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Med Sci (Paris). 32(6-7): 646–647.
doi: 10.1051/medsci/20163206030.

Une université idéale ? Histoire de l’université de Strasbourg de 1919 à 1939
Françoise Olivier-Utard

Jacques Haiech1*

1MR7200, Laboratoire d’innovations thérapeutiques Faculté de pharmacie, ULP, 74, route du Rhin67401Illkirch, France
Corresponding author.

MeSH keywords: Bases de données bibliographiques, France, Histoire du 19ème siècle, Histoire du 20ème siècle, Humains, Services d'information, Recherche, Universités, histoire, normes, organisation et administration

 

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Alors que les universités françaises se structurent en, d’une part, excellentes et, d’autre part, les autres, alors que nous essayons de comprendre la logique de ce maelstrom de réformes, le livre de Françoise Olivier-Utard, Une université idéale ? Histoire de l’université de Strasbourg de 1919 à 1939 [1], vient nous éclairer.

Tout historien nous serine à raison « On ne comprend le présent qu’en se remémorant le passé ».

Cet ouvrage ne nous apporte pas une pensée clé en main explicitant la complexité de notre système d’enseignement supérieur et de recherche à partir de l’histoire de l’université de Strasbourg de 1919 à 1939. Cela aurait été trop facile. À l’inverse, l’auteure a collecté un ensemble impressionnant de données sur la création d’une université française à Strasbourg qui succédait à la prestigieuse université allemande établie en 1870. Cet ensemble de données nous permet d’analyser de manière factuelle les problèmes de l’époque qui résonnent étonnamment avec nos questionnements actuels.

Le retour de l’Alsace dans le giron national, impliquait que l’université française de Strasbourg devait être une vitrine montrant que la France pouvait créer des universités plus prestigieuses que les universités allemandes, en particulier la Kaiser Wilhelms Universitat de Strasbourg qui la précédait.

Plus qu’une université idéale, il fallait construire une université d’excellence capable d’attirer les meilleurs étudiants. L’université de Strasbourg ouvre en 1919 avec 1 000 étudiants et se stabilisera ensuite à 3 000 étudiants dont 1 000 étudiants étrangers. Plus important encore, l’université s’ouvre aux jeunes filles dont le pourcentage dans l’effectif étudiant, passera de 8 % en 1919 pour atteindre rapidement 25-27 %.

Souvenons-nous qu’à cette époque, une université est un club de facultés, chacune étant autonome. Napoléon avait établi, en 18081, une université unique qui chapeautait l’ensemble des facultés de toute la France. Aujourd’hui, une telle université, au sens napoléonien, serait sans conteste dans le top 5 du classement de Shangai.

C’est en 1896 que l’on a la deuxième loi sur les universités qui sont toujours des clubs de facultés d’une même ville. L’université, telle qu’on la connait aujourd’hui, sera établie par la loi Edgar Faure de 19682, et modifiée par la loi Savary en 19843,. Le pouvoir passe alors des facultés à l’université. La mise en place d’une gouvernance pyramidale est initiée. La loi relative aux libertés et responsabilités des universités, dite loi Pécresse (en 2007)4, puis la loi relative à l’enseignement supérieur et à la recherche, dite loi Fiorasso (en 2013), en donnant l’autonomie et le passage aux responsabilités et compétences élargies, coupent le lien établi par Napoléon entre les facultés et l’État.

La création de l’université de Strasbourg en 1919 permit aussi d’expérimenter des questions qui restent encore aujourd’hui d’actualité :

1. La carte de formation : elle fut construite autour de diplômes nationaux ce qui garantissait un niveau de qualité, en particulier pour la formation des professeurs du secondaire, et des diplômes d’université qui avaient pour objectif de répondre aux demandes des étudiants étrangers.

2. L’organisation de la recherche : fallait-il des instituts d’université, c’est-à-dire dépendants du recteur et indépendants des facultés, ou bien des instituts intégrés dans les facultés et, de ce fait, marqués par la discipline (sciences, lettres) ou par la profession (médecine, pharmacie, droit) ? On choisira d’intégrer les instituts dans les facultés, ce qui anticipera les unités de formation et de recherche (UFR). Dans la majorité des autres universités françaises, on aura des instituts d’université qui seront regroupés dans le CNRS à la sortie de la deuxième guerre mondiale.

3. L’interaction avec les écoles d’ingénieurs : les écoles d’ingénieurs furent intégrées à l’université et on offrit aux ingénieurs la possibilité de préparer des thèses. Cette approche permettait de remédier à l’opposition, traditionnelle en France, entre grandes écoles et universités. En germe, on avait le concept d’université technologique, que l’Allemagne n’avait pas réussi à mettre en place.

On voit bien que la gouvernance s’organise autour des trois missions de l’université, la formation, adossée sur une recherche intégrée, et la professionnalisation s’appuyant sur des écoles professionnelles et des écoles d’ingénieurs.

Pour réussir à créer cette université hors norme, le budget se doit d’être conséquent. À sa création, le budget de la seule université de Strasbourg sera égal au budget de l’ensemble des autres universités. Un IDEX (initiatives d’excellence) avant l’heure… Il sera rapidement ramené à la normale sans être compensé par des ressources propres ou un mécénat important.

D’autres données permettent de comprendre les relations entre réseaux de sociabilité des universitaires et interdisciplinarité. L’université de Strasbourg est aussi hors norme dans sa relation avec la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État. C’est une université qui comprend une faculté de théologie catholique et une faculté de théologie protestante. Françoise Olivier-Utard décrypte cette exception à la laïcité et éclaire le débat actuel.

Dans une deuxième partie de son ouvrage, l’auteure nous conte l’histoire des facultés constituant l’université (les facultés de Théologie catholique et de Théologie protestante, la faculté de Droit, la faculté de Médecine, la faculté des Sciences, la faculté des Lettres, la faculté de Pharmacie). En 1919, il n’existait pas de faculté de Pharmacie, ni dans les universités allemandes, ni dans les universités françaises. On avait une formation professionnelle dispensée dans des écoles supérieures en France. La faculté de Pharmacie de Strasbourg imposa, dès sa création par le décret du 14 mai 1920, une forte place à la chimie tant dans son enseignement que dans sa recherche.

La faculté de Médecine dans son organisation fut aussi particulièrement novatrice. Sous l’impulsion de son premier doyen et créateur, Georges Weiss, elle intégra recherche, enseignement et clinique dans un même lieu et une même gouvernance.

Le livre se termine par un index bibliographique des universitaires où l’on rencontre au fil des pages les noms que l’on retrouve au frontispice de nombreux amphithéâtres de nos universités (Eugéne Bataillon et Charles Flahault à Montpellier, Henri Cartan à Orsay, etc.) ou comme hommes politiques et résistants (Marc Bloch, Fred Vlès, Robert Waitz, etc.).

En annexe, comme un vieil album de famille que l’on aime à feuilleter, un ensemble d’illustrations nous ramène un siècle en arrière.

Est-ce que l’histoire des universités se répète ? Ce sera au lecteur de le décider en cheminant dans ce morceau d’histoire de l’université de Strasbourg.

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Liens d’intérêt

L’auteur déclare n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Le 10 mai 1806 est créée l’Université impériale. Les décrets d’application seront inscrits en mars 1808.
2 La loi d’orientation de l’enseignement supérieur du 12 novembre 1968, dite loi Edgar Faure, crée « les établissements publics à caractère scientifique et culturel » (EPSC). Les anciennes facultés disparaissent et sont remplacées par des unités d’enseignement et de recherche (UER)
3 La loi dite loi Savary, regroupe universités et grandes écoles dans un même texte. Elle confirme le statut d’établissement public, désormais établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (EPSCP). Les universités regroupent diverses composantes : des instituts ou écoles, des unités de formation et de recherche (UFR), des départements, laboratoires et centres de recherche.
4 La loi LRU (libertés et responsabilités des universités) prévoit que toutes les universités accèdent à l’autonomie dans les domaines budgétaire et de gestion. La loi Fiorasso affinera la loi LRU sans en changer les grandes lignes.
References
1.
Olivier-Utard F. Une université idéale ? Histoire de l’Université de Strasbourg de 1919 à 1939 . Strasbourg: : Presses universitaires de Strasbourg; , 2016 : :548. p.