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Med Sci (Paris). 32(6-7): 574–578.
doi: 10.1051/medsci/20163206016.

La rapamycine ouvre l’ère des thérapies ciblées dans les malformations veineuses

Emmanuel Seront,1 Nisha Limaye,2 Laurence M. Boon,2,3 and Miikka Vikkula2,3*

1Institut Roi Albert II, département d’oncologie médicale, cliniques universitaires Saint Luc, université catholique de Louvain, Bruxelles, Belgique
2Génétique Moléculaire Humaine, institut de Duve, université catholique de Louvain, Bruxelles, DDUV, Avenue Hippocrate 75, 1200Woluwe-Saint-Lambert, Belgique
3Centre des anomalies vasculaires, division de chirurgie plastique, cliniques universitaires Saint-Luc, université catholique de Louvain, Bruxelles, Belgique
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Modèles animaux de maladie humaine, Cellules endothéliales de la veine ombilicale humaine, Humains, Souris, Thérapie moléculaire ciblée, Phosphatidylinositol 3-kinases, Protéines proto-oncogènes c-akt, Récepteur TIE-2, Transduction du signal, Sirolimus, Sérine-thréonine kinases TOR, Maladies vasculaires, Anomalies vasculaires, méthodes, tendances, métabolisme, antagonistes et inhibiteurs, physiologie, usage thérapeutique, thérapie

 

Les malformations veineuses (MV) sont des anomalies du développement veineux entraînant la formation de veines dysplasiques1, dont les parois sont déficientes en cellules musculaires lisses (appelées péricytes). Les veines apparaissant ectatiques2, et dysmorphiques3,, sont alors dysfonctionnelles. Bien que des formes familiales existent, les MV sont dans plus de 90 % des cas sporadiques. Localisées ou diffuses, superficielles ou profondes, les MV peuvent survenir dans n’importe quelle partie du corps (Figure 1). Elles sont en général présentes à la naissance et grandissent progressivement durant la croissance de l’individu. Ces malformations veineuses, de par leur localisation et la compression des organes, provoquent des problèmes esthétiques, des douleurs chroniques, des oedèmes ou des saignements, résultant en une morbidité et une mortalité importante. Les MV prédisposent également à une stase veineuse4, entraînant un haut risque embolique. De plus, la moitié des MV étendues présente des défauts de coagulation (coagulopathie intravasculaire localisée) expliquée par des phénomènes thrombotiques entraînant une consommation des facteurs de coagulation. Actuellement, la sclérothérapie5, associée ou non à la chirurgie, constitue le traitement standard contre les MV. Malheureusement, ces traitements restent le plus souvent non curatifs et ils ne sont pas dénués de toxicité ; beaucoup de MV sont inaccessibles et/ou persistent après traitement local. Il y a donc un besoin urgent de nouvelles stratégies thérapeutiques [1].

Implication du récepteur tyrosine kinase TIE2 et de la voie PI3K-Akt-mTOR dans les malformations veineuses

Le récepteur tyrosine kinase TIE2 (tunica interna endothelial cell kinase 2), situé à la surface des cellules endothéliales, ainsi qu’un de ses ligands, l’angiopoiétine-1 (Angpt1), sont des acteurs indispensables de la formation, de la maturation et de la stabilité vasculaire (Figure 2A). Des souris déficientes en TIE2 ou Angpt1 développent en effet un réseau vasculaire dysfonctionnel et dépourvu de péricytes [2]. Ce rôle du récepteur TIE2 impliquerait la voie PI3K-Akt-mTOR (phosphoinositide 3-kinase – protein kinase Bmammalian target of rapamycin), une cascade signalétique activée par différents récepteurs cellulaires, dont TIE2. Cette voie joue un rôle important dans la croissance et la prolifération des cellules. La protéine mTOR, au centre de cette cascade, existe sous la forme de deux complexes, le complexe 1 (mTORC1) et le complexe 2 (mTORC2). L’activation de TIE2 par son ligand entraîne, à la suite du recrutement de la sous-unité régulatrice p85 de la PI3K, l’activation de p110, sa sous-unité catalytique. PI3K induit alors, par l’intermédiaire de différentes protéines, la phosphorylation d’Akt (sur la thréonine en position 308, Thr308). Une seconde phosphorylation (sur la sérine en position 473, Ser473) induite par mTORC2, est nécessaire pour qu’Akt active différents facteurs de transcription comme FOXO1 (forkhead box protein O1) [3, 4].

Toute dérégulation du récepteur TIE2, ou de la voie PI3K-Akt, peut conduire au développement de malformations veineuses. Ainsi, les MV familiales, et plus de 60 % des formes sporadiques, présentent des mutations du gène TEK, codant le récepteur TIE2. Ces mutations se traduisent par une activation soutenue de TIE2 indépendamment de sa liaison à ses ligands. La mutation de TEK la plus fréquemment retrouvée dans les formes familiales est la substitution R849W6,, alors que dans les formes sporadiques, la mutation la plus fréquente (correspondant à 77 % des cas) est L914F7 [5]. In vitro, les mutations de TIE2, exprimées dans des cellules endothéliales (HUVEC, human umbilical vein endothelial cells), entraînent une activation accrue d’Akt et de STAT-18 (signal transducer and activator of transcription 1) et une diminution de la production de PDGF-B (platelet-derived growth factor subunit B), un facteur de croissance stimulant la maturation endothéliale par attrait des péricytes autour des cellules endothéliales [6].

Modèle animal de MV avec mutation de TIE2
Pour la première fois, un modèle murin de MV similaires à celles rencontrées chez les patients, a pu être développé. Ce modèle a permis de confirmer le rôle des mutations du gène codant TIE2 dans le développement des MV [7]. L’injection, dans des souris, de cellules HUVEC présentant un récepteur TIE2 muté (substitution L914F), en comparaison à des HUVEC portant un récepteur non muté (type sauvage, wild type [wt]), induit la formation de lésions vasculaires à croissance rapide et composées de veines ectatiques (> 50 μm de diamètre) et irrégulièrement couvertes de péricytes, à l’image des veines observées chez des patients atteints de MV. D’un point de vue fonctionnel, le débit sanguin dans ces lésions vasculaires reste très bas et non pulsatile comme pour les MV observées en clinique. Au niveau moléculaire, la mutation de TIE2 est associée à une augmentation importante de l’activité d’Akt, confirmant le rôle du récepteur dans la stimulation de l’axe PI3K-Akt (Figure 2B).
MV et mutation de PI3K
Un rôle des mutations de PI3K dans le développement des MV a également été mis en évidence chez l’homme [8]. En effet, une analyse moléculaire d’échantillons chirurgicaux provenant de 130 patients porteurs de MV localisées et uniques a permis de montrer qu’une mutation du gène PIK3CA, qui code le domaine catalytique de PI3K, est observée chez 20 % de ces patients. Cette mutation est également retrouvée dans de nombreux cancers et est à l’origine d’une activation excessive d’Akt. Contrairement aux MV secondaires aux mutations du gène TEK, la présence d’une mutation PIK3CA induirait plutôt des MV ne touchant pas la peau. In vitro, la transfection du gène PIK3CA muté dans des cellules HUVEC entraîne, par rapport à des HUVEC exprimant le gène sauvage, une activation importante d’Akt et un dysmorphisme endothélial, comme observé dans les cellules HUVEC présentant le gène TIE2 muté. L’inhibition spécifique de PI3K par un inhibiteur pharmacologique permet de réduire l’activité d’Akt et de restaurer la morphologie cellulaire.
La rapamycine comme traitement des malformations veineuses

La rapamycine, appelée aussi sirolimus, est une molécule connue depuis plusieurs décennies ; elle est extraite d’une algue récoltée sur l’île de Pâque (appelée aussi Rapa-Nui). Ses propriétés antimycotique, bactéricide, immunosuppressive et antiproliférative ont rapidement suscité l’intérêt des scientifiques. Il aura cependant fallu près de 20 ans pour identifier la cible de la rapamycine, la protéine mTOR [9] (), participant à la cascade signalétique PI3K-Akt-mTOR. La rapamycine agit en inhibant, de façon allostérique, la protéine mTOR. En déstabilisant le complexe mTORC2, elle l’empêche ainsi de phosphoryler Akt et donc de l’activer [10] (Figure 2B). En thérapeutique, la rapamycine est utilisée couramment en pratique clinique comme immunosuppresseur pour la prévention des rejets de greffe et comme agent anticancéreux.

(→) Voir la Synthèse de L.A. Julien et P.P. Roux, m/s n° 12, décembre 2010, page 1056

Effet de la rapamycine sur un modèle pré-clinique
Nous avons utilisé le modèle murin d’injection de cellules HUVEC porteuses d’un récepteur TIE2 muté afin d’évaluer l’efficacité de la rapamycine dans la prévention et le traitement des MV [7]. Après injection de ces cellules, les souris ont été traitées soit par la rapamycine, soit par un inhibiteur de l’activité tyrosine kinase de TIE2, soit par une solution contrôle. Seul le traitement par rapamycine a empêché de façon significative la croissance et la vascularisation des cellules implantées et ce, par un effet spécifique sur les cellules endothéliales exprimant un récepteur TIE2 muté, indépendemment d’un éventuel effet sur les cellules murines. Morphologiquement, la rapamycine entraîne une réduction significative du diamètre des vaisseaux et une augmentation du nombre de péricytes. En plus de son effet sur la prévention du développement des MV, la rapamycine s’est également montrée efficace dans le traitement de MV bien établies chez la souris, en stoppant la progression de ces lésions [7].
Effet de la rapamycine chez des patients humains
Les résultats pré-cliniques obtenus chez la souris avec la rapamycine ont encouragé l’évaluation de cette molécule chez quelques patients porteurs de MV. Six patients atteints de MV réfractaires aux traitements standards et très symptomatiques (présentant des douleurs, un déficit fonctionnel, des saignements, des infections récurrentes, un œdème, etc.) ont été traités par une prise orale quotidienne de rapamycine (2 mg par jour) en continu. Trois de ces patients étaient porteurs d’une mutation touchant le gène TEK, les trois autres présentaient une mutation du gène PIK3CA. Tous ces patients ont ressenti, dans le mois suivant le début du traitement, une diminution significative de la douleur et une amélioration de la qualité de vie (diminution des saignements et des œdèmes et amélioration fonctionnelle) (Tableau I). Les paramètres biologiques de coagulation (évalués par dosage des D-dimères9,) se sont rapidement améliorés et les images radiologiques ont montré une diminution du volume des MV à 1 an. Le traitement s’est montré de manière générale très bien toléré ; les effets secondaires les plus fréquents ont été des céphalées, des éruptions cutanées (rash), des aphtes et une diarrhée, mais tous de sévérité légère à modérée et tous réversibles par traitements symptomatiques. Un patient a cependant présenté, après un an, un carcinome basocellulaire, possiblement favorisé par l’effet immunosuppresseur de la rapamycine. Un autre patient a présenté une mucite10, sévère ayant nécessité un arrêt du traitement [7].

La rapamycine pourrait donc aujourd’hui constituer le premier traitement pharmacologique des MV réfractaires aux traitements standards. Faisant suite aux résultats cliniques encourageants que nous avons obtenus avec notre petit nombre de patients, une étude clinique de phase 3 multicentrique (NCT02638389) est actuellement en cours afin de confirmer l’efficacité de la rapamycine, ainsi que de s’assurer de sa bonne tolérance et de son innocuité à long terme. Cette étude permettra également de mieux préciser la place de la rapamycine dans la stratégie thérapeutique et d’identifier d’éventuelles caractéristiques cliniques et moléculaires prédictives d’une réponse thérapeutique. La rapamycine ouvre donc la voie au développement de nouvelles thérapies ciblées dans le domaine des MV. D’autres molécules interférant avec la voie PI3K-Akt-mTOR, comme des inhibiteurs spécifiques de PI3K ou d’Akt, pourraient également être investiguées à court terme afin de mieux cibler l’anomalie responsable des MV et de limiter les effets secondaires.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Déformées ou malformées.
2 Dilatées.
3 Présentant une anomalie de leur forme.
4 Stagnation du sang au niveau d’une veine.
5 La sclérothérapie est un traitement non invasif consistant en l’injection d’un produit qui va détruire la veine.
6 Substitution d’un tryptophane par une arginine en position 849.
7 Substitution d’une phénylalanine par une leucine en position 914.
8 Facteur de transcription stimulé par l’interféron.
9 Produits de la dégradation de la fibrine, une protéine impliquée dans la coagulation. Leur présence dans le sang peut être le signe de la formation d’un caillot sanguin.
10 Inflammation des muqueuses.
References
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