Logo of MSmédecine/sciences : m/s
Med Sci (Paris). 32(11): 1023–1026.
doi: 10.1051/medsci/20163211021.

Hépatopathies stéatosiques non alcooliques
Perte sélective des lymphocytes T CD4+ et développement d’un cancer du foie

Antoine L’Hermitte,1 Sandrine Pham,1* Mathilde Cadoux,1* and Jean-Pierre Couty1**

1Institut Cochin, Université Paris-Descartes, Sorbonne Paris Cité, CNRS UMR 8104, Inserm U1016, département Reproduction, Développement et Cancer, 22, rue Méchain, 475014Paris, France
Corresponding author.
*Les auteurs ont contribué de façon égale au manuscrit

MeSH keywords: Immunité acquise, Animaux, Numération des lymphocytes CD4, Lymphocytes T CD4+, Carcinome hépatocellulaire, Transformation cellulaire néoplasique, Humains, Immunité innée, Foie, Tumeurs du foie, Stéatose hépatique non alcoolique, Échappement de la tumeur à la surveillance immunitaire, physiologie, anatomopathologie, étiologie, immunologie, complications

 

Le syndrome métabolique est un problème majeur de santé publique caractérisé par l’association de plusieurs anomalies cliniques ou biologiques : obésité, résistance à l’insuline, diabète de type 2, hypertension artérielle et/ou dyslipidémie [1] ().

(→) Voir la Synthèse de D. Junquero et Y. Rival, m/s n° 12, décembre 2005, page 1045

Au niveau hépatique, les anomalies résultant du syndrome métabolique sont regroupées sous le terme d’hépatopathie stéatosique non-alcoolique (non alcoholic fatty liver disease, NAFLD), dont le spectre de désordres va de la simple accumulation d’acides gras dans les hépatocytes (stéatose bénigne) au développement d’une stéato-hépatite non alcoolique (non alcoholic steato hepatitis, NASH) qui se traduit par une inflammation chronique du tissu hépatique [2]. Des données épidémiologiques récentes indiquent une augmentation de l’incidence de la tumeur primitive du foie (ou carcinome hépatocellulaire, CHC) chez les sujets atteints de NAFLD et identifient ainsi le syndrome métabolique comme un nouveau facteur de risque de développer un CHC [3] au même titre que les facteurs de risque identifiés de longue date (comme la consommation d’alcool, les infections par les virus de l’hépatite B et C [VHB et VHC], l’exposition à l’aflatoxine B11, etc.). L’association très fréquente de l’inflammation chronique hépatique à la survenue d’un CHC fait de cette tumeur maligne un très bon modèle d’étude du dialogue entre cellules inflammatoires et cellules cancéreuses. De nombreux travaux ont en effet souligné que les cellules constituant le stroma, encore appelé microenvironnement tumoral, sont des acteurs essentiels à l’initiation et à la progression tumorale ().

(→) Voir le numéro thématique Microenvironnements tumoraux, m/s n° 4, vol. 30, avril 2014

Par ailleurs, la grande majorité de ces travaux ont permis de définir l’échappement à l’immunosurveillance comme une caractéristique essentielle des cellules cancéreuses [4].

Immunité innée et immunité acquise dans l’hépatopathie stéatosique non alcoolique

À l’heure actuelle, deux types cellulaires du microenvironnement, potentiellement acteurs dans la carcinogenèse hépatique, ont principalement fait l’objet de travaux : les cellules étoilées du parenchyme hépatique qui servent au stockage de la vitamine A mais sont aussi et surtout impliquées dans la fibrose hépatique induite par l’inflammation chronique, et les cellules de l’immunité innée. Le foie a en effet la particularité de posséder son propre système immunitaire, spécifiquement enrichi en cellules de l’immunité innée, incluant les populations résidentes du tissu hépatique, les cellules de Kupffer2 et le couple NK/NKT (natural killer et natural killer T), qui participent activement à l’homéostasie de ce tissu [5].

Le rôle des cellules de l’immunité adaptative (lymphocytes T et B) dans le CHC a également été étudié, sans pour autant proposer jusqu’ici de véritable démonstration mécanistique de leur mode d’action. Récemment, de nouveaux modèles murins, soumis à un régime alimentaire permettant de reproduire toutes les étapes de la NAFLD chez l’homme, ont permis d’approfondir l’étude du rôle de ces cellules de l’immunité adaptative. Il a notamment été montré une implication des cellules NKT et des lymphocytes T CD8+ dans l’augmentation de l’absorption des acides gras par les hépatocytes (accentuation de la stéatose) via la sécrétion de la cytokine LIGHT (ou TNFSF14, tumor necrosis factor superfamily member 14), ce qui a également été retrouvé chez l’homme. L’action conjointe des lymphocytes T CD8+ et des cellules NKT activées (produisant des cytokines) augmente considérablement les dommages hépatiques contribuant au développement de la stéato-hépatite (NASH). Elle favorise également l’émergence d’un CHC par l’activation simultanée de la voie de signalisation NF-κB (nuclear factor-kappa B) et de la voie dépendante du récepteur à la lymphotoxine beta (LTB, aussi appelée tumor necrosis factor C [TNF-C]) [5].

Une diminution sélective des lymphocytes T CD4+ dans le NAFLD évoluant vers un CHC

En collaboration avec Mathias Heikenwalder, l’équipe de Tim Greten (Center for cancer research national cancer institute, Bethesda, États-Unis) vient de démontrer que les changements métaboliques observés dans la NAFLD conduisent à l’émergence d’un carcinome hépatocellulaire via une perte sélective des lymphocytes CD4+ de l’immunité adaptative [6]. Ces observations ont été obtenues à partir d’une combinaison de modèles murins (à la fois de NAFLD et de CHC) et de cohortes de patients atteints de NAFLD. Le modèle murin de CHC utilisé est celui de l’activation inductible, spécifiquement dans les hépatocytes, de l’oncogène MYC (système Tet-on 3) [7]. Dans ce modèle, appelé MYC-ON, les tumeurs surviennent entre 10 à 14 semaines après l’activation de MYC. Afin d’induire une NAFLD, les animaux sont également placés sous des régimes connus pour induire une stéatose ou une stéatohépatite comme le régime déficient en choline et méthionine (methionine choline deficient, MCD) ou le régime déficient en choline et acides aminés (choline deficient amino acid, CDAA). En parallèle, le carcinogène diéthyl-nitrosamine (DEN) a été utilisé comme contrôle, chez les souris également placées sous régime inducteur de NAFLD. De façon évidente, dans ces différents modèles, l’induction d’une stéatose hépatique augmente très significativement le développement tumoral, conduisant à un nombre plus important de nodules tumoraux qui, par ailleurs, apparaissent sensiblement plus tôt.

Les auteurs ont caractérisé les cellules immunitaires infiltrant les foies NAFLD d’une part, et NAFLD avec CHC d’autre part. Ils ont retrouvé dans ces foies, comparativement aux contrôles, une augmentation de cellules myéloïdes suppressives CD11b+ Gr1+ (myeloid-derived suppressor cells, MDSC) et de cellules dendritiques [810] mais, de façon surprenante, une diminution de lymphocytes T CD4+ conventionnels [14] ().

(→) Voir la Nouvelle de S. Faure-Dupuy et J. Lucifora, m/s n° 3, mars 2016, page 238

Il est important de noter d’une part que cette baisse du nombre de lymphocytes intrahépatiques affecte spécifiquement la population des lymphocytes T CD4+ sans altérer celle des lymphocytes T CD8+ et, d’autre part, que cette réduction du nombre de lymphocytes T CD4+ est présente dans les modèles NAFLD (ainsi que dans le modèle NAFLD de souris obèses Ob/Ob déficientes en leptine4) avec ou sans tumeur, illustrant un mécanisme de déplétion lymphocytaire indépendant de la tumorigenèse.

Après une caractérisation plus fine de cette population de lymphocytes CD4+ (incluant les T helper Th1, Th2, Th17 et T régulateurs), les auteurs ont pu identifier, dans ce contexte de NAFLD, que les proportions de lymphocytes CD4+ Th1 (exprimant T-bet, T-box transcription factor), Th2 (exprimant GATA3, trans-acting T-cell-specific transcription factor) et T régulateurs (exprimant CD25 et FoxP3, forkhead box P3) n’étaient pas modifiées alors que la majorité des lymphocytes CD4+ qui étaient déplétés, correspondait à des lymphocytes Th17 exprimant RORγT (retinoic acid receptor-related orphan receptor gamma T) et produisant de l’interleukine 17.

Les lymphocytes T CD4+ jouent un rôle crucial dans l’immunosurveillance des cancers et notamment dans l’inhibition des étapes d’initiation du CHC et dans la régression tumorale [11, 12]. Les auteurs ont donc recherché, dans leur modèle de CHC induit par MYC (MYC-ON), des lymphocytes T CD4+ capables de reconnaître des antigènes tumoraux comme l’α-fœto-protéine (un marqueur fœtal classiquement ré-exprimé dans le CHC). Leurs résultats suggèrent que ces tumeurs MYC induisent une réponse anti-tumorale T CD4+ spécifique. La déplétion obtenue par l’utilisation d’anticorps spécifiques de la population de lymphocytes CD4+, se traduit par une augmentation significative du nombre de nodules tumoraux chez les souris MYC-ON placées sous régime NAFLD. Il est important de noter que la ré-émergence des tumeurs chez les souris MYC-ON sous régime normal est retardée dans le temps, suggérant que la stéatose hépatique diminue la réponse immunitaire anti-tumorale CD4+.

Ces observations montrent ainsi que la déplétion sélective des lymphocytes CD4+ contribue fortement au développement de CHC chez les souris MYC-ON sous régime inducteur de stéatose.

Un effet en miroir : les changements métaboliques dans l’hépatocyte induisent une activité métabolique intense des lymphocytes CD4+ qui conduit à leur déplétion

Afin d’expliquer la déplétion sélective des lymphocytes T CD4+, les auteurs ont analysé leur survie à la fois dans les modèles de NAFLD et chez les souris MYC-ON avec/ou sans régime NAFLD. Les lymphocytes CD4+ provenant des souris tumorales MYC-ON sous régime MCD (déficient en choline et méthionine) présentaient plus de figures d’apoptose que ceux des souris tumorales MYC-ON sous régime normal. En réalisant des co-cultures d’hépatocytes provenant de souris MYC-ON sous régime MCD avec des lymphocytes T, les auteurs ont alors mis en évidence une augmentation spécifique de l’apoptose des lymphocytes CD4+ (et non des lymphocytes T CD8+) sans qu’il y ait nécessité de contact entre hépatocyte et lymphocyte. De façon intéressante, les auteurs ont montré que les gouttelettes lipidiques relarguées par les hépatocytes stéatosiques, et notamment l’acide stéarique (C18:0, acide gras libre), étaient prises en charge par les lymphocytes T CD4+ et qu’elles induisaient, en conséquence, leur mort. Ces mêmes expériences de co-culture ont été réalisées avec des lymphocytes T CD8+ sans jamais observer d’effet sur la survie de ces cellules. Pour confirmer ces observations, des souris ont été placées sous régime alimentaire enrichi en acide stéarique C18:0. Elles ont présenté une réduction significative du nombre de leurs lymphocytes T CD4+ sans altération de la population des lymphocytes CD8+. Ces travaux suggèrent ainsi, qu’à lui seul, l’acide stéarique est capable d’induire in vivo la mort des lymphocytes T CD4+ hépatiques.

D’un point de vue mécanistique, les auteurs ont identifié un plus grand nombre de mitochondries dans les lymphocytes T CD4+ que dans les lymphocytes T CD8+. Par des approches de microarrays, ils ont montré que les lymphocytes T CD4+ (et non les CD8+) exposés au C18:0 présentaient une altération de la phosphorylation oxydative des acides gras associée à un dysfonctionnement mitochondrial. Il est important de noter que l’enzyme CPT1A (carnitine palmitoyltransferase 1A), nécessaire à l’import d’acides gras libres dans la mitochondrie, augmente très fortement en présence de C18:0, en parallèle de la diminution de l’expression des gènes codant les composants du transport des électrons. Les auteurs montrent que l’inhibition de l’expression de la CPT1A dans une lignée de lymphocytes T CD4+ est capable de prévenir la mort induite par l’exposition à l’acide stéarique. Ces données suggèrent que l’altération de la fonction mitochondriale dans les lymphocytes T CD4+ exposés à l’acide stéarique conduit à leur propre mort. Les auteurs ont en effet identifié que la béta-oxydation des acides gras libres, et notamment celle du C18:0, conduisait à une altération du transport d’électrons par diminution du potentiel membranaire mitochondrial. Généralement, une altération de la chaîne de transporteurs d’électrons peut conduire à une fuite prématurée d’électrons vers l’oxygène pour favoriser la genèse d’espèces réactives de l’oxygène (reactive oxygen species, ROS). En effet, dans les lymphocytes T CD4+, les taux normalisés de la consommation d’oxygène sont plus élevés comparativement à ceux des lymphocytes T CD8+. Or, l’exposition des lymphocytes CD4+ à l’acide stéarique C18:0 (co-culture d’hépatocytes MCD avec des lymphocytes CD4+, ou souris placées sous régime enrichi en C18:0) conduit spécifiquement à une augmentation importante de ROS et à la mort des cellules CD4+ (Figure 1). A contrario, le blocage des ROS par traitement anti-oxydant (catalase ou N-acétylcystéine) limite, in vitro, la mort des lymphocytes T CD4+ co-cultivés en présence d’hépatocytes MYC-ON sous régime MCD ou de C18:0. Enfin, in vivo, le traitement anti-oxydant des souris MCD ou MYC-ON placées sous régime MCD est capable à lui seul de protéger de la déplétion des lymphocytes T CD4+ sans modification de la stéatose, ainsi que de retarder l’émergence de CHC.

La majorité de ces observations ont été retrouvées chez les patients atteints d’hépatopathies stéatosiques non alcooliques, en particulier le nombre plus faible de lymphocytes T CD4+ intrahépatiques.

Conclusion

Les travaux de cette équipe américaine apportent une information mécanistique essentielle sur le dialogue qui s’établit entre les hépatocytes stéatosiques et les lymphocytes T CD4+. En effet, les auteurs démontrent un lien nouveau entre l’accumulation de lipides dans un contexte d’obésité et la perte sélective des lymphocytes T CD4+ dans le foie, en soulignant l’implication de l’immunité adaptative dans la progression de la NAFLD vers l’émergence d’un carcinome hépatocellulaire. La capacité de modulation de la réponse immunitaire T spécifique représente désormais un enjeu majeur pour le développement de nouvelles stratégies immunothérapeutiques pour traiter les hépatopathies stéatosiques non alcooliques en évolution croissante dans les pays développés.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun conflit d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Footnotes
1 Mycotoxine hautement cancérigène produite par le champignon Aspergillus.
2 Macrophages spécifiques du foie.
3 Le système Tet-on est une méthode d’activation génique inductible utilisant la régulation par la tétracycline.
4 Hormone polypeptidique principalement produite par les adipocytes et intervenant dans le contrôle du poids corporel.
References
1.
Junquero D, Rival Y. Syndrome métabolique : quelle définition pour quel(s) traitement(s) ? . Med Sci (Paris). 2005; ; 21 : :1045.–1053.
2.
Marchesini G, Bugianesi E, Forlani G, et al. Nonalcoholic fatty liver, steatohepatitis, and the metabolic syndrome . Hepatology. 2003; ; 37 : :917.–923.
3.
European Association for the Study of the Liver; European Organisation for Research and Treatment of Cancer . EASL-EORTC clinical practice guidelines: management of hepatocellular carcinoma . J Hepatol. 2012; ; 56 : :908.–943.
4.
Hanahan D, Weinberg RA. Hallmarks of cancer: the next generation . Cell. 2011; ; 144 : :646.–674.
5.
Jenne CN, Kubes P. Immune surveillance by the liver . Nat Immunol. 2013; ; 14 : :996.–1006.
6.
Wolf MJ, Adili A, Piotrowitz K, et al. Metabolic activation of intrahepatic CD8+ T cells and NKT cells causes nonalcoholic steatohepatitis and liver cancer via cross-talk with hepatocytes . Cancer Cell. 2014; ; 26 : :549.–564.
7.
Ma C, Kesarwala AH, Eggert T, et al. NAFLD causes selective CD4+ T lymphocyte loss and promotes hepatocarcinogenesis . Nature. 2016; ; 531 : :253.–257.
8.
Shachaf CM, Kopelman AM, Arvanitis C, et al. MYC inactivation uncovers pluripotent differentiation and tumour dormancy in hepatocellular cancer . Nature. 2004; ; 431 : :1112.–1117.
9.
Baeck C, Wehr A, Karlmark KR, et al. Pharmacological inhibition of the chemokine CCL2 (MCP-1) diminishes liver macrophage infiltration and steatohepatitis in chronic hepatic injury . Gut. 2012; ; 61 : :416.–426.
10.
Henning JR, Graffeo CS, Rehman A, et al. Dendritic cells limit fibroinflammatory injury in nonalcoholic steatohepatitis in mice . Hepatology. 2013; ; 58 : :589.–602.
11.
Xia S, Sha H, Yang L, et al. Gr-1+ CD11b+ myeloid-derived suppressor cells suppress inflammation and promote insulin sensitivity in obesity . J Biol Chem. 2011; ; 286 : :23591.–23599.
12.
Kang TW, Yevsa T, Woller N, et al. Senescence surveillance of pre-malignant hepatocytes limits liver cancer development . Nature. 2011; ; 479 : :547.–551.
13.
Rakhra K, Bachireddy P, Zabuawala T, et al. CD4+ T cells contribute to the remodeling of the microenvironment required for sustained tumor regression upon oncogene inactivation . Cancer Cell. 2010; ; 18 : :485.–498.
14.
Faure-Dupuy S, Lucifora J. Régulation de l’immunopathogenèse du virus de l’hépatite B par des cellules myéloïdes suppressives . Med Sci (Paris). 2016; ; 32 : :290.–296.