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Med Sci (Paris). 2015 December; 31(12): 1075–1077.
Published online 2015 December 16. doi: 10.1051/medsci/20153112009.

Enfermé dehors
Traitement de l’hépatite C chronique par un inhibiteur d’entrée

Laurent Mailly,1,2* Mirjam B. Zeisel,1,2 and Thomas F. Baumert1,2,3

1Inserm U1110, Institut de recherche sur les maladies virales et hépatiques, 3, rue Koeberlé, 67000Strasbourg, France
2Université de Strasbourg, rue Blaise Pascal, 67000Strasbourg, France
3Institut hospitalo-universitaire (IHU), Pôle hépato-digestif, Hôpitaux universitaire de Strasbourg, 67000Strasbourg, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Antiviraux, Claudine-1, Modèles animaux de maladie humaine, Hépatite C chronique, Humains, Pénétration virale, pharmacologie, usage thérapeutique, antagonistes et inhibiteurs, traitement médicamenteux, prévention et contrôle, effets des médicaments et substances chimiques

L’infection chronique par le virus de l’hépatite C : quelles options thérapeutiques ?

Le virus de l’hépatite C (VHC) est une cause majeure d’hépatite chronique, pouvant évoluer en cirrhose hépatique puis en carcinome hépatocellulaire [1]. Environ 170 millions de personnes sont porteuses de ce virus dans le monde et, pour l’heure, aucun vaccin n’est disponible. Plusieurs molécules ciblant directement le virus, appelées antiviraux à action directe, ont récemment été mises sur le marché. Ces antiviraux ont révolutionné la prise en charge des patients atteints d’hépatite C chronique, faisant passer le taux de guérison d’environ 50 % à environ 90 %. Néanmoins, le coût de ces traitements reste très élevé et ceux-ci ne sont accessibles qu’à une minorité de patients. De plus, ces traitements n’ont pas la même efficacité contre tous les génotypes de virus, ni chez tous les patients. Les patients avec les atteintes hépatiques les plus graves nécessitent en effet des traitements plus complexes et, pour certains, une transplantation hépatique. Cependant, le greffon est systématiquement réinfecté par le virus, entraînant une accélération du développement de la maladie hépatique. Le potentiel des antiviraux à action directe dans le traitement des patients infectés par le VHC avant/après la transplantation hépatique est actuellement en cours d’études cliniques1. De nouvelles options préventives et thérapeutiques sont également envisagées afin d’améliorer la prise en charge des patients et d’aboutir à une éradication de l’infection.

L’entrée du virus de l’hépatite C : un processus complexe

L’entrée du virus dans sa cellule hôte est une des étapes clé pour l’installation de l’infection mais également pour son maintien et pour la dissémination du virus. Cette étape cruciale fait intervenir plusieurs facteurs cellulaires dont les protéoglycanes à héparanes sulfates2, (HSPG), le récepteur des lipoprotéines de faible densité (LDL-R), le récepteur scavenger de classe B type I3, (SR-BI), les tétraspanines4, CD81 et CD63, le récepteur du facteur de croissance épidermique5, (EGFR), le récepteur de l’éphrine A26, (EphA2), le récepteur de la transferrine7, (TfR1), le facteur Niemann-Pick C1 like 18, (NPC1L1) et les protéines de jonctions serrées, occludine9, (OCLN) et claudine-110 (CLDN1) [2]. Ce mécanisme est progressif dans le temps et dans l’espace. En effet, le VHC circulant, associé à des lipoprotéines, interagirait en premier lieu avec les HSPG, puis le LDL-R et le SR-BI, ce qui permettrait de concentrer le virus à la surface de la cellule. S’en suivraient alors des mouvements de protéines à la surface cellulaire et une interaction directe, ou indirecte, du virus avec les autres facteurs, notamment le complexe CD81-CLDN1 indispensable à l’entrée virale [3]. L’association de ces deux facteurs serait contrôlée, lors de l’infection, par des enzymes intracellulaires activées par l’EGFR, notamment la petite protéine G H-Ras [4]. Le rôle des autres facteurs, tels que NPC1L1, TfR1 et OCLN, semble moins clair car aucune interaction directe du virus avec ces protéines à la surface cellulaire n’a été montrée à ce jour. Le mécanisme d’entrée complexe du VHC offre donc différentes cibles qui peuvent toutes devenir des options thérapeutiques prometteuses si tant est qu’il soit possible de les cibler spécifiquement.

Utilisation des inhibiteurs d’entrée pour la prévention de l’infection par le virus de l’hépatite C

L’entrée virale constitue la première étape du cycle viral et joue un rôle clé dans la pathogenèse de l’infection du greffon au cours de la transplantation hépatique. Des inhibiteurs d’entrée pourraient donc être particulièrement intéressants pour prévenir l’infection virale dans le cadre de la transplantation hépatique. Certaines études réalisées in vivo utilisant un modèle de souris chimériques au foie humanisé pouvant être infectées par le VHC, ont déjà montré la possibilité de prévenir ou de retarder l’infection en ciblant différents facteurs d’entrée par de petites molécules. L’inhibition de l’EGFR par l’erlotinib, une molécule approuvée pour le traitement du cancer du poumon, ralentit et diminue l’infection par le VHC dans ces souris [5]. De la même façon, l’inhibition du NPC1L1 par l’ézétimibe, une molécule utilisée pour le traitement de l’hypercholestérolémie, permet de prévenir l’infection dans certaines souris chimériques [6]. Ces études montrent le potentiel de réorientation de médicaments, déjà sur le marché et approuvés pour d’autres pathologies, pour la prise en charge de l’hépatite C. L’infection par le VHC peut également être prévenue in vivo, en ciblant le CD81 ou le SR-BI par l’intermédiaire d’anticorps monoclonaux [7, 8]. Il est à noter qu’il est possible d’inhiber l’infection en injectant un anticorps anti-SR-BI six heures après l’inoculation du virus [9], ce qui suggère que la fenêtre de temps pour l’administration d’un inhibiteur d’entrée, pour prévenir l’infection, n’est pas limitée à la période pré-infection. Les mécanismes de l’entrée virale jouant également un rôle dans le maintien de l’infection chronique par le VHC, l’utilisation d’inhibiteurs d’entrée pourrait s’avérer efficace pour éradiquer le virus après une infection déjà établie depuis plusieurs semaines. Aucune étude ne s’était intéressée à cette possibilité jusqu’à présent.

Claudine-1 : une cible pour la prévention et le traitement de l’infection par le virus de l’hépatite C

Notre laboratoire a produit et caractérisé différents anticorps monoclonaux dirigés contre la claudine-1 (CLDN1), et l’un d’entre eux, le clone OM-7D3-B3, s’est montré particulièrement efficace in vitro pour inhiber l’entrée du VHC [10]. Nous avons utilisé le modèle de souris chimériques afin de tester l’efficacité de cet anticorps anti-CLDN1 in vivo [11]. Contrairement aux études précédentes, nous avons évalué l’efficacité de l’anticorps à la fois dans la prévention de l’infection par le VHC et dans le traitement d’une infection persistante, en administrant l’anticorps avant, pendant ou après l’inoculation du virus. De manière intéressante, nous avons clairement démontré que cet anticorps pouvait non seulement prévenir, mais également traiter, une infection par le VHC in vivo. Des souris infectées depuis 4 à 8 semaines ont en effet vu leur charge virale chuter très rapidement, en 2 à 4 semaines, sous le seuil de quantification jusqu’à devenir indétectable. La guérison virologique, correspondant à l’élimination du virus de l’organisme, s’est montrée durable chez la grande majorité des souris jusqu’à au moins 12 semaines après le début du traitement, et ce, sans développement de résistance virale. De plus, différents tests in vivo, ex vivo et in vitro n’ont révélé aucun effet toxique de l’anticorps utilisé. Cette absence de toxicité est très probablement due au fait que l’anticorps ne se fixe pas sur la CLDN1 engagée dans la formation de jonctions serrées, mais plutôt sur la CLDN1 exprimée sur la membrane baso-latérale des hépatocytes. Des tests in vivo, ex vivo et in vitro montrent en effet que l’anticorps n’induit pas de rupture des jonctions serrées. Il n’interagirait donc pas avec les fonctions physiologiques de la CLDN1. D’un point de vue mécanistique, cet anticorps empêche l’association de la CLDN1 avec le CD81, étape cruciale pour l’entrée virale [3], et inhibe la transmission virale de cellule à cellule, et donc, la dissémination du virus. Il se montre également capable de contrecarrer l’activation de voies de signalisations intracellulaires qui interviennent lors de l’infection, notamment la phosphorylation des protéines ERK1/2 (extracellular signal-regulated protein kinases 1/2). In situ, l’anticorps conduit à l’éradication des cellules infectées. Le renouvellement des cellules non infectées et protégées de l’infection par l’anticorps, permet en effet un remplacement progressif des cellules infectées, celles-ci mourant vraisemblablement d’apoptose induite par le virus (Figure 1). Nous avons réalisé une modélisation mathématique de la diminution de la charge virale suite au traitement avec l’anticorps afin de tester l’hypothèse selon laquelle cet anticorps interfère uniquement avec l’étape d’entrée virale et non avec plusieurs étapes du cycle du virus incluant sa réplication. Nos résultats indiquent que chez les souris, la demi-vie des cellules infectées se situerait autour des 1,3 jours pour le VHC de génotype 2a et 5,4 jours pour le VHC de génotype 4, ce qui correspond à ce qui a été décrit chez des patients chroniquement infectés, validant ainsi l’utilisation du modèle murin pour ces expériences [12]. Cibler une molécule de l’hôte, en l’occurrence un facteur d’entrée indispensable à l’établissement et au maintien de l’infection, semble donc être une stratégie thérapeutique très prometteuse. Au cours de cette étude, l’anticorps a été administré en monothérapie. Les traitements actuels contre l’hépatite C requièrent, eux, une association de plusieurs molécules afin de minimiser les risques de résistance. De manière intéressante, nous avons montré in vitro que l’anticorps anti-CLDN1 pouvait être associé à des antiviraux à action directe, et ainsi potentialiser l’efficacité de ces antiviraux tout en permettant de diminuer les doses des différents composés afin d’en réduire les effets secondaires [13].

Les protéines de jonctions serrées : une cible antimicrobienne universelle ?

De nombreux agents pathogènes pénètrent dans leur cellule hôte via des protéines de jonctions serrées. Parmi ceux-ci, nous pouvons mentionner, par exemple, le virus de la dengue qui interagit également avec la CLDN1, certains adénovirus et coxsackievirus11, qui utilisent la molécule CAR (coxsackie and adenovirus receptor), les shigelles12, qui entrent dans la cellule hôte via la tricelluline13,, et le réovirus14 qui se fixe à la protéine JAM-A (junctional adhesion molecule-A) [14]. Ces protéines de jonctions serrées, agissant comme portes d’entrée universelles pour de nombreux microorganismes, représentent donc des cibles potentielles pour la prévention et le traitement de ces infections. La mise au point d’anticorps, ou de petites molécules, ciblant ces protéines cellulaires peut ainsi être envisagée comme une approche antimicrobienne pour un grand nombre de pathogènes. L’inhibition des mécanismes d’entrée dans la cellule hôte permet de fermer la porte aux pathogènes afin d’éviter une infection persistante et leur propagation illimitée. En combinaison avec d’autres approches thérapeutiques, cette stratégie peut notamment se montrer intéressante afin de faciliter l’éradication de pathogènes s’installant de façon chronique [13, 15].

Liens d’intérêt

L’Inserm, l’Université de Strasbourg et Genovac/Aldevron Freiburg ont déposé une demande de brevet pour l’anticorps monoclonal anti-claudine 1 pour l’inhibition de l’infection par le virus de l’hépatite C (US patent # 8518408; WO2010034812; PCT/EP2009/062449). T.F.B. a servi de conseiller scientifique pour Gilead, Biotest et Vironexx.

 
Footnotes
1 Plusieurs essais cliniques sont en cours et peuvent être retrouvés sur clinicaltrials.gov
2 Protéine de la matrice extracellulaire.
3 Récepteur reconnaissant notamment les lipoprotéines.
4 Protéines transmembranaires participant à la régulation de l’activité des cellules immunitaires.
5 Le facteur de croissance épidermique EGF est une hormone agissant dans de nombreux tissus (pas uniquement épidermique) impliquée dans le contrôle de l’expression génétique.
6 La voie de signalisation Eph/ephrin participe à de nombreux mécanismes embryonnaires mais aussi, à l’âge adulte, à l’angiogenèse, la différenciation cellulaire, et les interactions entre cellules.
7 La transferrine est une protéine sérique synthétisée par le foie et participant au transport du fer.
8 Facteur impliqué, au niveau des hépatocytes, dans la réabsorption du cholestérol.
9 Protéine transmembranaire impliquée dans la cohésion des jonctions serrées.
10 Protéine transmembranaire, élément principal des jonctions serrées.
11 Les virus à Coxsackie sont des virus non enveloppés à ARN simple brin. Ils sont responsables de nombreuses pathologies comme la maladie pieds-mains-bouche, l’hépatite, ou certaines méningites.
12 Bactéries du genre Shigella, pathogènes et spécifiques du tube digestif.
13 Protéine des jonctions serrées au niveau des contacts entre trois cellules.
14 Famille de virus à ARN à double brin, affectant particulièrement le système digestif ou le système respiratoire.
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