III - Examens de santé et perspectives

2009


ANALYSE

8-

Examens à 9-12 mois : état des lieux et perspectives

Carnet de santé

Au cours de la première année de l’enfant, trois examens sont détaillés dans le carnet de santé (en plus de l’examen du nouveau-né en maternité).
L’examen au cours du 2e mois est un examen individualisé dans le nouveau carnet de santé. Il permet d’aborder avec les parents les nombreuses questions qu’ils peuvent se poser à ce moment (ex : l’allaitement et en particulier l’allaitement au sein pour les mères qui reprennent le travail, le sommeil, le développement du bébé…), il correspond au début des vaccinations, il est l’occasion de dépister chez la mère les dépressions du post-partum (à distinguer du « baby blues » de survenue plus précoce et dont les symptômes disparaissent rapidement) et les troubles précoces de la relation entre la mère et l’enfant. Le bilan comporte également un examen clinique de l’enfant, un examen ophtalmologique et la recherche d’une déficience auditive.
L’examen au cours du 4e mois reprend pour l’essentiel les items du carnet de santé précédent, mais détaille les aspects sensoriels et relationnels (réagit quand on lui tend les bras, tourne la tête quand on l’appelle, vocalise, rit aux éclats…), et l’analyse du développement neurologique moteur (bouge vigoureusement les 4 membres de manière symétrique).
Au 9e mois, il est rappelé que l’enfant : « tient bien assis, aime à jeter ses jouets pour que vous les ramassiez, commence à faire les marionnettes, au revoir avec la main ou le bras ». Lors du bilan, l’examen clinique lui-même a été peu modifié (visuel et auditif). On recherche les risques de saturnisme.
Au plan du développement, le bilan porte sur les aspects moteurs (motricité des 4 membres, se déplace, saisit un objet avec participation du pouce), sur les aspects liés à la communication (réagit à son prénom, répète une syllabe, pointe du doigt, joue à « coucou, le voilà »).
Avant la fin de la première année, la question d’un dépistage du rétinoblastome et de déficits visuels par la mesure de la réfraction est discutée ci-dessous.

Question du dépistage de troubles visuels au cours de la première année

Les déficits visuels du jeune enfant posent en France un véritable problème de santé publique : en effet, un grand nombre d’entre eux ne sont pas détectés du fait de la latence d’apparition des troubles et de la discrétion de la symptomatologie, du manque de techniques de dépistage et de moyens médicaux humains, et de l’absence de sensibilisation du public et des acteurs professionnels.
Les déficits visuels affectent un pourcentage de la population qui varie de façon inverse de leur gravité. Les études nationales et internationales indiquent que près de 6 % de la population des enfants est affectée par un déficit visuel qui ne peut être compensé par le port de lunettes ou lentilles de contact. Il s’agit le plus souvent d’une amblyopie, c’est-à-dire une acuité visuelle nettement inférieure à la norme affectant un œil ou les deux. Les déficits sévères sont observés chez 0,5 à 1 % de la population.
La non-reconnaissance ou la négligence d’un trouble visuel précoce peut perturber le développement psychomoteur et le bon enchaînement des acquisitions, avec pour conséquence des difficultés ultérieures dans les apprentissages scolaires.
L’existence d’une période critique du développement visuel, se situant dans les tout premiers mois de la vie, plaide en faveur d’une intervention précoce sur les déficits visuels du jeune enfant, en termes de dépistage et de traitement. Dans la plupart des cas, il s’agit de dépister des situations à risque d’amblyopie accessibles à un traitement. D’autres pathologies oculaires existent, pour lesquelles le traitement mis en place ne vise pas tant à s’opposer à l’installation d’une amblyopie qu’à lutter contre une infection ou sauvegarder le pronostic vital. Enfin, quelques situations entraînant un déficit visuel sont encore aujourd’hui inaccessibles à un traitement, mais nécessitent toutefois une prise en charge précoce afin de faciliter le développement de l’enfant avec son handicap.
Les études convergent largement sur les troubles visuels qui doivent faire l’objet d’un dépistage selon les âges. Il s’agit pour les pathologies sévères de :
• la rétinopathie du prématuré, restreinte par définition à une fraction de la population ;
• la cataracte congénitale ;
• le glaucome congénital ;
• le rétinoblastome ;
• les malformations du globe oculaire ou des paupières.
Et pour les pathologies moins sévères mais beaucoup plus fréquentes, il s’agit de l’amblyopie et du strabisme.
Enfin, les enfants qui présentent un signe d’appel doivent impérativement faire l’objet d’un examen. Il s’agit selon l’âge d’absence de regard ou de poursuite visuelle, de nystagmus, de leucocorie (blancheur dans la pupille), de strabisme, plus tard (4 mois) de torticolis, de retard de la préhension des objets.
Le pédiatre comme le médecin généraliste en charge de la santé de l’enfant peuvent facilement réaliser un premier dépistage à la recherche d’un déséquilibre oculomoteur apparent (strabisme ou nystagmus) ou d’une anomalie organique (cataracte, rétinoblastome, opacité cornéenne…), à l’aide d’une simple source lumineuse (lampe de poche, ophtalmoscope). L’examen doit être complété par la recherche de troubles de la réfraction (hypermétropie, myopie, astigmatisme), d’autres anomalies organiques (rétinopathies) et de certains strabismes (microstrabismes, strabismes latents…).
Ce devoir d’examen commence au gré des visites à 2 mois et doit avoir été fait au 4e mois : recherche d’opacité, de strabisme, absence de regard, présence de nystagmus, de prise d’objet avec la main. En cas de doute, le médecin doit en référer à l’ophtalmologiste ou à l’orthoptiste. En effet, la précocité de l’intervention thérapeutique est cruciale.

Question du dépistage du rétinoblastome

Favoriser un repérage précoce du rétinoblastome est un objectif majeur compte tenu du pronostic vital qui y est associé. Les pouvoirs publics doivent être sensibles à l’enjeu économique d’une prise en charge précoce de la maladie et à l’intérêt des campagnes de dépistage. Actuellement, encore trop d’enfants sont énucléés ou deviennent déficients visuels, en raison d’un diagnostic tardif. Ils doivent, de fait, supporter des traitements souvent très lourds préjudiciables à un bon pronostic visuel.
Une des priorités est d’améliorer l’information des professionnels de santé (généralistes ; pédiatres, ophtalmologistes…) en les alertant sur les signes cliniques du rétinoblastome. Les deux symptômes bien connus de la maladie sont le reflet blanchâtre dans la pupille ou leucocorie et la persistance d’un strabisme.
Le rétinoblastome doit être dépisté dès la naissance, en maternité, lors d’un premier examen systématique puis à deux mois (les signes n’étant pas toujours visibles à la naissance) et lors des visites systématiques (4 mois, 9 mois…). Il est important de dépister la présence d’une leucocorie en utilisant un otoscope ou toute source de lumière à faisceau étroit.

Sensibilisations et actions pour un dépistage précoce

Les signes cliniques (notamment le « reflet blanc ») portés sur le nouveau carnet de santé de l’enfant marquent un progrès encourageant dans la prise en compte de la gravité de la maladie par le ministère de la Santé.
Du fait de la rareté de la maladie et d’une formation peu axée sur les maladies rares, beaucoup de médecins de ville n’ont jamais vu un cas de rétinoblastome et ne savent pas toujours reconnaître les signes précurseurs de la maladie.
À l’initiative de Rétinostop et de l’Institut Curie, une sensibilisation du corps médical, a été lancée sous la forme d’un communiqué diffusé dans la presse médicale (2005), mettant l’accent sur la nécessité d’un dépistage précoce du rétinoblastome et sur les signes d’appel. Un CD-Rom sur le rétinoblastome est également distribué à tous les médecins qui en font la demande et aux organismes de santé pour être projeté lors des rencontres régulières de médecins (PMI, hôpitaux…).

Importance de l’écoute des familles dans la détection du rétinoblastome

Il est souvent constaté que la première « alerte » vient des familles qui décèlent une anomalie chez leur enfant et prennent contact avec le médecin. En effet, certains parents ont parfois remarqué un reflet blanchâtre dans l’œil de l’enfant sur une photo prise au flash ou lors de certains éclairages. Il est réellement important que les médecins soient davantage à l’écoute des familles et prennent en compte leurs remarques, afin qu’un diagnostic précoce puisse être porté. L’information des familles sur les signes cliniques visibles est donc primordiale. À l’initiative de Rétinostop et avec l’aide de médecins, un livret d’information sur le rétinoblastome, à destination des familles, a été crée en 2004.

Prise en charge

La précocité du diagnostic conditionne la mise en œuvre de traitements conservateurs et diminue la proportion d’enfants énucléés ou/et gardant un handicap visuel sévère. Tout dépistage de rétinoblastome doit impliquer un examen ophtalmologique dans les meilleurs délais (fond d’œil, scanner, IRM…). Le patient doit pouvoir être ensuite dirigé très rapidement vers un centre de soins référent. Le rétinoblastome est un cancer génétique classé « maladie rare » et nécessite une prise en charge spécifique et complexe. L’Institut Curie est le centre de référence en France, disposant d’une équipe pluridisciplinaire ayant une grande expérience de la maladie et des traitements adaptés. Il prend en charge la majorité des enfants atteints de rétinoblastome bilatéral et de nombreux cas de rétinoblastome unilatéral.
Il est indispensable d’éviter aux familles une errance médicale. Des liens doivent exister entre les différents corps médicaux afin d’assurer une meilleure coordination pour une prise en charge rapide et efficace. Un suivi à long terme doit être également prévu (surveillance, conseil génétique…). Le rétinoblastome est une maladie complexe, au diagnostic lourd, il faut tenir compte des facteurs génétiques, des traitements divers très ciblés, des séquelles de la maladie, de la prise en charge psychologique, du handicap (malvoyance et parfois cécité), du suivi psychologique des familles. Les unités de recherche sur le rétinoblastome et les centres de soins sont peu développés.

Question du dépistage des troubles de la réfraction

Les facteurs de risque d’amblyopie, c’est-à-dire susceptibles d’entraîner une diminution importante des capacités visuelles, sont classiquement chez l’enfant les troubles de la réfraction ou amétropies (myopie, hypermétropie, astigmatisme, anisométropie), la cataracte et les désordres oculomoteurs (strabismes et nystagmus). Un certain nombre de tests diagnostiques peuvent être utilisés pour le dépistage précoce de ces troubles ; quelques uns ont fait l’objet d’études d’efficacité.

Outils de dépistage

Chez l’enfant en bas âge, la méthode de mesure de la réfraction utilisable en dépistage est la skiascopie, qui a l’inconvénient de nécessiter une cycloplégie (par l’atropine jusqu’à l’âge d’un an). Cependant, il existe de plus en plus de réfractomètres pédiatriques automatiques sans cycloplégie qui seraient suffisants pour détecter ceux des enfants qui sont éloignés de la norme, c’est-à-dire ceux qui doivent être diagnostiqués sous cycloplégie. Ces mesures pourraient être pratiquées par du personnel non-ophtalmologiste (orthoptiste).
La méthode de diagnostic sous cycloplégique requiert l’utilisation d’un appareillage simple, mais qui demande un très bon savoir-faire. Elle consiste à observer le déplacement du reflet de la lueur pupillaire obtenu en éclairant la rétine à l’aide d’un faisceau de lumière. Le sens du déplacement permet de déterminer si le sujet est emmétrope (c’est-à-dire si son état optique est normal), et renseigne sur la nature de son éventuelle amétropie. L’examen par skiascopie permet de poser un diagnostic quantitatif du déficit, en interposant dans le trajet du faisceau incident des lentilles convergentes ou divergentes de puissance croissante, ou décroissante, jusqu’à obtention du phénomène d’ombre en masse1 . Cette évaluation quantitative permet d’aboutir à la prescription du système de compensation (verres de lunettes ou lentille) adéquat.

Dépistage de troubles visuels par mesure de la réfraction en population générale

Entre 9 et 12 mois, le comportement visuel de l’enfant devient accessible à une évaluation et donc au dépistage d’éventuels déficits. Cet âge présente plusieurs caractéristiques qui en font une période particulièrement propice au dépistage.
Tout d’abord, l’enfant, en confiance dans les bras de sa mère, se prête bien aux examens qui n’exigent de lui qu’un comportement restreint à la fixation. Selon les phases de son développement psychologique, les capacités attentionnelles de l’enfant ne s’investissent en effet pas sur les mêmes objets. Ainsi, entre 4 mois et 1 an, l’examinateur peut aisément obtenir une attention visuelle soutenue. Plus tard, l’enfant, explorant sans cesse son environnement, adoptera souvent des attitudes de refus et de défense qui rendront l’examen plus difficile et incertain.
L’examen ophtalmologique devient parlant entre 9 et 12 mois, certains symptômes apparaissant de façon plus évidente. Ainsi, les strabismes à petit angle (microstrabismes), aussi amblyogènes que les strabismes manifestes, peuvent être mis en évidence avec le test de l’écran, qui devient praticable à cet âge en raison de la stabilité de la fixation.
Détecter et traiter un déficit visuel durant cette période, que l’on sait associée à une efficacité thérapeutique maximale, permet, en restaurant l’acuité visuelle de l’œil atteint, d’éviter l’installation d’une amblyopie ; de plus, une amblyopie déjà présente peut, dans cette tranche d’âge, être intégralement récupérée par un traitement souvent simple à mettre en œuvre (correction optique accompagnée ou non d’une occlusion). Il faut donc souligner le bénéfice médical d’un dépistage précoce des anomalies visuelles, chez les enfants âgés de 9 à 12 mois, par une mesure de la réfraction par skiascopie, un examen du fond d’œil et un bilan orthoptique (test de l’écran) effectués par un ophtalmologiste.
Enfin, l’existence d’un bilan au cours du 9e mois, faisant l’objet de l’établissement d’un certificat de santé obligatoire, est un élément plaidant en faveur de la réalisation d’un dépistage systématique des troubles visuels durant cette période.
Pour assurer un suivi adéquat de l’enfant, les résultats de ce dépistage entre 9 et 12 mois doivent être reportés, dans leur intégralité, dans son carnet de santé.
Dans l’éventualité d’un dépistage systématique des troubles visuels chez l’enfant de 9 à 12 mois, les ophtalmologistes sont trop peu nombreux en France pour assurer chaque année l’examen des 750 000 enfants de cette classe d’âge. Il est donc indispensable d’élargir à d’autres professionnels que les ophtalmologistes, et en particulier aux orthoptistes, le soin d’effectuer les examens complémentaires des anomalies visuelles entre 9 et 12 mois. De par leurs compétences2 , les orthoptistes semblent en effet capables de réaliser un bilan complet de la vision du nourrisson, comprenant des examens orthoptiques, une mesure de la réfraction et la recherche d’éventuelles anomalies organiques. Ce dépistage conduirait les orthoptistes non pas à prescrire une prise en charge, mais à adresser l’enfant à un ophtalmologiste, pour diagnostic. Il faudrait également étendre la participation des orthoptistes aux centres de dépistage (PMI…).

Prise en charge après dépistage d’un trouble de la réfraction

La correction optique précoce (dès la première année) d’un trouble de la réfraction permet d’en limiter les conséquences néfastes, à savoir l’amblyopie et le strabisme. L’équipement des enfants doit tenir compte des données optiques et morphologiques particulières de l’enfant, ainsi que de son comportement, notamment à travers l’acceptation de l’équipement en lunettes ou lentilles de contact. Les yeux d’un enfant atteignent seulement vers l’âge de 5 ans la forme et la structure d’un œil adulte. La morphologie de l’enfant n’est pas homothétique à celle de l’adulte. Ainsi, la proportion entre la tête et le corps, qui est de 20 % chez le nourrisson, passe à 10 % chez l’adulte. Les lunettes pour enfant ne sont donc pas des modèles réduits de celles pour adulte.
Cette prise en charge de l’enfant est importante puisque l’on sait que toutes les activités cognitives peuvent être affectées par une déficience de la vue. Les recherches concernant l’activité de lire et écrire montrent que les troubles de la fonction visuelle pénalisent l’entrée dans les apprentissages, et ce dès la maternelle. L’apprenti lecteur et scripteur doit posséder un potentiel visuel indemne de trouble pour activer des processus perceptifs et cognitifs pertinents.

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