Immunogénétique
Des souris et des hommes... Et leurs gènes

Et si l'avenir thérapeutique de l'homme, c'était la souris ? C'est en tout cas le parti pris du centre d'immunophénomiqueImmunophénomique :
Elle vise à capturer, par des approches standardisées et massivement parallèles, l’état fonctionnel de l’ensemble des cellules qui composent le système immunitaire.
de Marseille-Luminy. Ici, on crée des souris génétiquement modifiées pour, entre autres, tester leur réaction immunitaire face à des agents infectieux. Visite de ce nouveau centre qui fête sa première année.

Dans le massif des calanques de Marseille, le long d’une route qui serpente à travers le parc de Luminy, un nouveau bâtiment accueille les visiteurs : 3 500 m2 abritant du matériel de haute technicité, bientôt 50 000 souris et une quarantaine de chercheurs, ingénieurs et techniciens. Bienvenue au Centre d’immunophénomique (Ciphe), inauguré en décembre 2012, et qui sur le point de fêter sa première année. Mais il existait déjà dans la tête de son directeur, Bernard MalissenBernard Malissen
unité 1104 Inserm/CNRS - Aix-Marseille Université, Centre d’immunologie de Marseille-Luminy, US 12 Ciphe
, depuis 2007. Sa raison d’être ? Créer de façon standardisée des modèles murins destinés à l’étude du système immunitaire. « Maintenant que le génome humain est séquencé, il s’agit de le traiter massivement et d’identifier la fonction de chacun des gènes », explique-t-il. La proximité génétique de la souris et de l’homme fait du petit mammifère un modèle particulièrement approprié pour la recherche sur les maladies touchant l’être humain. L’idée est simple : pour chacun des gènes, créer une souris qui en soit dépourvue. Et observer ce qui se passe. « C’est un peu comme avec une voiture, si on enlève une pièce, on voit tout de suite si elle peut continuer à rouler ou pas. Mais le problème peut aussi se révéler tardivement si c’est la roue de secours qui a été supprimée… »
Bernard Malissen, immunologiste, à l'origine du Ciphe
Bernard Malissen immunologiste, à l'origine du Ciphe
Ⓒ François Guénet/Inserm

Création d'une souris

Pour créer une souris, comment s’y prend-on ? C’est très facile… ou presque, si l’on en croit Frédéric FioreFrédéric Fiore
US 12 Inserm, Ciphe
, responsable du service Ingénierie génétique. Des cellules souches embryonnaires de souris sont modifiées génétiquement grâce à un vecteurVecteur
Molécule d’ADN qui permet la propagation de séquence génétique d’intérêt
, puis elles sont mises en culture avant d’être micro-injectées dans un blastocyste, un embryon de quelques cellules. Celui-ci est ensuite implanté dans une souris pseudogestanteFemelle pseudogestante
Femelle accouplée avec un mâle stérile pour déclencher le programme hormonal d’une grossesse
. Si la chance est de la partie, certains souriceaux seront porteurs de la modification génétique souhaitée au niveau de leurs cellules reproductrices. Il ne reste alors plus qu’à les croiser – naturellement – pour obtenir des souris porteuses de la mutation dans toutes leurs cellules. « Il faut entre 12 et 16 mois, selon la complexité du modèle, pour livrer une lignée de souris correspondant à la demande », précise Frédéric Fiore. En 2013, le Centre a enregistré près de quarante commandes de prestations pour générer des lignées de souris pour des clients extérieurs et en a produit une trentaine dans le cadre de l’infrastructure de biotechnologies Phenomin (voir encadré).
Vider la litière sale des cages, c’est le rôle du robot-laveur, dont Victor Pierrini, technicien laverie, surveille le bon fonctionnement.
Vider la litière sale des cages - c’est le rôle du robot-laveur, dont Victor Pierrini, technicien laverie, surveille le bon fonctionnement.
Ⓒ François Guénet/Inserm

Un hébergement sécurisé

Car le Ciphe est à la fois partenaire d’un programme international et une unité de service qui assure la production de mutations pour des demandes individuelles : « Nous répondons à la commande de laboratoires extérieurs qui souhaitent obtenir des mutations plus précises, comme le remplacement d’un nucléotideNucléotide
Molécule de base de l’ADN
par un autre.
» Cela a été le cas de Nicolas LévyNicolas Lévy
unité 910 Inserm-Aix-Marseille Université
, de l’unité Inserm Génétique médicale et génomique fonctionnelle. Apres avoir identifié le gène responsable de la progeria, maladie qui entraine un vieillissement prématuré, il a pu tester une thérapie ciblée sur des souris modèles créées au Ciphe, alors que le Centre n’avait pas encore intégré ses locaux.
Toutes les lignées produites sont hébergées au sein même du Centre. L’animalerie, le domaine d’Anne GilletAnne Gillet
US 12 Inserm, Ciphe
, occupe tout le sous-sol. Pour le moment, seuls 3 981 petits muridés sont enregistrés. « Mais nous pourrons en accueillir jusqu’à 50 000 ! », prévoit la responsable. Pour leur rendre visite, combinaison de coton non tissé, charlotte, masque, chaussons de protection et gants sont de rigueur. Dans les couloirs ou à l’entrée des sas conduisant aux salles, des affichettes rappellent les procédures à suivre pour éviter les contaminations. Car l’une des spécialités du Ciphe, c’est l’analyse du système immunitaire : il serait donc malvenu qu’un pathogène non contrôlé vienne fausser les expériences.
Bientôt 50 000 souris dans l’animalerie dirigée par Anne Gillet. Pour faciliter leur gestion, elles sont hébergées dans des cages rangées sur des portoirs style bibliothèque.
Bientôt 50 000 souris dans l’animalerie dirigée par Anne Gillet. Pour faciliter leur gestion, elles sont hébergées dans des cages rangées sur des portoirs style bibliothèque.
Ⓒ François Guénet/Inserm
Des souriceaux d’un jour
Des souriceaux d’un jour
Ⓒ François Guénet/Inserm
Les souris qui viennent de l’extérieur n’ont pas forcément le statut sanitaire requis (SOPF, Specific and Opportunistic Pathogen Free). En pratiquant des fécondations in vitro et l’implantation des embryons dans des mères porteuses maintenues dans des espaces confinés, Amandine Sansoni veille à obtenir des souriceaux exempts de pathogènes.
Les souris qui viennent de l’extérieur n’ont pas forcément le statut sanitaire requis (SOPF, Specific and Opportunistic Pathogen Free). En pratiquant des fécondations in vitro et l’implantation des embryons dans des mères porteuses maintenues dans des espaces confinés, Amandine Sansoni veille à obtenir des souriceaux exempts de pathogènes.
Ⓒ François Guénet/Inserm

Le passage au laser

C’est à l’étage du dessus que Marie MalissenMarie Malissen
unité 1104 Inserm/CNRS - Aix-Marseille Université, Centre d’immunologie de Marseille-Luminy, US 12 Ciphe
, responsable du module d’Immunophénotypage, Hervé LucheHervé Luche
US 12 Inserm, Ciphe
, responsable R&D, et Pierre GrenotPierre Grenot
US 12 Inserm, Ciphe
, responsable des équipements, caractérisent l’état fonctionnel du système immunitaire des souris, exposées à tel ou tel pathogène. Ce qui revient à analyser les cellules sanguines contenues dans la rate ou les ganglions. Leur arme ? La cryométrie en flux. Cette technique permet de faire défiler les cellules étudiées à grande vitesse dans le faisceau d’un laser. Celles-ci sont mises en présence d’anticorps, spécifiques de telle ou telle protéine exprimée à la surface de leur membrane. Lorsqu’une cellule passe devant le laser, la lumière réémise par les marqueurs fluorescents couplés aux anticorps permet d’indiquer à quelle population elle appartient : lymphocytes B CD4, CD8, granulocytes…
Comment savoir si une souris possède la mutation requise ? En lui prélevant un petit bout de queue et en analysant l’ADN de ses cellules. Coupés par des enzymes, les fragments d’ADN migrent en fonction de leur poids sous l’action d’un champ électrique dans un gel d’agarose. L’observation sous lumière UV permet de les visualiser.
Comment savoir si une souris possède la mutation requise ? - L’observation sous lumière UV permet de les visualiser.
Ⓒ François Guénet/Inserm
Pierre Grenot dissèque une rate de souris pour l’analyse des cellules immunitaires contenues dans cet organe lymphoïde secondaire, lieu de passage, d’accumulation, et de rencontre des antigènes* et des cellules de l’immunité. * Molécule reconnue par un anticorps et capable de déclencher une réponse immunitaire
Analyse des cellules immunitaires - Pierre Grenot dissèque une rate de souris
Ⓒ François Guénet/Inserm
Mise en place de la ligne d’injection des cellules dans le nébulisateur du cytomètre de masse. Un des enjeux de l’immunophénotypage : présenter les résultats des analyses de façon claire.
Mise en place de la ligne d’injection des cellules dans le nébulisateur du cytomètre de masse - Un des enjeux de l’immunophénotypage
Ⓒ François Guénet/Inserm
Ici, Hervé Luche explique l’intérêt d’un outil de clusterisation : il permet de mettre en évidence les variations immunologiques entre deux groupes de souris au sein d’une même population.
L'intérêt d’un outil de clusterisation expliqué par Hervé Luche : mettre en évidence les variations immunologiques entre deux groupes de souris au sein d’une même population
Ⓒ François Guénet/Inserm

Un labo de sécurité niveau 3

Depuis peu, l’équipe a fait l’acquisition d’un cytomètre de masse qui suscite son enthousiasme : « Avec le cytomètre en flux, on peut prendre en compte jusqu’à 18 paramètres. Le cytomètre de masse, lui, peut en analyser jusqu’à 50 », insiste Herve Luche. Dans cette machine à l’origine couleur orange saumoné, les cellules défilent à la vitesse de 1 000 par seconde, et les anticorps, étiquetés cette fois avec des métaux rares, sont identifiés par un spectromètre de masse. « Cette technique d’analyse permet de détecter et d’identifier des molécules par mesure de la masse de l’atome auquel est lié l’anticorps », explique Marie Malissen. Au sein de l’unité de service, la R&D n’est pas absente : pour rester dans la course à la technologie et optimiser le temps de traitement, les membres du module Immunophénotypage standardisent les manipulations, mettent au point des combinaisons d’anticorps et marqueurs fluorescents qui font la spécificité du Ciphe… Tres bientôt, le laboratoire de sécurité biologique de niveau 3 (BSL3 pour BioSafetyLevel 3), correspondant à l’utilisation d’agents biologiques hautement pathogènes pour l’homme, sera opérationnel et disposera des autorisations règlementaires nécessaires à son activité. « Les lignées de souris pourront alors être soumises à des tests infectieux et examinées en toute sécurité dans des zones confinées », assurent Philippe Hoest et Jean-Pierre Gorvel, les responsables, respectivement Sécurité et Sûreté biologique et scientifique, de la plateforme BSL3. Nul doute que ces chercheurs passionnés participeront à élucider la complexité du système immunitaire, offrant des perspectives thérapeutiques d’envergure.
L’installation d’un microscope biphotonique – pour suivre de manière dynamique les événements moléculaires à l’intérieur d’une cellule vivante - en milieu BSL3 est une première. Pour faciliter sa maintenance, il a été installé en deux parties : le tableau de pilotage, avec les bancs laser, dans une zone non classée, et la partie observation en salle blanche (moins de 352 000 particules de 0,5 μm/m3 d’air).
L’installation d’un microscope biphotonique – pour suivre de manière dynamique les événements moléculaires à l’intérieur d’une cellule vivante - en milieu BSL3 est une première. Pour faciliter sa maintenance, il a été installé en deux parties : le tableau de pilotage, avec les bancs laser, dans une zone non classée, et la partie observation en salle blanche (moins de 352 000 particules de 0,5 μm/m3 d’air).
Ⓒ François Guénet/Inserm
Philippe Hoest explique la gestion sans faille du traitement d’air pour maintenir le niveau 3 de sécurité biologique. Un « étage » technique court ainsi sous tout le bâtiment, où chaque gaine et circuit sont clairement identifiés.
Niveau 3 de sécurité biologique - Philippe Hoest explique la gestion sans faille du traitement d’air
Ⓒ François Guénet/Inserm

Julie Coquart