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Med Sci (Paris). 32(10): 800–802.
doi: 10.1051/medsci/20163210003.

Déficits intrinsèques des cellules satellites dans la dystrophie musculaire de Duchenne

Caroline E. Brun1,2 and Nicolas A. Dumont3,4*

1Sprott center for stem cell research, Institut de recherche de l’hôpital d’Ottawa, Ottawa, ON, Canada
2Université d’Ottawa, Ottawa, ON, Canada
3Centre de recherche du centre hospitalier universitaire Ste-Justine, Montréal, Québec, Canada
4École de réadaptation, faculté de médecine, Université de Montréal, 7077 avenue du Parc, H3N 1X7 Montréal, Québec, Canada
Corresponding author.

MeSH keywords: Animaux, Dystroglycanes, Dystrophine, Humains, Muscles squelettiques, Myopathie de Duchenne, Mutation, Régénération, Cellules satellites du muscle squelettique, génétique, physiologie, physiopathologie, thérapie

Les cellules satellites dans la dystrophie musculaire de Duchenne

Le muscle squelettique possède une capacité régénérative exceptionnelle lui permettant de restaurer son intégrité et ses fonctions suite à une blessure massive, en quelques semaines seulement [1]. Cette capacité est attribuable aux cellules souches musculaires adultes appelées cellules satellites. Dans le muscle sain, ces cellules sont quiescentes. Cependant, suite à un traumatisme, elles s’activent et prolifèrent rapidement, produisant ainsi un grand nombre de cellules musculaires différenciées, ou myoblastes, qui régénèreront les fibres musculaires endommagées [2].

La dystrophie musculaire de Duchenne (DMD) est une maladie dégénérative létale caractérisée par une faiblesse musculaire progressive et irréversible, et causée par une mutation dans le gène de la dystrophine, localisé sur le chromosome X. Ce gène code la protéine dystrophine, une grande protéine dont la région N-terminale se lie aux filaments d’actine et la région C-terminale au complexe dystroglycane à la membrane cellulaire. Grâce à sa structure, la dystrophine permet le maintien de l’architecture et de l’intégrité des fibres musculaires. L’absence de dystrophine dans les fibres musculaires de patients DMD entraîne consécutivement la nécrose primaire des fibres, suivie de l’infiltration chronique de cellules inflammatoires et de l’accumulation de fibrose et de tissu adipeux intramusculaire [3] ().

(→) Voir la Synthèse de S. Dufresne et al., m/s n° 6-7, juin-juillet 2016, page 591

Les patients DMD présentent donc une dégénérescence des fibres musculaires et une fonte musculaire malgré la présence des cellules satellites au sein du tissu musculaire.

Toutefois, les raisons pour lesquelles les cellules satellites ne parviennent pas à régénérer efficacement le tissu musculaire demeurent incertaines. Comme les cellules satellites sont constamment sollicitées dans les muscles dystrophiques, il a été suggéré que l’épuisement de la réserve de ces cellules, causé par le raccourcissement de leurs télomères, était la cause de la perte de la capacité régénérative [4]. Néanmoins, des études chez l’homme et la souris ont démontré que le nombre de cellules satellites dans les muscles dystrophiques est élevé, et ce, même dans les stades avancés de la maladie [5, 6].

Rôle du complexe dystroglycane dans les cellules satellites

Si, jusqu’à récemment, l’expression de la dystrophine et des protéines du complexe dystroglycane (DGC) était restreinte aux fibres musculaires, l’analyse par puce à ADN a révélé que les cellules satellites expriment également la plupart des composants du DGC [7, 8]. Les cellules satellites expriment ainsi la protéine dystroglycane (Dag1) qui joue un rôle clé dans leur bon fonctionnement [9]. En effet, sa délétion spécifique uniquement dans les fibres musculaires entraîne une dégénérescence musculaire moindre que celle observée suite à sa délétion généralisée dans les fibres musculaires et les cellules satellites [9]. La glycosylation de Dag1 par deux glycosyltransférases, fukutine et LARGE (like-glycosyltransferase), est également essentielle pour permettre l’interaction du DGC avec la matrice extracellulaire [10]. Là encore, la délétion spécifique de la fukutine uniquement dans les fibres musculaires entraîne une dégénérescence musculaire moins importante que sa délétion dans les progéniteurs myogéniques [10]. Enfin, les cellules satellites déficientes pour LARGE présentent une capacité proliférative diminuée [11]. Ces résultats soulignent l’importance des protéines du DGC pour la fonction des cellules satellites et suggèrent que l’incapacité des cellules satellites à régénérer les muscles dystrophiques est due à des déficits cellulaires intrinsèques.

Dans une récente étude, nous avons démontré que les cellules satellites sont intrinsèquement déficientes dans la DMD [7]. L’immunomarquage de cellules satellites murines, isolées de muscles sains en régénération ou de fibres musculaires cultivées ex vivo, a révélé que la dystrophine est exprimée dans une fraction de cellules satellites 24 à 36 heures suivant leur activation (c’est-à-dire leur sortie de l’état de quiescence). De plus, nous avons montré que la dystrophine se lie à la protéine Mark2 (microtubule affinity regulating kinase 2), un acteur important pour l’établissement de la polarité cellulaire. Le complexe dystrophine-Mark2 interagit avec un autre acteur de la polarité, la protéine Pard3 (partitioning defective 3 homolog). Cette interaction induit une distribution polarisée de Mark2 et Pard3 à des pôles cellulaires opposés, aboutissant à une division cellulaire asymétrique (Figure 1). La division asymétrique est une caractéristique propre aux cellules souches leur permettant de générer deux cellules filles différentes. Dans le cas des cellules satellites, une cellule fille se différencie en myoblaste nécessaire à la régénération des fibres musculaires, alors que l’autre cellule fille demeure indifférenciée pour maintenir la réserve de cellules satellites.

Les cellules satellites des souris mdx (modèle murin de la DMD) présentent une expression diminuée de Mark2 et un dérèglement de la polarité cellulaire [7]. Par conséquent, le nombre de divisions asymétriques des cellules satellites mdx est considérablement réduit, alors que le nombre de divisions symétriques (génération de deux cellules filles indifférenciées) n’est pas affecté (Figure 1). Ceci aboutit à la réduction du nombre de myoblastes et au maintien d’un grand nombre de cellules satellites indifférenciées. Nos résultats apportent ainsi un nouvel éclairage sur les déficits intrinsèques des cellules satellites qui expliqueraient leur incapacité à régénérer adéquatement les muscles des patients DMD.

Potentiel thérapeutique

Si ces résultats nous indiquent que la DMD est une maladie plus complexe qu’anticipée, ils ouvrent également la voie à de nouvelles stratégies thérapeutiques. En effet, le développement de traitements pharmaceutiques ou génétiques visant à corriger spécifiquement les défauts intrinsèques des cellules satellites permettrait d’améliorer considérablement la fonction musculaire des patients DMD [12]. Dernièrement, il a été démontré que la surexpression de Jagged1, un régulateur de la voie de signalisation Notch [13] () améliore le phénotype musculaire de chiens dystrophiques [14]. Cet effet serait partiellement dû à l’augmentation de la prolifération des cellules satellites et de leur potentiel myogénique [14]. Certains inhibiteurs de voies signalétiques améliorent également la capacité régénérative des muscles de souris mdx. Par exemple, l’inhibition de la voie Jak2/Stat3 (Janus kinase 2 / signal transducer and activator of transcription 3) favorise la prolifération des cellules satellites de souris mdx et augmente le calibre de leurs fibres musculaires [15].

(→) Voir la Synthèse de A. Mayeuf et F. Relaix, m/s n° 5, mai 2011, page 521

Réintégrer la dystrophine dans les cellules satellites des muscles DMD pour rétablir leur capacité de division asymétrique est également une thérapie génique envisagée. Ce rétablissement permettrait d’une part de générer des myoblastes différenciés qui restaureraient l’expression de la dystrophine au sein des fibres musculaires avec lesquelles ils fusionnent et, d’autre part, d’augmenter l’efficacité à long terme du traitement en corrigeant la capacité d’auto-renouvellement des cellules satellites. Bien que la transduction d’un gène dans les cellules satellites reste un véritable défi technique, des résultats encourageants ont montré que la transduction d’un gène de micro-dystrophine dans une petite fraction de cellules satellites suffit pour maintenir son expression à long terme [16].

En somme, toutes ces études confirment l’importance des différents composants du DGC pour la fonction des cellules satellites. Bien que des travaux supplémentaires soient nécessaires pour déterminer si ces observations obtenues chez la souris sont transposables chez l’homme, ces résultats suggèrent qu’une solution thérapeutique complète devrait inclure le traitement des défauts intrinsèques des cellules satellites.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

Caroline E. Brun détient une bourse post-doctorale du « Ontario Institute for Regenerative Medicine » (OIRM).

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