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Med Sci (Paris). 32(12): 1062–1064.
doi: 10.1051/medsci/20163212006.

Le facteur d’inhibition de la migration des macrophages (MIF), un régulateur de la réponse immunitaire innée néonatale

Éric Giannoni,1,2* Anina Schneider,1,2 Thierry Calandra,2 and Thierry Roger2

1Service de néonatologie, département femme-mère-enfant, centre hospitalier universitaire vaudois et université de Lausanne, avenue Pierre Decker 2, 1011Lausanne, Suisse
2Service des maladies infectieuses, département de médecine, centre hospitalier universitaire vaudois et université de Lausanne, 1011Lausanne, Suisse

MeSH keywords: Adulte, Femelle, Humains, Immunité innée, Immunité acquise d'origine maternelle, Nouveau-né, Intramolecular oxidoreductases, Facteurs inhibiteurs de la migration des macrophages, Échange foetomaternel, Grossesse, génétique, immunologie, physiologie

 

Chaque année, 2,7 millions de nourrissons décèdent pendant leur premier mois de vie. Environ un tiers de ces décès est directement ou indirectement imputable à une infection néonatale [1]. Les infections à début précoce sont symptomatiques pendant la première semaine de vie et en général dans les 48 heures suivant la naissance. Ces infections résultent de la transmission materno-fœtale de pathogènes in utero dans un contexte de chorioamniotite (une infection des membranes du placenta) ou lors du contact entre le nouveau-né et la flore vaginale de sa mère au moment de l’accouchement. Les pathogènes responsables de plus de la moitié des infections materno-fœtales sont les streptocoques du groupe B (SGB) et Escherischia coli [2, 3] ().

(→) Voir la Nouvelle de A. Tazi et al., m/s n° 4, avril 2011, page 362

La faible réserve fonctionnelle des organes vitaux en période néonatale et la fragilité du cerveau en développement contribuent à une mortalité de 5 à 15 % et à un risque de séquelles neurologiques permanentes chez les survivants.

Immunité innée néonatale

La susceptibilité des nouveau-nés aux infections est associée à leur capacité limitée à développer une réponse immunitaire efficace. En effet, ils possèdent un système immunitaire en développement avec des caractéristiques différentes de celui de l’adulte [2]. Les nouveau-nés dépendent principalement de l’immunité innée pour combattre les infections bactériennes, leur système immunitaire adaptatif étant peu développé. Une certaine protection est par ailleurs conférée par le système immunitaire maternel, notamment par la transmission transplacentaire d’immunoglobulines et par l’allaitement.

Les principaux composants du système immunitaire inné présentent un degré d’immaturité fonctionnelle à la naissance. La peau et les muqueuses sont ainsi particulièrement fragiles et les cellules tueuses naturelles (lymphocytes NK, natural killer) ont une capacité restreinte à détruire les germes pathogènes. De même, le pool de neutrophiles qui est limité au niveau de la moelle osseuse est associé à un risque élevé de neutropénie1 lors d’infections. La capacité même de ces neutrophiles à migrer au site d’infection est restreinte, tout comme leur aptitude à phagocyter et à tuer les pathogènes. Par rapport aux cellules de l’adulte, les monocytes et les cellules dendritiques de nouveau-nés exposés à des produits bactériens produisent moins de cytokines pro-inflammatoires. Ces cellules produisent également moins de cytokines favorisant la différenciation des lymphocytes T CD4+ naïfs en cellules T helper de type 1 (TH1) qui sont spécialisées dans la défense contre les pathogènes intracellulaires. Par contre, la production de cytokines favorisant la différenciation des cellules T CD4+ naïves en cellules TH17, impliquées dans l’immunité des muqueuses, de même que la production de cytokines anti-inflammatoires est similaire voire plus élevée que chez l’adulte [4, 5].

Impact de l’environnement fœtal sur le développement du système immunitaire

Le fœtus se développe dans l’environnement pauvre en antigènes de la cavité utérine, où le placenta joue un rôle d’interface entre la mère et l’enfant. Le placenta produit des quantités importantes d’hormones stéroïdiennes (œstradiol, progestérone, œstriol, estrone, pregnénolone et déhydroépiandrostérone) essentielles au maintien de la grossesse, au développement fœtal et à l’induction de l’accouchement (Figure 1). Ces molécules diffusent dans la circulation fœtale et influencent le système immunitaire du fœtus et du nouveau-né. En effet, l’œstradiol et la progestérone inhibent l’activation de la voie de signalisation NF-κB (nuclear factor-kappa B) ainsi que la production de TNF-α (facteur de nécrose tumorale alpha) et d’IL(interleukine)-6 par des monocytes exposés à des bactéries coliformes [6]. L’adénosine et les prostaglandines PGE2 et PGF sécrétées par le placenta sont également présentes à des concentrations élevées dans la circulation sanguine des nouveau-nés. L’adénosine et la PGE2 inhibent de façon sélective la production de TNF-α par les monocytes [4, 7]. L’environnement intra-utérin, à dominante anti-inflammatoire, favorise la tolérance aux antigènes maternels, préserve les organes en développement, prévient le déclenchement d’accouchements prématurés et facilite la tolérance aux micro-organismes qui colonisent la peau et les intestins après la naissance. Toutefois, une polarisation anti-inflammatoire excessive pourrait favoriser le développement d’infections invasives chez le nouveau-né. Partant du postulat que des mécanismes de rétrocontrôle doivent exister, nos études nous ont conduits à examiner le rôle du facteur d’inhibition de la migration des macrophages (MIF), une cytokine multifonctionnelle bien connue pour son rôle régulateur de la réponse immunitaire innée [8].

Le facteur d’inhibition de la migration des macrophages

Le MIF est la première molécule ayant une activité cytokine à avoir été caractérisée, voilà tout juste 50 ans. Le MIF est une molécule de 12,5 kDa formant des homo-trimères biologiquement actifs [8]. Contrairement à la plupart des cytokines, le MIF est exprimé de manière constitutive par tous les tissus et types cellulaires analysés à ce jour et circule à des concentrations de l’ordre de 2 à 10 ng/ml chez les sujets sains adultes. Les cellules immunes comme les monocytes, les macrophages, les cellules dendritiques et les lymphocytes, ainsi que les organes endocrines (hypothalamus, glandes pituitaire et surrénales) disposent de grandes réserves de MIF. Le MIF est rapidement libéré en réponse à un stress ou un stimulus microbien et agit de manière autocrine, paracrine et endocrine, favorisant entre autres la survie et la prolifération cellulaire, la production de médiateurs inflammatoires et le développement de la réponse immunitaire. Une expression anormalement élevée de MIF est impliquée dans la pathogenèse de nombreuses maladies inflammatoires et auto-immunes (arthrite, colite, glomérulonéphrite, maladies métaboliques, cancers, etc.), y compris le sepsis (défini comme la complication sévère d’une infection associée à une réponse dérégulée de l’hôte entraînant une dysfonction d’organe). Par exemple, il a été montré, dans des modèles expérimentaux d’infection sévère, que l’injection prophylactique ou thérapeutique d’anticorps ou d’inhibiteurs du MIF diminuent la réponse inflammatoire et la mortalité induites à la suite d’une infection [9]. Globalement, ces observations montrent que le MIF est un composant intégral du système de défense antimicrobien et de la réponse de stress, dont la fonction est de promouvoir la réponse inflammatoire et l’activité des cellules immunes [8].

MIF, une cytokine clé en période néonatale

Étonnamment, les concentrations circulantes de MIF sont environ dix fois plus élevées (entre 60 et 120 ng/ml) à la naissance et pendant la première semaine de vie qu’à l’âge adulte [7]. Ces concentrations diminuent pendant les premiers mois de vie avec une cinétique rappelant celle de la chute postnatale en hormones stéroïdiennes, en prostaglandines et en adénosine (Figure 1). L’origine cellulaire et tissulaire des taux élevés de MIF à la naissance n’est pas connue, mais pourrait résulter de l’action des stéroïdes sur les monocytes [10].

Les taux élevés de MIF jouent un rôle important dans le contrôle de la réponse immunitaire du nouveau-né [7]. Les monocytes de nouveau-nés possèdent d’importantes réserves intracellulaires de MIF qu’ils libèrent au contact d’E. coli et de SGB. L’inhibition de l’expression ou de l’activité du MIF dans les monocytes de nouveau-nés exposés à des bactéries réduit l’activité des Mapk (mitogen-activated protein kinases) p38 et ERK1/2 (extracellular signal-regulated kinase 1/2), des kinases impliquées dans la signalisation intracellulaire permettant le déploiement d’une réponse immunitaire, en particulier la production de cytokines (Figure 2). L’adénosine et la PGE2 inhibent l’activité des kinases ERK1/2 et la production de TNF-α en réponse à E. coli. L’apport de MIF exogène, à des concentrations similaires à celles observées chez le nouveau-né, réverse l’effet anti-inflammatoire de l’adénosine et de la PGE2. Ces résultats suggèrent que le MIF favorise, particulièrement chez le nouveau-né, la réponse inflammatoire qui est essentielle pour combattre les infections. En cas d’infection établie, une production excessive de MIF pourrait cependant être délétère pour l’hôte en promouvant une réponse inflammatoire systémique, comme l’indiquent de nombreuses études précliniques et cliniques. En accord avec cette hypothèse, l’inhibition du MIF dans des modèles murins de septicémie néonatale réduit la réponse inflammatoire systémique, la prolifération bactérienne et la mortalité de souriceaux infectés [7].

Ces données suggèrent donc que la réponse immunitaire du nouveau-né est contrôlée de manière spécifique par une balance établie entre des molécules pro-inflammatoires (MIF) et des molécules anti-inflammatoires (stéroïdes, adénosine, prostaglandines) (Figure 2). Le MIF est un médiateur exprimé en grande quantité, spécifiquement chez le nouveau-né, ce qui assurerait au système immunitaire néonatal un certain degré de fonctionnalité. Finalement, chez le nouveau-né comme chez l’adulte, une expression exubérante de MIF participe à la pathogenèse du sepsis, ce qui ouvre la voie au développement de nouvelles approches thérapeutiques d’appoint dirigées contre le MIF pour le traitement de malades (nouveau-nés ou adultes) souffrant d’infection sévère.

Liens d’intérêt

Les auteurs déclarent n’avoir aucun lien d’intérêt concernant les données publiées dans cet article.

 
Acknowledgments

E.G., T.C. et T.R. sont financés par le Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique (146838, 138488, 149511). E.G. a reçu le soutien de la fondation ProTechno et de la fondation pédiatrique Lucien Picard. Nous remercions nos collaborateurs (M. Weier, D. Le Roy, F.C.G.J. Sweep et J. Bernhagen) ayant participé à l’étude rapportée dans cette nouvelle.

 
Footnotes
1 Taux anormalement faible de granulocytes neutrophiles dans le sang.
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