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Med Sci (Paris). 2015 December; 31(12): 1072–1074.
Published online 2015 December 16. doi: 10.1051/medsci/20153112008.

Le polymorphisme génétique du CD36, un lipido-récepteur, est-il un facteur prédictif de l’obésité à l’âge adulte ?

Amira Sayed1 and Naim Akhtar Khan2*

1Département de biologie, université Frères Mentouri, 25000Constantine, Algérie;
2Inserm U866, équipe physiologie de la nutrition et toxicologie, université de Dijon, 6, boulevard Gabriel, 21000Dijon, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Adulte, Enfant, Humains, Obésité, Obésité pédiatrique, Polymorphisme de nucléotide simple, Pronostic, Goût, génétique

 

L’obésité est définie comme un excès de masse grasse. La fréquence du surpoids et de l’obésité augmente de façon très rapide, notamment chez les enfants, devenant ainsi un problème majeur de santé publique à l’échelle mondiale. La prévalence de l’obésité et du surpoids chez les enfants d’âge scolaire, en Angleterre, s’est stabilisée au cours des dernières années [1], alors qu’aux États-Unis, l’obésité infantile augmente de façon progressive [2].

L’obésité, survenue durant l’enfance, a souvent un retentissement délétère sur la santé à l’âge adulte. Des études épidémiologiques ont ainsi établi une surmortalité, chez l’adulte, de 50 à 80 % associée à l’obésité précoce [2]. Chez l’enfant obèse, différentes pathologies apparaissent à brève échéance : hyperinsulinémie, augmentation de la pression artérielle et anomalies des lipides sanguins, notamment hypertriglycéridémie et diminution du HDL (high density lipoprotein)-cholestérol, et retentissements sur le système respiratoire.

Perception gustative des lipides alimentaires via le CD36

Le CD36 est un récepteur membranaire exprimé par un grand nombre de cellules : les plaquettes, les macrophages, les monocytes matures, les cellules endothéliales microvasculaires, les cellules endothéliales mammaliennes, et les cellules érythroïdiennes en stade de développement [3]. Il possède un site de fixation pour différents ligands comme les acides gras, la thrombospondine-1, les LDL (low density lipoprotein) oxydés, les produits fortement glycosylés, le GHRH (growth hormore releasing hormone), ou les entérocytes infectés par Plasmodium falciparum. Kawai et Fushiki ont proposé qu’une lipase linguale libérait les acides gras alimentaires pour permettre leur détection par les cellules gustatives linguales [4]. Cette détection pourrait être médiée par le CD36. En effet, ce récepteur (aussi appelé fatty acid translocase, FAT ou FAT/CD36) a été localisé, par la technique d’immunohistochimie, au niveau de la partie apicale des cellules de papilles caliciformes de souris, suggérant ainsi qu’il pouvait être impliqué dans la détection orosensorielle des acides gras [5]. Le FAT/CD36 possède en effet une très forte affinité pour les acides gras à longue chaîne [6].

Attraction pour le corps gras et obésité

Il est communément admis que la contribution sensorielle qu’apportent les lipides aux aliments favorise la surconsommation de ces macronutriments. Drewnowski et al. [7] ont montré que les préférences sensorielles d’un individu pour les aliments sucrés et les lipides alimentaires sont significativement corrélées avec son statut pondéral et qu’elles peuvent affecter ses habitudes alimentaires. Les obèses présentent ainsi une plus grande préférence pour les acides gras par rapport aux individus normopondéraux [7]. Une préférence pour la matière grasse et sucrée, chez les adultes obèses, a également été suggérée par Bartoshuk et al. [8]. En ce qui concerne les enfants, une étude menée par Lanfer et al. dans huit pays européens, intégrant 1696 enfants âgés de 6 à 9 ans, a démontré que les préférences accrues pour les acides gras et les aliments sucrés peuvent influer sur le développement du surpoids et de l’obésité infantile [9]. En effet, la fréquence de la consommation des aliments riches en lipides est associée, chez ces enfants, à la préférence de ces aliments. Les filles présentent également une plus grande préférence pour la consommation des acides gras que les garçons. Ainsi, chez les enfants européens, les préférences gustatives du gras et du sucré sont liées au statut corporel malgré une hétérogénéité des cultures alimentaires [9].

Perception oro-sensorielledes lipides et obésité

Une caractéristique du système du goût est la grande variation interindividuelle de la sensibilité à des substances sapides1, et à des nutriments, probablement influencée par des facteurs génétiques et environnementaux. Les associations statistiques entre la sensibilité du goût, l’apport en acide gras, le goût des aliments riches en lipides, et la préférence pour ces aliments, ont un intérêt considérable, compte tenu de leurs implications dans l’obésité. Ainsi, une association statistique importante a été démontrée entre la sensibilité du goût aux acides gras, la consommation de graisses et la prédisposition à l’obésité chez les rongeurs [6]. Chez l’homme, Stewart et al. ont montré qu’il existait, chez les adultes obèses, une corrélation entre l’indice de masse corporelle (IMC) et des seuils élevés de détection des acides gras à longue chaîne [10].

Nous avons réalisé une étude transversale descriptive sur 116 enfants âgés de 7 à 8 ans scolarisés dans la région de Constantine en Algérie [11]. Le test orosensoriel à l’acide oléique (C18:1)2, a été réalisé à partir de préparations d’émulsions d’acide oléique comprenant plusieurs concentrations (entre 18 µmol/L et 12 mmol/L) selon la méthode du choix-forcé entre deux options (alternative-forced choice) décrite par Stewart et al. [10]. Dans cette étude, nous avons pu, pour la première fois, observer chez ces enfants une corrélation positive entre le seuil de détection à l’acide oléique et l’obésité. Il semble donc qu’un excès de consommation de lipides alimentaires par les enfants obèses serait lié à une plus faible sensibilité (c’est-à-dire des seuils de détection plus élevés) aux acides gras, ceci pouvant aggraver l’obésité. Une corrélation positive entre obésité et prise alimentaire de produits hautement caloriques a en effet été observée. La consommation de pâtes alimentaires, de chips, de chocolat, de pain, gaufrettes et bonbons est ainsi augmentée chez les enfants obèses par rapport aux enfants normopondéraux [11]. Nous avons également constaté l’existence d’une association entre la sensibilité du goût aux acides gras et la consommation de graisse, et ceci en corrélation avec le poids corporel [11].

Polymorphisme génétique du CD36 et obésité infantile

L’importance du gène CD36 dans l’attirance pour les corps gras a été montrée dans une étude récente permettant de relier le polymorphisme du gène (rs1761667)3 avec cette attraction et l’apport de lipides alimentaires [12]. En effet, Pepino et al. ont rapporté que chez les adultes obèses (dans une population afro-américaine), l’allèle A du variant rs1761667 du gène CD36 était associé à une diminution de la sensibilité orale à l’acide oléique [12]. Récemment, nous avons également montré une augmentation du seuil de détection de l’acide gras dans un groupe de femmes tunisiennes obèses porteuses du génotype AA du variant rs1761667 [13].

Jusqu’à présent, aucune étude de corrélation entre polymorphisme du gène CD36 et obésité chez l’enfant n’était disponible. Nous avons étudié, dans notre échantillon d’enfants, la corrélation entre le polymorphisme rs1761667 et le seuil de détection orosensorielle d’un acide gras, chez les enfants normopondéraux et chez les enfants obèses [11]. L’analyse de l’association du polymorphisme rs1761667 avec l’IMC et la sensibilité orale à l’acide oléique a montré une augmentation significative de la fréquence de l’allèle A chez les enfants obèses par rapport aux enfants normopondéraux. Aucune association statistique entre le seuil de détection orosensorielle à l’acide oléique et les différents génotypes (AA, AG, GG) du gène CD36 n’a été observée chez les enfants normopondéraux. Cependant, les enfants obèses présentant le génotype AA ont montré des seuils de détection à l’acide gras sensiblement plus élevés par rapport aux obèses portant le génotype GG.

Au regard de ces résultats se pose la question des enfants normopondéraux mais présentant un génotype AA. Ces enfants possèdent-ils une prédisposition pour l’obésité, qui pourrait se développer si leurs habitudes alimentaires favorisent les lipides ?

Une corrélation entre le polymorphisme de CD36 et les préférences alimentaires existe effectivement. Les enfants homozygotes pour l’allèle A (AA) sont ainsi nettement prédisposés à préférer les pâtes alimentaires, les chips, le chocolat et le pain. Nos résultats sont en accord avec ceux obtenus par Stewart et al. [10] montrant que les sujets hyposensibles aux acides gras consomment plus d’aliments énergétiques et de matières grasses, et ont un plus grand IMC comparés aux sujets hypersensibles aux acides gras [10]. De même, les personnes portant le génotype AA présentent une préférence accrue pour le gras par rapport aux personnes hétérozygotes AG [12, 13].

Conclusions

Notre étude suggère que les différences dans la détection orosensorielle des acides gras peuvent être le résultat du polymorphisme du CD36. Ces différences de sensibilité peuvent être à l’origine de la consommation excessive de lipides par les individus présentant un seuil de détection aux acides gras élevé, contribuant ainsi à l’augmentation du degré d’obésité (Figure 1). Notre étude ne se limite pas à la confirmation de seuils de détection des acides gras élevés chez les enfants obèses, mais ouvre également de nouvelles perspectives dans le domaine de l’interaction gène-goût du gras, chez les jeunes enfants. Il serait intéressant de savoir si d’autres modalités gustatives sont altérées chez les enfants obèses et si des enfants normopondéraux présentant le polymorphisme génétique de CD36, développeront une obésité s’ils conservent leurs habitudes et préférences alimentaires lipidiques. L’élucidation des mécanismes moléculaires impliquant le CD36 lingual dans la détection des lipides pourrait représenter une nouvelle approche dans la lutte contre l’obésité infantile associant de nouvelles stratégies nutritionnelles et/ou pharmacologiques afin de limiter la consommation des aliments riches en graisses.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Qui ont de la saveur.
2 Acide gras insaturé comportant 18 atomes de carbone (C18) et une liaison insaturée (:1).
3 CD36 présente un polymorphisme au niveau de son promoteur résultant de la variation G > A (rs1761667).
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