Logo of MSmédecine/sciences : m/s
Med Sci (Paris). 2016 January; 32(1): 7–8.
Published online 2016 February 5. doi: 10.1051/medsci/20163201001.

La recherche biomédicale pensée en français : Nouvelle année, nouveaux concepts

Hervé Chneiweiss1*

1Hervé Chneiweiss Rédacteur en chef de médecine/sciences Équipe plasticité gliale et tumeurs cérébrales Neuroscience Paris Seine-IBPS UMR8246 CNRS/U1130 Inserm/UMCR18 Université Pierre et Marie Curie7, quai Saint Bernard75005Paris, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Recherche biomédicale, Congrès comme sujet, France, Humains, Langage, Édition, organisation et administration, tendances, normes

 

Chers amis lectrices et lecteurs, s’il est bien une phrase que nous aurons entendue au nouvel an ce sera « Nous ne regretterons pas 2015 ». Ce fut pourtant pour notre revue l’année d’une belle célébration de son trentenaire avec, en mars, un colloque1 () animé et riche dont nous commençons à tirer les leçons grâce, notamment, à la nouvelle mission confiée à Laure Coulombel. Cette dernière, après dix années consacrées à la rédaction à laquelle elle a su apporter une empreinte indélébile, se préoccupe désormais d’ouvrir plus et mieux m/s vers les étudiants. Ce fut pourtant une belle année, avec l’arrivée d’une nouvelle équipe de rédaction, Thierry Jouault et Claire Wardak, motivée et pleine d’enthousiasme et d’idées nouvelles pour faire évoluer le site internet de la revue comme vous pourrez le découvrir au cours des mois à venir (www.medecinesciences.org) ou avec de nouvelles instructions aux auteurs soulignant l’intérêt d’un résumé graphique introduisant les synthèses et d’un court encart « Prise de distance » permettant de prendre un recul critique sur le thème abordé dans un article de synthèse, ou encore la possibilité de « feuilleter » les revues sur le site. Ce fut pourtant une belle année pour m/s, avec le grand prix du SPEPS (Syndicat de la Presse et de l’édition des professions de santé) attribué au magnifique Éditorial de Marie Gaille dans le numéro de janvier [1] (), qui inscrivait l’histoire de la pensée biomédicale comme une réponse en miroir à l’intolérance et à la haine qui furent les mobiles des crimes contre l’équipe de Charlie Hebdo, les clients de l’HyperCacher de Saint-Mandé et la policière municipale de Montrouge, avant que la même haine destructrice et meurtrière ne s’abatte le 13 novembre sur les centaines de morts et blessés anonymes (plus nombreux encore) de Paris et Saint-Denis, rendant ce texte d’une actualité quotidienne : à lire, relire et méditer en hommage aux victimes et au courage de tout ceux qui, par leur travail médical et scientifique, clinique et fondamental, œuvrent à ce que la lumière de la connaissance triomphe de l’obscurantisme du dogme.

(→) Voir m/s hors série n° 1, mars 2015, médecine/sciences a 30 ans

(→) Voir m/s n° 1, janvier 2015, page 7

Nous ouvrons ainsi 2016 avec une révolution conceptuelle, connexe à la croissance exponentielle de l’épigénétique, la DOHaD, acronyme un peu barbare regroupant les conséquences sur la santé, au cours de la vie, d’une exposition à un toxique ou un trauma (qu’il soit physiologique, psychologique ou même socio-économique) durant la vie fœtale. La première révolution conceptuelle au regard de la pratique habituelle de la biologie expérimentale concerne la longue durée pour observer les conséquences. Nous pourrions faire ici le parallèle avec ce que fut, en Histoire, l’école des Annales fondée en 1929 par Lucien Febvre et Marc Bloch. Ce groupe d’historiens allait bouleverser la manière de concevoir l’histoire, en l’inscrivant dans le temps long et dans un tissage des multiples activités humaines : sociales, économiques, politiques, culturelles… L’épigénétique en général et la DOHaD dans un domaine plus spécifique en font de même. La longue durée est une idée neuve pour le biologiste qui étudie souvent les choses de façon aiguë dans des temps de quelques minutes ou d’heures. Or, la DOHaD recherche des phénomènes susceptibles de durer tout au long de la vie, voire au-delà des générations. Cette notion de durée est essentielle pour les politiques de santé publique. Souvent, les situations sont évaluées sur le court terme - quelques heures, quelques jours. Dorénavant, il va falloir prévoir des évaluations sur des années, ce qui pose parallèlement la question des modèles utilisables pour de telles études. Les modèles animaux utilisés aujourd’hui sont souvent murins ; or la souris vit au maximum deux à trois ans. Il va donc falloir que les agences réglementaires s’adaptent et acceptent d’autres modèles plus proches de l’homme, afin de tenir compte des éléments relatifs à la biologie intégrative.

La notion holistique d’intégration me semble également constituer un aspect très important. Elle sous-entend l’existence d’interactions entre différentes parties et intègre aussi la dynamique de ce qu’il est maintenant convenu d’appeler l’exposome2 [2], récemment inscrit dans la loi française à l’article premier de la loi de modernisation de notre système de santé définitivement adopté par l’Assemblée nationale le 17 décembre 2015. Notre ami et collègue Robert Barouki est un des grands experts internationaux du domaine. Il coordonne un vaste réseau européen dédié à ces recherches et soulignait dans une audition publique récente : « Certes, l’exposome d’un cerveau n’est pas le même que celui d’un foie. Les exposomes de deux individus sont également différents l’un de l’autre. Cela touche aussi les populations, dans les domaines, par exemple, de l’exposition à des climats ou à des pollutions à grande échelle. Ce concept se situe donc à différents niveaux. Il appelle à tenir compte de l’ensemble des expositions (d’un organisme, d’une population) et à avoir une attitude de santé publique cohérente, guidée par une vision globale des problèmes. »

Cela signifie qu’il est nécessaire d’encourager la recherche sur ces nouveaux aspects de la biologie.

La DOHaD appelle donc à une prise en compte de la complexité et, du même coup, nous rappelle à la notion de prudence. Car la première évidence est notre ignorance… Nous commençons seulement à découvrir les conséquences à long terme d’un certain nombre de phénomènes et cela met également en lumière l’étendue de notre ignorance ; évidemment à la prudence, car nous sommes dans des modèles qui intègrent un bruit biologique important, d’où la nécessité d’un nombre d’animaux ou de modèles en qualité statistique suffisante et en reproductibilité d’un laboratoire à l’autre, pour pouvoir en tirer les conclusions nécessaires à la compréhension des phénomènes. Cela amène en outre à une prudence qui ne doit pas être l’abstention, mais doit nous inciter à faire preuve d’un recul critique sur des données qui peuvent parfois être enthousiasmantes, mais qui, en définitive, ne sont pas forcément validées. S’il est clair qu’existe chez les plantes une transmission générationnelle épigénétique, si nous disposons d’éléments forts pour penser qu’il en va de même chez le ver Caenorhabditis elegans, nous sommes, chez les mammifères, face à des résultats extrêmement fragiles, qui requièrent la plus grande prudence.

Mais la prudence réside aussi dans le fait qu’il existe, dans le domaine de l’épigénétique comme dans celui de l’environnement des marchands de doute. Suite à une action médiatisée de l’université du Colorado, nous avons découvert que certaines compagnies vendant du soda financent des groupes académiques pour mettre en doute, sur la base d’hypothèses scientifiques, des résultats obtenus avec robustesse et de façon reproductible sur les mécanismes à l’origine de l’obésité. La prudence nécessite ainsi, lorsqu’un doute raisonnable apparaît, des moyens et une mise en œuvre de mesures, comme cela est le cas pour le retrait des phtalates, ou une meilleure évaluation des conséquences de la stérilisation à l’oxyde de méthylène.

La DOHaD nous oblige, en fait, à penser comment être actif dans des politiques publiques. Une société n’est pas seulement une collection d’individus. Dans le sillage de la génétique, et donc de la particularité de chaque individu, il est apparu un risque de laisser l’individu seul responsable de ses décisions et seul face aux conséquences de variations génétiques innées. La prise en compte globale des questions de santé replace l’action collective et la solidarité au cœur d’une politique qui pourrait se déplacer du « tout curatif » vers une meilleure considération pour la prévention. Il faut mieux se nourrir et essayer de polluer moins, pour soi, comme pour son environnement, et pour la société. Les comportements individuels doivent aujourd’hui être resitués dans l’action collective.

Au plaisir de vous retrouver chaque mois dans nos colonnes et, au nom de la rédaction, de l’équipe d’édition et du comité éditorial, je vous souhaite une année 2016 en santé et illuminée par le succès de vos travaux.

Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Remarquablement organisé par Martine Krief, François Flori et l’équipe d’EDP Sciences, ainsi que par Suzy Mouchet pour l’Inserm.
2 L’exposome correspond à l’ensemble des expositions que subit un organisme à des facteurs environnementaux (donc non génétiques).
References
1.
Gaille M. L’histoire de la médecine : un outil pour penser le temps présent . Med Sci (Paris). 2015; ; 31 : :7.–8.
2.
Barouki R. Environnement et santé : la combinatoire des expositions . Questions de Santé Publique. 2014; n° :26..