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Med Sci (Paris). 2016 January; 32(1): 81–84.
Published online 2016 February 5. doi: 10.1051/medsci/20163201013.

Malnutrition périnatale et programmation métabolique
Le tissu adipeux en ligne de mire

Didier Vieau,1 Christine Laborie,1 Delphine Eberlé,1 Jean Lesage,1 and Christophe Breton1*

1UPRES EA 4489, Environnement Périnatal et Santé, équipe malnutrition maternelle et programmation des maladies métaboliques, Université de Lille, 59650Villeneuve d’Ascq, France
Corresponding author.
 

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Programmation du tissu adipeux : les principaux acteurs

Les changements de mode de vie, comme le suivi d’un régime obésogène et le manque d’activité physique, sont la principale cause de l’obésité mondiale et des pathologies qui y sont associées. Des études épidémiologiques ont initialement montré qu’un retard de croissance intra-utérin, conduisant à un petit poids de naissance, est associé à une prédisposition à l’adiposité à l’âge adulte [1]. Plus récemment, des données cliniques montrent une corrélation étroite entre, d’une part, l’obésité maternelle et/ou le diabète gestationnel (conduisant parfois à une macrosomie1), la surnutrition des nouveau-nés et une croissance post-natale accélérée et, d’autre part, un risque accru de la descendance à l’obésité. Cette empreinte nutritionnelle met en lumière le rôle clé de l’inadéquation entre l’environnement nutritionnel pré- et postnatal et la programmation de l’obésité [2]. De nombreuses études réalisées chez l’animal ont confirmé que le tissu adipeux est une cible privilégiée de la programmation résultant d’un déséquilibre nutritionnel périnatal.

Plusieurs types de tissu adipeux, qui ont des origines cellulaires différentes, coexistent chez les mammifères [13] (). Le tissu adipeux blanc participe au stockage de l’énergie sous forme de triglycérides. Lors d’un besoin énergétique, les triglycérides sont en effet hydrolysés par lipolyse, sous le contrôle du système nerveux sympathique (Figure 1). L’expansion du tissu adipeux blanc, pré-requis de l’obésité, dépend de deux mécanismes : (1) l’adipogenèse, un processus par lequel des préadipocytes se différencient, à partir de cellules souches, en adipocytes (prolifération ou hyperplasie), par activation de facteurs de transcription adipogéniques (C/EBPα, β, γ [CCAAT-enhancer-binding proteins alpha, beta, gamma], PPARγ [peroxisome proliferator-activated receptor gamma]) et d’enzymes lipogéniques (ACC [acétyl-CoA carboxylase], FAS [fatty acid synthase]) ; et (2) la lipogenèse, impliquant la synthèse de triglycérides dans des adipocytes préexistants (hypertrophie) (Figure 1). Les tissus adipeux brun et beige partagent des caractéristiques similaires mais ils sont spécialisés dans la dissipation de l’énergie par production de chaleur. En plus de son rôle dans la lipolyse et la thermogenèse, le système nerveux sympathique inhibe également la prolifération des préadipocytes.

(→) Voir la Nouvelle de A. Bouloumié et al., m/s n° 2, février 2009, page 123

La période de développement du tissu adipeux est différente selon les espèces. Chez les rongeurs, l’adipogenèse s’établit principalement pendant la lactation tandis que chez les mammifères supérieurs (ovins et primates), elle a lieu essentiellement avant la naissance. En dépit d’une différence des fenêtres de vulnérabilité et d’une grande variété des paradigmes nutritionnels périnataux, des mécanismes communs de programmation du tissu adipeux ont été décrits chez les mammifères [3].

La nutrition périnatale influence l’adiposité tout au long de la vie
Un statut nutritionnel et métabolique inadéquat de la mère promeut une expansion du tissu adipeux des descendants
Le fœtus/nouveau-né exposé à une malnutrition, une hyperglycémie et/ou une hyperinsulinémie (en cas de diabète gestationnel) périnatale présente une activation de l’adipogenèse et de la lipogenèse conduisant à l’hypertrophie de leurs adipocytes [4, 5]. Une surnutrition pendant la période de lactation (par modification de la composition ou de la quantité du lait) et/ou après le sevrage exacerbe l’adiposité à l’âge adulte, illustrant ainsi les effets délétères d’une croissance post-natale accélérée [6].
L’activité du système nerveux sympathique du tissu adipeux est programmée chez la descendance
Chez les rongeurs, la descendance de mères ayant subi une dénutrition périnatale présente un retard de différenciation des adipocytes du tissu adipeux blanc, favorisant l’apparition d’adipocytes beiges et promouvant possiblement la thermogenèse via l’activation du système nerveux sympathique [7]. À l’âge adulte, la réduction de l’activité du système nerveux sympathique, induite par un régime hypocalorique durant la gestation, serait à l’origine de l’accumulation du tissu adipeux blanc observée chez la descendance [8].
Le tissu adipeux de la descendance présente un état pro-inflammatoire
Chez les rongeurs et le mouton, la descendance ayant subi, durant la période périnatale, une malnutrition présente une augmentation de cytokines pro-inflammatoires (TNF-α [tumor necrosis factor], IL[interleukine]6) circulantes et dans le tissu adipeux blanc, due, en partie, à une infiltration accrue de macrophages dans ce tissu. Cet état pro-inflammatoire participerait à la mise en place d’une résistance à l’insuline avant même l’établissement d’une obésité avérée [6].
La sensibilité du tissu adipeux aux glucocorticoïdes est modifiée chez la descendance
Une activation de l’axe corticotrope qui se traduit par des taux circulants de glucocorticoïdes élevés, est notable chez la descendance de mères ayant subi une malnutrition périnatale. Une augmentation de la sensibilité du tissu adipeux blanc aux glucocorticoïdes, qui sont des facteurs adipogéniques liés aux réponses au stress, est également observée chez cette descendance, renforçant ainsi l’idée qu’une mauvaise adaptation au stress pourrait promouvoir l’obésité [6] (Figure 1).
Les mécanismes de programmation du tissu adipeux

Des études réalisées chez l’animal ont permis d’apporter quelques éléments de réponse à des questions portant sur les mécanismes de la programmation du tissu adipeux : Quels sont les mécanismes moléculaires et épigénétiques qui conduisent (1) à des répercussions métaboliques similaires, en dépit de paradigmes nutritionnels différents, voire opposés (dénutrition versus surnutrition) ; (2) à une sensibilité différentielle à la nutrition maternelle en fonction de la localisation des dépôts graisseux et du sexe de la descendance ; (3) à une héritabilité transgénérationnelle de l’adiposité [3] ?

Des concentrations périnatales inappropriées d’hormones prédisposent à l’obésité chez la descendance
Une exposition à une concentration inappropriée d’hormones telles que la leptine, l’insuline, ou des glucocorticoïdes, durant les fenêtres clés du développement, prédispose la descendance à l’obésité. En effet, outre leur rôle comme facteurs trophiques dans la mise en place des réseaux neuronaux hypothalamiques impliqués dans le contrôle de l’homéostasie énergétique (dont l’activité du système nerveux sympathique) (), ces hormones sont connues pour moduler directement l’adipogenèse et la lipogenèse au niveau adipocytaire [9] (Figure 1).

(→) Voir la Synthèse de P. Chavatte-Palmer et al., page 57 de ce numéro

Les déséquilibres nutritionnels périnataux programment l’expression du génome par des mécanismes épigénétiques
La descendance de mères qui ont été nourries avec un régime appauvri en protéines au cours de la période périnatale présente une hypométhylation du promoteur du gène codant la leptine [10] () et une augmentation du miARN-483-3-p qui module l’expression de la protéine GDF3 (growth differentiation factor 3) impliquée dans la différenciation des adipocytes [11]. Au contraire, la descendance de mères obèses présente, elle, une modification de l’activité transcriptionnelle de facteurs adipogéniques (C/EBPβ, PPARγ) et de la leptine, qui est associée à des changements du niveau de méthylation des îlots CpG2, de séquences régulant l’expression des gènes, et de marques d’histones pertinentes [6, 12].

(→) Voir la Synthèse de P. Chavatte-Palmer et al., page 57 de ce numéro

Conclusion

Bien que les mécanismes restent encore obscurs, l’empreinte nutritionnelle qui prédispose la descendance à l’obésité, semble perdurer à travers les générations suivantes. Un meilleur suivi de l’alimentation et de l’activité physique de la mère pendant la grossesse et durant l’allaitement pourrait en partie « déprogrammer » l’obésité chez ses descendants.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Poids de naissance d’un bébé à terme supérieur à 4 kg.
2 Parties d’un brin d’ADN dans lesquelles la concentration de dinucléotides cytosine-guanine est plus élevée, jouant un rôle dans la régulation de l’expression génétique.
References
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