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Med Sci (Paris). 2016 February; 32(2): 146–149.
Published online 2016 March 2. doi: 10.1051/medsci/20163202004.

Fragilité axonale lors de chocs traumatiques
Rôle des propriétés mécaniques des différents compartiments neuronaux

Thomas Grevesse,1 Joséphine Lantoine,1 Geoffrey Delhaye,1 Danahé Mohammed,1 Maryam Riaz,1 Marie Versaevel,1 and Sylvain Gabriele1*

1Mechanobiology and soft matter group, laboratoire interfaces et fluides complexes, instituts de biosciences et matériaux, CIRMAP, université de Mons, 20 place du Parc, B-7000Mons, Belgique
Corresponding author.

MeSH keywords: Axones, Commotion de l'encéphale, Compartimentation cellulaire, Noyau de la cellule, Microenvironnement cellulaire, Cytosquelette, Humains, Neurones, anatomopathologie, physiologie

 

Les lésions cérébrales représentent une des premières causes de mortalité chez les 15-25 ans, et une des premières causes d’invalidité avant 45 ans [1]. En Europe, l’incidence annuelle des traumatismes crâniens est évaluée à 235/100 000 habitants, associée à un taux de mortalité d’environ 22 % en cas de lésions cérébrales [2], faisant des lésions cérébrales traumatiques un problème majeur de santé publique. La plupart des traumatismes crâniens surviennent lors d’accidents de la voie publique mais également lors d’activités sportives, d’accidents domestiques ou dans certains cas de maltraitances infantiles. Les forces physiques mises en jeu entraînent la formation d’une « onde de choc » qui se propage de la boîte crânienne vers la profondeur du cerveau. À cette onde s’ajoute un effet d’inertie résultant de mouvements d’accélération et de décélération rapides de la tête (Figure 1). Ces contraintes mécaniques donnent lieu à d’importantes déformations des tissus du cerveau (étirement, compression et torsion) qui engendrent des lésions immédiates, appelées primaires, dont l’évolution va déterminer la possible apparition de lésions secondaires.

Les lésions axonales diffuses (en anglais, diffuse axonal injury ou DAI) sont des lésions primaires qui apparaissent dans près de la moitié des cas de traumatismes cérébraux et constituent la deuxième cause de décès par lésions cérébrales [3]. Elles apparaissent au niveau de la jonction entre les substances grise et blanche. La substance grise, qui est principalement répartie en périphérie de l’encéphale, est composée d’une accumulation de corps cellulaires de neurones et de cellules gliales. La substance blanche, elle, constitue la partie interne du cerveau et est constituée de faisceaux de fibres axonales entourées d’une gaine de myéline. L’analyse pathologique des lésions axonales diffuses révèle l’existence de dommages, microscopiques mais étendus, dans la matière blanche des hémisphères cérébraux. Ces observations suggèrent que les forces mises en jeu à l’occasion d’un trauma1 peuvent immédiatement étirer les axones, expliquant leur rupture puis leur rétraction. L’hypothèse selon laquelle les lésions axonales découlent uniquement d’une réponse primaire au trauma est cependant remise en cause. Des preuves expérimentales et cliniques indiquent en effet que la rupture axonale par étirement (appelée axotomie primaire) n’est pas le seul et dernier événement survenant suite au choc [4]. Les modifications initiales du cytosquelette peuvent entraîner un gonflement progressif de l’axone, en « collier de perles », qui entraîne sa rupture (axotomie secondaire) 12 à 72 heures après le trauma.

Dans ce contexte, la distinction des propriétés mécaniques des différents sous-compartiments d’un neurone (axone ou neurite vs soma ou corps cellulaire), est une information essentielle pour comprendre le comportement de la matière grise et de la matière blanche en réponse à un choc traumatique et identifier le mécanisme de développement des lésions axonales diffuses. Afin de répondre à cette question essentielle, il est tout d’abord nécessaire de développer des outils rhéologiques2 utilisables à l’échelle de la cellule unique et adaptés à la complexité morphologique d’un neurone. Il est ensuite nécessaire d’étudier l’organisation des filaments du cytosquelette au sein des différents compartiments d’un neurone.

Pinces magnétiques et impression microcontact

Dans l’étude que nous avons récemment publiée dans Scientific Reports [5], les propriétés rhéologiques des sous-compartiments de neurones corticaux primaires ont été obtenues en combinant (1) une méthode de caractérisation mécanique par pinces magnétiques [6, 7] et (2) une technique d’impression microcontact [8, 9] permettant de contrôler la morphologie cellulaire (Figure 1). L’impression microcontact utilise un tampon en élastomère structuré à l’échelle micrométrique pour déposer des motifs de protéine adhésive sur des substrats de culture. Nous avons utilisé cette technique pour fonctionnaliser3, des substrats de culture avec des lignes de laminine, une protéine abondante de la matrice extracellulaire du cerveau. Ces pistes de protéine, d’une largeur de 10 µm, ont été déposées sur des hydrogels mous [8] dont la faible rigidité reproduit celle des tissus du cerveau. Les neurones corticaux cultivés sur ces substrats de culture mous et fonctionnalisés ont adopté une morphologie bipolaire facilitant l’accès aux sous-compartiments cellulaires (soma et neurite). Des billes paramagnétiques de 5 µm de diamètre, fonctionnalisées à la fibronectine4,, ont ensuite été attachées à chaque sous-compartiment cellulaire afin de sonder leurs propriétés mécaniques. La couverture de fibronectine crée un lien adhésif spécifique entre la bille magnétique et le cytosquelette des neurones. Lors de l’application d’un champ électromagnétique à l’aide d’une pince magnétique (Figure 1), le cytosquelette des neurones est donc directement soumis à une déformation. À l’aide d’un microscope optique, il suffit alors de suivre la position de la bille au cours du temps qui décrit une courbe en loi de puissance [5]. Cette loi fait intervenir deux paramètres permettant de caractériser le milieu : un module élastique (E) et l’exposant de la loi de puissance (β) qui traduit le caractère viscoélastique en variant entre β=0 pour un solide élastique et β=1 pour un fluide visqueux.

Des sous-compartiments cellulaires aux propriétés mécaniques contrastées

Nos expériences de rhéologie cellulaire ont tout d’abord montré que les neurites (E = 7,0 ± 2,4 kPa) sont globalement sept fois plus rigides que le soma (E = 1,0 ± 0,4 kPa). De manière inattendue, ces différences de rigidité sont aussi associées avec des différences de propriétés rhéologiques qui peuvent s’avérer de prime abord contre-intuitives. En effet, les neurites, qui sont le compartiment cellulaire le plus rigide, ont un comportement de type fluide (β = 0,65 ± 0,15) tandis que le soma, plus mou, se comporte comme un solide élastique (β = 0,34 ± 0,15). Les différences rhéologiques entre ces deux sous-compartiments sont d’ailleurs renforcées en réponse à une contrainte mécanique plus importante, puisque le neurite devient alors plus fluide tandis que le soma se rigidifie. Un neurone est donc composé de deux sous-compartiments cellulaires aux propriétés mécaniques opposées qui vont réagir différemment lors d’un choc traumatique. Afin de mieux comprendre l’origine de ce comportement, il est nécessaire de prêter attention au rôle des filaments du cytosquelette.

Rôle du noyau et de l’organisation spatiale du cytosquelette

Le cytosquelette d’une cellule est un réseau filamenteux, composé d’un assemblage organisé de polymères biologiques, qui lui confère sa forme tridimensionnelle et ses propriétés mécaniques. Le soma et les neurites possèdent un cytosquelette hautement dynamique principalement constitué de neurofilaments et de microtubules et, dans une moindre mesure, de filaments d’actine. Nous avons utilisé des agents pharmacologiques pouvant inhiber de façon spécifique chaque filament du cytosquelette, ainsi que l’action des moteurs moléculaires associés aux microtubules (kinésine et dynéine) et aux microfilaments d’actine (myosine). De façon surprenante, ces inhibiteurs n’ont montré aucun effet significatif sur le comportement viscoélastique du soma (ou corps cellulaire). Ces observations s’expliquent par le fait que la composition interne du corps cellulaire repose largement sur le noyau. L’observation du noyau par microscopie à fluorescence, lors d’une déformation imposée par les pinces magnétiques sur le corps cellulaire, indique en effet une condensation importante de la chromatine [5, 6]. Par ailleurs, le corps cellulaire est caractérisé par un comportement viscoélastique similaire à celui d’un noyau isolé (β = 0,34 ± 0,07) [10, 11]. Ces résultats confirment le rôle prépondérant du noyau dans les propriétés mécaniques du soma et expliquent sa rigidification en réponse à une contrainte élevée.

Les mêmes inhibiteurs pharmacologiques provoquent en revanche des modifications importantes du comportement rhéologique des neurites (ou axones). Lorsque les microtubules sont dépolymérisés, les neurites adoptent un comportement de fluide visqueux plus prononcé, tandis que la désorganisation des neurofilaments conduit à un déplacement des propriétés rhéologiques vers un comportement de type solide élastique. Nos résultats permettent donc de montrer que les microtubules jouent le rôle de composante élastique, alors que les neurofilaments ont celui de composante visqueuse. Cette répartition des propriétés rhéologiques entre microtubules et neurofilaments est d’ailleurs en adéquation avec leurs propriétés intrinsèques. Les microtubules sont en effet caractérisés par une longueur de persistance5 importante d’environ 5,2 mm, ce qui les rend particulièrement rigides, tandis que celle des neurofilaments n’est que d’environ 150 nm. L’augmentation du comportement visqueux des neurites en réponse à des déformations importantes est directement liée à l’organisation spatiale des filaments du cytosquelette. En effet, microtubules et neurofilaments sont alignés suivant la direction de l’axe du neurite, ce qui conduit au glissement des neurofilaments sur les microtubules lors d’un choc mécanique et à la rupture de liens d’adhésion entre filaments (Figure 2).

Conclusion

En conclusion, la combinaison d’une technique de pinces magnétiques avec une méthode d’impression microcontact a permis de mettre en évidence des comportements mécaniques opposés des principaux sous-compartiments d’un neurone. Le corps cellulaire, qui est l’élément le plus mou, réagit comme un solide élastique qui se rigidifie en réponse aux contraintes externes. Ce comportement permet de transmettre une grande partie de l’énergie d’un choc mécanique vers les neurites afin de préserver l’intégrité du noyau et donc les propriétés fonctionnelles des neurones. Les neurites sont en revanche des éléments plus rigides au comportement de fluide visqueux. L’organisation spatiale du cytosquelette des neurites leur permet de dissiper l’énergie d’un choc mécanique par glissement des neurofilaments sur les microtubules, ce qui conduit à la formation de gonflements locaux de l’axone lors de lésions axonales diffuses. Il sera intéressant dans la suite de ce travail d’observer le lien entre les propriétés mécaniques et fonctionnelles de chaque sous-compartiment de neurones soumis à une déformation mécanique, à l’aide d’imagerie calcique et de mesures électrophysiologiques.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Lésion physique ou dommage psychique causé par un impact physique ou un choc émotionnel violent.
2 La rhéologie est l’étude de la déformation et de l’écoulement de la matière sous l’effet d’une contrainte.
3 La fonctionnalisation d’une surface a pour but de lui apporter des propriétés (bio)chimiques spécifiques, par exemple par ajout de molécules ou particules.
4 Glycoprotéine de la matrice extracellulaire jouant un rôle dans les phénomènes d’adhésion cellulaire.
5 Longueur moyenne sur laquelle la molécule maintient sa forme malgré une déformation.
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