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Med Sci (Paris). 2016 February; 32(2): 162–165.
Published online 2016 March 2. doi: 10.1051/medsci/20163202009.

Le canal Nav1.9
Protéine clé pour la perception du froid et cible thérapeutique potentielle contre la douleur

Stéphane Lolignier,1,2 Alain Eschalier,1,2,4 Caroline Bonnet,3 Patrick Delmas,3#* and Jérôme Busserolles1,2#**

1Clermont Université, université d’Auvergne, pharmacologie fondamentale et clinique de la douleur, 63000Clermont-Ferrand, France
2UMR Inserm 1107, Neuro-Dol, 63000Clermont-Ferrand, France
3Aix-Marseille-Université, CNRS, centre de recherche en neurobiologie et neurophysiologie de Marseille, UMR 7286, CS80011, boulevard Pierre Dramard, 13344Marseille Cedex 15France
4CHU de Clermont-Ferrand, service de pharmacologie, F-63003Clermont-Ferrand, France
Corresponding author.
#Ces auteurs ont participé également au travail.

MeSH keywords: Animaux, Basse température, Humains, Hyperalgésie, Souris, Canal sodique voltage-dépendant NAV1.9, Neurones, Douleur, Perception de la douleur, Thermoception, effets indésirables, génétique, physiopathologie, physiologie

 

La capacité des organismes à ressentir et intégrer les informations provenant de leur environnement est apparue très tôt dans l’évolution et a fait l’objet d’une sélection naturelle constante. Cela a permis l’émergence d’un système sensoriel dédié à la perception des stimulus potentiellement dangereux (nocifs) de par leur nature ou leur intensité. Ce système nociceptif, dédié à la perception de la nocivité, fait partie intégrante du système somatosensoriel et a pour rôle d’alerter l’individu en cas d’exposition à diverses agressions de nature thermique (températures extrêmes), mécanique (piqûre, pincement, écrasement, etc.) ou chimique (venins, irritants, inflammation, ischémie, etc.). Cette polymodalité du système nociceptif est rendue possible grâce à la diversité des nocicepteurs, les neurones sensoriels propres à ce système qui projettent leurs terminaisons au niveau de la peau et de certains organes internes. Cette diversité des nocicepteurs est directement liée à la variété des canaux transducteurs (protéines impliquées dans la transformation de l’information physique en un signal électro-chimique) que ces fibres nerveuses expriment à leur surface et qui permettent leur activation par une ou plusieurs modalités physico-chimiques.

Un pan entier du système somatosensoriel encore mal connu

Au même titre que l’excès de chaleur, l’organisme doit se protéger contre les températures froides extrêmes. Le système nociceptif peut ainsi être directement activé par le froid intense, à l’origine d’une sensation douloureuse souvent qualifiée de « morsure ». Notre connaissance des mécanismes de la douleur induite par le froid n’est aujourd’hui que partielle. Comme pour tout stimulus douloureux, la transduction du froid intense en message nerveux électrique se produit au niveau des terminaisons des nocicepteurs présents dans les tissus sensibles, comme la peau. Ces terminaisons sont riches en canaux transducteurs qui, une fois activés par le (ou les) stimulus pour lesquels ils sont spécialisés, vont s’ouvrir et générer un flux d’ions au travers de la membrane plasmique induisant un changement du potentiel membranaire du neurone. Cette dépolarisation, si elle est suffisante, va entraîner l’ouverture de canaux perméables au sodium et sensibles au voltage (les canaux Nav) et l’émission de potentiels d’action qui seront transmis jusqu’au cerveau après un relais dans la moelle épinière. La principale zone d’ombre dans notre connaissance de la sensibilité au froid se trouve au niveau de l’activation des canaux transducteurs, dont l’identité est encore méconnue, ainsi que dans la compréhension de l’intégration de l’information sensorielle sous forme de messages nerveux (code neuronal).

Deux canaux transducteurs du froid ont été identifiés. Le canal TRPM8 (transient receptor potential cation channel, subfamily M, member 8) contribue à la perception du froid non nocif, mais joue aussi un rôle dans la réponse au froid nocif [1]. Le canal TRPA1 (transient receptor potential cation channel, subfamily A, member 1) serait quant à lui spécifique du froid nocif [2, 3] () bien que son rôle dans ce processus fasse encore l’objet de controverses. La contribution à la sensibilité au froid modéré des canaux TREK1 (TWIK1 [potassium channel, subfamily K, member 1] – related K+ channel), TREK2 et TRAAK (TWIK-related arachidonic acid-stimulated K+ channel) a également été démontrée [4, 5]. Enfin, le canal Nav1.8, sensible au voltage et perméable aux ions sodium, serait également un acteur important de la sensibilité au froid nocif de par sa capacité à rester actif à basse température, ce qui permet aux nocicepteurs d’être fonctionnels à des températures auxquelles le système somesthésique1 non nociceptif est inhibé [6].

(→) Voir la Nouvelle de F. Rugiero, m/s n° 12, décembre 2010, page 1015

Le canal Nav1.9 : une nouvelle protéine impliquée dans la réponse douloureuse au froid

Le canal Nav1.9 est, lui aussi, un canal dépendant du voltage perméable aux ions sodium. Il a la particularité d’être exprimé spécifiquement par les nocicepteurs. Chez les rongeurs, des études ont montré qu’il contribuait à l’hypersensibilité douloureuse induite par l’inflammation [7, 8]. Aucun rôle du canal Nav1.9 n’a été décrit jusqu’à présent chez l’animal sain. Il était donc considéré que ce canal n’intervenait que pour sensibiliser les nocicepteurs dans un contexte inflammatoire. Dans une nouvelle étude, nous montrons pour la première fois un rôle physiologique du canal Nav1.9 [9]. Nous avons en effet fait le constat surprenant que des souris transgéniques exprimant une isoforme non fonctionnelle de la protéine Nav1.9 (souris Nav1.9-/-) présentaient un seuil de douleur en réponse au froid anormalement élevé. Différentes expériences visant à quantifier le comportement d’échappement au froid des souris ont en effet montré que les souris exprimant l’isoforme non fonctionnelle de Nav1.9 supportaient des températures plus froides que les souris non transgéniques (type sauvage). De même, l’altération de l’expression de Nav1.9 chez des rats par l’injection de brins d’ADN antisens réduit leur sensibilité au froid.

La fonction d’amplificateur électrique assurée par Nav1.9 est nécessaire au codage du message nerveux douloureux dans les neurones sensibles au froid

Afin de comprendre les mécanismes impliqués, des neurones sensoriels de souris sauvages et de souris Nav1.9-/- en culture ont été soumis à une baisse rapide de température. Dans ces conditions, l’activation des neurones sensibles au froid en réponse à ce stimulus est fortement diminuée dans les neurones Nav1.9-/-. Une des explications possibles de cette diminution était que la machinerie de transduction du froid (impliquant les canaux TRPM8, TRPA1, TREK1, TREK2, TRAAK, etc.) était défaillante chez les animaux Nav1.9-/-. Cependant, l’expression de ces canaux n’est pas modifiée chez ces souris, pas plus que la réponse des neurones sensoriels à l’activation pharmacologique directe de ces canaux (sans qu’il soit appliqué de modifications de la température), montrant que la fonctionnalité de ce système n’est pas perturbée dans les neurones Nav1.9-/-. De plus, en l’absence de sodium dans le milieu de culture, afin de supprimer la contribution des canaux Nav à l’activité électrique des neurones, l’activation enregistrée dans les neurones sauvages et Nav1.9-/- en réponse au froid n’est plus différente. La différence observée entre les souris n’implique donc pas les canaux transducteurs, mais bien le canal Nav1.9 situé en aval.

En condition normale, le courant produit par le canal Nav1.9 est de faible amplitude si on le compare aux autres canaux Nav. Ceci est très différent de ce qui est observé en contexte inflammatoire dans lequel le courant produit est fortement augmenté et se surajoute au courant généré par les canaux transducteurs [10]. Cette fonction d’amplificateur électrique est à l’origine du rôle que joue Nav1.9 dans la douleur inflammatoire. Nous avons donc émis l’hypothèse que, dans les neurones sensibles au froid, un phénomène similaire pouvait permettre à Nav1.9 de contribuer directement à la réponse au froid. C’est précisément ce que nous avons observé en comparant le courant produit par Nav1.9 dans les neurones sensibles au froid et les neurones sensibles au chaud (Figure 1). Ce courant, difficilement mesurable dans les neurones sensibles au chaud en raison de sa faible intensité, est en effet très fortement augmenté dans les neurones sensibles au froid. Les conséquences d’une telle augmentation du courant Nav1.9 dans les neurones sensibles au froid sur le codage du stimulus en potentiels d’action ont pu être observées. En effet, lorsque ces neurones sont exposés au froid, ils déchargent des potentiels d’action à une fréquence qui se trouve être bien plus élevée dans les neurones de souris sauvages que dans les neurones des souris Nav1.9-/-, beaucoup de ces derniers étant même incapables d’émettre un seul potentiel d’action sans cette amplification de signal induite par Nav1.9.

Cibler le canal Nav1.9 pour lutter contre l’hypersensibilité au froid ?

L’importance du canal Nav1.9 dans la sensibilité douloureuse au froid nous a conduits à examiner sa contribution dans l’hypersensibilité pathologique au froid et à envisager Nav1.9 comme une cible pharmacologique pour le traitement de ce type de douleur. Nous avons utilisé un modèle de neuropathie induite par chimiothérapie anticancéreuse à l’oxaliplatine. Cette molécule, largement utilisée pour le traitement du cancer colorectal, induit en effet une hypersensibilité au froid chez plus de 80 % des patients traités [11]. Les traitements disponibles sont peu efficaces pour traiter ces neuropathies qui altèrent la qualité de vie des patients et peuvent conduire à une réduction des doses de chimiothérapie, voire à l’arrêt du traitement, compromettant ainsi la survie des patients. Chez les rongeurs, l’oxaliplatine induit également une hypersensibilité au froid caractérisée par une allodynie2, et une hyperalgie3,. L’hyperalgie au froid, considérée comme une diminution des seuils de douleur en réponse au froid intense (en deçà de 10°C), est réduite chez les souris Nav1.9-/-(Figure 1). Plus remarquable encore, l’allodynie au froid, caractérisée par une douleur en réponse à un refroidissement léger (15 à 20°C), et observée chez les souris sauvages après injection d’oxaliplatine, est inexistante chez les souris Nav1.9-/-(Figure 1). Le canal Nav1.9 pourrait donc être une cible moléculaire intéressante pour le traitement de ces douleurs. Des bloqueurs du canal Nav1.9 commencent à émerger4. De telles molécules pourraient s’avérer efficaces contre la douleur inflammatoire, mais aussi, comme nous l’avons montré, pour lutter contre l’hypersensibilité au froid. Le ratio bénéfice/risque de tels bloqueurs serait potentiellement très bon puisque ce canal n’est exprimé que dans les nocicepteurs et a donc une action limitée à la perception de la douleur. La contribution à la douleur du canal Nav1.9 a enfin récemment été démontrée chez l’homme. Des mutations naturelles pour le gène codant ce canal ont été identifiées chez des patients pour lesquels la perception de la douleur est fortement perturbée, et dont certains présentent des crises de douleur aiguës déclenchées ou aggravées par l’exposition au froid [12, 13]. La recherche d’agents pharmacologiques ciblant le canal Nav1.9 paraît donc être une piste prometteuse pour le développement de nouveaux antalgiques.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Responsable de la sensibilité thermique et mécanique du corps.
2 Douleur déclenchée par un stimulus normalement non douloureux.
3 Douleur exacerbée en réponse à un stimulus normalement douloureux.
4 Amsalem M, Delmas P, Padilla F. Inhibitors of Nav1.9 channel activity and uses thereof for treating pain. Patent n°EP2769724 (2013); WO 2014/128240 (2014).
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