack) doit aussi être prise en compte. Selon les enquêtes, la consommation de crack peut concerner jusqu’à un tiers des usagers de drogues. Le « sur-risque » du VHC, lié à l’utilisation de crack, observé sur le terrain, est validé par la littérature internationale. Par ailleurs, la population des usagers de crack cumule les facteurs de vulnérabilité sociale, économique et sanitaire qui se renforcent mutuellement.
Le groupe d’experts recommande de prendre en compte l’évolution des pratiques d’usages et de consommation de substances pour améliorer les mesures existantes et diffuser de nouveaux outils (tels que les kits d’inhalation pour le crack). Le groupe recommande également d’évaluer l’ensemble de ces nouveaux outils avec une approche scientifique, afin de disposer d’outils validés et pouvant bénéficier de financements publics sur le long terme.
S’agissant de la prévention du passage à l’injection et des modes d’administration à moindre risque, la littérature montre que l’initiation constitue une période particulièrement sensible et critique. La prévention du passage à l’injection et la promotion de modes d’administration à moindre risque constituent des approches complémentaires au dispositif de réduction des risques actuel. Le groupe d’experts recommande de développer des interventions brèves du type Break the cycle, certaines impliquant les pairs et qui permettent de se focaliser sur les aspects individuels et sociaux de l’injection, notamment au cours de l’injection.
La France a adopté une vision intégrationniste de la réduction des risques, créant une forte opposition entre les approches de réduction des risques et celles centrées sur la sortie de la dépendance. Le groupe d’experts propose de promouvoir une vision gradualiste de la réduction des risques, qui crée un continuum et non une opposition entre ces approches, prenant mieux en compte les besoins des usagers de drogues en fonction de leurs trajectoires. Le groupe d’experts recommande donc de développer à la fois des interventions brèves avec pour objectifs la prévention du passage à l’injection, la réduction des risques liés à l’injection ou la transition vers d’autres modes d’administration à moindre risque.
Du point de vue du projet thérapeutique, la France se caractérise par une vision centrée sur la dimension sanitaire et médicale de la réduction des risques. Le groupe d’experts recommande une plus grande prise en compte de la dimension chronique de la dépendance, de la durée du traitement et des étapes de cette prise en charge, à travers la mise en place d’un véritable projet thérapeutique. Une actualisation régulière de la situation des individus et des objectifs du traitement au cours des contacts doit être effectuée avec le médecin afin d’optimiser la prise en charge, éviter les « mésusages » et envisager les sorties de la dépendance.
Le groupe d’experts recommande d’adapter le traitement de la dépendance aux besoins identifiés du patient et pour cela de pouvoir diversifier les options thérapeutiques y compris l’héroïne médicalisée, pour disposer d’une option de traitement par injection.
L’ensemble des interventions qui ont fait l’objet de recommandations doit s’inscrire dans une démarche évaluative participative et de mutualisation des savoirs, qui favorise l’engagement des acteurs concernés, en particulier l’implication des pouvoirs publics, en mettant à distance l’approche idéologique. Le groupe d’experts recommande ainsi d’évaluer différents dispositifs intégrant plusieurs programmes en recherchant la meilleure combinaison de services, afin de répondre au mieux aux besoins des usagers et aux évolutions de leurs trajectoires. L’argument économique pouvant représenter un point fort pour le décideur public pour la mise en place de dispositifs de santé, les experts recommandent que les études d’évaluation des outils et des dispositifs de réduction des risques intègrent un volet économique, lorsque leur méthodologie le permet. Il est ainsi attendu que les outils et dispositifs de réduction des risques deviennent, dans la mesure du possible, des objets d’analyse de coût-efficacité, de coût-utilité ou de coût-bénéfice dans le but d’appréhender leur bien-fondé économique. Enfin, la démarche d’évaluation des stratégies de réduction des risques doit aller au-delà d’indicateurs quantitatifs en prenant en compte la qualité et l’efficience des programmes, les dimensions de la disponibilité, l’accessibilité et l’acceptabilité des interventions.
Il est également indispensable de prendre en compte les besoins et les attentes des usagers de drogues pour penser l’évolution de la réduction des risques, qui favorise la responsabilité des individus concernés. Le groupe d’experts propose ainsi de privilégier des recherches articulant des approches qualitative et quantitative, permettant d’aborder les contextes d’existence, les modes et parcours de vie des usagers, afin de cerner leurs besoins et d’y répondre par des interventions adaptées.
Le groupe d’experts recommande que le budget alloué aux actions et structures dans le champ des addictions comprenne une part réservée à l’évaluation et à la recherche prenant en compte le point de vue des usagers et intègre des représentants des usagers dans le pilotage des enquêtes.
La nécessaire approche scientifique de l’évaluation de la réduction des risques doit favoriser les recherches-actions destinées à accompagner la mise à disposition de ces nouveaux outils, afin que les usagers puissent en bénéficier de manière précoce.

Débat

Maryse BELLUCI DRICOT, déléguée régionale de SOS Drogue International, estime que l’opinion « populaire » constitue un des freins au développement de la réduction des risques. Cet aspect doit donc être pris en compte.
Marie JAUFFRET-ROUSTIDE confirme que, dans le cadre de la mise en place de CIS, le point de vue des riverains doit être pris en compte. Il faut aller plus loin, car l’opinion publique témoigne parfois d’une méconnaissance des tenants et aboutissants d’une approche de réduction des risques.
Lia CAVALCANTI, de l’association Espoir Goutte d’Or, estime que la temporalité de l’évaluation des outils constitue un aspect déterminant. Elle rappelle que l’hypothèse d’une contamination au VHC par inhalation de crack est longtemps restée inaudible par les pouvoirs publics et par les chercheurs. Cela l’a conduite à s’adresser en vain, pendant trois ans, aux différentes administrations concernées, bien que les résultats d’un groupe « focus » composé d’usagers, selon les principes de la recherche-action, aient démontré dès 2000 la possibilité de cette contamination. Néanmoins, aucun financement n’a pu être obtenu et dix ans ont été perdus du point de vue de la réduction de ce risque.
Maryse BELLUCI DRICOT, de l’association SOS Drogue International, souligne que l’expertise collective met l’accent sur l’utilité de la recherche-action, qui doit permettre de prendre en compte plus rapidement, dans les pratiques, les enseignements de programmes de recherche.
Fabrice OLIVET, de l’association Asud, souligne que l’opposition entre la réduction des risques et le soin, qui a longtemps prévalu, doit être dépassée. Force est de constater, néanmoins, qu’elle continue de dominer les représentations de nombreux acteurs.
Danielle BADER LEDIT, du Réseau des microstructures médicales (Espace Indépendance), note qu’il est question, dans les recommandations des experts, de mesurer l’efficience du dispositif de réduction des risques. Elle demande quels critères (nombre d’incarcérations, évolution des hospitalisations...) pourront être retenus pour effectuer cette mesure.
Christian BEN LAKHDAR, de l’Université Catholique de Lille et membre du groupe d’experts, observe que l’argument économique, s’il est important, ne constitue pas le seul levier permettant de convaincre les pouvoirs publics. Or la preuve scientifique est d’autant plus forte qu’elle porte sur un champ limité.
Jean-Michel COSTES signale également qu’un outil d’évaluation (accessible sur le site de l’Observatoire) a été élaboré à la demande de la Direction générale de la santé concernant la partie conceptuelle de l’approche de réduction des risques.
Laurent EL GHOZI considère que l’évaluation de l’efficience d’une démarche de réduction des risques ne peut exclure une dimension sociétale. Si les données épidémiologiques sont certes plus faciles à mesurer que l’évolution du niveau de bien-être dans un quartier, cette dimension est indispensable pour convaincre les élus locaux et les décideurs. Ni l’épidémiologie du VHC ni l’évolution du nombre d’overdoses ne suffiront à les convaincre.
Marie JAUFFRET-ROUSTIDE fait part de son accord avec cette analyse, qui rejoint l’une des recommandations de l’expertise collective (ne pas limiter les critères d’évaluation de la réduction des risques aux indicateurs épidémiologiques).
Lia CAVALCANTI souligne que l’intérêt d’une politique de réduction des risques, du point de vue sociétal, est évident, dans la mesure où elle réduit, notamment, la délinquance directe et le nombre de réincarcérations.
Jean-Michel COSTES précise que des évaluations ont porté sur les centres d’injection supervisés (CIS). L’impact de ces derniers, en termes de baisse de la prévalence du VHC, n’a pas été montré. En revanche, leur intérêt, en termes de facteurs de contamination, a été montré, de même que du point de vue de la sécurité publique.

Comment impulser une stratégie globale sanitaire et sociale

Présentation des experts : Pierre POLOMENI et Gwenola LE NAOUR

Pierre POLOMENI, de l’Hôpital Jean Verdier et membre du groupe d’experts, rappelle que la loi du 9 août 2004, relative à la politique de santé publique, définit un cadre de référence pour les activités de réduction des risques (Art D. 3121-33 du Code de santé publique). Les dispositifs de réduction des risques (vente libre de seringues, stéribox, traitements de substitution, Caarud...) ont également fait l’objet, entre 1987 et 2006, de différents textes législatifs encadrant leur diffusion.
Si certains militants et intervenants, notamment au sein des associations, sont engagés de façon très spécifique dans la politique de réduction des risques, leur « isolement » peut poser problème : à l’isolement des usagers de drogues ne doit pas répondre celui des professionnels. L’enjeu est donc d’intégrer l’ensemble des acteurs dans un système de soins global. Aussi le groupe d’experts recommande de sensibiliser, former et coordonner les différents acteurs intervenant dans le champ de la réduction des risques. Cela passe notamment par le développement d’une culture commune. Cela plaide également pour l’intervention des Agences régionales de santé (ARS) en faveur de la coordination des acteurs locaux. Par ailleurs, la question de l’acceptabilité des structures demeure cruciale, au plan local. C’est pourquoi les experts ont souligné l’utilité d’évaluer des programmes de médiation.
Une autre recommandation vise à promouvoir une recherche coordonnée en santé publique dans le domaine des addictions et de la réduction des risques. Cela passe notamment par l’évaluation des besoins de recherche, l’ouverture d’appels d’offres ainsi que par la prise en compte du point de vue des usagers et l’intégration de leurs représentants dans le pilotage des enquêtes.
Enfin, le groupe d’experts souhaite que soit promue une stratégie globale de réduction des inégalités sociales de santé. Plusieurs recommandations en découlent, notamment la surveillance de la couverture des besoins en matériel d’injection, le développement des programmes d’échange de seringues et la rénovation de matériels obsolètes. Il s’agit également de poursuivre le développement des structures destinées aux usagers les plus marginalisés et de renforcer les liens entre différents programmes (PES, TSO...), dans un souci de cohérence globale du dispositif. Enfin, les experts soulignent la nécessaire articulation des différentes politiques publiques, afin que leur traduction concrète ne vienne pas contrecarrer les effets positifs de l’approche de réduction des risques.

Débat

Fabrice PEREZ, de l’association Techno+, déplore l’absence – apparente – de prise en compte des usages festifs dans l’analyse des experts, alors que des travaux sont menés depuis 15 ans dans ce champ et qu’il existe une littérature relativement abondante sur le sujet. Il demande également si des recommandations portent sur l’évolution du cadre légal (notamment concernant la facilitation d’usage et la détention de produits dans le cadre des dispositifs d’analyse de drogues...).
Pierre POLOMENI convient que les experts n’ont pu embrasser tous les aspects spécifiques de la réduction des risques.
Anne COPPEL se félicite de l’élaboration d’un diagnostic commun qui transparaît dans le travail des experts. Par ailleurs, elle se dit convaincue que l’usage de drogues est à rechercher davantage, aujourd’hui, parmi les classes moyennes que dans les quartiers défavorisés ou parmi les populations marginalisées ou en grande précarité. Ce constat a bien sûr des incidences en termes de politiques de santé, par exemple pour la prévention des hépatites. Enfin, elle relève les contradictions de la politique des drogues. Plus on réprime et plus il est difficile de rentrer en relation avec les usagers et, de fait, de les protéger des hépatites et de tous les risques liés à l’usage.
Béatrice STAMBUL souligne les effets néfastes de la méconnaissance des usages en milieu festif, qui peut conduire à la diffusion de représentations erronées de la réduction des risques dans la population.
Fabrice OLIVET considère qu’il faut dissocier la prise en compte des usages en milieu festif de la notion de « populations cachées », qui renvoie plutôt au constat selon lequel des individus « sur-insérés » sont plus soucieux que d’autres de cacher leur usage de drogues.
Florence SEBAOUN, du Csapa « 110 Les Halles », constate, à la lumière des études menées sur les usages cachés de la cocaïne, que les usages festifs apparaissent toujours, à un moment ou à un autre, dans le parcours de consommation des individus. Il ne s’agit donc pas d’un aspect « périphérique ». Une enquête avait également montré que le milieu festif ne se réduisait pas au milieu alternatif « techno » et que l’usage de drogues se développait, par exemple, dans le cadre de soirées privées.
Laurent El GHOZI, Président de l’association « Élus, Santé Publique et Territoires », reconnaît le travail des experts et s’interroge sur la manière et la possibilité de passer d’une reconnaissance scientifique à une décision politique. Il est convaincu qu’il est nécessaire de travailler au niveau des territoires avec les décideurs locaux (élus locaux, forces de l’ordre, préfecture...).
Évoquant le phénomène de « binge drinking », Jean-Pierre COUTERON de l’Anitea, met en exergue les nombreux points communs qui se font jour dans les usages « festifs » ou récréatifs de certains produits, qu’ils soient licites ou illicites (psychostimulants, alcool...), ce qui plaide en faveur de l’approche « gradualiste » que défend le groupe d’experts dans son rapport. En ce qui concerne la recherche, il ne faut pas qu’elle soit en permanence opposée à l’expérimentation initiale ; c’est parce que des acteurs de terrain ont mis en œuvre des expérimentations et les ont confrontées à la recherche que des actions intéressantes se sont faites. L’expérimentation sociale, la recherche action sont à prendre en compte au même titre que la recherche académique.
Fabrice PEREZ note que l’intitulé du rapport « Réduction des risques chez les usagers de drogues » n’évoque pas la notion de risques infectieux.
Marie DEBRUS, de Médecins du Monde, s’inquiète également d’un risque de confusion due à un manque de clarté du titre. Certes, les dispositifs tels que l’analyse de drogues sont beaucoup plus difficilement évaluables car ils s’attachent à juger des éléments difficilement mesurables. Néanmoins, des études ont été publiées. Médecins du Monde a tenté d’évaluer son dispositif de reconnaissance présomptive de produits et souhaiterait aujourd’hui évaluer l’intérêt de son dispositif par chromatographie sur couche mince. Elle regrette que ces outils ne soient pas plus « portés » et qu’ils ne soient pas évoqués dans ce rapport alors qu’ils permettent d’accéder à des populations que l’on ne voit pas ailleurs. Elle souhaiterait une précision quant au titre du rapport « Réduction des risques infectieux chez les usagers de drogues » afin qu’il n’y ait pas de confusion et pour ne pas porter préjudice à une partie de la réduction des risques qui ne serait pas incluse dans ce rapport.

Clôture de la rencontre

Gérard BREART, directeur de l’Institut thématique Santé publique, remercie l’ensemble des intervenants pour leur contribution. Il souligne que les éléments présentés ce jour ne constituent nécessairement qu’une sélection du rapport de l’expertise collective.
Étaient présents : Julie-Emilie ADES (OFDT), Elisabeth ALIMI (Inserm), Marguerite ARENE (Dases, Ville de Paris), Elisabeth AVRIL (Gaïa Paris), Danièle BADER-LEDIT (Espace Indépendance), Philippe BARREAU (Ministère de l’Intérieur), Pierre-Yves BELLO (Drass), Maryse BELLUCCI DRICOT (SOS Drogue International), Christian BEN LAKHDAR (Université Catholique de Lille), Mustapha BENSLIMANE (Nova Dona), Bernard BERTRAND (Association Salles de consommation à moindre risque), Nicolas BONNET (Respadd), Gérard BREART (Inserm), Anthony BROUARD (Aides), Agnès CADET-TAÏROU (OFDT), Tommy CAROFF (Techno+), Lia CAVALCANTI (Espoir Goutte d’Or), Pierre CHAPPARD (Act Up, Paris), Anne COPPEL (AFR), Jean-Francois CORTY (Médecins du Monde), Jean-Michel COSTES (OFDT), Jean-Pierre COUTERON (Anitea), Philippe DE BRUYN (Direction générale de la santé), Marie DEBRUS (Médecins du Monde), Dominique DEUGNIER (Mildt), Catherine DUPLESSY (Safe), Thomas DUSOUCHET (Gaïa Paris), Laurent EL GHOZI (Élus, Santé publique et Territoires), Grégory EMERY (Espace éthique de l’Assistance Publique des Hôpitaux de Paris), Jeanne ETIEMBLE (Inserm), Françoise FACY (Inserm), Alexandre FARNAULT (Mairie de Paris), Patrick FAVREL (SOS Hépatites), Khady FLORENT (Crips Île-de-France), Géraldine FRANCK (SOS Drogue International), Cécile GOMIS (Inserm), Chantal GRELLIER (Inserm), Anne GUICHARD (Inpes), Marie-Emmanuelle GUILLAUME (Csapa/ACT – SOS Drogue International 75 « Confluences »), Aurélie HAAS (Aides), Sandrine HALFEN (ORS Île-de-France), Albert HERSZKOWICZ (Direction générale de la santé), Delphine JARRAUD (Anpaa), Marie JAUFFRET-ROUSTIDE (InVS), Aram KAVCIYAN (Centre Médical Marmottan), Martine LACOSTE (Association Clémence Isaure), Christine LARSEN (InVS), Lionel LAVIN (Direction générale de la santé), Gwenola LE NAOUR (Université Lyon 2), Marie-Christine LECOMTE (Inserm), Martine LEVINE (Mairie de Paris), Pierre LEYRIT (Coordination Toxicomanies), Sandra LOUIS (Csapa SOS Drogue International 75 « 110 Les Halles »), Damien LUCIDARME (Hôpital Saint-Philibert), Anne MIGNOT (Inserm), Hélène MORFINI (Direction générale de la santé), Bertrand NALPAS (Inserm), Fabrice OLIVET (Asud), Anne-Laure PELLIER (Inserm), Catherine PEQUART (Association Charonne), Fabrice PEREZ (Techno+), Philippe PERIN (Pistes), Grégory PFAU (Association Charonne), Pierre POLOMENI (Hôpital Jean Verdier), Isabelle PORTERET (ANRS), Pascale REDON (Direction générale de la santé), Brigitte REILLER (Anitea), Nathalie RICHARD (Afssaps), Aude SALAMON (Élus, Santé publique et Territoires), Barbara SCHUCH (Ined), Florence SEBAOUN (Csapa SOS Drogue International 75 « 110 Les Halles »), Laurence SIMMAT-DURAND (Inserm), Marie-Christine SIMON (ANRS), Michelle SIZORN (Sos Hépatites Paris), Olivier SMADJA (Inpes), Béatrice STAMBUL (AFR), Aurélien VITIELLO (Keep-Smiling), Dominique VUILLAUME (Inserm)
Étaient excusés : Patrick BEAUVERIE (Médecins du Monde), Patrizia CARRIERI (Inserm), Karlheinz CERNY (Espace du Possible, ADNSEA, Anitea), Patrice COUZIGOU (Hôpital Haut-Lévèque), Patrick DAIME (Anpaa), Françoise DUBOIS-ARBER (Institut Universitaire de Médecine Sociale et Préventive, Lausanne), Patrick GREGORY (Aides), Milie LE SAUX (Visa 94 Caarud), Nicole MAESTRACCI (Fnars, TGI de Melun), Laurent MICHEL (Hôpital Emile Roux), André-Jean REMY (Hôpital Saint-Jean)

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