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Med Sci (Paris). 2016 January; 32(1): 35–44.
Published online 2016 February 5. doi: 10.1051/medsci/20163201007.

Épigénétique et réponses transgénérationnelles aux impacts de l’environnement
Des faits aux lacunes

Claudine Junien,1* Polina Panchenko,1 Sara Fneich,1 Luciano Pirola,2 Sabrina Chriett,2 Valérie Amarger,3 Bertrand Kaeffer,3 Patricia Parnet,3 Jérome Torrisani,4 Francisco Bolaños Jimenez,3 Hélène Jammes,1 and Anne Gabory1

1Inra, UMR1198, biologie du développement et reproduction, Domaine de Vilvert, Bâtiment 230, F-78350Jouy-en-Josas, France
2Institut Carmen, Inserm U1060, Oullins, France
3Inra, UMR 1280, université de Nantes, Institut des maladies de l’appareil digestif, F-44000Nantes, France
4Inserm UMR1037, Centre de recherches en cancérologie de Toulouse, Université de Toulouse III Paul Sabatier, F-31037Toulouse, France
Corresponding author.
 

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Les théories de J.B. Lamarck revisitées à la lumière de l’épigénétique

Notre capacité à répondre aux différents défis et aléas de la vie, aux facteurs de stress et au risque de maladie, pendant l’enfance et au cours de la vie adulte dépend du capital santé et du capital humain [1] dont nous sommes dotés à la naissance [59] ().

(→) Voir la Synthèse de C. Junien et al., page 27 de ce numéro

Les notions selon lesquelles des mécanismes non génétiques et non culturels peuvent transmettre la mémoire des expositions à divers environnements et conditionner les réactions des générations suivantes, sont à la base du concept des origines développementales de la santé et des maladies (DOHaD) et suscitent un intérêt grandissant [2]. Elles remettent au goût du jour les propositions de J.B. Lamarck, longtemps décriées (voir Encadré). Les impacts environnementaux liés à l’alimentation, au stress, aux produits chimiques, ou à d’autres influences psychoaffectives, géographiques, politiques ou socio-économiques peuvent affecter trois générations, voire plus : la mère et le père (F0), leurs enfants (F1), et leurs petits enfants (F2), par des changements aux niveaux somatique et/ou germinal de la génération F1 (Figure 1) [59] ().

(→) Voir la Synthèse de C. Junien et al., page 27 de ce numéro

Le haut-relief placé à l’arrière du socle représente Jean-Baptiste Lamarck et sa fille Aménaïde Cornélie.On peut y lire : « La postérité vous admirera, elle vous vengera, mon père ».

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Le monument à Lamarck, érigé au Jardin des Plantes à Paris, a été réalisé par Léon Fagel en 1908.

Le biologiste/zoologiste et anatomiste français Jean-Baptiste Pierre Antoine de Mont, chevalier de Lamarck (1774-1829), a grandement contribué à la classification des formes de vie, en proposant quatre lois :

« Première loi : La vie par ses propres forces, tend continuellement à accroître le volume de tout corps qui la possède et à étendre les dimensions de ses parties jusqu’à un terme qu’elle amène elle-même.

Deuxième loi : La production d’un nouvel organe dans un corps animal résulte d’un nouveau besoin survenu qui continue de se faire sentir et d’un nouveau mouvement que ce besoin fait naître et entretient.

Troisième loi : Le développement des organes et leur force d’action sont constamment en évolution en raison de l’emploi de ces organes.

Quatrième loi : Tout ce qui a été acquis, tracé ou changé, dans l’organisation des individus, pendant le cours de leur vie, est conservé par la génération, et transmis aux nouveaux individus qui proviennent de ceux qui ont éprouvé ces changements ».

Les processus de transmission non génétiques ont souvent été qualifiés de Lamarckien puisqu’ils évoquent la possibilité d’hériter de caractères acquis de la (des) génération(s) précédente(s). Cependant les preuves de l’implication de processus épigénétiques pour rendre compte d’une évolution Lamarckienne sont encore ténues ou parcellaires.

Formulée il y a deux siècles, sa quatrième loi pourrait sembler en désaccord avec le fait, qu’après la fécondation, l’effacement intensif des marques épigénétiques portées par les gamètes, pour laisser place à la totipotence, ne devrait pas laisser passer d’information sur le vécu des parents, voire des ancêtres. Pourtant Lamarck partait de la notion qu’un changement de l’environnement provoque des changements dans les besoins des organismes vivants dans ce milieu, ce qui provoque à son tour des changements dans leur comportement. Cette modification du comportement entraîne une utilisation plus ou moins importante d’un organe donné et déterminerait, en conséquence, la taille de cet organe au fil du temps sur plusieurs générations, son augmentation ou sa disparition.

Les expériences auxquelles l’individu est exposé in utero et au cours des 2 premières années (concept des 1 000 jours) représentent un indéniable déterminant de son capital santé. Mais les phases qui précèdent la conception, à commencer par la gamétogenèse, en distinguant les effets sur les cellules germinales primordiales et les gamètes, sont également importantes et doivent être considérées.

Le principal défi est d’identifier les messagers de cette information environnementale qui peut être transférée d’une génération à l’autre. Les principales pistes convergent vers certaines régions de l’ADN (gènes, séquences répétées, etc.) dont les marques épigénétiques pourraient – au moins partiellement – échapper aux phases successives de reprogrammation. Une hypothèse, à valider, serait que ces régions pourraient véhiculer/porter des changements persistants de la conformation de la chromatine consécutifs aux impacts de l’environnement. Enfin, la méthylation de l’ADN et les modifications post-traductionnelles des histones ne représentent probablement pas à elles seules toutes les bases moléculaires des mécanismes épigénétiques. Le rôle des ARN non codants (petits et longs) s’affirme [2]. Par ailleurs, de nouveaux vecteurs (comme les exosomes, les prions, les métabolites, des pathogènes, des substances chimiques ou le microbiote maternel) pourraient être impliqués dans la transmission d’informations épigénétiques et non épigénétiques résultant des impacts de l’environnement [3].

Réponses transgénérationnelles à un conditionnement : cercle vicieux ou résilience ?

Le conditionnement qui apparaît sous l’influence de l’environnement au cours du développement, ou qui est hérité des parents, peut être considéré comme un « premier événement ». Souvent, il ne confère qu’un état latent, une sensibilité à un « second événement » révélée plus tard, du fait de l’accumulation des facteurs de risques environnementaux qui entraîne un changement de seuil. Ce conditionnement n’induit pas à proprement parler d’effets à long terme, mais tout ce qui conditionne la capacité de « réponse » (augmentée ou diminuée) des tissus/organes programmés, déterminant une vulnérabilité ou une résilience au développement de la maladie. Le tout dépendant également du fond génétique, tout au long de ces processus

La majorité des études phénotypiques se sont limitées à l’exploration du système perturbé par l’exposition parentale/ancestrale, comme le métabolisme pour les expositions nutritionnelles (), ou le comportement pour l’exposition au stress [58]. Pourtant, selon l’intensité et la durée de l’exposition mais aussi le(s) stade(s) de développement auxquels cette exposition a eu lieu, les perturbations peuvent affecter différents systèmes physiologiques, voire tous. Ainsi une exposition paternelle au stress a révélé non seulement des troubles du comportement, mais aussi des troubles métaboliques, chez les descendants [4]. Dans les modèles animaux, le phénotypage des descendants ne s’adresse généralement qu’aux effets délétères, ignorant ainsi la part non négligeable de sujets « résistants » mieux adaptés à l’environnement post-natal. De plus l’exposition des parents/grands-parents pourrait aussi contribuer à une meilleure capacité d’adaptation [5, 6]. Pourtant, des études sur la drosophile ou le ver Caenorabditis elegans montrent qu’il existe bien dans certains cas une capacité d’adaptation, une résilience. La programmation peut conférer à des réseaux de gènes une capacité à répondre plus rapidement à un défi de l’environnement [59] ().

(→) Voir la Synthèse de M. Rincel et al., page 93 de ce numéro

(→) Voir la Synthèse de C. Junien et al., page 27 de ce numéro

De manière inattendue, il est également possible de constater dans la descendance des réponses différentes de celles observées sur le parent exposé. Ainsi, dans la cohorte d’Overkalix1,, une malnutrition masculine chez le père, avant l’adolescence, se traduit par un risque plus faible de mortalité cardiovasculaire deux générations plus tard [5]. De plus, des environnements enrichis qui favorisent l’activité physique et cérébrale de l’animal, peuvent aussi induire des réponses transgénérationnelles favorables, qu’il s’agisse de performances meilleures, ou d’une réponse protectrice ou compensatrice dans le cas d’un conditionnement dans des situations défavorables [7]. Enfin, il ne faut pas non plus négliger les interactions sensorielles entre le père et la mère et entre les petits et leur mère [810]. Les réponses de la descendance peuvent donc être variées et différentes des effets de l’impact initial sur le parent, allant du cercle vicieux, ce qui a été le plus souvent décrit, à l’adaptation, qui ouvre d’autres voies, bien que souvent ignorées.

Dimorphisme sexuel de l’héritabilité non génétique

L’étude de la régulation et de l’expression des gènes, des marques épigénétiques et des enzymes qui les apposent (machinerie épigénétique) ou les enlèvent, des facteurs de transcription, ainsi que des complexes chromatiniens associés, a révélé, chez l’homme et dans les modèles animaux, l’existence de mécanismes d’adaptation à l’environnement différents chez la femelle et le mâle [1015]. Les effets/réponses à un conditionnement peuvent affecter la progéniture des deux sexes, ou de façon prédominante l’un des deux [6, 16, 17]. De plus, selon la nature, la fenêtre, et la durée d’exposition à un environnement, le sexe du parent transmetteur conditionne également la réponse à l’environnement de la progéniture. Après exposition à des toxiques, à l’alcool, à une sur- ou sous-nutrition, au cours d’une fenêtre développementale précise ou après sevrage, certaines caractéristiques phénotypiques peuvent être héritées via la voie paternelle seule, ou maternelle seule ou indifféremment via les deux [10, 18, 19]. Une bonne illustration de ces différences est apportée par la cohorte d’Overkalix. Les risques de maladie cardiovasculaire et de diabète, chez un homme ou chez une femme, dépendent de l’abondance ou de la restriction de nourriture avant la puberté chez les grands-parents, mais uniquement chez les grands-parents paternels [12]. L’information est transmise par la grand-mère paternelle à ses petites-filles, mais pas à ses petits-fils. Inversement, l’information transmise par le grand-père paternel affecte ses petits-fils, mais pas ses petites-filles. Des données analogues ont été observées chez les rongeurs. Dans le cas d’une consommation de noix de Betel (ou noix d’arec) par le père, on observe une intolérance au glucose chez les descendants mâles. Il en est de même dans le cas d’une sous-nutrition du père avant la gestation, où on observe également une intolérance au glucose à la fois chez le père et ses descendants mâles [10, 20]. Dans ce dernier cas, on constate dans les spermatozoïdes du père et de ses descendants mâles une altération de la méthylation dans la région 5’UTR du gène LXRA (liver X receptor alpha). On note également, chez des souris génétiquement identiques mais phénotypiquement variables sur le plan comportemental, une transmission par le père de ses caractéristiques comportementales à sa descendance femelle, mais pas à sa descendance mâle [21].

L’exposition à certains environnements nutritionnels, toxiques ou psychoaffectifs peut affecter la lignée germinale du père ou de la mère (ou des deux), l’ensemble de leurs tissus somatiques, ainsi que leur système reproductif, le milieu et le tractus génital, laissant envisager un dialogue complexe entre ces différents systèmes ou voies et permettant un éventuel transfert concerté par plusieurs de ces voies ou systèmes aux générations suivantes [9, 12, 13, 22] (Figure 1). En fonction du sexe, la lignée germinale et les gamètes montrent des différences génétiques (XX ou XY) ainsi que des différences ontogéniques, morphologiques et fonctionnelles. Ces dernières reposent sur une asymétrie épigénétique qui se prolonge même après la fécondation [23, 24]. À la conception, les gamètes délivrent le patrimoine génétique, l’ADN, pour former le génome de l’embryon, ainsi que des épigénomes et des ARN paternels et maternels différents, des protéines et des mitochondries uniquement maternelles. Donc, outre l’héritage génétique, ils apportent des informations supplémentaires – épigénétiques, protéiques, métaboliques – associées aux expositions antérieures des parents à des facteurs environnementaux, aux expériences, à l’état physiopathologique, à l’âge, à la classe sociale, à l’éducation, mais aussi au rang et au poids de naissance des petits [10, 25].

Si les transmissions maternelles ont été traditionnellement les plus étudiées, elles concernent surtout des réponses inter- ou multigénérationnelles, au cours de la gestation/lactation, sur le développement et la croissance de l’embryon/fœtus (Figure 2). De multiples conditions physiologiques maternelles, qui n’impliquent pas nécessairement la lignée germinale, ont été étudiées : troubles métaboliques, nutrition, exposition aux toxiques ou stress, ou le libre choix de s’accoupler avec des mâles attractifs [3, 2631]. Bien que des transmissions épigénétiques par la lignée maternelle aient été démontrées chez des rongeurs [3234], il est habituellement difficile de distinguer ce qui est hérité par la lignée germinale de ce qui est transmis au cours de la gestation. En revanche, les études sur les transmissions paternelles, bien que plus rares, ont permis d’aborder la question des mécanismes de passage de l’information par les spermatozoïdes, via des marques au niveau de l’épigénome, des ARN non codants, ou par le liquide séminal [9, 10, 12, 25]. Il est également possible que les phénotypes induits s’estompent au fil des générations (Figure 3).

Les différentes phases de reprogrammation et les entorses à l’effacement des marques

Deux phases principales de reprogrammation, en particulier d’effacement des marques parentales, ont surtout été étudiées : l’une se met en place dans le zygote, juste après la fécondation, et l’autre concerne la lignée germinale au moment de la migration des cellules primordiales germinales vers les crêtes génitales avant la différenciation sexuelle (Figure 4A) [35]. La reprogrammation des génomes parentaux chez le zygote a longtemps été considérée comme quasi complète. Cependant, les marques d’histones et de méthylation de l’ADN de certaines séquences d’ADN peuvent échapper à cet effacement [36]. Deux autres phases pourraient également être assimilées à un processus de reprogrammation. Ainsi, la compaction finale de la chromatine du spermatozoïde, liée au remplacement d’une large proportion d’histones par des protamines, pourrait constituer une troisième phase (Figure 4B) [37]. Enfin, à un stade plus tardif de la vie de l’individu, une quatrième phase de reprogrammation apparaît. Celle-ci concernerait les changements massifs, en particulier dans la réorganisation du cerveau et sa maturation, au moment de la puberté. Bien que cette dernière phase puisse être exposée à des facteurs environnementaux complètement différents de ceux qui agissent sur les trois premières phases, elle demeure une étape critique qui nécessite la mise en place de mécanismes complexes de maturation. Cette phase de reprogrammation commence seulement à faire l’objet d’études détaillées au niveau épigénomique (pour revue [38]).

La phase de reprogrammation après la fécondation, qui consiste en l’effacement des marques épigénétiques spécifiques portées par les gamètes parentaux, entraîne l’acquisition d’un épigénome totipotent, permettant au zygote et aux premiers blastomères de l’embryon de se différencier en n’importe quel type cellulaire. Certaines séquences, comme les gènes soumis à empreinte parentale, échappent à ce processus (Figure 4A). À la suite de la seconde phase de reprogrammation restreinte à la lignée germinale, la reméthylation de l’ADN qui a lieu après la détermination du sexe permet d’acquérir un programme d’expression de gènes très spécifique, y compris celle des gènes soumis à empreinte parentale, pour assurer la différenciation en gamètes (Figure 4A). En raison de l’asymétrie épigénétique des gamètes du père et de la mère, les marques sensibles et non effacées pourraient être différentes dans le zygote selon qu’il s’agit des chromosomes d’origine paternelle ou maternelle. Ceci pourrait conduire à des possibilités différentes de transmission entre les deux sexes [39] (Figure 4B).

Grâce à un effacement incomplet de quelques marques épigénétiques parentales – méthylation de l’ADN et marques des histones – et aux rôles joués par des modificateurs des marques, comme les systèmes polycomb et trithorax2,, la programmation et la transmission transgénérationnelle des impacts de l’environnement pourraient être assurées [36, 40]. Ces régions de l’ADN qui échappent à l’effacement représentent donc des candidats privilégiés pour véhiculer des informations induites par l’environnement. Pourraient-elles ensuite, en fonction du chromosome, et en particulier si l’Y et/ou l’X comprennent des régions de ce type, expliquer des différences d’atteinte de la progéniture selon son sexe ? La principale difficulté tient au fait que les mécanismes épigénétiques en jeu sont dynamiques et labiles face aux variations de l’environnement, et reposent sur de multiples voies partiellement redondantes, potentiellement synergiques, répressives et/ou activatrices, et dépendantes du contexte [41, 42]. Ceci implique que, si des impacts environnementaux ayant touché les parents plusieurs années avant la conception de l’enfant, affectent précisément ce type de régions réfractaires à l’effacement [3, 12, 13, 43], ils pourraient être à l’origine de réponses transgénérationnelles chez la descendance.

Cependant, pour des raisons probablement techniques, potentiellement liées à la composition en variants d’histone, les séquences en cause varient selon les études. Les nucléosomes retenus, où les histones ne sont pas remplacées par des protamines, peuvent être situés principalement au niveau de gènes critiques pour le développement précoce ou plus tardif [44], au niveau de séquences régulatrices, promoteurs, enhancers, etc., mais également au niveau de séquences répétées, pauvres en gènes [45]. Quoiqu’il en soit, ces séquences représentent des candidats potentiels pour l’hérédité épigénétique.

Ces mystérieux intermédiaires qui passent le relais de génération en génération

Au moment de la fécondation, chez l’humain comme chez la souris, le nombre de sites méthylés sur l’ADN est beaucoup plus important dans le spermatozoïde que dans l’ovocyte [46]. Une déméthylation étendue, mais spécifique de site, se produit dans le pronoyau mâle et dans le pronoyau femelle après la fécondation, selon des mécanismes actifs et passifs différents, en fonction de l’origine parentale du chromosome [46]. Il était communément admis que seuls les gènes soumis à empreinte parentale échappaient à ce processus de déméthylation. Mais une étude récente montre que, chez la souris, d’autres gènes sont aussi résistants [47]. Dans le modèle murin de sous-nutrition de la grand-mère (F0), on observe une perturbation du méthylome de l’ADN des spermatozoïdes du père (F1) au niveau de régions différentiellement méthylées (DMR, differentially methylated regions) ; ces altérations sont associées à des effets sur le métabolisme de sa descendance (F2) sans qu’il y ait de preuves quant à leur causalité [47]. De façon intéressante, 43 % des DMR hypométhylés en F1 persistent en F2 et ont ainsi le potentiel d’affecter le développement de cette génération. Les régions hypométhylées sont situées, en particulier, au niveau de gènes exprimés dans la lignée germinale, mais aussi de gènes de tissus somatiques. Pourtant, bien que cette méthylation différentielle soit perdue chez la F2 en fin de gestation, des différences importantes persistent dans l’expression des gènes impliqués dans le métabolisme et situés au voisinage de ces régions. Il est donc improbable que ces changements d’expression soient directement sous le contrôle de la méthylation de l’ADN [47]. Un processus analogue a été observé dans la descendance (F2) de souris femelles rendues obèses par un régime [48]. Ces exemples montrent que les altérations des profils épigénétiques observées tôt au cours du développement pourraient être relayées ensuite par d’autres types d’altérations sur d’autres entités. Ces dernières n’ont pas encore été identifiées. Dans le modèle de la résistance à l’addiction à la cocaïne, la même marque (acétylation de l’histone H3) au niveau du promoteur du même gène (Bdnf, brain derived neurotrophic factor) a pu être identifiée dans les spermatozoïdes du père et dans le cortex préfrontal de sa progéniture mâle résistante à l’addiction [49] ().

(→) Voir également la série Addictions, m/s 2015, vol. 31

L’acétylation des histones étant une marque associée à l’expression d’un gène, cette observation ne prouve pas qu’il s’agisse du mécanisme responsable du transfert de l’information. Les deux exemples ci-dessus n’excluent en aucun cas le rôle d’un processus épigénétique. Les marques épigénétiques pertinentes et/ou causales n’ont probablement pas encore été étudiées ou pas aux stades adéquats. Compte tenu des dialogues entre les marques, il serait étonnant qu’un seul type de marque soit en cause et que des processus surajoutés, autres qu’épigénétiques, ne puissent être impliqués. De telles associations sont-elles la cause ou une simple conséquence de la dynamique des marques ? Ainsi la question à résoudre demeure bien celle du véritable lien de causalité entre des marques épigénétiques et les phénotypes observés.

Les ARN non codants

Au cours de la fécondation, un spermatozoïde n’apporte pas seulement un génome haploïde paternel mais il libère aussi 24 000 ARN non codants (ncARN : siARN [short interfering], piARN [piwi interacting], miARN [micro]) dans l’ovocyte. Le rôle de ces ARNnc provenant du spermatozoïde, dans la transmission de caractères acquis, a été bien décrit chez le rongeur. En particulier, différentes études ont montré que la micro-injection d’ARN spermatiques d’animaux est responsable de la transmission des informations phénotypiques du père à la descendance, telles que des altérations métaboliques ou certains comportements [4, 26, 32, 34, 5052].

Un rapport récent suggère que des ARN isolés du sperme peuvent informer la progéniture d’une histoire de traumatisme précoce dans la vie du père (stress de la grand-mère paternelle), avec une persistance des effets/réponses à la troisième génération [4]. Mais à nouveau, l’absence d’altération épigénétique présumée causale suggère une transposition du marquage initial à d’autres marques ou complexes épigénétiques qui ont pris le relais. Il est ainsi possible que les modifications épigénétiques, présentes dans les cellules du sperme à la suite de l’exposition au stress maternel, soient transférées à d’autres marques, épigénétiques ou non, pour la maintenance et une transmission ultérieure [30, 53] (Figure 5).

Plus récemment, l’implication des ARNnc dans des effets/réponses transgénérationnels a été démontrée dans une espèce d’invertébré, Caenorhabditis elegans, dépourvue de méthylation de l’ADN [27]. L’exposition à des particules virales se traduit par l’apparition d’ARNnc dérivés du virus, qui inhibent, par interférence ARN, l’expression du génome viral sur plusieurs générations, conférant ainsi une « immunité » transmissible [54, 55]. Une privation de nourriture pendant le stade larvaire se traduit également par l’apparition de microARN (miARN) ciblant des transcrits impliqués dans la nutrition et entraînant une augmentation de la longévité à la troisième génération. Pour se prémunir contre toute éventualité, ces miARN ciblent également des gènes normalement éteints mais susceptibles de s’activer en réponse au stress [54].

Perspectives

Les influences des facteurs environnementaux sur les processus épigénétiques représentent une révolution dans le vaste monde de la transmission de l’information transgénérationnelle, mais des questions fondamentales demeurent : quelle est la véritable nature des impacts des facteurs environnementaux ? Quelle est la nature des cibles de ces facteurs (marques et/ou conformation) ? Vers quelles cibles l’information est-elle transférée ? Les mécanismes impliqués agissent-ils directement sur la cible ou par l’intermédiaire d’autres mécanismes connus et/ou encore inconnus ? Si les informations stockées persistent au fil des générations, quels en sont les mécanismes ? Quelles sont les fenêtres de sensibilité, d’insensibilité à ces facteurs ? Comment les différences liées au sexe des parents imposent-elles un dimorphisme sexuel sur la progéniture voire les générations suivantes [3, 12, 26, 29, 56] ?

L’implication de l’épigénétique dans les effets/réponses inter/transgénérationnels manque encore d’un modèle fédérateur [29]. Idéalement, avant de conclure à la nature épigénétique d’un effet transgénérationnel, et en raison de relations bidirectionnelles entre génétique et épigénétique, il faudrait vérifier, par séquençage, l’absence de nouvelles mutations dans la séquence de l’ADN. Une fécondation in vitro, un transfert d’embryon, et une adoption croisée à la naissance permettraient d’écarter d’autres hypothèses, comme le degré d’investissement maternel induit par le père. Ces expériences sont réalisables dans un modèle animal mais beaucoup plus difficiles chez l’humain. Les gènes, les séquences réfractaires à l’effacement qui échappent à la reprogrammation, et les mécanismes en jeu commencent à être identifiés et sont de bons candidats pour identifier les vecteurs qui transmettent l’information d’une génération à l’autre. Des études s’intéressant aux effets de l’environnement permettraient de savoir si ce sont ces séquences particulières qui portent la mémoire de ces effets, ou si d’autres séquences peuvent acquérir la même capacité à être réfractaire à l’effacement. En revanche, on ignore par quels processus, épigénétiques ou non, l’information se propage, ainsi que les mécanismes à l’origine des différences de transmission que l’on observe entre le père et la mère. Mais surtout, très peu d’études s’intéressent aux effets de l’environnement sur ces processus et à la compréhension de la transmission de la mémoire de ces événements ainsi qu’à l’identification des supports intermédiaires successifs.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Cohorte totalisant 320 individus nés en 1890, 1905 et 1920 dans la paroisse d’Overkalix, dans le nord de la Suède.
2 Ces complexes de protéines interviennent dans le maintien de l’expression des gènes. Certaines ont des activités enzymatiques modifiant les marques des histones.
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